Café Psychanalyse « Qu’en est-il aujourd’hui du rapport masculin/féminin ? »

Café psychanalyse
20h30 « Lignes de Cordes » interprété par la compagnie Retouramont
21h30 Débat
Invitée Marie Hélène Brousse, membre de l’ECF
« Qu’en est-il aujourd’hui du rapport masculin/féminin »
3 rue Sadi Carnot
92320 Châtillon

Chers amies et amis,

Je vous adresse en pièce jointe l’affiche confectionnée par Jean-Claude Fritiau du Café Psychanalyse du samedi 11 février 2012  qui se tiendra au Théâtre de Châtillon avec pour invitée Marie-Hélène Brousse.

Vous pouvez déjà la diffuser autour de vous.

Bien à vous.

José Rambeau

Maths et Sax

Chers amis,

Encore une fois: belle année étoilée d’escapades!

Sam, chez Cartier, à 15h, on prend l’apéro avec les maths… Et à 20h directement le dessert, pour ceux qui le souhaitent, avec Ley & Al, au Duc des lombards: Baptiste Herbin Sextet, un jeune saxo très prometteur!

Dites-moi vite ce qui viennent saxer, que je réserve au plus vite( 25€)

Bises à tous

Alain

Envoyé de mon iPhone

Gerhard Richter et Escapades de janvier.

Richter m’enchante déjà , oui pour une Scapad en juin !

Quel plaisir de se retrouver samedi pour bosser nos Maths et  vibrer au Sax de Baptiste Herbin !

Pour le 14/01, je propose une virée au jeu de Paume pour y découvrir Diane Arbus.

Je retiens la proposition de José au mois de février : le 11 au soir, café psychanalyse, avec MHB !

Vivement Sam!

Al

Gerhard Richter à la Tate modern

Tiens tiens, que dit donc Pierre Naveau de cette exposition (voir Lacan Quotidien n°120) ?

NB : Richter doit être l’un des mes peintres préférés, sinon, mon peintre préféré. Et, et, et, l’exposition sera à paris en juin !!!

v

 

▪ Lecture d’une Oeuvre ▪

Londres, Tate Modern, Gerhard Richter : Panorama Pierre Naveau

GERHARD RICHTER EST UN PEINTRE POUR QUI, ÉTANT NÉ EN 1932, LA GUERRE A ÉTÉ UN MOMENT-CLÉ. LA QUESTION, EN EFFET, SE POSE : QUE PEUT LA PEINTURE PAR RAPPORT À L’HISTOIRE ?

Confrontation 3, 1988. Oil on Canvas 112 cm X 102 cm

Pendant un temps, Richter a peint à partir de photographies, s’appuyant sur elles en tant que supports de son inspiration. L’exposition de Londres montre une série de tableaux dans lesquels apparaît une variété de gris. Le gris, a pu dire Richter, c’est «l’indifférence, le non-engagement, l’absence d’opinion ». Quatre termes définissent, selon lui, cette tendance à donner au gris le pas sur les autres couleurs : la perte, le chagrin, la frustration et le dégoût. Richter a peint, par exemple, le bombardement de Cologne pendant la guerre, des faits d’armes des membres de la bande Baader-Meinhof ou la catastrophe du 11 septembre 2001. La dominante de ses tableaux est une sorte de brume qui irréalise la réalité, qui donne au réel une valeur de « semblant ». C’est le mot que lui-même utilise : Painting concerns itself exclusively with semblance. Puis, il y eut le passage à la couleur. Richter a peint ainsi des paysages, des montagnes, des mers, des ciels, des villes. Des couples – joyeux – s’ébattent. Les corps sont nus, mais – à l’opposé de Francis Bacon ou de Lucian Freud – sans que le trait de la nudité soit pour autant appuyé. Une « étudiante » impudique perd quelque chose de son attitude provocatrice à cause du gris de la brume qui efface les reliefs. C’est comme s’il cherchait à rendre invisible le visible. Le paradoxe de cet étrange voile jeté sur le réel peut être ainsi formulé : « Vous ne verrez pas ce que vous voulez voir ». L’âme de la peinture de Gerhard Richter est la rencontre avec l’incompréhensible. Cela donne l’impression qu’à la fin des fins, les visiteurs de l’exposition ne peuvent rien y comprendre. Il y a une telle diversité ! Des tableaux figuratifs et des tableaux abstraits. Certains représentent quelque chose et d’autres, rien du tout. Mais, que ses tableaux soient figuratifs ou abstraits, la manière de peindre de Richter tend vers l’abstraction, c’est-à-dire, comme il le dit lui-même, vers quelque chose de mystérieux qui échappe à la description et à la prise du concept. La brume crée une atmosphère qui serait celle d’un songe et donne un sentiment d’illusion. Son désir est d’aller au-delà de ce qui est, d’aller vers ce qui n’existe pas et d’atteindre ainsi le hors sens et le hors temps. Le néant est au bout du chemin. Sur son auto-portrait lui-même, on ne distingue pas les traits du visage du peintre. Il se montre et il se cache. L’être du peintre devient insaisissable. Richter insiste sur le fait qu’il en passe fréquemment par l’échec qui fait ainsi partie de sa pratique. Il lui faut alors laisser ce qu’il a commencé et recommencer. Le ratage est, pour lui, inévitable. La rencontre avec Marcel Duchamp a marqué Gerhard Richter. Ainsi a-t-il repris le thème de la femme qui descend un escalier – nue. J’aime beaucoup « La liseuse » qui fait penser, comme il l’indique lui-même, à un Vermeer.

Le mot de Richter est : la qualité. C’est ce qu’il cherche. Il n’est satisfait que s’il la trouve. Gerhard Richter a traversé deux systèmes totalitaires, le nazisme et le stalinisme. Sa mère était libraire et son père instituteur. Mais, affirme-t-il, il n’a pas eu de père, un père qui dit non, précise-t-il. C’est pourquoi, il aime les commandements : Thou shalt and Thou shalt not. Il a essayé de peindre la Shoah. Il n’y est pas arrivé. Il reconnaît qu’il ne peut y en avoir aucune représentation. Ce thème, dit-il bizarrement, it’s like a cudgel – « c’est comme une trique ». En 1995, il a reçu, à Jérusalem, le Wolf Prize des Arts. Richter refuse ce qu’il y a de spectaculaire dans l’image. Il évide le spectacle que l’image pourrait offrir au regard. Il ne croit pas au père, mais il croit au hasard. Quand il peint, dit-il, il se saisit de ce que le hasard fait surgir. C’est pour cette raison qu’il aime la musique de John Cage, qui restitue au hasard sa fonction. Il partage avec John Cage une certaine réticence à parler. Il a fait sienne cette phrase de John Cage : Je n’ai rien à dire et je le dis.

L’exposition Gerhard Richter se tient à Londres du 6 octobre 2011 au 8 janvier 2012. Elle sera au Centre Pompidou du 6 juin au 24 septembre 2012

Lien :

Gerhard Richter : Panorama http://www.tate.org.uk/modern/exhibitions/gerhardrichter/default.shtm

http://www.gerhard-richter.com/

 

Tétralogie d’Euripide au théâtre de Châtillon

Chers amis escapadeurs,

Je vous propose une sortie au Théâtre de Châtillon où va être jouée la Tétralogie d’Euripide (qui a trait à la guerre de Troie) par la Compagnie Les Géotrupes (4 pièces seront jouées soit séparément soit les quatre à la suite : Hécube ; Hélène ; Oreste et Le Cyclope).

Je propose pour ceux que ça intéresse de nous retrouver le samedi 28 janvier 2012 à 15 heures au Théâtre de Châtillon pour assister à l’intégrale des quatre pièces d’Euripide qui seront jouées à la suite les unes des autres (avec une pause repas entre 19h et 20h ce qui nous donnera l’occasion de discuter convivialement des deux premières pièces). La représentation débutera à 15h30.

Il est recommandé de réserver vos places au Théâtre au 01 55 48 06 90 et vous pouvez visiter le site du Théâtre www.theatreachatillon.com pour plus d’informations.

J’espère que certains d’entre vous se joindront à moi.

Bien escapadement votre !

José Rambeau

le plus-de-jouir du mathématicien

Voilà, je suis revenue à Nancy déjà, après avoir vu l’exposition sur les mathématiques à la Fondation Cartier. C’est un peu difficile, il faut un peu de culture dans ce domaine, mais c’est aussi très enthousiasmant sur le plan du rapport subjectif de la science et des maths au réel: Le monde, y compris celui des mathématiques est construit par nous, par l’homme-mathématicien, ou physicien et dépend de ses possibilités personnelles et donc subjectives et intimes de trouver des outils qui l’éclaire… reste après le pb de la vérification et de la non-contradiction, mais qui peut aussi être révolutionnaire (Galilée, Einstein, et pourquoi pas Freud, Lacan…). Une preuve qui m’a beaucoup séduite, est la question du style: Quand il s’agit d’un théorème, on peut retrouver celui qui l’a inventé, car, « c’est bien son style »! Il y a donc, et c’est très clair dans l’exposition, comme si elle était faite pour des psychanalystes, la question du plus-de-jouir qui motive le mathématicien. Cela a été attrapé par le concept de beauté:  La résolution d’un pb, d’une équation recherchée est belle, esthétique,  élégante, harmonieuse; et cette beauté, ressentie personnellement,  ne trompe pas (comme l’angoisse à l’envers); elle éclaire sur le chemin de la Vérité, jamais atteignable.

Finalement, la Science dépend de la Beauté, de la » bonne forme » à donner aux choses; j’adore!

La science, loin d’un « savoir » sur le « Vrai », serait à l’intersection de l’intelligence et de la beauté; La Science n’est que Culture, ce que nous visons…

Bises à tous « jazzi

Catherine Decaudin

 

 

Au bonheur des maths

Quelle joie, Catherine, de revoir en DVD le film de Raymond Depardon « Au bonheur des maths », qui est le clou de l’exposition de la fondation Cartier. Cela me permet de transcrire quelques extraits du témoignage de Michael Atiyah, celui des mathématiciens interrogés dont les propos m’avaient le plus frappée :

 « Les mathématiques sont un processus interactif. Il s’agit d’idées. Une idée, c’est quelque choses de fluide. Ça fluctue rapidement. On réfléchit bien plus vite qu’on n’écrit ou qu’on ne parle. Une idée, c’est un peu comme une vision, une image qui apparaît. Quand on parle avec un collègue mathématicien, on peut échanger des idées à un rythme incroyable. Un peu comme dans un film en accéléré. […]. L’écrit et même l’oral sont des formes primitives de communication. La pensée est beaucoup plus créative que la parole. La partie créative des mathématiques opère à ce niveau. 

 On explore des idées. L’exploration, c’est l’essence même des mathématiques. […] La science ou l’art sont une exploration. On tente d’explorer le monde de la nature, mais aussi notre monde intérieur. […] Un mathématicien est comme un peintre.Un artiste ne peint pas ce qui existe, mais ce qu’il voit.

C’est la même chose avec les mathématiques. On interprète le monde selon nos propres schémas, nos structures, selon les choses qui nous semblent belles et fondamentales. [….] on essaie d’utiliser son intuition fondamentale, son imagination. Et bien sûr, la pensée logique. Mais la pensée logique est la structure qui permet à votre vision de se développer et d’arriver à maturité. La logique n’est pas le processus créatif, c’est la structure à l’intérieur de laquelle les choses se développent. Beaucoup de gens pensent que les mathématiques sont une branche de la logique. C’est faux. Les mathématiques se rapprochent plus de l’art.

Le grand mathématicien allemand Hermann Weyl a dit un jour qu’il consacrait sa vie à la recherche de la vérité et de la beauté. Mais que dans le doute il choisissait la beauté. Ce qui veut dire que la vérité est une chose que l’on cherche mais que l’on n’atteint jamais. On n’arrive qu’à une vérité partielle. Alors que la beauté est immédiate et personnelle. Quand on voit quelque chose de beau, on sait que c’est beau. C’est certain. La beauté, c’est ce qui nous éclaire, ce qui nous mène dans la bonne direction. On espère qu’en la suivant, on atteindra notre objectif. Mais on n’atteint jamais la fin. La vie, comme les mathématiques, est une quête sans fin. »

 Cela ne revient-il pas, avec ses mots, à mettre la vérité du côté du manque à être, du sens après lequel le sujet court toujours, tandis que ce qu’il appelle la « beauté » (mathématique, bien sûr) serait en position de cause, et du côté du réel ? Comme tu l’as déjà souligné, Catherine.

 Quant à ce qu’il dit de la logique, ça me rappelle la phrase de Lacan : « Le signifiant est bête. » Alain Prochiantz, lors du débat sur « Ex vivo in vitro » voyait, lui, dans les mathématiques le dernier refuge de la poésie – qui est une toute autre façon de traiter le signifiant… Lacan déplorait, n’est-ce pas, de n’être « pas poâte assez ».

 Merci Alain, Catherine, et les autres…

 Dominique.

freud°spielrein°jung ~SOURCES

De : do
 
Qu’avez-vous pensé du film ? Je l’ai beaucoup aimé, à cause des acteurs, de la mise en scène. J’avoue que je ne me suis même pas posé la question de l’image que ça donne de la psychanalyse. Freud était sans doute le moins convaincant, on connaît trop sa tête. J’ai pris ça comme une fiction.

//

De : vé

J’ai également beaucoup aimé ce film. Je l’ai trouvé très intéressant, et j’ai de mon côté beaucoup aimé l’interprétation de Spielrein (son prénom m’échappe), psychanalyste que je ne connaissais pas. Sur quoi penses-tu que l’actrice a basé son jeu, au début du film, quand elle est en crise ? Pour ce qui est de Freud, je l’ai  beaucoup aimé. Et étonnée de le «découvrir juif ». Non, que je ne le savais, mais. Étonnée, tu sais, de cette réplique «Nous sommes juifs, quittez cet aryen ». Son interprétation, ce film, l’ancrent mieux pour moi dans la réalité de son temps. Mais, il est vrai que j’ai un gros problème avec l’histoire, que j’ai du mal à percevoir, à ressentir. Il manque la durée à ma notion du temps. Ce qui revient probablement à dire qu’il me manque le temps tout court. Cela dit, aurait-il pu dire ce genre de chose ? Alors, vraiment, je ne l’aurais pas deviné à lire ses écrits théoriques. Je n’ai pas lu toute son œuvre, mais beaucoup. Je suis maintenant très tentée de lire sa correspondance avec Jung. Et je n’avais pas noté que ses disciples de l’époque étaient tous juifs. Comment cela se fait-il ? Que cela m’aie échappé ? Peut-être n’est-ce pas très important. Peut-être Freud a-t-il écrit son œuvre en dehors de cette réalité-là, que le film, sa biographie révèlent justement. D’après l’article lu cette nuit dans LQ, l’article paru hier, il aurait été tenté « d’aryaniser » justement la psychanalyse, dans un souci d’en étendre la portée au plus grand nombre. Quel homme tout de même ! Et quelle époque ! Ce moment de la découverte ! Et que cette découverte il eut eu le talent de la communiquer, d’en faire mouvement ! Vraiment ce film est pour moi d’une grande intelligence, et confirme pour moi Croenenberg comme l’un des grands.
A tout à l’heure !
Véronique

//

De : do

Chère Véronique-eoik,
 
Merci pour ta réponse et pour ton commentaire ! Du coup, j’ai été lire celui de Clotilde Leguil, très juste, dans LQ 123. Il faudrait que je revoie le film. Comme je te le disais hier, j’ai été tellement prise au premier degré par le jeu des acteurs et l’intelligence de la mise en scène que, dans un premier temps, je ne me suis même pas posé de questions. Je ne sais pas sur quoi Keira Knightley s’est appuyée pour jouer ainsi (les critiques en disent peut-être quelque chose ?) Elle est magnifique.
 
Témoignage d’un jeune homme de mes amis, qui passait son bac l’an dernier. Sa mère, soucieuse de l’impact du film sur les jeunes, lui a demandé si ça lui donnait envie de lire Freud ou Jung. Réponse : « Ni l’un ni l’autre. Je l’ai juste pris comme un film et je le trouve excellent. »
 
Entre parenthèses, il se donne aussi en ce moment, et certainement pas pour longtemps, Augustine de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat, sur les leçons de Charcot à la Salpétrière. C’est un film en noir et blanc, dont le propos est moins ambitieux (quoique…), plus confidentienl en tout cas. Passé inaperçu à sa sortie en 2003. Il y a également une étonnante performance d’actrice (Maud Forget). Et ça fait assez froid dans le dos.
 
J’avais lu dans le temps Sabina Spielrein, une femme entre Freud et Jung, paru il y a 30 ans et réédité en 2004, sous le titre simplifié Sabina Spielrein entre Freud et Jung.
 
http://www.cgjung.net/publications/sabina-spielrein/lettres-journal.htm
 
Si on en croit ce lien, la partie commentaires est un peu datée. Mais le livre reste intéressant pour les extraits du journal de Sabina, pour sa correspondance avec Freud et Jung, et pour des textes d’elle, en particulier un sur le langage enfantin. Autant qu’il m’en souvienne, c’est écrit avec beaucoup de fraîcheur – comme on écrivait à l’époque.
 
Alain nous a parlé aussi d’un texte récemment traduit, sur un cas de phobie, qu’il nous enverrait.
 
A très bientôt, oui !
 
Dominique.

