Catégories
#66

L’Inde, terre du paradoxe

par Danielle Martheleur

Je crois qu’il n’est pas de pays au monde qui rassemble plus de paradoxes, autant visuels que psychiques ou spirituels. La plus grande beauté côtoie la plus grande laideur, la pauvreté absolue côtoie la richesse éblouissante et les parfums subtils, les odeurs nauséabondes. Si l’on arrive en Inde l’esprit encombré de références occidentales, on est submergé par la panique. Tous nos repères et nos barrières de sécurité s’écroulent. Tout est possible, et cette liberté d’expression peut apparaître comme un immense désordre aux yeux des grands obsessionnels que nous sommes.

Telle une mer turbulente, l’Inde est en perpétuelle agitation. Il ne sert à rien de vouloir résister, d’essayer de nager dans un but précis ou à contre courant. Il faut se laisser aller, lâcher prise. Être fluide et prêt à la découverte. Et au-delà de toute idée reçue, faire confiance. Car si l’Inde peut être terriblement violente, c’est aussi le seul pays à avoir conquis sa liberté par la non-violence.

Lorsque nous nous promenons dans une ville indienne, la circulation est si dense, si anarchique, que nous pouvons être tétanisés devant ce flot ininterrompu de vélos, voitures, camions, chars à bœuf, et bus que rien n’arrête, hormis les vaches sacrées, qui, d’un pas lent et majestueux, traversent les rues sans se préoccuper des klaxons continus.

Les femmes les plus pauvres arborent fièrement des saris, forme unique à l’infinie variété de couleurs. Leurs regards de lumière noire nous attirent vers des profondeurs inconnues, leurs sourires nous renvoient une blancheur insolente. Tant de beauté alliée à tant de pauvreté n’est-ce pas paradoxal ? Ne possédant rien, n’ayant aucun avenir prévisible, aucune sécurité, d’où leur vient cette sérénité si ce n’est de l’intérieur ?

Découvrir l’Inde est comme regarder le monde à travers un kaléidoscope : mille couleurs, mille dieux apparaissent ou disparaissent au profit de nouvelles couleurs, de nouveaux dieux, certains incarnant la chose et son contraire. Kali est à la fois la déesse de la destruction et celle de la création. Tous ces dieux ne sont que la « manifestation » dans le monde des phénomènes d’un Dieu unique, le Tout, dans lequel le temps et l’espace sont confondus, illimités, sans commencement ni fin.

La frontière que nous élevons en Occident entre vie et mort, est, pour les hindous comme pour les bouddhistes, une illusion générée par notre incapacité à imaginer l’infinitude de la Vie, qui, telle une médaille, comprend deux facettes : vie et mort. Alors que le corps retourne à la terre, l’âme se dissout dans la Grande Lumière. En chacun de nous un éclat d’éternité existe. Nous le pressentons, parfois, en de rares moments où le temps paraît suspendu, et où une paix intérieure irradie tout notre être. Certains renient cet éclat d’éternité, d’autres l’utilisent et flattent leur ego en se faisant passer pour des prophètes, d’autres le deviennent, tels Bouddha, le Christ ou Mahomet, considérés comme avatars ou incarnations de Dieu. Selon la tradition indienne, il y a deux réalités. La réalité ultime, l’Unité, et la réalité relative, la dualité.

Se réaliser signifierait avoir atteint cette réalité ultime. Si ce n’est dans cette vie, alors dans une autre – presque tous les Indiens croient en la réincarnation. Alors qu’elle peut avoir en Occident un aspect positif, en Inde la réincarnation est plutôt négative, car elle signifie que nous n’avons pas atteint le nirvana au cours de notre passage sur terre, donc que nous devrons revivre, travailler et souffrir.

En Inde, l’enseignement et le respect des religions sont si vivants, qu’ils imprègnent chaque acte de la vie quotidienne. Le sacré et le profane sont intimement liés. La religion « relie » le monde du visible au monde de l’invisible et nous savons, depuis que la science est allée au-delà du visible, que l’invisible existe.

Une réponse sur « L’Inde, terre du paradoxe »

Bonjour Danielle,
je me retrouve dans votre article meme s’il date, l’inde est toujours ainsi et a ajouté des facettes me semble-t-il ?
je suis une amie de Marie-France et je cherche à vous joindre, votre mail ne fonctionne pas, donc j’essaie ainsi. vous pouvez me joindre laura.gayon@dbmail.com

Les commentaires sont fermés.