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#02

La mouche du coche

par Dominique Miller

Ce qui me vient en réponse à ta question du « comment », Jacques-Alain, c´est que « psychanalyste » le détermine, ce « comment ».

Je m´explique. Un homme, à qui je demandais comment il était devenu architecte, me parla de la difficulté aujourd´hui de remplir une mission pour laquelle on se sent destiné. Je fus surprise : il n´évoquait pas ses études, sa formation, ni la question des ressources financières, intellectuelles, pratiques, que cela supposait. Il mettait en avant, spontanément, son engagement subjectif, le sentiment de la destinée. Son interprétation singulière de ce « métier » d´architecte associait celui-ci à une mission. Etre architecte, c´est une mission. Le « comment » dépend de son interprétation de ce que c´est qu´être un architecte.

Eh bien! Il me semble que le « comment » associé à « psychanalyste » dépend de l´interprétation très singulière que chaque psychanalyste fait de cette – je ne dirais pas « mission », et pas non plus « métier » – de cette « position« . On se pose en psychanalyste avec les psychanalysants, et avec un certain regard sur la vie. Ce qui me faisait dire récemment que les psychanalystes ne dorment pas. Ils sont insomniaques. Un effet de cette position d´analyste.

Un petit mot sur mon « comment » à moi, qui a d´ailleurs à voir avec l´insomnie.

Enfant, on me reprochait de faire « la mouche du coche ». C´était un leitmotiv de ma mère. Je n´étais pas à ma place, je dérangeais, on avait souvent envie de me dégager – pour le dire familièrement. Comme la mouche qui embarrasse le cocher, et l´empêche d´avancer tranquillement, de poursuivre son chemin.

« Mouche du coche » fait écho à ma « position » dans le désir de ma mère, que je dérangeais en naissant, puis en existant.

De cette position dérangeante à celle de psychanalyste, il y a la trace de ce que Lacan appelle le réel, pour moi. Une position dérangeante, mais cette fois, calculée et désirée.