Re: Au bonheur des maths

Je regrette vraiment de ne pas avoir été avec vous hier, merci pour le partage de vos réflexions ici et sur twitter

Une chose me vient en te lisant Dominique : la pensée est créative oui mais elle a besoin de l’écriture pour se dire. Il semblerait que Lacan a surtout utilisé les maths comme écriture du réel. On n’est pas dans l’imaginaire puisque les formules ne permettent pas de se représenter quelque chose sous forme d’image

 A vous lire

bises

Isabelle

Une histoire intéressante par Pierre Stréliski (Lacan Quotidien n° 122)

« Une patiente que j’ai tirée autrefois d’une très grave névrose avec un immense dévouement a déçu mon amitié et ma confiance de la manière la plus blessante que l’on puisse imaginer parce que je lui ai refusé le plaisir de concevoir un enfant avec elle » écrit Jung à Freud en ce printemps 1909. Deux jours plus tard il ajoute dans une autre lettre : « Je n’ai vraiment jamais eu de maitresse, je suis vraiment le mari le plus inoffensif que l’on puisse imaginer ». Freud rassure de son amitié son jeune confrère en qui il voit, lui écrit-il, en se comparant lui-même à Moïse, « le Josué destiné à explorer la terre promise ». Il est vrai que Jung est un jeune poulain — en fait un grand gaillard d’1 m 85 — trentenaire, qui bénéficie du prestige pour Freud d’être psychiatre dans la plus célèbre clinique de soins mentaux de l’époque, la clinique Burghölzli de Zürich, médecin adjoint du grand Bleuler, qui n’aime pas la psychanalyse naissante, mais dont les travaux sur la schizophrénie font autorité, et en plus, de n’être pas juif, comme la plupart des « gueux » passionnés qui entourent alors Freud.

Leur passion à eux deux remonte à 1907, et Freud rêve d’aryaniser sa nouvelle science et de déplacer son centre de Vienne à Zürich. Dès 1908, Jung est en place au premier congrès de psychanalyse à Salzbourg. À l’été 1909 il fait partie de la petite troupe qui part à la conquête du Nouveau monde faire une série de conférences à la Clarke University. Un premier nuage apparaît entre eux pendant le voyage après que Jung un peu éméché, s’étant mis à disserter sans fin sur des corps momifiés retrouvés dans une tourbière en Allemagne du Nord, se soit fait couper par Freud par un sec « Pourquoi vous préoccupez–vous tant de cadavres ? », et une seconde fois quand Freud refusa, pour « ne pas risquer son autorité » d’en dire trop sur un rêve qu’il avait fait où il était question de sa belle-soeur.

Malgré cela, Jung sera le premier président de l’IPA. Il en démissionnera le 20 avril 1914. Entre temps leur idylle aura tourné au vinaigre. Jung sera responsable de deux évanouissements de Freud aux instants où celui-ci s’aperçoit que ce fils rêvé est un Brutus, et le ton de leur correspondance aura considérablement changé : « Vous voulez aider, ce qui empiète sur la volonté des autres. Votre attitude devrait être plutôt celle de celui qui offre une occasion que l’on peut saisir ou rejeter ». Et à un autre collègue, il écrit : « Jung est un personnage incapable de supporter l’autorité d’un autre, encore plus incapable d’imposer son autorité et dont l’énergie consiste en une poursuite sans scrupules de ses intérêts personnels ». Dont acte !

Mais revenons au printemps 1909. Le 30 mai, la jeune femme incriminée écrit à Freud. Elle veut le rencontrer. Elle s’appelle Sabina Spielrein, c’est une jeune juive russe de 23 ans, elle est étudiante en médecine et a été soignée depuis 1904 par Jung, d’abord au Burghölzli puis ensuite en consultations, pour une « psychose hystérique » — diagnostic reprenant l’ancienne « folie hystérique », délicieux oxymore en somme sur la fonction paternelle, entre Bejahung et Verwerfung, diagnostic différentiel de la schizophrénie joliment épinglé ainsi dans les années soixante par Chazaud et Follin : « Le schizophrène vit le drame de l’existence de sa personne ; le psychotique hystérique vit le drame de son personnage ». Oui mais si le plus vrai de la personne c’est le personnage ? Quoiqu’il en soit, notre jeune russe fit l’objet de la part de Jung de sa première expérience d’application du « traitement psycho-analytique » de Freud, avant même qu’il l’ait rencontré, sur sa seule lecture enthousiaste de L’interprétation des rêves.

Cette talking cure, comme l’appelait une autre pionnière analysante, eut un succès thérapeutique indéniable, les violents symptômes liés à un refoulement vis-à-vis d’une motion incestueuse et présentant des caractéristiques sexuelles sadiques-anales cédèrent et se transférèrent comme il se doit sur la personne du thérapeute. Et l’on se découvre bientôt les mêmes goûts — la musique, Wagner —, les mêmes intuitions ; l’analyste fait part à l’analysante de toutes ses qualités — d’intelligence bien sûr — qu’il lui trouve : « Des esprits comme le vôtre font avancer la science. Vous devriez absolument devenir psychiatre ». Finalement on passe du divan au lit, mais ce n’est pas de cela dont Sabina veut s’entretenir avec Freud mais de la déconfiture de son amant qui, se sentant repoussé dans ses retranchements de mari et d’amant, a écrit à la mère de sa maîtresse… pour qu’elle l’en débarrasse ! Il se défend de sa propre faiblesse avec une belle goujaterie (« Une muflerie », écrira-t-il) arguant que la différence entre un médecin et un amant tourne autour de la question du paiement (Avec quoi est-ce qu’on paie ?) et réclamant donc in fine le montant de ses honoraires non perçus à la mère de Sabina ! Le paiement — mérité — qu’il recevra de la donzelle en retour, furieuse quand elle apprend cette lettre, ce sera une gifle et l’esquisse d’un coup de couteau signant in vivo le coup de canif dans le contrat.

Finalement l’amour entre eux deux, contrairement à celui entre Freud et Jung, survivra à cette scène violente. Ils redeviendront amants, Jung dirigera même le Mémoire de psychiatrie de Sabina. Elle l’aime, il l’aime. On n’est vraiment pas dans la cartographie d’une érotomanie. Mais bien dans celle du doute qui sied aux amants : « Il est pourtant certain qu’il m’aime. Mais il y a un ‘Mais’, c’est que mon ami est déjà marié », écrit Sabina dans son Journal.

Entre-temps elle aura effectivement rencontré Freud. En 1911, elle lui fournira même un article sur « La destruction comme cause de devenir » qui sera une des matrices, celle-ci inconsciente ou cachée, de la future pulsion de mort que Freud développera après la guerre de 14/18. En 1913, il lui écrit : «Mon rapport à votre héros germanique est définitivement rompu. Son comportement a été trop détestable. Mon jugement sur lui s’est beaucoup transformé depuis votre première lettre ».

En 1912, elle se marie avec un Russe et part en Russie — devenue l’URSS — en 1923, où vient de se créer une association psychanalytique. En 1936, cette association sera dissoute et Sabina, après la disparition de ses frères dans les purges staliniennes, meurt assassinée au début de la guerre là où elle est née, à l’entrée des nazis – les SS – dans sa ville. Seule trace qui reste d’elle, une note en bas de page dans «Au-delà du principe du plaisir », avant la découverte en 1977 à Genève, dans les caves de l’ancien Institut de Psychologie, d’une correspondance copieuse et oubliée entre Jung, Freud et Sabina Spielrein, et de son Journal.

Ce retour du refoulé fit évidemment du bruit dans le landerneau psychanalytique et même au delà. D.-M. Thomas dans L’hôtel blanc s’est-il inspiré de cette histoire ? L’effacement d’un nom propre fait aussi écho à notre actualité lacanienne la plus brûlante.

Et cette vérité éternelle que l’amour ne se laisse pas aisément gouverner par la raison, que la jouissance et la pulsion dominent les idéaux, que dans la psychanalyse « le transfert est à la fois le moteur le plus puissant de la cure et le principal facteur de résistance », que les hommes sont des lâches — ou des malheureux — partagés par l’aphorisme de Freud : « Là où ils aiment ils ne désirent pas, là où ils désirent ils n’aiment pas », que les femmes sont folles, même si Lacan ajoute « pas folles du tout », mais plutôt au-delà des limites dont l’angoisse de castration guinde les messieurs, que l’histoire du mouvement psychanalytique est plein de rumeurs et de chuchotements, de rivalités rassies et de haines intangibles, à l’époque au moins où elle croyait qu’elle allait dominer le monde, que nos histoires sont subsumées quand elles croisent l’Histoire avec un grand H, devaient évidemment attirer un cinéaste comme David Cronenberg.

C’est chose faite avec A Dangerous Method, chronique fidèle de cet épisode de l’histoire de la psychanalyse, présenté cet automne à la Mostra de Venise. Adaptation de la pièce A talking cure de Christopher Hampton — qui est aussi le scénariste du film —, l’accueil du film fut mitigé. « Un film passionnant » pour A. Romanazzi, « Un film à la limite de l’ennui » pour tel autre critique ; Lorenzo Bianchi réclame « la statuette d’un Oscar » pour Keira Knightley (qui joue Sabina Spielrein dans le film), tandis que d’autres au contraire trouvent son jeu « poussif » ; « Un dialogue brillant », « Un film académique », etc. C’est encore Libération lors de la sortie du film en France qui trouvera le titre le plus drôle : « Méninges à trois ».

En tout cas, à Venise, pas de Lion d’or pour Cronenberg. Il est vrai qu’avec Aronofski (Requiem for a dream, Black swan) comme président du jury, ce film à l’esthétique froide avait peu de chances d’être primé. Finalement, tout le monde s’accordait pour dire que, avec A Dangerous method, Cronenberg n’était plus Cronenberg. Le cinéaste sombre voire underground de ses premiers films propose ici une image claire et ambigüe comme la surface de l’eau sur le lac de Zürich que contemple Jung à la fin du film et qu’un rêve qu’il pense prémonitoire lui fait voir transformée en une étendue sanglante.

Mais non, c’est toujours la même question des rapports de la pulsion et de la parole (de l’histoire) qu’explore le cinéaste canadien. Seulement là où il montrait la densité des chairs, il montre ici la réalité de la lettre. Il faut saisir ici l’importance du générique qui s’attarde sur un gros plan d’une écriture, d’une lettre, de qui à qui ? On ne sait.

Et le formidable Fassbender qui joue ici Jung en protestant guindé n’est pas différent du Fassbender qui joue le héros hypermoderne de Shame. (Mais Fassbender aura le prix d’interprétation à Venise pour Shame). Ils sont aux antipodes mais c’est le même personnage aux prises avec la jouissance. Ici elle est encore liée aux idéaux, là elle est déliée de tout, pur « morceau de réel ».

Et Sabina est la soeur de toutes les femmes qui proposent, avec Marie-Hélène Brousse, un « éloge de l’hystérie ». Elle est le double réel d’une autre analysante, l’héroïne de D.-M. Thomas, Lisa Erdmann, qui dit : « Si je ne pense pas au sexe, je pense à la mort. Parfois les deux ensembles ». Thomas ajoute qu’elle dit cela « d’un ton amer ». Sabina Spielrein est conforme à ce que Lacan dit des femmes analystes, quelquefois plus à l’aise que leurs homologues masculins avec le réel. Analysant un de ses rêves, elle écrit (en 1913) : « L’expérience nous a prouvé que le transfert, portant aussi bien sur les sentiments de haine que d’amour, constitue toujours une arme à double tranchant ». Et Freud lui rend hommage, lui écrivant : « Vous avez en tant que femme ce privilège sur les autres d’observer avec plus de finesse, et de ressentir avec plus d’intensité les affects dont vous prenez la mesure ».

Viggo Mortensen enfin, l’acteur fétiche de Cronenberg, est un Freud convaincant à l’ironie un peu distante. C’est sans doute un visage de Cronenberg lui-même qui se joue là, ce pourquoi nous préférions le Freud de Benoist Jacquot qui était plus vivant parce qu’il croyait, lui, à quelque chose, à la psychanalyse peut-être.

Après avoir vu le film, une spectatrice me dit, mine pincée : « Ce n’est pas très intéressant. Ce sont de petites histoires ». En effet, mais ces petites histoires sont aussi le cœur de nos vies et aussi le cœur de notre chère psychanalyse. Lacan enseignait que le style c’est l’objet, remercions Cronenberg de nous montrer que les facettes d’un même objet peuvent réfracter les variations inversées d’un même sujet. Finalement avançons que A Dangerous Method sera à Cronenberg ce que Barry Lindon fut à Kubrick : une œuvre dont la violence s’exprime dans un ciel d’un bleu glacé

Augustine

Coucou, 

Super la bande annonce Augustine sur Twitter, Mariana, merci. J’ai vu ce moyen métrage avec Dom et c’est très complémentaire avec l’éclairage historique de A dangerous method.

C’est une vraie plongée dans les origines de la psychanalyse en ce moment, et du traitement des hystériques…


Augustine Bande-annonce par toutlecine

bises.

Ah la TL des escapadeurs nocturnes…

Géraldine.
Envoyé de mon iPad

l’éthique de la psychanalyse et celle de l’amour dans le film A Dangerous Method

Hello! escapadants,

Cela fait un petit moment que j’ai sur le cœur un commentaire sur le film « A Dangerous Method », que nous avons vus, ensemble ou séparément :

Il me semble que le point nodal de ce film est l’Ethique de la Psychanalyse, avec un parti pris décidé pour Freud. Ce point nodal d’Ethique se manifeste en particulier dans cette scène, qui attrape le tout, au moment où Freud confie qu’il n’aime plus Jung, son élève, qu’il en est déçu, de par ses recherches ésotériques, certes, qui sont pour lui un menace discréditante à une époque où la psychanalyse est fragile (il parlera plus tard de « la boue de l’occultisme »), et, surtout, qu’il s’en est aperçu lorsque Jung lui a écrit cette lettre mensongère a propos de Sabina, niant qu’il a été son amant.

Celui-ci a préféré sacrifier la dignité de sa maîtresse, qu’il aimait, connaissant de surcroit la fragilité de cette femme qu’il a soignée, à ses intérêts petits-bourgeois, à son économie personnelle et égotique, voire un peu sadique d’obsessionnel insuffisamment analysé. Cela fait penser à l’homme aux rats.

Mais ce n’est pas le fait que Jung ai couché avec une patiente que Freud a jugé inacceptable, c’est le fait qu’il l’ait démenti.
C’est pour cela que sur ce bateau où Jung voyageait en première classe, grâce aux finances de son épouse qu’il n’a pu quitter pour Sabina, Freud, lui en deuxième classe, mais allant apporter la psychanalyse comme « la peste » en Amérique, refuse de lui confier son rêve, qui portait sur l’amour aussi, …qu’il éprouvait pour sa « belle »-soeur.

Ainsi, on se trouve face à une Éthique de la psychanalyse, de « ne pas céder sur son désir« , de ne pas recouvrir le Désir de l’Analyste concernant la « Cause Sexuelle », qu’il nomme la libido, par des religiosités, …ni de recouvrir son désir sexuel pour Sabina Speilrein par des enjeux de réussite financière ou socio-professionnelle.

Sabina s’en sortira dignement cependant, en exigeant de son ex-amant qu’il écrive à Freud pour réhabiliter la vérité, et devenir ainsi sa patiente, puis analyste.

Jung n’a sans doute pas exploré la dimension de rivalité avec Freud, le père de la psychanalyse, mais il a souffert ensuite une double perte: celle de son amour et de la confiance de Freud.

Ainsi la présentation de ce film, surtout dans cette scène, qui éclaire le tout, me paraît défendre l’Éthique de la psychanalyse et, en même temps,  ce que je proposerai comme « une Éthique de l’amour »: On ne trahit ni l’une ni l’autre!

Bises à tous

Catherine Decaudin

Re: Re: Au bonheur des maths

Bien sûr, Isabelle, mais ces mathématiciens cherchent à approcher, avec leur vocabulaire, les phénomènes dont ils témoignent. Cela nous demande un effort de traduction ! Pas facile, car c’est plein de contradictions. Il ne s’agit sans doute pas de l’imaginaire comme nous l’entendons. Le terme de « vision« , que Michael Atiyah emploie aussi, convient peut-être mieux ? Avant de trouver quelque chose, ils écrivent beaucoup de formules, et en écrivent encore beaucoup après, pour vérifier une découverte, puis pour en formaliser la démonstration. Il insiste sur le fait que le chemin est semé d’essais et d’erreurs. Mais, et c’est ce qui m’a frappée, la trouvaille n’intervient pas quand ils ont le nez sur leurs équations. C’est un moment tout à fait particulier. Qu’est-ce qui pourrait traduire « vision » dans notre vocabulaire à nous ? Une sorte d’ « éclair », peut-être ?

« La pensée est beaucoup plus créative que la parole », dit-il encore. La pensée est bien du symbolique. Il s’agirait d’un discours sans paroles ? Cf. le travail de l’inconscient, les « pensées du rêve » chez Freud. Je divague. A l’aide, amis mathématiciens !

Enfin, ce terme si mystérieux de « beauté », que je distinguerai de l’ « élégance ». Les mathématiciens font aussi grand cas de l’élégance (c’est même un lieu commun), mais dans un second temps, celui de la démonstration. La démonstration, objet d’échange dans le monde scientifique. Alors que ce qu’il appelle la « beauté » intervient dans la quête et dans la découverte et, comme je le disais hier, me semble de l’ordre de la cause, propre à chacun. Cette appréhension de la beauté, Atiyah la qualifie de « certaine », d’ « immédiate et personnelle ». C’est sûr, la pratique des mathématiques génère chez certains un plus-de-jouir évident, une « lichette » de taille.

