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Varia sur la Passe #68

VITALITÉ


par Valentine Dechambre

 

Mon début dans l’analyse en 1995 fut marqué par la rencontre avec des AE, lors d’une journée Intercartels au Musée d’art contemporain de Saint-Étienne. Les témoignages de passe m’avaient enthousiasmée par leur dimension d’énonciation qui l’emportait sur la valeur de démonstration. Les AE faisaient part chacun dans un style incomparable d’une expérience bouleversante : une naissance, l’advenue par l’analyse d’un nouveau sujet. Le rapport à la lettre en rendait compte. Lettre vive, matérialité de l’écriture, l’analyse comme expérience de corps résonnait dans les textes d’AE.

Portée par la petite flamme des témoignages d’AE, je me présentai une première fois à la passe après un rêve où je quittais la désolation, les limbes d’un deuil infini avec l’objet oral. Un analyste de l’École m’accueillit au secrétariat de la passe avec cette parole : «Ce que vous dites est convaincant. Il faudrait toutefois pour pouvoir entrer dans le dispositif vous présenter avec un DESS de psychologie.» Surprise. Je ne m’attendais pas à des conditions de cet ordre-là auxquelles j’avais bien du mal à me résoudre. Alors, la psycho, ce serait non.

Je repris le chemin de la cure avec des rêves qui indiquaient que je n’en avais pas fini avec la chose crue, la tyrannie de l’objet.

Quelques temps plus tard, c’était en 2003, je m’adressais de nouveau au cartel de la passe avec un witz, une interprétation de l’analyste qui faisait résonner le chant, l’importance de l’usage poétique de la langue. La rencontre avec l’analyste au secrétariat de la passe fut joyeuse, un souffle passait dans l’entretien. Pas d’exigence de diplôme de psychologue requis.

Je rencontrais deux passeuses, deux dames soutenantes chez qui s’entendait le désir de transmettre ce que je présentais comme witz conclusif. Deux styles différents : une parlait peu, m’accueillit à son cabinet avec un cahier et s’appliqua à prendre en notes ce que je disais. J’avais un peu l’impression à certains moments d’un examen clinique qui avait tendance à prendre le pas sur la lettre et son tracé dans l’analyse. Je rencontrais l’autre dame dans un café parisien dont les surréalistes ont fait la réputation. Pas de cahier, mais un petit carnet où la passeuse notait une formule, un witz, un rêve, une formation de l’inconscient, ponctuant une conversation plutôt gaie d’où se dégageait in vivo une trame, une logique.

Deux dames, deux styles, un écart. Quand je demandais au plus-un du cartel de la passe pourquoi je n’avais pas été nommée malgré le rapport positif du cartel, il me répondit, sans explication, avec un geste de la main : « un écart ». Un écart bien dur à avaler !

Le divan fut l’îlot nécessaire pour ne pas lâcher sur mon désir d’École, maintenir la petite flamme vive du début. Un rêve me permit de réduire «l’écart» que j’avais situé du côté des passeuses et que j’appréhendais à présent du côté d’un serrage insuffisant de l’S1qui commandait l’expérience analytique.

J’ai retrouvé aux 38èmes Journées de l’École ce qui avait décidé mon orientation pour l’ECF au tout début de l’analyse : l’authenticité de témoignages au plus près de la langue de chacun. Ces journées furent aussi la scène singulière d’une interprétation de l’analyste, un coup de dés lancé en public qui fit résonner une autre dimension dans mon transfert à l’École, une dimension politique, négligée dans ma passe, me permettant de lire encore autrement « l’écart » indiqué par le cartel de la passe. De cela, et du reste, il est probable que je témoignerai dans le dispositif de… la passe. Alors, la passe, oui. Plutôt trois fois qu’une ! La dimension de la rencontre y reste essentielle : au secrétariat, avec les passeurs, enfin avec le plus-un du cartel.

Au Congrès de la Grande Motte, en 1973, voilà ce que disait Lacan sur les effets de la passe sur les passants : « des effets qui sont peut-être des dégâts, après tout, pourquoi pas ? Mais des dégâts chacun sait que, tels que nous sommes foutus, nous autres de l’espèce humaine, c’est ce qui peut nous arriver de mieux (…) Je savais d’avance que ça allait provoquer des catastrophes, des catastrophes comme toutes les catastrophes, des catastrophes dont on se relève. Moi, vous savez, les catastrophes, ça ne m’impressionne pas. Mais à quoi bon faire tout d’un coup cette accumulation d’électricité ? » A ce que ça cause ! L’important pour Lacan à ce Congrès, est le regain de vitalité produit par sa “Proposition”, l’effet de la passe sur l’École : « Ce matin, j’ai pu aller dans une salle dite de groupe et voir que tout le monde y apportait son expérience, n’hésitait pas à dire ce qu’il en résultait. (…) ce Congrès me comble ».

Ce « regain de vitalité » est actuellement dans l’École, insufflé par l’authenticité des témoignages entendus aux Journées. Une invitation à passer !