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Varia sur la Passe Forum psys #65

QU’EST-CE QU’UNE ECOLE DE PSYCHANALYSE
AU XXIè SIECLE?

par Agnès Aflalo

La question mérite d’être posée. Lorsque Lacan en invente le concept, il a sans doute l’idée que c’est la structure qui convient le mieux pour faire exister le discours analytique au moment où il se fait excommunié de l’IPA parce que sa réinvention du discours analytique fait trembler les semblants jusque et y compris, les Noms-du-Père. L’histoire que nous vivons aujourd’hui démontre une fois encore que son orientation était juste puisque l’IPA a vendu la maison Freud en pièces détachées aux adeptes des TCC.

Son concept d’École, fondée à ce moment-là, doit d’abord abriter son enseignement. Ensuite, la Proposition met au point un dispositif pour tenter de logifier la production du psychanalyste. Du vivant de Lacan, il s’en est fallu de peu que son École ne soit détournée de sa mission. Beaucoup de ses élèves se sont dressés contre lui, pour garder de ce nom d’École vidé de son contenu. Ce bruit de haine, entendu alors, est de ceux qui ne s’oublient pas. Pourtant, dans ses années-là pas d’autres ennemis du discours analytique que les psychanalystes eux-mêmes. La passe existait à l’EFP, je ne me souviens pas que les AE d’alors aient analysé le malaise et ses causes. C’est le désir de Lacan – aidé de quelques jeunes il est vrai – qui a œuvré pour que la dissolution ait lieu et qu’une autre École soit fondée aussitôt. L’ECF est venue juste après.

C’est la diffusion de son enseignement qui a décidé Lacan a fait faire le voyage à Caracas. C’est la diffusion de son enseignement qui est à l’origine de la création de l’École argentine et de quelques autres. La première urgence après la Dissolution, c’était de mettre l’enseignement de Lacan à l’abri, de le rendre au moins aussi insubmersible que celui de Freud et son IPA. C’est à quoi s’est employé Jacques-Alain Miller. Grâce à son désir en acte, la rencontre avec le désir de quelques autres a eu lieu et d’autres Écoles ont été crées. Leur nombre a permis de créer l’AMP. L’enseignement de Lacan était donc à l’abri. C’est ce que nous avons cru longtemps.

Pourtant, il y a à peine six ans, une loi votée à France a failli bouleverser la donne de façon irrémédiable. C’était le fameux amendement Accoyer. Ce fut l’instant de voir pour beaucoup d’entre nous que le monde avait changé sans que nous nous en soyons rendu compte. Refoulement ou défense ? sans doute les deux. On s’est alors aperçu que la psychanalyse ne jouissait plus des privilèges qui étaient les siens jusque-là. Sans l’interprétation immédiate de Jacques-Alain Miller qui fit une démonstration en acte de l’efficacité du discours analytique avec les Forums et Le Nouvel Âne, la psychanalyse lacanienne n’aurait pas seulement ridiculisé son savoir, elle aurait été rayée de la carte. Les Forums ont commencé l’analyse du malaise qui venait de cristalliser. Ils n’ont pas eu seulement lieu à Paris, ils ont aussi eu lieu en province. Chacun des membres du peuple analytique qui se sont exprimé ont tenté d’expliquer, de s’expliquer, de rendre des comptes parce que chacun a perçu que le discours analytique pouvait disparaître. Pour la première fois le discours analytique avait besoin de soutien de personnalités qui n’étaient pas de son champ. Saisir le réel en cause passait désormais aussi par d’autres semblants que ceux jusque-là connus.

L’ECF a aussi jugé nécessaire de s’engager tout de suite dans le combat, aussi elle organisait Journée extraordinaire et autre Forum anti-TCC. Aucune voix n’a fait entendre que cet acte de combat était néfaste à l’École ou était étranger à la vocation d’École. Je n’ai pas le souvenir qu’un AE d’alors ou d’un peu avant se soit levé pour faire entendre des réserves. Il me semble plutôt que la mise en question des Noms–du-père de la psychanalyse ait donné l’idée à quelques-uns que la cause analytique nécessiterait toujours un désir en acte pour la défendre, mais surtout pour la faire vivre. Je ne crois pas que les membres des cartels de la passe d’alors aient manifesté une opposition voire une réserve contre les Forums ou LNA, mais leur avis sur ce point serait précieux.

Prendre la mesure que le changement ne se limite pas seulement à la France demande de tirer les conséquences du savoir que nous avons commencé de construire depuis l’assassinat manqué de la psychanalyse. Elles sont nombreuses. La refondation de l’École après le succès des dernières Journées commence à peine. Les ennemis de la psychanalyse ne sont plus seulement les psychanalystes. Il y a aussi le maître moderne et ses avatars qu’il est urgent d’analyser. Alors, on peut se plaindre des Forums et décider de changer le peuple analytique ou bien, c’est l’École qui devra consentir aux changements. Ne peut-on attendre, au XXIe siècle, qu’une École d‘orientation lacanienne s’occupe d’abord d’assurer la survie du discours analytique et la politique qu’elle nécessite, soit analyser sans cesse les semblants que le réel secrète et hystoriser cette vérité menteuse. N’est-ce pas une condition nécessaire à la poursuite de l’expérience de la passe ?