 Bon, tu vas les voir et de les entendre, ils sont passionnés (voire passablement allumés).

J’espère d’autres commentaires de toi après la visite.

 Dominique.

Rattrapage Mathématiques

Attention attention, rattrapage Mathématiques, un dépaysement soudain, je répète rattrapage Mathématiques, un dépaysement soudain, le vendredi 27 février à 17 heures.

L’exposition sur le site de la Fondation Cartier, là : http://fondation.cartier.com/fr/art-contemporain/26/expositions/27/mathematiques-un-depaysement-soudain/89/presentation/

l’objet nu du mathématicien prolétaire

Chère Catherine,

A propos de la beauté, de la bonne forme : Lacan s’en est toujours méfiée, me semble-t-il. Alors, comment préciser cela ?

Par ailleurs, il me semble que vous avez vu des choses qui rendait compte de la subjectivité à l’œuvre encore dans la démarche scientifique. Or, cette subjectivité – qui transparaît dans le style, la signature, dont tu parles – , est également ce que la science en premier chef tente à forclore : de sujet, point. Ce dont pâtit le monde contemporain et qui nous vaut le triste règne de l’évaluation. Où, comment se situe la distinction?

 À propos de l’objet du mathématicien, j’ai retrouvé cet extrait du cours de Miller du 9 mars 2011 (là : https://disparates.org/lun/2011/03/jam-9-mars-2011-de-l-ontologie-a-lontique/ ), au départ d’un texte d’Alain (https://disparates.org/lun/2011/03/le-mathematicien/ )

Tu verras que dans son cours Miller oppose l’objet de l’analyste et celui du mathématicien. L’objet de l’analyste a affaire avec les passions, « l’objet du mathématicien lui ne se laisse pas émouvoir. Il est rebelle, rétif à toutes les afféteries, les blandices de la parole. »

Qu’en penses-tu ? Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, je n’ai pas vu l’expo en raison de mon incroyable erreur qui a fait que je me suis retrouvée, avec Frédéric, à Maison Rouge, pour une autre exposition, plutôt qu’à la Fondation Cartier.

 Bises à toi, Bises aux autres,

 Véronique

 Ci-dessous, l’extrait concerné du cours (ma transcription) :

 […] je vais vous lire quelques lignes, non sans accents poétiques, d’un texte sur les affinités des mathématiques et du réel, d’un professeur pour lequel Lacan n’a eu que des sarcasmes, sans doute trace d’une dilection de jeunesse. Comme ça avait d’ailleurs été le cas pour Paul Valéry [ dont on sait par… (ex femme?) qu’il n’avait pour lui que des louanges dans sa jeunesse].

Jam lit:

Le mathématicien ne pense jamais sans objet. Je dis bien plus ; je dis que c’est le seul homme qui pense un objet tout nu. Défini, construit, que ce soit figure tracée ou expression algébrique. Il n’en est pas moins vrai qu’une fois cet objet proposé, il n’y a aucune espérance de le vaincre, j’entends le fondre, le dissoudre, le changer, s’en rendre maître enfin, par un autre moyen que la droite et exacte connaissance et le maniement correct qui en résulte. Le désir, la prière, la folle espérance y peuvent encore moins que dans le travail sur les choses mêmes, où il se rencontre bien plus qu’on ne sait, et enfin une heureuse chance qui peut faire succès de colère. Un coup désespéré peut rompre la pierre. L’objet du mathématicien offre un autre genre de résistance, inflexible, mais par consentement et je dirais même par serment. C’est alors que se montre la nécessité extérieure, qui offre prise. Le mathématicien est de tous les hommes celui qui sait le mieux ce qu’il fait.“

Alain, Esquisse de l’homme, 1927, “Le mathématicien”, 24 juin 1924.

L’auteur, c’est ce personnage éminent de la III° République, qui fut le penseur de référence du parti radical alors à son apogée, enseignant de khâgne à Henri IV et qui se choisit comme pseudonyme tout simplement Alain.

[ …]

« Le mathématicien est prolétaire par un côté. Qu’est-ce qu’un prolétaire ? C’est un homme qui ne peut même point essayer de la politesse, ni de la flatterie, ni du mensonge dans le genre de travail qu’il fait. Les choses n’ont point égard et ne veulent point égard. D’où cet œil qui cherche passage pour l’outil. Toutefois il n’existe point de prolétaire parfait; autant que le prolétaire doit persuader, il est bourgeois ; que cet autre esprit et cette autre ruse se développent dans les chefs, et par tous les genres de politique, cela est inévitable et il ne faut point s’en étonner. Un chirurgien est prolétaire par l’action, et bourgeois par la parole. Il se trouve entre deux, et le médecin est à sa droite. Le plus bourgeois des bourgeois est le prêtre, parce que son travail est de persuader, sans considérer jamais aucune chose. L’avocat n’est pas loin du prêtre, parce que ce sont les passions, et non point les choses, qui nourrissent les procès.»

Il invente de définir le mathématicien comme un “prolétaire”. Dans le travail du mathématicien, il n’y a en effet pas de place pour la politesse, la flatterie, les mensonges, on a affaires aux choses et non aux passions, on n’a pas à plaider. C’est une philosophie qui oppose parole et action.

[…]

Quand on a affaire à ce qu’il appelle les passions, on les dirige par la rhétorique, on s’y rapporte par l’art du bien dire. Et d’ailleurs quand on cherche à recomposer la théorie des passions d’Aristote, on va d’abord voir dans sa rhétorique, c’est-à-dire l’art d’émouvoir. L’objet du mathématicien lui ne se laisse pas émouvoir. Il est rebelle, rétif à toutes les afféteries, les blandices de la parole.

 – Opposition entre le rhéteur et le mathématicien. –

Le désir, la prière, la folle espérance ne peuvent rien sur l’objet.

Et quand Lacan dit “Je suis un rhéteur”, il ne s’agit non pas là d’une déclaration de son goût, sinon que le psychanalyste à affaire à une chose qui se meut et se meut par la parole.

La chose du psychanalyste est à l’opposé de l’objet du mathématicien.

L’inconscient est mû par la parole. La formation du psychanalyste – quand il y a formation, apprentissage, c’est avant tout une forme rhétorique. Quoi dire, et ne pas dire? On apprend comment agir par la parole sur les passions. c’est-à-dire sur le désir qui les résume toutes.

 

la beauté au un par un

Chère Véronique,

Il me semble que c’est justement cela, qu’il n’y ai pas de subjectivité ni d’émotions dans les mathématiques que l’exposition contredit foncièrement et de toutes les façons possibles… surtout en amenant cet objet, la beauté.

C’est vrai que Lacan n’aimait pas beaucoup « la bonne forme », placée du coté de l’imaginaire , surtout à cause des Gestaltistes, il me semble, qui avaient tendance à la standardiser. Mais au un par un, c’est peut-être différent.. tu verras le film de Depardon ou des mathématiciens s’expriment est magique!

Il y a aussi le rapport de la beauté avec la pulsion de mort, que Lacan attrappe dans « Antigone ». Bon..à voir…

Bon, il faut que j’aille travailler

A+ et bonne journée à toi

Cath

Baselitz ne parle que l’allemand mais en jouant avec les mots, presque de matière sculpturale.

Dans sa conversation le langage est un objet dont il éprouve la plasticité à tous moments. Il se considère comme un provincial mais souligne que c’est là une force puisque la province nourrit la capitale. Son imagination es t vive et il précède facilement les pensée de ses interlocuteurs. Il parle par métaphore et cherche souvent les paradoxes et les provocations. Il prend un réel plaisir à parler. De toute évidence il aime sa langue et s’évertue à la déformer comme il le fait avec la couleur quand il peint. Il cherche les idées et s’étonne de formulations comme il le fait sans doute devant les figures qu’il dessine, s’étonne que ce soit bon, et comme un enfant, un paysan ou un animal, emporte cette idée au fond de lui-même pour en faire, plus tard, un meilleur  usage.
Baselitz, p. 10

walser et lacadée à bourg la reine

Café Psychanalyse
Les Débats d’actualité en ACF-­IdF
L’écriture et la santé mentale
Invité : Philippe Lacadée, psychanalyste à Bordeaux
auteur de l’ouvrage Robert Walser, Le promeneur ironique paru aux Editions Cécile Defaut en 2010
(Prix OEdipe des libraires en 2011)
Textes de Robert Walser lus par Alain Gintzburger comédien et metteur en scène… ainsi que par d’autres voix.

Participation aux frais d’organisation = 5€
Espace Françoise Dolto,
116, avenue du Général Leclerc, 92340 Bourg la Reine

Moyen de transport : par le RER B (station Bourg la Reine) La salle Dolto est à 5 minutes à pieds de la gare

28-12-2011

Bonjour à tous,

Je vous propose une escapade chez l’écrivain Robert Walser en participant au Café Psychanalyse du 13 janvier 2012 à 20h30 à Bourg la Reine avec pour invité Philippe Lacadée auteur du livre Robert Walser, Le promeneur ironique paru aux Editions Cécile Defaut en 2010.

Meilleurs vœux à tous.

José Rambeau

scapade lacadée

Chers escapadeurs et deuses,

Je vous invite en effet à venir débattre avec Philippe Lacadée ce vendredi soir pour une soirée psychanalytico-littéraire agrémentée de lectures qui vous surprendront.

Pour l’intégrale du retour de la Guerre de Troie au Théâtre de Châtillon, j’ai déjà réservé ma place (avec mon épouse).

A vendredi pour certains d’entre vous.

José Rambeau

l’effet de beauté est effet d’aveuglement

Le 13/01/12 21:52, « Catherine Decaudin » a écrit :

Merci, Alain pour ton texte, qui retrace si bien ce parcours, que nous avons chacun fait « à part » et ensemble à l’exposition sur les mathémathiques.

Tu as bien raison,  de rappeler aussi, en contrepoint de la beauté, l’horreur pour les Maths. Rappelle-toi de ce que Lacan disait sur la beauté, dans le séminaire « L’éthique »:

Nous remettons ici en question la fonction du beau, par rapport à la visée du désir (p299).

Et,

l’effet de beauté est en effet un aveuglement (P.327).

Le côté touchant de la beauté fait vaciller tout jugement critique, arrête l’analyse, et plonge les différentes formes en jeu dans une certaine confusion, ou plutôt un aveuglement essentiel.

Il en parlait à propos d’Antigone, qui était allée pour défendre son frère, au-delà des biens de la cité, défendus par Créon, dans cet « Ex-nihilo », dans ce domaine de l’Até, où règne l’attrait pour le beau, mais aussi la pulsion de mort. Elle a tout sacrifié à cet attrait de la création d’un signifiant nouveau, « ex-nihilo », le signifiant « frère », la Fraternité, et s’est retrouvée entre deux morts…

bises à toi

Cath

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Le 13 janv. 2012 à 22:27, Gentes a écrit :

Chère Cath,

Notre cart-ailes du désir prend son envol! c’est ça!

Tu prolonges ma pensée de si belle façon avec ces références à Lacan. C’ets la réaction si vive de ce lycéen, mobilisant son corps pour tenter de dire ce qui n¹est pas possible à dire avec des mots, que m’est apparu l’oublié de cet expo: la beauté n’est qu’en son fond voile de l’horreur, du réel.

Bises à toi, et peut-être à demain si tu viens pour Diane Arbus.

Al.

Théâtre : « Les bonnes » sur le divan

et encore, et encore !!! C’est à ne plus travailler et ne faire que de l’art, la culture et la psychanalyse !! Et puis gagner au loto !!

Mariana

To: ecf-messager@yahoogroupes.fr;  Date: Thu, 12 Jan 2012 17:25:50 +0100 Subject: [ecf-messager] « Les Bonnes » et le divan, Théâtre de l’Athénée

Théâtre de l’Athénée le 4 février 2012 « Les Bonnes » et le divan

Dans le cadre du séminaire « les enfants de la science » de l’Envers de Paris sera organisée, en 2012 et 2013, une programmation théâtrale exceptionnelle, en partenariat avec plusieurs théâtres Parisiens ainsi qu’en province et en Suisse.

La représentation des « Bonnes » de Jean Genet inaugurera cette série, le 4 février 2012 au Théâtre de l’Athénée à 15h, et sera suivie d’un débat à partir de 17h, avec le metteur en scène, Jacques VINCEY, et François ANSERMET. Le spectacle « Les Bonnes » sera l’occasion de revisiter le texte de Lacan « Le Crime des sœurs Papin » à partir de ce qu’enseigne la façon dont Jean Genet a traité ce même fait divers qui reste autant inexplicable que terrifiant. La discussion portera aussi sur les sources de la destructivité qui reste une question centrale pour la psychanalyse, lorsqu’elle ne rejette pas la thèse freudienne de la pulsion de mort, question dont l’actualité ne cesse de nous être évidente.

Un tarif préférentiel est réservé aux membres de l’ECF, des ACF et de l’Envers de Paris.

http://www.athenee-theatre.com pour les réservations impératives.

 

Ca se dé-mère pour o-pérer…

Chers S…Capadants,

Voici quelques mots à délire sur notre chère mathématique, qui fait beauté pour les uns et horreur pour d’autres. Tiens, justement, voilà le secret de cette exposition: l’horreur de la Dame y est exclue, n’a pas droit de cité. Étrange, non?

Bises algébriques. Al.

Envoyé de mon iPad

doc iconESCAPADES CULTURELLES.doc

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ESCAPADES CULTURELLES
Mathématiques, un dépaysement soudain.
Fondation Cartier

Aux Arts’ Maths, Lacaniens!

Nous avons pris, samedi dernier, nos Cartier à la fondation du même nom, pour une S…capade au pays des mathématiciens. Le nombre 7 représentait notre collection de S(1…7), barrés chacun par deux ou trois lettres, selon la beauté de ce qui s’entend ou la nécessité de la distinction. Ainsi, Ley, Nou, Do, Jo, Veb, Cath & Al ont navigué entre les 3 salles de la fondation, à leur rythme, sous des voilures différentes. Se vérifie, comme  nous le voulons, que nous ne faisons point groupe, sinon peut-être un groupe gras (à courbure positive) ou maigre (à courbure négative), comme le dirait le mathématicien Cédric Villani.

Électrons libres nous sommes, qui s’entrecroisent autour d’un noyau littéral fluide « Arts et psychanalyse », aujourd’hui  les Mathématiques, et leur secret la poésie, à travers les espaces matériels de la Fondation. De nos mouvements,  Nicole El Karoui, fascinée par le hasard à mesurer, pourrait sans doute en calculer les aléas. Ah les A, qui justement là s’absentent pour laisser danser les Uns, se moquant de ce que la muse ment.

Quelle mouche m’a piqué pour aller voir cette exposition, et d’y embarquer quelques escapadants?

Des retrouvailles avec mon Ex, mon ex-amante « LesMathématiques« , premier amour post-maternel ! Mais aussi à cause de Lacan et de sa drôlerie mathématique: Mathèmes, Topologie & Nœuds.

Très vite,  je me suis retrouvé en sous-sol, à la salle du « bonheur des mathématiques« : pas un seul des mathématiciens interviewés n’a pu faire autrement que de livrer une rencontre unique, de jouissance, décideuse de leur destin de mathématicien. Une rencontre singulière entre une satisfaction de corps et un nombre, une écriture ou une démonstration, une rencontre qui fait croire au rapport sexuel. « La Matematica è stata un amante difficile » s’écrit Cédric Villani.

Là s’entendent les mots de Michel Cassé, astrophysicien: que les mathématiques, en leur unité, se résument en quelques mots, « rigueur et beauté, certains, y ajoutant plaisir« . On se met alors à douter que le sujet est forclos chez le mathématicien, comme il l’est dans le discours de la science. Surtout à lire Les Déchiffreurs de Sir Michael Atiyah:

« lorsqu’il fait grand jour, les mathématiciens vérifient leurs équations et leurs preuves, retournant chaque pierre dans leur quête de rigueur. Mais quand vient la nuit que baigne la pleine lune, ils rêvent, flottant parmi les étoiles et s’émerveillant au miracle des cieux. C’est qu’ils sont inspirés. Il n’y a sans le rêve ni art, ni mathématique, ni vie. »

Ce n’est pas sans évoquer le sinthome de Lacan, et ce qui se touche en fin de cure. Ce que disent ces mathématiciens, sous l’effet de leurs rencontres avec quelques artistes, dont David Lynch ou Patti Smith, résonne avec ce que Jacques Alain Miller dit de la compréhension: comprendre, c’est jouir en quelque sorte! Giancarlo Lucchini l’illustre, avec sa collègue, Carolina Canales González de façon épatante. Une jouissance se découpe sur un point qui « allume » le sujet. Nicole El Karoui, de nouveau, fait voisiner sa passion pour les aléas des phénomènes en mouvement avec l’aléatoire de la naissance de chacun de ses enfants.

Dans la foulée, elle conçoit le zéro comme une invention qui force le vide à entrer dans le symbolique, poussant par la même occasion ce dernier à s’ordonner, pour ne point trop délirer, ajouterais-je. C’est exactement ce que fit hier un garçon phobique de quatre ans, en analyse: user de la fonction du zéro pour commencer ses propres séances . Il déclara en effet à son analyste « Il me reste 0 séance, donc une! « , et à sa mère en fin de séance « encore 40 séances, Maman« . Autrement dit: terminer et annuler les séances imposées pour commencer les siennes.

