Catégories
Lettres & messages #80

Jean-Claude Trodaec, L’Ecole si
agalmatique quand on a 26 ans

M. Miller, vous posez une vraie question : pourquoi L’Ecole de la Cause Freudienne, est-elle si agalmatique en 2010 pour un jeune (de 26 ans) ? J’essaie d’y répondre, « comme une flèche », comme vous dites :

Car en effet cette Ecole est importante à mes yeux.

A l’âge de 14 ans : Contexte familial douteux, échec scolaire, etc… je rencontre un ami, cher, dont les parents sont psychologues et membres d’une ACF.  Un jour où je circule chez eux, et regarde attentivement un livre nommé Le Séminaire de Jacques Lacan, Livre X, L’angoisse, je suis comme attiré par la fourmi et le signifiant « angoisse ». Comme une belle photographie, l’image du livre reste dans ma mémoire. Puis une affiche, dans la cuisine, (j’allais souvent chez eux, j’en profite pour les remercier !), d’une Journée de l’Ecole, portant le signifiant : « désir » (je ne me rappelle plus du titre en entier). Dernier point du souvenir, un jour, je me mets à parler à un des parents de mes problèmes d’ado avec les filles, toujours dans cette cuisine. Je suis surpris que ce ne soit pas de mes parents que je parle, des difficultés que je fuyais en venant chez eux. Ce fut très particulier, comme si c’était le moment où le Sujet-Supposé-Savoir se mettait en marche chez moi, puisque j’adressais quelque chose pour la première fois à un autre du savoir. D’ailleurs précisément au moment où je suis surpris de mon énoncé. J’ai parlé longtemps ce jour-là. Durant cette première séance, aucune interprétation, aucun conseil, aucune phrase de réconfort : juste le silence de l’écoute. J’avais été entendu. Cela restera très fort chez moi : une vraie écoute. Ce rapport à la psychanalyse naissant, nouée immédiatement à celui de l’Ecole, je m’en rappelais lorsque quelques années plus tard, je souffrais effectivement d’angoisse, j’allais voir un analyste, membre de l’ECF.

Pour l’écoute et la surprise.

Puis la fac de psycho, à Rennes 2, j’y vais pour la psychanalyse, je rencontre au bout de trois ans l’Ahnon !, mené par Caroline Pauthe-Leduc, intervenante aux journées, qui défend alors cet enseignement, informe, humorise, tout ça avec finesse, je m’inscris, activement. Puis Laetitia Belle, intervenante également, maitre de conférence à Rennes 2, nous propose à la fin d’un TD l’idée du cartel : « On peut ? », répond le petit groupe de psychanalysants dans lequel je suis. Elle avait entendu quelque chose de notre désir de travail.

Puis je rentre à la Section Clinique au bout de quatre ans, et découvre l’enseignement des ACF.

Ce moment correspond effectivement, comme vous le dites Mr Miller, aux Forums des psys. J’y vais pour et avec l’Ahnon ! qui se fait entendre par le biais de Carole Pineau, alors Présidente, encore une fois, nous sommes entendus.

Puis le forum de Rennes, nous y sommes invités par Roger Cassin, l’Ahnon ! se fait entendre par le biais d’un texte auquel je me suis fortement impliqué. Nous sommes dans la publication du recueil. Nous sommes entendus à nouveau.

Dernièrement une belle rencontre avec Yann Divry, et sa revue Sigma, nouvellement entrée sur le site de l’Ecole, au moment où ce dernier me propose d’écrire et de m’occuper de la diffusion. Encore entendu.

Puis un projet, en suspens actuellement, envoyé à un membre actif de l’ECF, Fabien Grasser, qui m’a soutenu, accusé réception, m’a relancé. Entendu.

Alors qu’en dire de l’accueil de la froide Ecole ?

Bien sûr, elle fascine, par son faible nombre de membre, au regard du nombre de sympathisants. Je me dis qu’un jour j’en serais membre, car c’est prestigieux l’Ecole, on y rentre pas comme ça. Je croyais d’ailleurs, jusqu’aux dernières Journées et JJ, que seule la passe, pouvait y mener. C’est du moins comme cela que j’entends la Proposition d’octobre où Lacan en créant son Ecole crée la passe, comme concept clef, indissociable pour en faire partie. Ainsi, il faut comprendre que je ne dissocie pas Lacan de l’ECF.

Je peux supposer que je ne suis pas seul, parmi les jeunes, dans ce cas là. Comment cela a-t-il réussi à perdurer pour autant de monde ? Comme la fidèle Ecole de Platon, et de ses successeurs.

Car très tôt, en licence, auprès d’un autre étudiant, isolé, allant dans une autre école contre l’Ecole, Lacan et Miller, je me suis surpris à défendre ces trois noms propres (sans vraiment les connaître). Pourquoi ? Pourquoi « JAM », si connu était si critiqué ? même gentiment dans l’ECF ? C’était au bout de 5 ans, en master 2. Je me suis jeté dans votre cours, lu le Neveu de Lacan, cherchant vos articles dans la Cause Freudienne, Quarto etc… Enfin, un autre jeune hostile à l’Ecole disait que dans d’autres écoles et ailleurs, tout le monde lisait du Miller, sous le manteau…

J’ai été surpris, là encore, de la clarté de votre propos sur Lacan. Cela m’aiguillait dans un stage en psychiatrie très difficile. Un autre membre de l’ACF, Alain Le Bouëtté, alors maître de stage, par son écoute m’a choisi, comme pour me sortir de là, un de vos texte (« Clinique ironique »).

Puis la réflexion sur l’évaluation, le politique et le monde psy, votre enseignement, celui d’autres membres, je pense aux excellents livres de Maleval, aux articles riches mais difficiles de Roch, et tant d’autres membres qui par leur invention, en y mettant du leur, livrent des textes, des interventions, des livres, des films maintenant. Ainsi en pensant aux jeunes justement enveloppés par la psychanalyse par la contingence, un peu comme moi, l’Ecole devient, par tout cela, nécessaire.

Car souhaitant me former à la psychanalyse, me former à la défendre, me former à la transmettre, l’Ecole est une voie royale vers l’inconscient, tout simplement.

[Oui, quand on voit où en sont les autres groupes lacaniens en France, on a le sentiment que l’ECF a fait le trou, s’est échappée.]