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Les Journées de l'ECF #04

Katty Langelez : Comment devient-on psychanalyste ? « En cherchant sa voix sans jamais la trouver »

« Depuis sa mort, il ne reste de la vie qu’un mauvais rêve ». Enfant, dans le noir, je m’imaginais entourée de la protection de ma Mère, mais je ne pouvais pas l’entendre. J’avais perdu sa voix, et même la bribe d’enregistrement qui en restait m’était devenue étrangère.

Alors, je me suis mise à sa recherche en apprenant sa langue, et puis d’autres, puisqu’elle les parlait si bien, et sans accent, disait-on d’elle. Je me suis passionnée pour le fantastique et les phénomènes paranormaux, mais pour n’être que déçue.

En rhéto, la question de ma voie dans l’existence s’est déchainée : qu’allais-je donc faire de cette vie indue ? La réponse s’est imposée dans la joie : je serai interprète. Pendant une année, j’ai travaillé d’arrache-pied (d’arrache-langue pourrais-je dire) pour avoir une chance de réussir dans cette haute école réputée très exigeante mais je n’ai pas osé en prendre le risque (la menace était claire : si tu rates une année, c’est terminé.)

Je me suis retrouvée déçue, triste et amère sur les bancs de la fac de psycho réputée facile. Lorsque je traînais les pieds aux cours, je passais devant un magasin de meubles où se prélassait un magnifique divan Le Corbusier qui lui seul me donnait un brin d’espoir. Je ne savais pas encore pourquoi.

Arrivée au bout de mon bagne universitaire, j’ai voulu très vite trouver un travail, et le hasard des choses m’a mené au Courtil. J’y ai rencontré des enfants qui entendaient des voix. Eux ils pouvaient et moi pas! J’ai aussi en parallèle conclu mon cursus par un mémoire sur la qualité vocale dans le bilinguisme français-polonais mais je n’y ai pas plus trouvé la voix qu’ailleurs. Par contre les psychotiques eux l’avaient la voix. J’en ai fait ma voie pendant plus de quinze années et j’ai entrepris une psychanalyse et ai retrouvé Le Corbusier.

J’ai dit à l’analyste que j’avais déjà tout essayé, mais que cela ne répondait jamais et il m’a rétorqué : « vous êtes venue là où ça répondra ». Oui pendant de longues années, ça a répondu, et même à l’occasion tonitrué. Puis j’en ai conclu, dans un temps logique, que j’étais bien contente qu’elle soit morte, que je ne souhaitais plus la rejoindre ni retrouver cette voix.

Entre-temps, j’avais installé un divan, et était devenue membre de l’ECF. Mais j’avais encore besoin de la voix de l’Ecole, et sa réponse négative à la passe m’a laissée plus triste et mélancolique que jamais. Ce n’était donc pas fini. Il restait le mauvais rêve. Et je suis retournée à mon travail analytique, sans enthousiasme cette fois.

J’ai trainé, sué, hésité… en mots, c’est beau, mais en réalité! Je n’ai pas pu retrouver Le Corbusier : il avait définitivement cessé de me parler. Alors, je suis allée chercher une autre voix, plus forte et plus douce à la fois.

Après un temps qui m’a semblé sans issue et infini, est venu le dénouement quasi mathématique. Il me fallait encore cesser de protéger la Mère, et cesser de veiller les voix des psychotiques. Et puisque -1 et +1 = 0, je suis sortie : la psychanalyse est ma voie, mais pas ma voix. Je préfère celle de Carla Bruni quand elle chante « Je suis ta tienne ». J’en fait mon reste.

On ne devient psychanalyste que par son analyse. Rien de ce qui est l’essentiel : la position que l’on soutient avec son style ne s’apprend ailleurs mais peut-on dès lors se passer de lire, de participer à des colloques, de transmettre à des collègues ?

Puisque la voix(a) ne constitue plus un Autre, à quoi bon aller écouter les autres ? Pourquoi sacrifier un week-end à des journées qui seraient si agréables en famille ? Parce que je suis ce que je lis et ce que j’entends et que je m’approprie. Je suis constituée des traces laissées par le trésor de l’Autre dans ma propre pensée, qui font ma singularité et ma cohérence. Je ne suis donc en fait qu’une pensée en marche, nourrie par tout ce que j’ai lu et entendu, et puis dit ou écrit moi-même.

Alors, cet Autre qui me constitue, je tiens à bien le choisir, même s’il est maintenant aphone. J’en ai besoin pour continuer à m’enrichir, et à poursuivre mon investigation de l’inconscient (du mien, et de celui de mes patients).

J’irai donc avec plaisir aux prochaines journées de l’Ecole de la Cause freudienne.