« Au bonheur des maths » est l’affect qui me fixa, collégien, aux mathématiques pendant plusieurs années. En classe de 5eme, un professeur avare de mots, nous donna des équations à résoudre. Après quelques inquiétudes à faire gémir lettres et chiffres sur un bout de papier, une jubilation monte, irrésistible, d’avoir trouvé le résultat. Quelque chose s’est allumé, hors de portée de quiconque. J’ en sais aujourd’hui l’une des raisons: je pouvais me passer de la mère, et de son savoir inhibiteur. Ma fortune fut qu’elle n’y pompait rien à l’algèbre. Les Mathématiques comme ouverture à une autre loi. Une liberté se prend ici avec elles, au prix d’en perdre une autre: celle de la rencontre avec l’impossible rencontre, L’Autre sexe. La démonstration mathématique serait-elle une élégante façon de se passer de La femme qui n’existe pas? Au moins de se passer de la mère: se dé-mèrer pour o-pérer !

Si le sujet s’efface au moment de l’acte mathématique, il se rattrape vite au moment de l’entracte, où se lève un vent de poésie. Lisez donc « Entre deux miroirs » de Misha Gromov, et il vous viendra sans doute à la bouche le mot de sinthome, de Lacan. On pense alors au réel et à son abord différentiel entre psychanalyse et mathématiques.

Un autre mathématicien, dont je ne me souviens plus le nom, définit le réel comme la superposition des possibles imaginaires. Comment, diable, ne pas être intéressé par une telle approche! Il suffit de la renverser, ou de se promener suffisamment longtemps sur la bande de Moebius, pour en faire un usage plus lacanien: c’est à superposer assez longtemps des solutions imaginaires qu’on peut apercevoir ce qui ne s’imaginarise pas au bout du compte, ce qui y résiste.

Les mathématiques sont peut-être le plus pur transformateur de contingence en nécessité, de vide en existence.
Touché par cet exposition, d’un émerveillement étrange, je reste sur un brin d’énigme: pourquoi donc Lacan, avec ses mathèmes, et ses noeuds, n’y figure-t-il pas, ne serait-ce comme extime ?

Et sur une question, à partir de ce qu’un lycéen me dit, hier, « les maths? C’est monstrueux!  » : pourquoi l’horreur des mathématiques n’est-il pas abordé? Ce qu’il y a de réel dans les maths se dévoile peut- être plus dans leur horreur que dans leur beauté.

quand les murs rient

je reçois cette invitation et je m’empresse de la transmettre aux escapadeurs même si je ne pourrais y aller, d’autres peut être …

« … sur Radio-a, cette proposition de rencontre de l’artiste Milene Guermont au travers de sa newsletter…« 

bises

Isabelle

pdf iconnewsletter_mileneguermont_janvier_2012.pdf

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Détail de M.D.R., formé de Béton Cratères® et Béton Polysensoriel®, Patent pending, © Milène Guermont
Détail de M.D.R., formé de Béton Cratères® et Béton Polysensoriel®, Patent pending, © Milène Guermont

M.D.R. à Sainte-Marie de Neuilly
Visites les 21, 23 janvier et 11 février
 
 M.D.R., intégrée à l’architecture de la nouvelle extension du Lycée Sainte-Marie de Neuilly sera exceptionnellement accessible au public les 21 et 23 janvier et 11 février prochains.
 
Véritable exemple de la prise en considération de l’environnement par la matière, M.D.R. est une œuvre pérenne qui propose aux élèves une expérience sensorielle au cœur de la cour de récréation.
 
M.D.R. ne se repère pas au premier coup d’œil, il nécessite un temps d’adaptation, de l’attention, de l’écoute…
Sur les parois des murs extérieurs du gymnase créé par l’Agence Anthony Béchu & Associés sont disséminées des plaques étonnantes. Elles sont toutes formées de Béton Cratères® ou de Béton Polysensoriel®, mais chacune est unique avec ses nuances de couleurs, ses aspérités de surface singulières qui attirent le regard et la main.
 
Lorsque vous vous approchez et que vous touchez l’une d’entre elles,  un son en émane : un rire de jeune fille, déclenché par votre champ magnétique …
 
Depuis l’inauguration du gymnase fin mai 2011, M.D.R. est devenue l’ »attraction star » du lycée. Les élèves ne se lassent pas de venir toucher cette « pierre qui rit ». 

Cet engouement démontre que l’approche artistique développée par Milène en concertation avec les architectes et la Direction du lycée, pour sensibiliser les élèves à leur environnement par le toucher contribue pleinement à l’ambition de Sainte-Marie de s’affirmer comme lieu d’éveil à la conscience environnementale.
 
 
 
Les 21,23 janvier et 11 février mai 2011 de 9h à 11h30.
24 boulevard Victor Hugo, 92200 Neuilly sur Seine, France.
 
Nombre de places limité. Pour s’inscrire, écrire à  contact@mileneguermont.com  en indiquant l’heure de votre venue. Une confirmation avec les détails pratiques sera envoyée aux participants.

 

Bonjour Chacune, Chacun,

Vous semblez tous aimer Woody Allen, ce qui en soi n’est pas étonnant, donc je ne m’étale pas sur ce fait, mais par contre, ce qui m’intéresserait vraiment beaucoup, c’est de savoir ce qu’il vous plaît dans son cinéma.
Je ne veux pas prendre trop de votre temps, et je ne fais pas une enquête scientifique, c’est juste par curiosité, donc juste quelques qualificatifs me suffiraient.

Bonne journée
Malik

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Activités récentes:

 

Merci pour vos impressions… en trois exemplaires: un hommage aux trois "ça" dont parlent Géraldine et Catherine (je ne sais pas à quoi cela se rapporte, je n’ai pas vu le film)?

Et sinon, vous aimez Woody Allen?
Malik

— Dans escapadesculturelles@yahoogroupes.fr, "gleuzasalomon" <gleuzasalomon@…> a écrit :
>
> Chers collègues d escapades,
> quelques impressions du filme de Woody Allen
> mes compliments et bonnes vacances a vous
> Gleuza Salomon
>
> Woody qui est a "Rome" ou il se fait le maître de la contingence s`y fusse possible!!! Ni parmi les dieux de l Olimpe Ils ont pu y être. Mais, lui fait l` Art de la contingence comme une invention de Kairos . L Amour et ses ailes s en volent parmi les beaux quartiers de la ville eternele, la Fontana de Trevi, ça m a frappé comme c etait un Frederico Felini mais plein de joie et de couleurs, les dialogues sont très perspicaces avec des drôles ponctuations psychanalytiques . C est fait pour rir. Ça m a beacoup amusée!!! et, encore les midias, les celebrités des choses nules, l homme ordinaire comme l’ héros hipermoderne,. Le jeunes de la campagne et le grand ville a la rencontre de l inattendue comme une riviére qui les pousse a des petites aventures. Le double de le l architecte, au dedans et au dehors de la scene, un autre, et aussi, un alterego, les pensées obsessionelles au vif et encore le type qui ne pensait qu a la mort et l autre qu y là- bas travaillait, le Directeur, agent culturel, producteur qui trouve le grand star en jouant avec l imaginaire/ reél de la retraite qui lui remets a la mort et a l art et encore a la débauche de tout le grand monde et de l espectacle.
>

__._,_.___

Activités récentes:

Et la critique cinématographique ?

Bonjour cher Malik,

J’attendais impatiemment ton opinion sur A dangerous method et… rien du tout ! Tu rappellerais-tu du nom d’un film assez récent traitant du même thème ? Et du nom du réalisateur ? Recommandes-tu quelque chose en ce moment ? Bon, il ne sort pas un chef-d’oeuvre tous les jours, mais à défaut ?

J’ai beaucoup aimé Tous au Larzac. Une affaire de génération, sans doute un peu, ou beaucoup ? Mais j’ai aussi été touchée par Sweetgrass : encore une affaire de moutons, bien plus récente, en même temps qu’un document ethnographique, puisque c’était la dernière transhumance de ces bergers et de leurs troupeaux (Montana, 2003).

Côté fiction, euh…, pas grand-chose.

A bientôt.

Dominique.

 

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Bonjour chère Dominique,

oui effectivement, rien du tout de mon côté: mais cela va venir! En attendant, je suis avec attention les échanges sur le sujet.

Quant à des recommandations, je suis un peu emprunté: je vois les films en général assez longtemps à l’avance et je suis au fait des sorties en Suisse et en Allemagne, mais pas en France. Je vais me tenir plus au courant des films qui sortent en France pour pouvoir être plus en phase avec le groupe. Mais pour info: je vois beaucoup de films qui ne sortent jamais en salle dans nos pays formatés multiplex et art & essai intello-centrés, c’est un peu malheureusement ma spécialité.

 

Par contre, je recommande par défaut, car je ne l’ai pas vu mais aimerais le voir: Bruegel, le moulin et la croix.

A bientôt,

malik

 

Sabina Spielrein, ou l’éclat d’une première analyse

Les réflexions sur le film A dangerous method sont toutes aussi passionnantes les unes que les autres!

J’aime beaucoup ton idée formidable de « l’éthique de l’amour » Catherine, même si je ne partage pas totalement ton jugement un peu trop « moral » de l’attitude de Jung, l’amour pour sa femme, Emma, »son pilier », et leurs nombreux enfants dépassant, me semble-t-il, la logique de l’intérêt matérialiste et de la sauvegarde de ses privilèges petits-bourgeois. Le film se termine sur une scène d’adieux amères qui offre à Jung aux prises avec ses contradictions un peu plus de profondeur.

Mais nous sommes sans doute devenus trop savants et trop orientés pour regarder ce film sans parti pris dans ce conflit historique qui a opposé Freud et Jung. J’aimerais d’ailleurs si c’est possible avoir d’autres avis « non psy » sur le film, comme indiquait Dominique en témoignant de ce que lui disait le fils d’une amie. Tu as vu le film je crois Laurent? Et toi Malik, ton avis de critique de cinéma est très attendu.

A revenir aux origines de la psychanalyse et aux cheminements, aux tâtonnements de ses pères fondateurs, dans la société germanique très conservatrice , entre-deux siècles, (Kinder, Küche, Kirche?), nous replongeons aussi dans un contexte historique inédit, qui a permis que la psychanalyse voie le jour, et cette histoire d’alcôve, très humaine, n’y aura pas été étrangère. Cette femme exceptionnelle, Sabina Spielrein, première analysante de l’analyste autorisé de lui-même (et de sa femme!) qu’était Jung, (sur la seule lecture de Freud, avant de le rencontrer, donc pas encore analysant), y aura pris sa part de façon étonnante, désirante et décidée dans son mouvement ascendant. Et ce malgré, (ou grâce à?) l’histoire d’amour passionnée et parfois cruelle qu’elle a vécu avec Jung…

Otto Gross, ce personnage énigmatique, rebelle, libertaire,trop vite éclipsé, m’a laissé un goût d’y revenir et de rechercher ses écrits, s’il en a laissés? C’est une des thèses du film,c’est aussi après avoir fait sa rencontre que Jung cède à son amour pour Sabina. Je me souviens d’un bon mot de Jacques-Alain Miller, qui en 2009, interrogé par l’actrice Barbara Schulz, qui interprétait Sabina sur scène, dans la pièce « Parole et guérison« (assez décevante au regard du film et de ses possibilités pour l’interprétation du rôle), et qui lui demandait si cela arrivait souvent qu’analyste et analysant tombent amoureux, il avait répondu par «C’est très rare, mais ce sont les risques du métier!»…

La transgression, l’amour et ses murs, les effets du transfert, étaient à ce moment-là des risques méconnus, qui justement seront précisés par la suite dans le dispositif de la cure, et de ses règles fondamentales, avec d’autres conséquences si elles sont appliquées comme des standards…

Les clivages théoriques du fait des appartenances religieuses, dans un moment de déclin du religieux, m’a aussi beaucoup touchée Véronique. C’est avec une certaine tristesse, voire un découragement, que j’ai pris la mesure de cet énoncé Freudien, à Sabina « Je crains fort que votre volonté d’union mystique avec le blond Siegfried n’ait été dés les origines voués à l’échec, N’accordez aucune confiance aux Aryens, nous sommes des juifs chère Mademoiselle Spielrein, et juifs nous le resteront toujours.» C’est précisément cette phrase qui m’avait déjà tourmentée dans la pièce «Paroles et guérison» de Didier Long, en 2009. Mon « identification » pendant le film repérée à la position de Sabina Spielrein, qui a tenté à plusieurs reprises de réconcilier les deux hommes : «si vous ne trouvez aucun moyen de coexister, les progrès de la psychanalyse s’en trouveront freinés.», m’interroge sur mon fantasme de vouloir réconcilier ceux qui se sont fâchés, ratés, manqués et qui s’épuisent dans des combats fratricides et des guerres de chapelles ravageants pour la cause analytique… Peut-être que c’est Christopher Hampton, l’auteur de ces mots attribués à Freud qui pourrait nous éclairer sur ce qu’il a voulu transmettre là? Sans doute était-ce dans l’air du temps et ce qui s’annonçait en terme d’horreur absolue avec la montée du nazisme, a contribué à ce repli communautaire et à ce terrible constat né d’attentes déçues pour le mouvement psychanalytique, qui vivra ses heures les plus sombres et encore peu travaillées avec les questions laissées par l’existence des camps d’extermination. Le livre d’Anne-Lise Stern, « Le savoir déporté » m’a beaucoup aidée et enseignée sur ces questions.

Ce que je retiendrai de ce film est donc cette « petite histoire » dans la grande histoire, passée inaperçue et pourtant essentielle, de la place d’une femme, entre deux hommes, analysée par l’un puis ensuite par l’autre, qui a provoqué leur rencontre en devenant un cas en partage, comme un go-between, un trait d’union, une passante, amante de l’un, élève de l’autre, entre ces deux hommes fondateurs et pionniers d’une découverte et d’une réflexion tout à fait inédite de la pensée, avec une façon d’aborder la souffrance psychique vraiment novatrice en donnant la parole au sujet, « tu peux savoir« , parole que Sabina Spielrein a choisi de prendre pour ne plus la lâcher. Sa mort prématurée, assassinée par les nazis avec ses enfants,en 1942, emporte ce que cette psychanalyste aurait pu découvrir et travailler par temps de paix. On peut d’ailleurs mettre en rapport ce film avec ce que Dominique indique du film Augustine, de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat , qui montre comment avec Charcot et le manque d’écoute des médecins moins intéressés à déchiffrer l’énigme des hystériques qu’à les observer et à les expérimenter comme des rats de laboratoire, l’invention freudienne et la talking cure ont aussi ouvert une voie unique d’écoute, de compréhension et d’émancipation des femmes.

Je reste sur la question du titre ambivalent du film de Cronenberg, A dangerous method, qui n’est pas sans rappeler la phrase de Freud à son arrivée à New-York avec Jung qui aurait dit : « Je vous apporte la peste« …Qu’en est-il aujourd’hui?

Vous l’aurez compris, c’est un film qui m’a beaucoup touchée, m’a fait travailler, et me fera travailler encore. Merci à Alain et Dominique pour leurs liens très intéressants sur le sujet.

A vous lire,

Amitiés,

Géraldine.

 

Clients, au théâtre Paris-Villette

bonne année à tous et à toutes, bonnes jambes et bon œil !je vous envoie ce mail, au sujet d’un spectacle qui m’a intéressé dans la mesure où il aborde et nous interpelle sur la jouissance masculine à partir de l’expérience d’une prostituée, qui s’est fait militante et poète, Grisélidis Real. Si vous n’arrivez pas à voir le spectacle allez voir ses interview sur la toile, tout à fait passionnant.Amicalement, Laure

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« la prostitution est un art, une science, un humanisme »

Bonjour,

Membres du « club CLIENTS », nous avons besoin de vous!

Tout d’abord, merci à ceux qui sont venus revoir CLIENTS dernièrement.
Comme vous le savez, nous sommes maintenant au cœur des représentations du spectacle qui se dérouleront jusqu’au 21 janvier. Pour soutenir Clotilde Ramondou et son spectacle, c’est le moment de relancer vos contacts.

« Alex. Sourd, petit, visage un peu dur – ne bande pas – à manipuler avec tendresse et une extrême douceur. 80Frs. Ne pas sucer – baise tant bien que mal… »

Pour cela, de très beaux articles viennent de paraître :

—>Un fauteuil pour l’orchestre  » Clients d’après Grisélidis Réal par Clotilde Ramondou au Théâtre Paris-Villette »
—>Rhinoceros  « Complainte d’une fille de joie »
—>Not for tourists  « Clients – Clotilde Ramondou au Théâtre Paris-Villette »
—>Le souffleur  « Où sont tous mes amants? »

N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’informations:

Lila Destelle            01 40 03 72 41     ldestelle@theatre-paris-villette.com
Caroline Dietler      01 40 03 72 38     cdietler@theatre-paris-villette.com
Joséphine Hazard                                  jhazard@theatre-paris-villette.com

Merci à vous !

L’équipe des relations avec le public

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« Chacun des hommes qui vient ici est unique, et je les aime de plus en plus même si c’est dur, insupportable, terrible, et qu’ils viennent déverser en moi non seulement leur sperme, mais aussi leurs fureurs, leurs douleurs, l’amertume, la douceur, le désespoir des pauvres et des blessés. Je suis une urne secrète, remplie à se briser, folle et sourde, impuissante… Et lucide. Eclatée.»

