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Les Journées de l'ECF #05

Philippe La Sagna : Le rêve des animaux-sinthomes

Theodor Reik, psychanalyste surpris, souligne que l´inconscient surprend le sujet en opérant comme le mot d´esprit par une levée de la répression et des inhibitions.

C´est en lisant Reik, et le numéro 279 de la Lettre mensuelle consacré aux Journées de Novembre, que je me suis endormi…

Pour continuer à réfléchir à la question, j´ai fait le rêve suivant : « La scène est en Italie, une place ensoleillée, Sienne ou, évidemment, Orvieto. Il y a sur cette place de jeunes animaux de taille adulte, tous curieux d´une façon ou d´une autre, ils ont un petit air de peluche, un petit air unheimlich aussi. Il y a un lion, une hyène, un grand vautour blanc, et un curieux singe albinos. Ces deux derniers animaux baignent dans leur déjection ou dans un liquide qui évoque aussi le méconium (la naissance, les enveloppes ?) Je suis frappé de la façon dont les habitants de la ville, qui ont l´air de grands pères bienveillants, les accueillent et les soignent ».

C´est l´aspect étrange du singe (synge?) albinos qui me réveille.

Il m´évoque un musicien de jazz et, de là, je pense aussitôt à la musique, au Carnaval des animaux de Saint-Saens. A la musique, et aussi au fait que le musicien avait censuré cette pièce jusqu´à sa mort. Il voulait faire rire, et n´avait pas été compris. De ce « saint sens », je passe en associant à sin-thome, c’est-à-dire à l´inverse du sens ; ces animaux étranges sont singuliers comme des sinthomes et ils sont aussi englués dans quelque chose qui m´évoque l´objet a, et aussi  » l´humeur malsaine  » qu´évoque Lacan.

Comment opérer, en effet, cette séparation de l´objet a et du sinthome, que ce rêve nous montre conjoints, pour un analyste ? Comment l´opérer pour lui et avec les autres ? C´est une question surtout dans la mesure où les analysants vont devoir se servir de l´analyste comme support de leur opération de transfert.

Cette opération place du coté de l´analyste le poids de l´objet a, poids qui peut venir dévier le chemin de l´analyste. Cette opération du transfert de l´objet explique l´allègement que créé le transfert pour l´analysant et aussi l´inertie à quoi l´analyste se doit d´échapper, non par la technique, mais par le désir. Le désir qui est là, plus qu´ailleurs, son interprétation. Ces animaux du rêve sont donc des sinthomes qui ne parlent pas, et s´occupent à se désengluer. Et ces grands-pères sont des images, sans doute, de mon Ego de jeune grand-père occupé à prendre soin (trop de soins, soit de souci thérapeutique ?) pour les soulager de leur détresse !

Cet « essaim » de jeunes animaux contraste ici avec le « saint sens » dont ils peuvent s´engluer. Comme moi en prenant parfois ce sens pour le miel ? Mais aussi bien ces « bêtes » (ces bêtises ?) figurent le lien unheimlich qui existe entre symbole et réel. La question de ce rêve est aussi celle de savoir ce qu´il faut supporter du sens, et du jouis-sens de l´objet, et comment opérer pour y faire obstacle sans couper trop tôt le fil des fantasmes et celui du transfert ? Pour enfin permettre une séparation de l´objet et du sinthome, séparation qui, comme la passe, est toujours recommencée. Non pas à recommencer, comme on dirait à refaire mais, en elle-même, re-commencement et non plus répétition. Ces animaux du rêve sont des sinthomes mais ils ne sont pas sans lien aussi avec les noms, les noms de la création, les noms-du-père, ils sont la figure donc d´un paradis ironique.

A y réfléchir mieux, le singe Gibbon était peut-être aussi un paresseux, qui m´a réveillé d´un geste lent (de ma paresse ?). Et le vautour est sans doute ici une allusion à Léonard de Vinci, et à la toujours tentante sublimation. La sublimation qui tend justement à cette confusion du sinthome comme réel et de l´objet plus-de-jouir. L´objet plus de jouir est en effet déjà toujours, comme l´art et l´artifice, trop socialisé à la différence du sinthome qui troue les effets de groupe.

Dans une phrase ajoutée par Francis Blanche sur un vieux disque du Carnaval des animaux, il est dit à propos de l´âne : « L´âne s´est mis un bonnet d´homme ! » Il ne lui reste plus maintenant qu´à mettre à la place celui du sinthome !

Finissons par Theodor Reik, qui illustre par une historiette l´intuition requise pour l´analyste surpris.

C´est une histoire du sud des Etats -Unis. Un cheval s´est perdu, et personne ne le trouve. On demande à un vieil homme noir s´il ne l´aurait pas vu. Celui-ci dit qu´il sait où le cheval se trouve, et il y amène aussitôt la foule. Interrogé par les gens pour savoir comment il a fait pour le trouver, le vieil homme dit qu´il s´est posé la question : « Si tu étais un cheval, où voudrais-tu aller ? »

Peut-être est-ce là une façon de savoir où nous conduit le sinthome : s´identifier à lui en partant de nos rêves, entrecoupés de trop brefs réveils….