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Les Journées de l'ECF #05

Agnès Aflalo : Remarques sur le thème

Faire une analyse. La condition pour devenir analyste est de faire une psychanalyse. Il faut pour cela rencontrer un psychanalyste. Or, Le psychanalyste n´existe pas. Ce qui existe, c´est un acte dont seuls les effets d´après-coup pourront légitimer qu´on dise qu´il y a eu analyse. La question  » comment on devient analyste ?  » se décline donc en différentes questions, dont celle du témoignage exposé, qui permet de vérifier la pertinence de la décision de fonctionner comme psychanalyste. Lacan a formalisé une fin logique de l´expérience qui passe par le témoignage de passe devant un jury restreint. Le thème des Journées que vous avez choisi appelle un témoignage pas si éloigné de la passe, puisqu´il s´agit d´exposer son propre parcours, et la décision prise d´occuper la place de variable dans la fonction de psychanalyste. Il y a de quoi relancer l´expérience, si les témoignages sont effectivement sériés dans leur diversité.

Le fait. Le moment de l´installation précède souvent le moment logique de la fin de l´expérience. C´est un fait l´analyste ne s´autorise que de lui-même, mais, aussi de quelques autres et c´est aussi un fait dans une École de Lacan.

Ne jamais cesser de mettre au travail le paradoxe. Il faut un psychanalyste pour faire exister l´inconscient. Et pas de psychanalyse sans analyste. Faire exister l´inconscient dépend de l´acte analytique.

La mise au point du désir dans l´analyse. On devient analyste parce qu´on le désire. Ce désir peut dater d´avant l´analyse – à l´adolescence, si, comme ce fut mon cas, la lecture de Freud fait événement. Mais ça ne suffit pas. Ce désir se décide par hasard au décours de l´analyse. Il s´impose comme l´alternative d´un choix forcé (les seuls qui comptent : « ça, ou rien d´autre ». On devient analyste pour autant qu´on est habité par le désir que la psychanalyse ne disparaisse pas avec nous-mêmes – lorsqu´on décide que l´expérience subjective de l´analyse est tellement inouïe, qu´elle vaut la peine d´être transmise à d´autres.

Tirer les conséquences radicales de ce que l´Autre n´existe pas – mais pas moyen de faire une analyse sans la présence réelle de celui qui se voue à faire l´analyste. La psychanalyse et les psychanalystes, ça fait deux, mais pas moyen de faire exister le DA sans psychanalyste.

Ce qui fait chacun analyste, c´est, in fine, un avatar du symptôme – si la décision est prise que c´est assez de déchiffrer le vouloir-dire du symptôme, et que ce qui reste de vouloir jouir est assez évidé pour loger la plainte d´un autre. Autrement dit, décider de se faire le partenaire d´un autre sinthome que le sien, pour que s´accomplisse le trajet qui va d´un Autre à l´(a)utre.

Devenir analyste et le rester : relancer le pari éthique. Ça dépend de l´acte pour chaque patient, et à chaque séance. Ça comporte de réinventer l´analyse avec chacun, afin que les effets de vérité déchaînés par l´acte puissent se construire en un savoir singulier qui atteigne le réel du symptôme. Ça comporte des contrôles, et la reprise de tranche d´analyse, lorsque les restes actifs de symptôme le nécessitent.

Ne pas cesser de croire à l´inconscient, et de se faire responsable du symptôme. C´est savoir que le réel de l´inconscient ne cesse jamais d´engendrer sa propre méconnaissance. C´est vrai avant, pendant et après l´analyse. On devient analyste lorsqu´on consent à l´ascèse prescrite par la cause analytique, qui prescrit de défaire cette méconnaissance engendrée par le réel, et donc de n´être jamais quitte. C´est faire sa place à l´inconscient post-analytique, et pas seulement pour reprendre une tranche, mais aussi interpréter d´autres formations de l´inconscient, si c´est nécessaire, comme le fait d´analyser la logique d´un acte manqué.

À l´École de Lacan. Devenir analyste dans une École de Lacan, c´est décider de se faire responsable avec d´autre de la transmission du DA. ça comporte d´en passer par l´enseignement de Freud, de Lacan, sans fétichiser leurs concepts. Lorsque la Chose analytique ne vous laisse plus en paix, et qu´il est décidé d´en faire sa cause, et qu´elle pousse à réinventer la psychanalyse, mais pas sans une série d´autres qui ont pris la même décision, et pour des raisons communes.

La question est d´actualité, puisqu´il s´en est fallu de peu que le discours analytique ne disparaisse. Or, pour que la question puisse continuer de se poser, il est nécessaire que la psychanalyse ne soit pas décrétée hors la loi par le maître qui nous gouverne. On devient analyste quand on a l´idée que le psychanalyste est responsable de faire exister le discours analytique. Cela comporte d´analyser le malaise contemporain .