Bonjour à tous,

Vous avez aimé un peu, beaucoup ou passionnément le spectacle Clients présenté en Avril 2011 lors du festival ‘Hautes Tensions’. Nous vous proposons donc de faire partie du « Club Clients » pour la reprise du spectacle au Théâtre Paris-Villette du 3 au 21 janvier 2012.

Soyez nos relais privilégiés et aidez-nous à vite relancer le bouche à oreille pour Clients (par mails, amis Facebook…)

Pour cela, le Théâtre Paris-Villette vous propose:

•    Pour vous même : un tarif à 6€ (préciser au téléphone « Club Clients » lors de la réservation)
•    Pour vos amis : un tarif coup de coeur à 10€ (préciser au téléphone « Coup de coeur » lors de la réservation)
•    Pour les groupes à partir de 5 personnes : Le carnet Paris-Villette composé de 5 billets non nominatifs à 6€ soit 30€ le carnet.

Voici les informations pratiques sur Clients que vous pouvez transférer à vos contacts, ainsi qu’un dossier de présentation en pièce jointe.

Nous comptons sur vous, et n’hésitez pas à réserver dès maintenant !

À très bientôt 

CLIENTS
CLOTILDE RAMONDOU / GRISELIDIS REAL

3 > 21 JANVIER 2012
lun, mer, sam 19h30 – mar, jeu, ven 21h

Pas de littérature (le sujet – la prostitution – en a pourtant suscité beaucoup, et pas de la meilleure encre), mais la simple énumération, sans romance ni pathos, des caractéristiques sexuelles des clients de Grisélidis Réal, qu’elle avait soigneusement notées dans un petit carnet noir de 1977 à 1995, le tout suivi du tarif pratiqué. C’est cela Clients. Les notes du carnet demeurent des notes et l’on ne pensait pas que Clotilde Ramondou oserait nous les restituer dans leur sèche nudité. Et pourtant… elle ose. Et transforme son pari – c’en était un assurément – en un spectacle d’une force inouïe et, paradoxalement, non dénué d’une certaine douceur. À ses côtés circulent onze hommes se regroupant pour former un choeur sous la direction de Jean-Christophe Marti et interpréter trois lieder de Franz Schubert. Alors qu’elle égrène l’énumération des 220 hommes saisis sur le vif et par ordre alphabétique, dans leur intimité la plus secrète : c’est toute l’humanité qui défile ainsi. Elle les appelle un à un : on se croirait chez Sade recensant toutes les perversions dans Les 120 journées de Sodome… On est plus près, en fait, de la beauté et du cérémonial d’un texte de Jean Genet.
Jean-Pierre Han
Frictions – la revue en ligne

Spectacle pour adultes

d’après Carnet de Bal d’une Courtisane de Grisélidis Réal, mise en scène et interprétation Clotilde Ramondou, direction musicale Jean-Christophe Marti, hommes de choeur Florent Baffi, Florent Cheippe, Antoine David, Patrick Gufflet, Christophe Gutton, Emilien Hamel, Mehdi Idir, Lionel Mendousse, Victor de Oliveira, Pascal Omhovère, Michel Ouimet, collaboration artistique Hervé Falloux, costumes des hommes Laure Deratte, lumière Marc Delamézière, régie générale Julien Barbazin.

RESERVATION 01 40 03 72 23
resa@theatre-paris-villette.com
www.theatre-paris-villette.com

 

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Chère Joséphine !

Merci pour cette info. Cela fait longtemps que j’ai envie de découvrir Grisélidis Real et que ça ne se fait pas.

Une date pour une mini-escapade au théâtre Paris-Villette ? Hm… avant le 21 janvier, dur dur. Le vendredi 20, peut-être. Seule possibilité pour moi. Y a-t-il des amateurs ?

Dominique.

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Dommage que mon carnet d’escapades soit archi-plein pour ce we-là. Si vous le pouvez allez-y je n’ai lu que d’excellentes critiques. A vous, Véronique O

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Zut ! j’aurais trop aimé aller voir ça !!! Mais le 20 je ne peux pas. Mariana

Freud et Cronenberg, le parti du corps

Et voilà, Géraldine, avec l’éclat de son commentaire. Il est saisissant de constater que dès les débuts de la psychanalyse, il y a un partage des eaux entre les tenants du corps ( la jouissance) et les servants du dire ( le désir ), entre Jung et Freud ici. Je ne crois pas que cela relève d’un manque d’expérience, d’une technique naissante, mais plutôt d’un choix éthique hors pédagogie.

En attendant le non psy que tu appelles, Géraldine, si nécessaire pour nous, je brûle d’envie quand même de vous transmettre quelques mots du cours d’Alain Merlet à la section clinique de Bordeaux sur A Dangerous Method, ce vendredi 13, mots recueillis auprès d’une collègue qui y a assisté.

Alain Merlet indique que le réalisateur prend le parti de Freud parce que celui-ci a préféré le corps au psychique, comme lui, au cinéma: c’est la bouche qui doit déterminer le jeu de l’acteur, aussi  ne faut-il pas visser les acteurs à la story. Il laisse d’abord parler les acteurs pour que puisse se dessiner dans leur jeu quelque chose de l’invention. On a l’impression que Jung s’intéresse au corps autrement.

A. Merlet nous dit que ce qui compte pour Freud ne sont pas tant les aveux que le cheminement, forcément signifiant, par lequel on les obtient. Ce que Freud critique c’est la photographie du corps, donc ce qui est. Ce qui compte, c’est le dit. Jung obtient des éléments par la pire des psychanalyses appliquées. Il va droit au but en court-circuitant la défense du sujet. La catharsis néglige le symptôme. Qu’est-ce qui reste alors, sinon le passage à l’acte.

Pour Freud, nous rappelle Alain Merlet, c’est la chaîne des signifiants qui mène à la remémoration, plus que la scène elle-même, qui compte.

Céder sur le bien-dire vous destine inévitablement au mal faire. C’est ce qui arrive à Jung et Gross, à l’envers de Freud et, osons le dire, de Sabina Spielrein. Son activité d’analyste, brillante, fut trop courte, fauchée par la barbarie nazie.

On pourrait lui rendre hommage, chère Vm, en publiant son article remarquable sur une phobie d’enfant, article dont je vous ai envoyé le lien à Escapadesculturelles.

Bien à tous
Alain

Soirée Walser café-psychanalyse du vendredi 13 janvier 2012

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De la part de Alain Gentes Envoyé : samedi 14 janvier 2012 07:26

Bonjour chers Es Capadiens,

Cher José, Avez-vous bien Walser avec Lacadée autour d’un café sous le rythme endiablé de la psychanalyse?

Venez donc voir ce que voit Diane Arbus dans ses photographies cet aprem au jeu de paume, à 15h ! SANS SE POMMER !!!!!

Al 

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From: josé rambeau Date: Sat, 14 Jan 2012 13:55:33 +0100

Cher Alain et autres escapad’heures,

La soirée Robert Walser avec Philippe Lacadée a été un moment de culture à la fois littéraire et clinique fort agréable avec des intermèdes de lectures interprétées entre autres par un comédien Alain Gintzburger qui a su transmettre ce qui faisait vivre cet écrivain psychotique. Des photos ont été prises me semble-t-il de cet événement.

Je vous invite à venir au prochain Café Psychanalyse du samedi 11 février avec Marie-Hélène Brousse au Théâtre de Châtillon et de déjà noter dans vos agendas le café Psychanalyse suivant qui aura lieu le vendredi 13 avril 2012 à 20h30 toujours au Théâtre de Châtillon sur le thème « Jean Genet et la prison » avec pour invités Alain Merlet et Hervé Castanet deux psychanalystes grands connaisseurs de l’œuvre et de la vie de Genet. Cette soirée sera à nouveau agrémentée de lectures de textes de Jean Genet.

A bientôt le plaisir d’escapader à nouveau ensemble.

José

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Le 14 janv. 2012 à 14:18, Mariana Alba de Luna a écrit :

Cher José,

Très belle soirée et toujours si intéressant d’écouter l’intarissable Philipe Lacadée au sujet de Walser.

Cette ultime réduction des voix à un petit bruissement du crayon, moins incisif qu’une pointe de couteau (la mère) ou d’une plume, ondulant là sur la feuille, est mon hypothèse de travail et que je poursuis en suivant le travail de Philippe, cela pour Walser comme tentative pour défendre son dernier battement du vivant et son territoire du crayon – la sonorité du signifiant réduite à une lettre.

En cela il rejoint d’une certaine façon l’autiste sonore.

A poursuivre…

Les lectures du comédien Alain Gintzburger, de notre collègue Michèl Simon et de toi-même, sur les écrits de Walser, étaient une très belle surprise.

J’ai accompagné Philippe et les autres sur Paris, nous avons poursuivi la conversation tout en faisant encore les chemins de travers vers Paris. Malheureusement il n’y a pas eu d’enregistrement! J’ai oublié d’activer le micro… Les voix sont restées muettes cette fois, peut-être le esprit ricaneur de Walser était par là à nous jouer des tours…

Mariana

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De la part de nouage Envoyé : dimanche 15 janvier 2012 15:35

Chers Mariana, José, Alain, et amis escapadeurs,

Oui, très belle soirée Café-psychanalyse, avec un remarquable invité, Philippe Lacadée, homme de lettres et psychanalyste, tout à fait fascinant en orateur intarissable et passionné par son sujet, en passeur attentif et amoureux de l’oeuvre de Robert Walser.

Après avoir d’abord questionné Philippe Lacadée sur les circonstances de sa rencontre avec Walser, José a souhaité en apprendre plus sur le lien très particulier de Walser avec les femmes, en référence aux nombreux personnages féminins de ses écrits et c’est une anecdote incroyable qui nous a été racontée: Walser n’a jamais embrassé une femme…

La poésie particulière qui se dégage des textes de Walser, rendue par des lectures formidables, vivantes, incarnées, à plusieurs voix, une belle surprise, comme tu le soulignes Mariana, a donné je crois à chaque un des participants de cette soirée l’envie de vouloir s’y intéresser davantage… la salle était subjuguée!

J’ai rencontré sur place avec joie notre amie Brigitte Lehmann, IRL, qui nous suggérera bientôt quelques propositions d’escapades. Je vous envoie un petit film, court extrait de la lecture du comédien Alain Gintzburger, d’un passage du brigand je crois, à vérifier, il y en a eu plusieurs…

Cher José, je voulais ici rendre hommage à ce que tu as créé avec ces soirées café-psychanalyse, enseignantes et donnant le goût du savoir par la médiation de l’art et te dire que c’est aussi ce qui a inspiré en quelque sorte l’idée d’Escapades culturelles.

Bien à toi.

Amicalement, bon dimanche à vous!

Géraldine.

expo photo mandala

Si les mandalas peuvent être regardés comme des œuvres d’art, pour le bouddhiste, ce sont avant tout des représentations symboliques ayant une valeur sacrée extrêmement puissante.
Dix moines tibétains de l’Université tantrique de Gyütö ont réalisé un mandala de sables colorés à Saint-Merry du 14 au 16 juin 2011.
Cette expérience à la fois spirituelle et artistique s’est terminée par une cérémonie de prière spécifique, puisque les moines ont chanté selon un mode diphonique, mêlant à nouveau culture et spiritualité.
Le photoreporter Xavier de Torres a été invité et a réalisé une œuvre photographique.

Pour poursuivre dans l’esprit de Jung dont on sait la passion pour les mandalas et à partir desquels il a construit une théorie pour le moins farfelue. En revanche le travail photographique de Xavier ne l’est pas.

J’envisage de m’y rendre le 28 dans l’après midi juste avant le cartel,   http://www.voir-et-dire.net/?Xavier-de-Torres-Mandala  

Expo photo sur la création d’un mandala par des moines bouddhistes : Du 14 au 29 janvier 2012 Claustra saint-Merry 76 rue de la verrerie 75004 PARIS  

J’ai eu l’occasion d’assister à la création de plusieurs mandalas au Népal c’est magnifique. Ils sont faits de sable et symbolisent ainsi l’éphémère.

V.O

L’oubli de Cronenberg

Ah transfert, quand tu nous tiens ! C’est je crois la question de Cronenberg dans A Dangerous Method. Interviewé par un journaliste, il dit avoir fait ce film sans penser aux précédents… Et disant cela, oh surprise, il se rappelle son 1er film, un court métrage de 7 mn ! Et devinez son titre: Transfer !!!

Trouvons-le, et visualisons-le ! 

Bises à tous.

Alain

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ha ha, super, alain, cette découverte !!!

« Son premier film, Transfer (1966, un court métrage de 7 mn), traitait déjà de la relation ambiguë entre un psychiatre et son patient : on y voyait un patient suivre son analyste de manière compulsive. Et le duel Freud/Jung dans A Dangerous Method n’est pas sans rappeler l’aventure troublante des médecins jumeaux de son chef-d’œuvre Faux Semblants. Mais, devant son dernier opus, le film de l’auteur auquel on pense le plus (on reste frappé par la monstration de l’hystérie chez Sabina Spielrein/ Keira Knightley qui crée un corps crispé à la beauté convulsive), c’est Spider. »  http://mobile.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/a-dangerous-method-par-le-docteur-106654

v

 

RV : Bruegel, le moulin et la croix

Bruegel, le Moulin et la Croix

1h31mn‎‎ – Drame‎‎ – VO st Fr‎- Distribution: Rutger Hauer, Charlotte Rampling, Michael York, Oskar Huliczka, Joanna Litwin

Année 1564, alors que les Flandres subissent l’occupation brutale des Espagnols, Pieter Bruegel l’Ancien achève son chef-d’œuvre « Le Portement de la croix ». Derrière la Passion du Christ, on peut lire en filigrane la souffrance d’un pays en plein chaos. Le film plonge littéralement le spectateur dans le tableau et suit le parcours d’une douzaine de personnages au temps des guerres de Religion. Leurs histoires s’entrelacent dans de vastes paysages peuplés de villageois et de cavaliers rouges. Parmi eux Bruegel lui-même, son ami le collectionneur Nicholas Jonghelinck et la Vierge Marie

Vendredi 20 janvier à 17h 55 aux 7parnassiens. On entre dès qu’on peut et on se retrouve directement dans la salle ? Je devrai filer vite après. On échangera nos impressions sur Escapades
Dominique.

Cinéma Les parnassiens 98 boulevard Montparnasse 75014 Paris M° Vavin / Notre-Dames des Champs / Montparnasse / Edgar Quinet

Ce soir : Projection de « Compagnie », 23 janvier, ENTREE LIBRE

Lundi 23 janvier à 21h, au théâtre de la Madeleine, soirée commémorative en l’honneur de Pierre Chabert, comédien et metteur en scène, qui a travaillé avec Beckett pendant vingt ans. Projection de « Compagnie ». Entrée libre. C’est à 21h et il ne semble pas nécessaire de venir trop longtemps à l’avance. Vers 20h 45 ? Nous devons cette information à Jo Attié. Qu’en dites-vous ? eoik ?

Dominique.

du maniage du désir et de la jouissance

 Cher Alain,
 
Concernant le film A Dangerous Method, tu écrivais :  « Il est saisissant de constater que dès les débuts de la psychanalyse, il y a un partage des eaux entre les tenants du corps ( la jouissance) et les servants du dire ( le désir ), entre Jung et Freud ici. »

Jung, tenant du corps, jouissance, et Freud, servant du dire, le désir. Cette opposition, au moins dite de cette façon, tient-elle ?  Est-ce vraiment ce dont il s’agit ? Je pose la question. On a vu, l’année dernière encore, à son cours sur Yad’lun, Jacques-Alain Miller soutenir que le désir, l’ontologie, c’étaient du vent, que seul ce qui tenait, c’était ce qui existait, le un, le corps, la jouissance. Par ailleurs, il est vrai que le dire (à l’autre)  ira à mettre au jour, à cerner le réel en jeu dans la souffrance du sujet. (je ne dis évidemment pas que Jung aurait été en avance sur son temps, aurait tout compris, et que c’est sa voie qu’il s’agit de reprendre !!!!), je questionne ta  formule.

Ce que j’essaie d’interroger, c’est qu’il y a un endroit où Miller semble indiquer qu’il y a à détrôner quelque peu le désir, dans la mesure où il ne s’agit d’un semblant, et que le semblant seul ne peut que mentir, contourner la jouissance. Il me semble qu’il indiquait qu’il y avait presque de nouvelles manières de faire, de nouvelles écoutes à inventer pour le psychanalyste, et surtout pour le psychanalyste du XXIème siècle.

« Lacan enseignait le primat de l’Autre dans l’ordre de la vérité et celui du désir. Il enseigne ici le primat de l’Un dans la dimension du réel. Il récuse le Deux du rapport sexuel comme celui de l’articulation signifiante.  Il récuse le grand Autre, pivot de la dialectique du sujet, il lui dénie l’existence, et le renvoie à la fiction. Il dévalorise le désir, et promeut la jouissance. Il récuse l’Être, qui n’est que semblant. L’hénologie, doctrine de l’Un, surclasse ici l’ontologie, théorie de l’Être. L’ordre symbolique ? Ce n’est rien d’autre dans le réel que l’itération du Un. Doù l’abandon des graphes et des surfaces topologiques au profit des nœuds, faits de ronds de ficelle qui sont des Uns enchaînés.

Souvenez-vous : le Séminaire XVIII soupirait après un discours qui ne serait pas du semblant. Eh bien, avec le Séminaire XIX, voici l’essai d’un discours qui prendrait son départ du réel.
Pensée radicale d’l’Un-dividualisme moderne. »

Jacques-Alain Miller, Quatrième de couverture du Séminaire  …ou pire

« Alain Merlet, écris-tu, indique que le réalisateur prend le parti de Freud parce que celui-ci a préféré le corps au psychique, comme lui, au cinéma: c’est la bouche qui doit déterminer le jeu de l’acteur, aussi  ne faut-il pas visser les acteurs à la story. Il laisse d’abord parler les acteurs pour que puisse se dessiner dans leur jeu quelque chose de l’invention. »

Donc, Merlet, ici, indique bien, de façon très intéressante,  le corps comme « cela dont ‘ça’ part » – aussi bien pour Freud que pour Croenenberg. C’est à faire jouer la bouche, la jouissance orale, que la jouissance pulsionnelle se voit tirée, halée dans le dire, au moins pour partie. Et la pulsion, silencieuse, trouvant ses mots verra « advenir un nouveau sujet » pour reprendre les mots de Freud. Un nouveau sujet vient à naître, ce qui procure au parlêtre un apaisement. Il n’est plus seulement jouet de l’étrange. Il peut s’inventer un histoire, construire son fantasme. Le problème, plus tard, c’est qu’une fois ce fantasme traversé, quand cela va jusque là, ainsi qu’en parlait Miller l’année dernière, il y a du reste, les fameux « restes inalysables ».  Et l’on assiste, chez ces sujets, à une déflation du désir. Il y a alors un quelque chose de nouveau à inventer. S’agit-il d’un savoir-faire, comme tu l’as quelquefois laissé entendre. Savoir manier désir et jouissance, réajuster toujours la répression de l’un par l’autre. Consentir au semblant, en connaissance de cause, consentir, agir son désir en « sinthome », sans faire la passe sur son mode de jouissance, et ce qu’il comporte d’inanalysable. Bien sûr, ce n’est pas cela dont il est question dans le film. Le film, comme tu le disais récemment, c’est le temps de la découverte, de la découverte du transfert. 

« On a l’impression, ajoutes-tu, que Jung s’intéresse au corps autrement.« 

Mais comment ?

« A. Merlet nous dit que ce qui compte pour Freud ne sont pas tant les aveux que le cheminement, forcément signifiant, par lequel on les obtient. »

 Oui, les aveux, le pire. Mais nous montre-t-on un Jung qui pousse aux aveux? Il ne me semble pas. Il me paraît honnêtement tenter d’appliquer ce qu’il a lu dans Freud, avant même de l’avoir rencontré, et sans savoir s’il n’est pas le premier à le faire.

« Ce que Freud critique c’est la photographie du corps, donc ce qui est. »

« La photographie du corps ? » Que veux-tu dire ? L’expression me paraît heureuse, mais je ne vois pas ce que le film nous en dirait. Entends-tu le corps dans sa représentation, et donc signifiant, et donc de l’être ». Au revers du corps pulsionnel ? Qui lui ne passe pas, jamais, à la représentation, au signifiant ? En quoi Jung a-t-il fait « photographie du corps » ?

« Ce qui compte, c’est le dit. Jung obtient des éléments par la pire des psychanalyses appliquées. Il va droit au but en court-circuitant la défense du sujet. La catharsis néglige le symptôme. Qu’est-ce qui reste alors, sinon le passage à l’acte. »

Donc, pour toi, ce dont il s’agit c’est de catharsis? Mais les névrosé(e)s n’étaient autrefois pas les mêmes qu’aujourd’hui. Je me demande d’ailleurs ce qui les a fait tant changer. Les hystériques. Elles arrivaient à l’analyste avec un corps autrement plus parlant qu’aujourd’hui, se démenant comme un beau diable. 

Il me semble, quant à moi, que le premier travail de Jung avec Spielrein est psychanalytique (le travail sur la chaise), et obtient d’ailleurs des résultats remarquables, du moins est-ce ce que le film laisse entendre. Ce n’est que dans un deuxième temps, effectivement, comme le souligne Géraldine, dans la méconnaissance, dans l’ignorance des effets de transfert etc., sous l’influence de la rencontre avec Gross, qu’il y a passage à l’acte.  

« Pour Freud, nous rappelle Alain Merlet, c’est la chaîne des signifiants qui mène à la remémoration, plus que la scène elle-même, qui compte.« 

Oui, c’est très juste, il s’agit d’extraire de la scène le signifiant, et c’est le moment de l’invention, et de l’apaisement, et c’est la voie qui ouvre au désir, qui est d’abord désir de dire, encore. A l’autre, dire encore, et c’est le transfert, l’amour. Et ça, il va falloir l’épuiser, jusqu’à aller à ce qui ne passe pas, ne passe pas dans le transfert, n’appelle plus l’amour (vers une nouvelle solitude, « la différence absolue »). 

« Céder sur le bien-dire vous destine inévitablement au mal faire. C’est ce qui arrive à Jung et Gross, à l’envers de Freud et, osons le dire, de Sabina Spielrein. Son activité d’analyste, brillante, fut trop courte, fauchée par la barbarie nazie.« 

Oui, tu as raison, de cela au moins, bien-dire, nous pouvons être responsables.

v

 

 

plutôt servant du corps (évocation de la perversion) et tenant du dire (ne pas céder sur le désir )

Chère, très chère Véronique,

Ta plume est tranchante, comme l’est sans nul autre pareil l’acte, lorsqu’il est analytique. J’aime cette joute éthique que tu ouvres à partir de nos commentaires sur A Dangerous Method de Cronenberg.

J’y réponds, avec délice, mais, comme tu vas le voir, pas sans contradiction que j’abhorre d’éliminer.

Tout d’abord, je maintiens ma formule « tenant du corps/ servant du désir » à ceci près, d’en inverser les termes: plutôt servant du corps (évocation de la perversion) et tenant du dire (ne pas céder sur le désir ). Elle n’est pas tout-à-fait exacte mais tellement opératoire dans la clinique.

Ensuite, s’il y a lieu de distinguer l’hénologie de l’ontologie, la jouissance du désir, Yad’lun de l’Être, il ne s’agit pas pour autant de les OPPOSER, ni de retenir les Uns, en jetant les Autres à la corbeille. L’Un ne va  sans l’Autre qu’APRES S’EN ÊTRE SERVI. Le Yad’lun ne se découvre qu’après avoir épuisé le circuit du Dire, du Désir. Ce qui prend un certain temps. À négliger le circuit du semblant, vital, on fait un court-circuit de jouissance, comme Jung.

Si ce dernier se sert du semblant pulsionnel de Sabina pour faire jouir son corps, Freud, à la différence, est intéressé par la façon dont une structure langagière vient coincer de la jouissance de corps.
Ce qui existe ne tient pas sans le vent du désir. Ou bien alors ça tient holophrasé, comme dans l’expérience autistique.

Jung, dans le film, fait exister la jouissance de l’Autre, en étant son instrument, son serviteur. Freud est plutôt intrigué dès le début par ce que Lacan découvrira tardivement, à savoir le signifiant comme moyen premier de jouissance. La lalangue  épingle cela.

Je vous trouve, Géraldine et toi, bien gentille à l’égard de Jung. Sa position ne me semble pas résulter d’un manque de savoir sur le transfert, qui était vrai pour Freud aussi, mais d’un parti pris sur la jouissance, prélude à ce que sera sa position conciliante à l’égard des nazis.

Tes deux dernières remarques me siéent.

Je souscris aussi à cette conception du symbolique à partir du dernier cours de JAM:  » ce n’est rien d’autre dans le réel que l’itération du Un. »  Son destin va dépendre de la présence ou pas de l’orienteur phallique.

Voilà, chère Véronique, quelques étincelles de plus pour entretenir le feu de nos échanges.

À toi.

Alain

 

Ruy Blas de Victor Hugo joué au Théâtre des Gémeaux à Sceaux

Chers escapadeurs,

Je viens de rentrer d’une représentation de Ruy Blas de Victor Hugo joué au Théâtre des Gémeaux à Sceaux (C’est une Scène nationale). Je suis emballé. C’est une première en Ile de France.

La mise en scène est de Christian Schiaretti. Fantastique ! Et le jeu des acteurs est génial avec beaucoup d’humour malgré le sérieux du thème. La pièce dure trois heures avec un entracte au milieu.

Je vous conseille vivement d’y aller car c’est un événement théâtral. Il y a longtemps que je ne m’étais réjoui à ce point d’une pièce classique. La pièce se joue jusqu’au 29 janvier. Réservation au 01 46 60 05 64

Bien à vous dans l’attente de vos commentaires si vous y allez.

José Rambeau

La destruction comme cause du devenir

On trouvera à cette adresse des extraits de l’article de Sabina Spielrein « La destruction comme cause du devenir» (Revue française de psychanalyse 4/2002 (Vol. 66), p. 1295-1317) :

URL : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2002-4-page-1295.htm www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2002-4-page-1295.htm.

Chers Alain et Véronique,

Je suis très intéressée par vos échanges sur A Dangerous Method, film qui nous sollicite beaucoup décidément!  Peut-être parce qu’il appelle les origines de la psychanalyse, et la question des origines… Je me sens à la fois de l’Un et de l’Autre: Merci Véronique pour ton développement sur l’Un et l’hénologie, cette piqûre de rappel du cours 2011 de JAM. Les patients psychotiques nous en apprennent quelque chose de ces « Uns tout seuls », non-branchés sur l’Autre… Et puis  je suis assez d’accord avec Alain aussi: Pas d’Un sans l’Autre, dans les circuits de la demande et du désir. En toute fin d’analyse seulement, il devient possible de cultiver un peu son « autisme » (après la découverte de cette jouissance et  que Yad’lun)… pour le repos de chacun et afin de mieux s’en éveiller et en sortir! Comment dire cela? c’est un repos, un retrait vivant, à l’envers de la pulsion de mort, et qui permet d’être éveillé.

Bise à tous

Catherine Decaudin

Spielrein, Jung, Freud et le Néophyte

ou de l’intérêt d’une méthode dangereuse…

Tout le monde s’accorde, et je m’accorde avec le monde, pour dire que ce Cronenberg n’est pas du Cronenberg. Il n’y aurait aucun problème à cela, après tout qui en veut à Kubrick de n’avoir jamais fait du Kubrick, si cet entre biopic sur fond historique (mais biopic de qui? Jung, Spielrein, Freud) et historique (mais lequel? la tragédie austro-helvétique entre un père et un fils spirituel, la naissance d’une méthode de psychanalyse, la relation défendue et très originale depuis Adam et Eve entre un homme et une femme) sur fond de biopic, n’était poli, léché, presque récuré de tout ce qui fait le grain d’un cinéma qui n’a pas besoin d’être auteur pour donner un point de vue, une perspective. Entre le « Festin nu » et « CRash », il y aurait eu de la place pour faire un film avec un peu d’aspérité, quelques angles saillants, rentrants, aigus, pourquoi pas obtus ou nuls au lieu de ces angles plats et droits… pellicule immaculée remplie de libido.

Pour le néophyte, et nous étions plusieurs dans la salle, les premières scènes de Keira Knightley sont pénibles à regarder. Freud et Jung sont sans expressions ni émotions. Contraste encore plus frappant et marqué au regard du jeu de Keira Knightley. Le seul qui ait du corps, de l’esprit et une âme, c’est Otto Gross, avec un Vincent Cassel magnifiant l’état non pas seulement d’un être mais d’une époque, celle de la Mitteleuropa du début du siècle passé.

Jung a-t-il vraiment fait ce rêve à la fin du film? Quoi qu’il en soit, si oui, il aurait été préférable de ne pas le mettre et de ne pas mêler une intuition historique (déjà assez présente, mais ici avec un objectif de raison, par les multiples répétitions de Freud sur le danger d’être juif) à la chute du film, et si ce rêve fait partie de la licence artistique, Cronenberg devrait demander un renouvellement de son permis d’être considéré comme un réalisateur majeur de notre époque… Et je passe sur la musique qui accompagne par l’oreille le spectateur un peu endormi sans doute par cette soupe sans saveur pour lui faire remarquer que Frau Sabina Spielrein est en crise. Et je repasse, sur cet improbable plan d’une longueur exceptionnelle pour ce qu’il a dire, qui avait déjà été abondamment annoncé dans un plan viennois sur la virginité supposée de Frau Spielrein… et si nous n’avions pas compris, le doute n’étant pas tout à fait levé, nous avons pu contempler à loisir avec la dame toute à son émoi la preuve de cette rupture d’hymen… Alléluia, on est vraiment heureux pour eux! Peut-être que d’autres choses à passer m’ont échappée…il faut dire que je me suis assoupi plusieurs fois… Ce ménage à trois, quatre je suppose avec Cronenberg,  doit certainement être un des meilleurs succès commerciaux du réalisateur canadien… au moins tout ceci n’aura pas servi à rien.

Le néophyte, qui cherche quand même à comprendre quelque chose à cette naissance de la talking cure en regardant le film se demande à la fin qui cure qui? Le générique passé, le néophyte se dit, et je le cite: « heureusement que Frau Spielrein lui a fait effectuer une ‘body cure‘… Dr. Jung semble s’être enfin découvert à travers elle… »

Malik Berkati, le Néophyte

[source de l’illustration : http://anarchietotale.free.fr/neophytenouvellesperspectives.html ]

TIME de Kim Ki-Duk

Psychanalyse et Cinéma
Vendredi 27 janvier 2012
Séance de 20 h 30
ECF 1, rue Huysmans, Paris 6e

TIME de Kim Ki-Duk

Le partenaire transformable
Damien Guyonnet

En Corée, un couple contemporain, comme il en existe tant d’autres. Ils s’aiment tendrement, mais un jour la jalousie entre en scène. Puisque Ji-Woo regarde les autres femmes, See-Hee en conclut qu’il se lasse d’elle. Elle se doit de réagir. Prête à tout, elle s’adresse au médecin et au bistouri pour changer de visage…

La démonstration de Kim Ki-Duk est radicale. Il dépeint un monde où la logique capitaliste dénature la logique amoureuse : où chacun se vit à la fois comme objet interchangeable, d’où la jalousie, et comme objet consommable (c’est-à-dire jetable), d’où la hantise de ne plus être aimé. Il rend compte également du sans limites qui sévit dans une modernité où la science rend possible les actes les plus fous.

Nous essayerons de dégager la vérité du lien qui unit ces deux êtres qui, par amour, sont amenés, l’un après l’autre, à perdre la face, pénétrant dès lors dans une zone où la jouissance côtoie la mort. Et puisque c’est See-Hee (devenue Say-Hee) qui a enclenché cette folle spirale, la logique de son acte devra être interrogée au regard de la question du double certes, mais surtout de l’altérité et de la féminité.

Pour notre prochaine soirée, nous vous proposons une nouvelle formule. Afin de laisser plus de temps à la discussion, nous vous adressons à l’avance les textes des intervenants. Nous en débattrons directement à la suite de la projection du film.

Vous trouverez donc en pièces jointes les deux commentaires suivants : Charles-Henri Crochet, Vers l’infini et au-delà…  et  Carolina Koretzky, « Être Autre à elle-même »

 

Les maîtres de l’âge d’or du cinéma de genre japonais

Kenji Misumi (1921-1975) et Tai Katô (1916-1985) doivent à une reconnaissance tardive voire posthume leur statut de « maître du cinéma de genre ». Par cette appellation, il faut entendre une aptitude commune à ces
réalisateurs de studios des années 1960 à préserver la qualité héritée de leurs prestigieux aînés (Ozu, Mizoguchi, Kinugasa, Itô, Itami) dans un contexte de cinéma d’exploitation de plus en plus contraignant en raison de la crise de l’industrie du cinéma. Cette nouvelle série inaugurée avec Misumi et Katô présentera de nombreux exemples de ce travail de « maître » – d’auteur derrière le faiseur – qui pourrait se définir ainsi : un metteur en scène porteur d’un message personnel et inventeur de formes dans le respect de la tradition et de la conception du septième art propre à sa compagnie. (La Daiei pour Misumi et la Tôei pour Katô.)

http://www.mcjp.fr/francais/cinema/les-maitres-de-l-age-d-or-du/

C’est une information

Votre,
Guy.

Bruegel, le Moulin, la Croix et l’image

– ou du passage du fixé à l’animé – 

L’exercice était périlleux. Le résultat remarquable. Encore un film à ne pas mettre sous tous les yeux, car exigeant. Du cinéma qui offre un espace d’expression au spectateur et lui laisse la latitude d’aller au-delà de l’image montrée. Du grand art généreux, d’autant plus noble que le travail, l’énergie, la réflexion et la créativité mis dans ce film de Lech Majewski crèvent l’écran.

Invité dans le tableau de Pieter Bruegel l’Ancien, Le Portement de Croix, le spectateur suit la journée de quelques personnages du tableau choisis parmis les 500 figurants qui entourent le protagoniste principal: le Christ portant sa croix. Les petites histoires des hommes, dans leur quotidien se mêlent à la grande histoire de l’humanité, à travers les travers de ceux qui la compose, les petites et grandes lâchetés, les petites et grandes joies, les petites et grandes misères, les petites et grandes cruautés sur fond de grande histoire, l’invasion de la Flandre par les Espagnols au XVIème siècle, l’Inquisition vs. le Protestantisme.

Le plus impressionnant sans doute est la posture de l’artiste, Bruegel lui-même, qui tantôt explique son dessein, tantôt semble être le dessin, position d’acteur et de figure… fascinant.

Les trois acteurs principaux, Rutger Hauer, Bruegel, Michaël York son ami banquier et Charlotte Rampling, Marie shakespearienne, loin de la Vierge éplorée sont merveilleux. Petit bémol: on peut regretter que la plupart des autres acteurs soient polonais et les trois protagonistes ayant une voix dans le tableau soient les acteurs internationalement reconnus. Certes, ils sont excellents, mais un acteur de cet envergure doit bien se trouver en Pologne.

L’image fixée inspire souvent l’animation, comme l’image animée d’ailleurs (parmi d’autres La Rose pourpre du Caire), rêve d’enfant et de cinéaste qui s’allient merveilleusement bien, par exemple mon préféré non intellectualisant a contrario de ce film, Mary Poppins, même si je la soupçonne d’être un peu raciste… mais là je m’égare.

Le réalisateur brosse un tableau du tableau et en fait un film d’images animées, fixées dans un intemporel qui n’est pas figé. La passion du Christ inscrite dans le temps des hommes qui se répète à l’infini du temps du monde.

La difficulté pour le spectateur réside dans le fait qu’il ne suit pas une histoire, ni même des histoires, mais des séquences, sans logique apparante. Cependant, c’est ce qui fait aussi sa force, cette liberté laissée au spectateur, comme lorsqu’il regarde un tableau, de comprendre ou pas, d’imaginer ou pas une suite à la scène représentée.
La lumière (Majewski a été jusqu’à tourner les images du ciel et des paysages en Nouvelle-Zélande) est sublime, chaque plan un chef-d’oeuvre de composition.

Le making off du film

Malik Berkati

[illustration : Bruegel l’Ancien – Portement de croix – 1564 – détail du moulin / clic sur l’image pour une vue plus grande]

Walser avec Lacadée // «être un ravissant zéro tout rond»

Chers amis, Cher José,

Après le dernier café psychanalyse, si réussi, au cours duquel Lacadée vous a fait Walser, je brûle d’envie de vous inviter retrospectivement sur notre « Colline aux livres », dans la cité de Cyrano, qui a eu lieu le 17 septembre 2011.

En voici quelques mots, succulents de contingence.

Bien à tous

Alain

 

Unerwartet !

«La Colline aux Livres», charmante petite librairie, de Bergerac, délicieusement éclairée.

Coline, sa libraire, a bien voulu nous abriter en cette fin d’après-midi de septembre, pour parler d’un livre qui parle d’autres livres.

Ça tombe pas si mal que cela, en cette rentrée qui est là aussi lacanienne, dans ce petit coin de Dordogne où prospère L’ACF-Aquitania.

Lacanienne ? Assis entre les livres, nous en rappelons la raison : le trentième anniversaire de la mort de Jacques Lacan. Beaucoup de rififi autour de lui, de sa pratique, de son séminaire, de sa vie : émissions, articles, livres. J’en recommande un, celui de Jacques-Alain Miller, son gendre, que Lacan a choisi pour établir le texte de ses séminaires. Vie de Lacan, que je présente, en est son titre. Ce n’est pas une biographie, mais une vue sur un Lacan vivant, dégageant ce avec quoi il n’a cessé de batailler au fil de son enseignement, de sa pratique : le réel, à côté du symbolique et de l’imaginaire.

Qu’on le sache ou pas, d’une manière ou d’une autre, on est tous aux prises avec le réel. Et Robert Walser, avec ses livres, en est un bel exemple. Ce que témoigne la manière dont il nomme lui-même son écriture « le roman du réel ».

Je disais donc : un livre, pour parler d’autres livres, ceux précisément de Robert Walser :  Les enfants de Tanner, L’institut Benjamenta, L’homme à tout faire, La promenade, Le brigand

Et cet Un livre, celui, bien sûr, de Philippe Lacadée, avec son titre attirant :  « Robert Walser, le promeneur ironique » 1. Le sous-titre, «  Enseignements psychanalytiques de l’écriture d’un roman du réel », indique déjà ce dont il s’agit : que nous enseigne l’écriture de Walser ?

Le maître est Walser, et Lacadée son élève ! Un élève spécial quand même, puisqu’il apprend de Walser, avec Lacan, et même, avec Jacques-Alain Miller. Ce que son livre doit à l’enseignement de Lacan, au cours de Miller – Clinique ironique, Psychose ordinaire notamment – en structure sa confection, en oriente la trame.

On pourrait dire un livre, un auteur (Lacadée), passeur d’autres livres, d’un autre auteur (Walser).

Dans cette conversation qui s’annonce, Éric Dignac, homme de théâtre, nous accompagne. Il prêtera sa voix à quelques écrits de Walser, au fil de notre promenade de parole parmi les livres. «La promenade», justement sans laquelle Robert Walser, comme il le dit, «serait mort». Philippe Lacadée, jouant du son et du sens, nous « passe » ses romans comme «une promenade du corps dans lalangue». À l’école de Walser, il extrait de la miniaturisation de son écriture une opération essentielle : «être un ravissant zéro tout rond» à partir duquel deviennent possibles des semblants d’être, la servante de l’Autre,  « le feuilletoniste exécutant ». L’ironie s’invite dans le rapport à la langue et la production de nombreux néologismes. La traduction de ceux-ci en français est des plus délicates. Il mettra en valeur celle de Walter Weideli, en prenant deux exemples :  «  L’homme à tout faire » plutôt que « Le commis », comme titre de roman, et « bourrauder » plutôt que « maltraiter » pour un néologisme de Walser.

Surprise d’après-coup : Walter Weideli, le traducteur, était avec nous sur la Colline, et nous ne le savions même pas. Ce n’est qu’à la fin, dans un bar, à deux pas de la librairie, que nous invitions à notre table le vieil homme, seul avec sa bière, qui venait de nous écouter. Nous ne savions pas encore qui il était.

Je ne vous raconte guère la suite, prise dans un ravissement qui ne vaut qu’à se vivre. De un sortait deux, deux passeurs : l’un de lalangue, l’autre de la langue ! Nul doute qu’une telle unerwartete Begegnung aurait précipité Walser dans l’écriture, mais n’est pas Walser qui veut !

Alain Gentes

1 Lacadée Philippe, Walser, le promeneur ironiqueenseignements psychanalytiques d’un roman du réel, éd. Cécile Defaut.

doc iconBergerac.doc

[Illustration: Sources of Art (1967), Bailey Films ]

RE: Bruegel, le Moulin, la Croix et l’image

Cher Malik,

Merci beaucoup pour ce texte ! J’ai vu le film hier, avec Mariana, j’en ai été assez heureuse. Je ne suis pas cinéphile, mais j’aime que ce film m’ait donné envie de revoir cette peinture, m’ait donné une nouvelle porte d’entrée dans cette œuvre. Je me suis trouvée un peu honteuse de ne même pas me souvenir du Musée où se trouve cette toile, est-elle à Bruxelles ? Il m’a semblé reconnaître les murs du Musée d’Art Ancien, mais je n’en suis pas sûre. (( Mais non, elle se trouve au musée de Vienne, et je ne l’ai jamais vue. ))  Je n’ai pas pu résister à l’envie de mettre, en illustration de ton texte, une très grande, très belle image du moulin, si impressionnant dans le film, que nous pénétrons, où nous nous réveillons au petit matin avec le meunier, sa femme, et leur commis… immense ! Ces interminables escaliers dans la roche !! ((je ne sais ce qu’il m’évoquent, mais j’ai eu une impression de déjà-vu, et toi ? une référence cinématographique t’est-elle venue à l’esprit?)) Très touchante également cette explication que donne Bruegel à son ami, le collectionneur Nicolas Jonghelinck (Michael York !) : là haut, si haut, dans les nuages, le moulin mis la à la place où l’on trouve Dieu normalement, avec son meunier qui de haut tristement assiste aux …. égarements des hommes.    J’ai été très sensible à cette explication, ce pointage,  peut-être aussi parce que je m’appelle Muller, qui veut dire meunier. « Meunier, meunier,  tu dors ton moulin va trop vite… » La roue du temps (ranimée le temps du film, figée dans le  cadre de la peinture et le temps d’un instant figée dans le film même), la roue du supplice (juste avant que n’arrivent les mercenaires espagnols, Mariana me glissait qq chose comme « C’est le paradis » alors que ce si joli couple petit-déjeunait sur l’herbe, avec leur jeune veau)…

J’ai réfléchi courtement à la logique du film, apparemment sans logique, dont tu parles. Je crois qu’elle est nécessaire, cette lente présentation des faits… inouïs d’horreur, d’horreur et de beauté, puis, venant s’y loger, la Passion du Christ.

Et les dernières images, de la sarabande, cette danse, ces corps dans un poids, un rythme si différent du nôtre aujourd’hui…

Quant au silence des protagonistes, du jeune couple, des meuniers, de la famille de Bruegel (si je ne me trompe pas) (et ce silence, en dehors des cris des enfants) (mais, son épouse, si silencieuse au point que je me suis demandée si elle était muette) (et les pensées entendues de la mère du Christ, dans une langue et un texte anglais  superbes) (puis, quelques mots, cependant, entendus en vieux flamand, et l’espagnol des mercenaires), c’est vrai, comme le rappelait Mariana ce matin,  que je me suis interrogée à son sujet, me demandant d’abord s’il s’agissait du silence d’un peuple paysan (mythique ou réel, je ne sais, appartenant à cette époque ou vraie encore aujourd’hui ?), n’accordant pas encore à la parole la haute importance que nous lui accordons aujourd’hui, pour m’accorder ensuite à penser qu’il  s’agissait du silence de la toile.

Enfin voilà. J’ai très envie de publier sur le blog quelques grandes images de la toile,

Très amicalement,

Véronique

(je suis d’accord avec toi concernant le choix des acteurs, des stars, comme aurait dit Godard, et je n’aurais pas détesté les entendre parler polonais…)

Joyce, FinnegansWake s’extinsule et recouvre l’oille

FINNEGANS WAKE – CHAP. 1
D’erre rive en rêvière

17 janvier > 19 février 2012
du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h

d’après Finnegans Wake de James Joyce
traduction Philippe Lavergne (Ed. gallimard 1982)

mise en scène et lumière Antoine Caubet  (Théâtre Cazaril, cie associée au Théâtre de l’Aquarium),

son Valérie Bajcsa, film Hervé Bellamy, accessoires Cécile Cholet, régie lumière Pascal Joris, régie plateau Yunick Vaimatapako
avec Sharif Andoura

Livre hors piste, Finnegans Wake (publié en 1939) bouleversa la littérature contemporaine. Chacun des dix-sept chapitres est une variation du premier – qui fera à lui seul la matière du spectacle, et qu’on peut résumer ainsi : Finnegan, artisan couvreur, en prise avec l’alcool, sa libido et ses déboires conjugaux, glisse soudain de l’échelle et se casse la bobinette ! Réunis autour de sa dépouille, famille et amis ingurgitent des litres de Guinness et de whisky, et chantent la légende du héros du jour. Et bientôt c’est toute l’Irlande et toute l’histoire de l’humanité, depuis Adam jusqu’au jugement dernier, qui s’invitent au chevet de Finnegan… lequel s’envole dans les airs et va planer au-dessus de Dublin !…
Partant de ce petit conte, où le loufoque flirte avec le dérisoire, Joyce se fait donc griot de l’épopée du genre humain, brassant les civilisations, les cultures et les mythes. Mais Finnegans Wake est aussi un voyage à travers la langue, les langues : Joyce invente ici une écriture totalement inouïe, bricole comme un gosse des « mots-monstres » à base d’anglais, de gaëlique, de français, d’allemand, latin, grec et j’en passe, y glisse des onomatopées, des bruits de la nature et tutti quanti ! D’où une écriture abracadabrante et désarçonnante à première vue, qui devient un régal dès qu’on la met en bouche : alors seulement en explose la jubilation profonde et l’invention intarissable, qui ont tant marqué des auteurs aussi divers que Beckett et Novarina, Kerouac et Queneau. Incarnée le temps d’une représentation, elle surgit devant nous comme un langage inédit, étranger et pourtant évident, pour se raconter une histoire commune : la nôtre.

production Théâtre Cazaril (compagnie associée à l‘Aquarium), Théâtre de l’Aquarium, L’apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, Arcadi

To: escapadesculturelles@yahoogroupes.fr
From: mariana
Date: Sun, 22 Jan 2012 02:03:06 +0100

 Catherine, chère amie, la soirée a été magnifique, mais non pas à cause des « Biscuits », ni de belles robes, ni des chapeaux, ni à cause des lumières et tout ceux que tu supposes avec tant d’invidia, mais la beauté est venue du jeu de cet acteur formidable qui seul en scène, ou presque, à su donner voix et une présence extraordinaire à Joyce ! Une très, très belle performance scénique, un jeu de la lettre et de la sonorité de tant des langues mélangées parfois inaccessibles, incompressibles, je dirais même la plupart de temps infranchissables, mais qui a su nous transporter avec lui dans la scène d’une mélodie joycienne, un monde si étrangement beau et poétique, plein des rebondissement hauts comme des cascades et fragiles comme le vent qui souffle apportant les mots loin loin faire leur balade dans nos corps et nous envelopper de leur mystérieuse musique toujours inachevée et brutalement si belle. Je mets peu des points et des arrêts pour jouer volontairement avec le style joycien si inimitable avec des mots qui glissent dans une rivière qui rejoins la mer sans point d’amarre, sans point de chute juste des mots mélangées dans un mixeur tournitouyant magnifique ! 

 
L’acteur Sharif Andoura a eu la bonté et la générosité inattendue de partager avec nous, comment il s’y est pris pour rencontrer Joyce et son texte, comme il a fait pour mémoriser ses longs passages où aucune logique n’apparait pour s’y accrocher aveuglement, naïvement comme on fait si souvent avec notre bêtise habituelle, alors ils s’est inventé de mondes et des paysages et à imaginé les phrases de Joyce se coller aux reliefs des montages du lac de Neufchatel en Suisse, où a l instant précis il tentait de faire naître un passage dans sa mémoire, et il à coller les mots aux ondulations des cailloux qu’il voyait, il a fait l’exercice de fixer une image à un mot, à un texte créant avec poésie son propre texte et son support imaginaire comme le ferait un autiste avec tant de facilité inavouée. Il s’est fait son Joyce avec Joyce, inventant des mots avec le début des mots de Joyce pour y accrocher sa mémoire et ouvrir avec ses propres béquilles textuelles et ses échelles le texte de Joyce à lui. Il a pris la première lettre d’une longue liste joycienne comme repaire mnémotechnique, pour créer d’autres mots avec une lettre qui devient litter qui chute et qui porte à la fois ouvrant le chemin à des univers si fantastiquement inconnus.
 
Voilà ce qui a été pour moi un des meilleurs moments de cette soirée où avec Joyce on a pu s’escapader loin, loin loin et nulle part… à condition de ne pas vouloir comprendre. Encore une fois la sonorité de la langue et de ses silences à été mise à l’honneur comme avec Bruegel, la création de l’écrivain et du peintre, quelle œuvre magique de la langue qui sait jouer de son univers et de ses torsions et de ses labyrinthes ! Tiens, moi aussi je fais ma Joyce… pobre ilusa de mi.
 
Ne pleure pas Grande Meaulnes… on n’est pas tous là où on pense y être et sûrement tu étais avec nous sans s’y être car ta pensée y étais à Finneganswake d’erre rive eu rêvière…
 
« Ce n’est pas écrit du tout. Ce n’est même pas fait pour être lu. C’est fait pour être regardé et entendu »
disait Joyce à propos de FW
 
Oui chère amiga, Finneganswake s’extinsule et recouvre l’oille…
 

 
et
 
bababadalgharaghtakamminaronnkonnbronntonnerronntuonnthonntrovarrhonnawskawntoohoohoordenenthurmik !
…le tonnerre eu 100 lettres et quelques langues.
 
La lune qui se couche al revés  at the end of the opening day que crepuscule.

 

To: escapadesculturelles@yahoogroupes.fr
From: cath.decaudin
Date: Sat, 21 Jan 2012 23:33:45 +0100
 

Hello dans le noir,

Je suis un peu triste ce soir,
Je suppose que vous êtes tous à l’Aquarium, qu’il y a là une grande fête, de la lumière, plein de monde , et des merveilles intellectuelles (des « Biscuits », comme ils disent à science Po), de belles robes et des chapeaux aussi, et… que je n’y suis pas. Je me sens un peu « Le Grand Meaulnes »,  d’Alain Fournier, qui derrière le mur, regarde la fête à laquelle il ne peut accéder. Mais comment sortir de cette lecture de jeunesse, qui m’a tant marquée et qui est encore un moteur si fort dans mes recherches et mes choix d’aujourd’hui???
« Ne pas céder sur son désir », c’est ce que j’en avais déduit, à l’époque, avant de rencontrer par mes lectures, Freud…
j’espère que vous m’en donnerez des nouvelles.
Bises
catherine

 

Re: et Re: Spielrein, Jung, Freud et le Néophyte

 

 Malik,

Impossible de ne pas te répondre, je m’y risque.

« biopic de qui ? » Jung, Spielrein (« joue purement ») et Freud à la fois, pourquoi pas, ça gêne qui ?
 
« biopic historique ? »  Mais oui, de tout ce que tu dis, si bien, oui : la tragédie austro-helvétique entre un père et un fils spirituel, la naissance d’une méthode de psychanalyse, la relation défendue et très originale depuis Adam et Eve entre un homme et une femme
 
« poli, léché, récuré… » Comme la Suisse ?
 
« pellicule immaculée remplie de libido » : si elle est remplie de libido, elle n’est certainement pas immaculée,  ou son immaculation est-elle rendue nécessaire du fait même de l’insupportable (pour le coup) en quoi aurait consisté sa présentation de façon « maculée » (drôle de mot)
 
« angles saillants, rentrants, aigus, pourquoi pas obtus ou nuls au lieu de ces angles plats et droits…» bien, ça c’est ton œil de cinéphile qui voit, et peut-être aurons-nous un jour l’occasion de revoir ce film ensemble, en vidéo, et que nous pourrons-nous arrêter, de sorte que tu me montres, car, pour ma part, ces choses-là je ne les vois pas.
 
« néophyte, Keira Knigtley, premières scènes… » : elles m’ont frappées également, et je les ai plutôt trouvées bien faites, je me suis demandée, et j’ai posé la question ici, sur quoi le jeu de l’actrice était basé, et comment, la folie, l’hystérie, ont pu à ce point changer de « comportement ». Je crois que ce qui est montré correspond à une réalité d’époque. Et j’étais frappée de la confrontation de ces corps : la folle, le médecin (tout droit, tout poli, tout léché, d’un machisme palpable). Qu’est-ce qui a changé les symptômes des hystériques ?
 
Bon, je dois filer,
 
V

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Véronique,

merci du retour.

Comme bien précisé dans le titre et tout au long de mon commentaire, je n’y connais rien en psychanalyse. Je vais donc voir un film qui entend me raconter une histoire, au contraire de Bruegel comme nous l’avons tous les deux remarqué dont l’idée n’est justement pas de raconter une histoire. Le problème donc avec ce film est qu’il n’est pas fait par un-e cinéaste sortant d’une école ou faisant son premier film. Si cela était le cas, j’aurais écrit, « comme trop souvent avec un premier film, le réalisateur veut tout raconter, veut tout mettre, et noie son sujet. » Mais Cronenberg n’est pas un néophyte lui. Et cela (me) dérange, non pas en tant que cinéphile (je n’ai jamais particulièrement aimé Cronenberg et ne suis donc pas déçu) mais en tant que simple spectateur. Il a voulu faire un film sous une forme classique, et bien il s’est retrouvé à faire un film qui raconte tout et rien, comme un gamin qui sort de l’école.

Comme je n’ai aucune idée de ce qu’est la talking cure, ni des débuts de la psychanalyse et de ses différentes écoles, comme je ne connaissais pas Spielrein, et ne connaissais que de nom Freud et Jung, je suis bien obligé de prendre ce film sous le seul angle qui fasse que je ne m’endorme pas jusqu’au générique: l’histoire entre un homme et une femme et éventuellement le clash entre un père et un fils spirituel. Soit. Les sujets les plus banals ne font pas de mauvais films, au contraire, mais il faut dans ces cas-là traiter cette chose traiter un million de fois de manière personnelle ou en prenant un angle particulier. De ce point de vue, le film n’est pas mauvais, il est nul. Zéro. Il n’y a rien. Aucune aspérité à laquelle s’accrocher ou réagir (en bien ou en mal peu importe). Rien de rien qu’une pensée pour les gens qui paient leur place pour voir ça.

Pour la « pellicule immaculée remplie de libido » c’est une antithèse oxymorique puisqu’une pellicule pour être visible doit être teintée d’images et (pour moi toujours), je n’y ai vu qu’un débordement de libido. Mais je me trompe certainement, je ne suis que spectateur, alors que toi tu es spécialiste du sujet (? s’il y en a un) du film.

Quant à « la Suisse », elle n’a jamais été polie, léchée et récurée, ceci est un fantasme populaire. La Suisse c’est le pays où les femmes venaient avorter quand cela était interdit dans le reste de l’Europe, c’est le pays où les gens ont le droit de mourir dans la dignité, là où c’est interdit ailleurs, c’est l’endroit qui a débuté en premier en Europe les traitements alternatifs pour les dépendants à la drogue, c’est le pays des montagnes sombres et menaçante de Ramuz, des mondes intérieurs tourmentés de Chessex, des empêcheurs de ronronner en semi-démocratie de Max Frisch et Dürenmatt, des manifestes politiques de Ziegler…et j’en passe.

Les scènes de Keira Knigtley: ta question est intéressante, j’aimerais bien savoir aussi sur quoi elle a basé son jeu. Et ton autre question « Qu’est-ce qui a changé les symptômes des hystériques ?« : en voilà un vrai sujet!

Bon début de semaine
malik

Derniers Jours : Gisèle Freund

James Joyce, Paris, 1939 Tirage photographique couleurs (dye-transfer) © Gisèle Freund / Collection de la famille Freund

 

Derniers jours de l’exposition Gisèle Freund à la fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, proposition escapade via Brigitte Lehmann.
Je pense y aller demain, qui m’accompagne? Brigitte? Vé?
Géraldine.

http://www.fondation-pb-ysl.net/fr/Accueil-Gisele-Freund-564.html

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Fondation Pierre Bergé – Yve Saint Laurent 5 avenue Marceau, 75116 Paris
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Musée d’art et d’histoire du Judaïsme Exposition Walter Benjamin Archives

Proposition d’escapade via Brigitte Lehmann, exposition jusqu’au 5 février. Je suis très intéressée, qui se joindrait à nous?
Géraldine.

Né à Berlin en 1892, dans une famille juive assimilée, Walter Benjamin s’est suicidé à la frontière franco-espagnole le 26 septembre 1940, devant la menace d’être livré aux nazis et envoyé à la mort. C’est à l’un des philosophes et critiques les plus importants du XXe siècle que l’exposition Walter Benjamin Archives est consacrée ; son ambition est de montrer la manière dont le penseur allemand organisait, préservait et inventait ses propres archives, à mesure de ses recherches.

L’exposition rassemble des matériaux, des supports, des objets ou des écrits (manuscrits, tapuscrits, cartes postales, carnets de notes, enveloppes, tickets, photographies, coupures de presse, registres, fichiers, répertoires, carnet d’adresses, paperolles, etc.), qui témoignent tous d’une exigence constante chez Walter Benjamin : arracher à l’oubli une pensée en devenir et en organiser le sauvetage, qu’il s’agisse de sa propre pensée, de celle de ses proches ou de pans entiers de l’histoire négligés. L’exposition est divisée en treize sections auxquelles s’adjoignent neuf sections conçues spécialement pour la présentation au MAHJ.

Sa vie durant, Walter Benjamin a pris soin de confier ses textes, notes ou manuscrits à différents amis (dont Gershom Scholem et Gretel Karplus). À la diversité des matériaux s’ajoute donc le caractère fragmentaire de ces « dépôts ». Ainsi émerge une constellation mouvante d’archives dispersées qui vient former un paysage de pensée d’une rare intensité. Voulue et organisée, cette dispersion fut amplifiée par les aléas de l’histoire : l’exil en France de Walter Benjamin à partir de 1933, ses périodes de refuge aux Baléares ou au Danemark, la disparition de sa bibliothèque, puis la partition de l’Allemagne après-guerre.

Collectionneur passionné (de livres pour enfants notamment), Walter Benjamin a adapté l’objet et la méthode de la collecte au travail de la pensée. L’extraction, le découpage, la citation, le montage, l’association, la juxtaposition, ou encore la mise en regard furent autant de gestes qui lui permirent de déconstruire des logiques de représentation dominantes et de faire apparaître des configurations inédites à l’origine de lectures radicalement nouvelles de l’histoire, de la littérature, du rapport de l’art au politique.

En nous conviant à découvrir ses micrographies et ses propres inventaires, en nous ouvrant ses correspondances, fichiers ou carnets de notes, en montrant son travail de recherche bibliographique ou la constitution de ses collections, cette exposition révèle un mode de pensée et une vision du monde réfléchis dans chacun des actes de Walter Benjamin.

Le livre Walter Benjamin Archives sera publié aux éditions Klincksieck à l’occasion de l’exposition.

http://www.mahj.org/fr/3_expositions/expo-Walter-Benjamin-Archives.php?niv=2&ssniv=

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PARTENARIAT
Tous les visiteurs de l’exposition Gisèle Freund bénéficient d’un tarif réduit pour l’exposition Walter Benjamin, sur simple présentation de leur billet d’entrée à la Fondation, et vice versa.

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L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée

par Walter Benjamin

I

Il est du principe de l’œuvre d’art d’avoir toujours été reproductible. Ce que des hommes avaient fait, d’autres pouvaient toujours le refaire. Ainsi, la réplique fut pratiquée par les maîtres pour la diffusion de leurs œuvres, la copie par les élèves dans l’exercice du métier, enfin le faux par des tiers avides de gain. Par rapport à ces procédés, la reproduction mécanisée de l’œuvre d’art représente quelque chose de nouveau ; technique qui s’élabore de manière intermittente à travers l’histoire, par poussées à de longs intervalles, mais avec une intensité croissante. Avec la gravure sur bois, le dessin fut pour la première fois mécaniquement reproductible il le fut longtemps avant que l’écriture ne le devînt par l’imprimerie. Les formidables changements que l’imprimerie, reproduction mécanisée de l’écriture, a provoqué dans la littérature, sont suffisamment connus. Mais ces procédés ne représentent qu’une étape particulière, d’une portée sans doute considérable, du processus que nous analysons ici sur le plan de l’histoire universelle. La gravure sur bois du Moyen-Age, est suivie de l’estampe et de l’eau-forte, puis, au début du XIXe siècle, de la lithographie.

Avec la lithographie, la technique de reproduction atteint un plan essentiellement nouveau. Ce procédé beaucoup plus immédiat, qui distingue la réplique d’un dessin sur une pierre de son incision sur un bloc de bois ou sur une planche de cuivre, permit à l’art graphique d’écouler sur le marché ses productions, non seulement d’une manière massive comme jusques alors, mais aussi sous forme de créations toujours nouvelles. Grâce à la lithographie, le dessin fut à même d’accompagner illustrativement la vie quotidienne. Il se mit à aller de pair avec l’imprimé. Mais la lithographie en était encore à ses débuts, quand elle se vit dépassée, quelques dizaines d’années après son invention, par celle de la photographie. Pour la première fois dans les procédés reproductifs de l’image, la main se trouvait libérée des obligations artistiques les plus importantes, qui désormais incombaient à l’œil seul. Et comme l’œil perçoit plus rapidement que ne peut dessiner la main, le procédé de la reproduction de l’image se trouva accéléré à tel point qu’il put aller de pair avec la parole. De même que la lithographie contenait virtuellement le journal illustré ainsi la photographie, le film sonore. La reproduction mécanisée du son fut amorcée à la fin du siècle dernier.

Vers 1900, la reproduction mécanisée avait atteint un standard où non seulement elle commençait à faire des œuvres d’art du passé son objet et à transformer par là même leur action, mais encore atteignait à une situation autonome les procédés artistiques. Pour l’étude de ce standard, rien n’est plus révélateur que la manière dont ses deux manifestations différentes reproduction de l’œuvre d’art et art cinématographique se répercutèrent sur l’art dans sa forme traditionnelle.

II

A la reproduction même la plus perfectionnée d’une œuvre d’art, un facteur fait toujours défaut : son hic et nunc, son existence unique au lieu où elle se trouve. Sur cette existence unique, exclusivement, s’exerçait son histoire. Nous entendons par là autant les altérations qu’elle peut subir dans sa structure physique, que les conditions toujours changeantes de propriété par lesquelles elle a pu passer. La trace des premières ne saurait être relevée que par des analyses chimiques qu’il est impossible d’opérer sur la reproduction; les secondes sont l’objet d’une tradition dont la reconstitution doit prendre son point de départ au lieu même où se trouve l’original.

Le hic et nunc de l’original forme le contenu de la notion de l’authenticité, et sur cette dernière repose la représentation d’une tradition qui a transmis jusqu’à nos jours cet objet comme étant resté identique à lui-même. Les composantes de l’authenticité se refusent à toute reproduction, non pas seulement à la reproduction mécanisée. L’original, en regard de la reproduction manuelle, dont il faisait aisément apparaître le produit comme faux, conservait toute son autorité; or, cette situation privilégiée change en regard de la reproduction mécanisée.

Le motif en est double. Tout d’abord, la reproduction mécanisée s’affirme avec plus d’indépendance par rapport à l’original que la reproduction manuelle. Elle peut, par exemple en photographie, révéler des aspects de l’original accessibles non à l’œil nu, mais seulement à l’objectif réglable et libre de choisir son champ et qui, à l’aide de certains procédés tels que l’agrandissement, capte des images qui échappent à l’optique naturelle. En second lieu, la reproduction mécanisée assure à l’original l’ubiquité dont il est naturellement privé. Avant tout, elle lui permet de venir s’offrir à la perception soit sous forme de photographie, soit sous forme de disque. La cathédrale quitte son emplacement pour entrer dans le studio d’un amateur ; le chœur exécuté en plein air ou dans une salle d’audition, retentit dans une chambre.

Ces circonstances nouvelles peuvent laisser intact le contenu d’une œuvre d’art – toujours est-il qu’elles déprécient son hic et nunc. S’il est vrai que cela ne vaut pas exclusivement pour l’œuvre d’art, mais aussi pour un paysage qu’un film déroule devant le spectateur, ce processus atteint l’objet d’art – en cela bien plus vulnérable que l’objet de la nature – en son centre même : son authenticité. L’authenticité d’une chose intègre tout ce qu’elle comporte de transmissible de par son origine, sa durée matérielle comme son témoignage historique. Ce témoignage, reposant sur la matérialité, se voit remis en question par la reproduction, d’où toute matérialité s’est retirée. Sans doute seul ce témoignage est-il atteint, mais en lui l’autorité de la chose et son poids traditionnel.

On pourrait réunir tous ces indices dans la notion d’aura et dire : ce qui, dans l’œuvre d’art, à l’époque de la reproduction mécanisée, dépérit, c’est son aura. Processus symptomatique dont la signification dépasse de beaucoup le domaine de l’art.

La technique de reproduction – telle pourrait être la formule générale – détache la chose reproduite du domaine de la tradition. En multipliant sa reproduction, elle met à la place de son unique existence son existence en série et, en permettant à la reproduction de s’offrir en n’importe quelle situation au spectateur ou à l’auditeur, elle actualise la chose reproduite. Ces deux procès mènent à un puissant bouleversement de la chose transmise, bouleversement de la tradition qui n’est que le revers de la crise et du renouvellement actuel de l’humanité. Ces deux procès sont en étroit rapport avec les mouvements de masse contemporains. Leur agent le plus puissant est le film. Sa signification sociale, même considérée dans sa fonction la plus positive, ne se conçoit pas sans cette fonction destructive, cathartique : la liquidation de ia valeur traditionnelle de l’héritage culturel. Ce phénomène est particulièrement tangible dans les grands films historiques. Il intègre à son domaine des régions toujours nouvelles. Et si Abel Gance, en 1927, s’écrie avec enthousiasme : Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinéma… Toutes les légendes, toute la mythologie et tous les mythes, tous les fondateurs de religions et toutes les religions elles-mêmes… attendent leur résurrection lumineuse, et les héros se bousculent a nos portes pour entrer [1], il convie sans s’en douter à une vaste liquidation.

III

À de grands intervalles dans l’histoire, se transforme en même temps que leur mode d’existence le mode de perception des sociétés humaines. La façon dont le mode de perception s’élabore (le médium dans lequel elle s’accomplit) n’est pas seulement déterminée par la nature humaine, mais par les circonstances historiques. L’époque de l’invasion des Barbares, durant laquelle naquirent l’industrie artistique du Bas-Empire et la Genèse de Vienne, ne connaissait pas seulement un art autre que celui de l’Antiquité, mais aussi une perception autre. Les savants de l’École viennoise, Riegl et Wickhoff, qui réhabilitèrent cet art longtemps déconsidéré sous l’influence des théories classicistes, ont les premiers eu l’idée d’en tirer des conclusions quant au mode de perception particulier à l’époque où cet art était en honneur. Quelle qu’ait été la portée de leur pénétration, elle se trouvait limitée par le fait que ces savants se contentaient de relever les caractéristiques formelles de ce mode de perception. Ils n’ont pas essayé – et peut-être ne pouvaient espérer – de montrer les bouleversements sociaux que révélaient les métamorphoses de la perception.

De nos jours, les conditions d’une recherche correspondante sont plus favorables et, si les transformations dans le médium de la perception contemporaine peuvent se comprendre comme la déchéance de l’aura, il est possible d’en indiquer les causes sociales.

Qu’est-ce en somme que l’aura ? Une singulière trame de temps et d’espace : apparition unique d’un lointain, si proche soit-il. L’homme qui, un après-midi d’été, s’abandonne à suivre du regard le profil d’un horizon de montagnes ou la ligne d’une branche qui jette sur lui son ombre – cet homme respire l’aura de ces montagnes, de cette branche. Cette expérience nous permettra de comprendre la détermination sociale de l’actuelle déchéance de l’aura. Cette déchéance est due à deux circonstances, en rapport toutes deux avec la prise de conscience accentuée des masses et l’intensité croissante de leurs mouvements. Car : la masse revendique que le monde lui soit rendu plus accessible avec autant de passion qu’elle prétend à déprécier l’unicité de tout phénomène en accueillant sa reproduction multiple. De jour en jour, le besoin s’affirme plus irrésistible de prendre possession immédiate de l’objet dans l’image, bien plus, dans sa reproduction. Aussi, telle que les journaux illustrés et les actualités filmées la tiennent à disposition se distingue-t-elle immanquablement de l’image d’art. Dans cette dernière, l’unicité et la durée sont aussi étroitement confondues que la fugacité et la reproductibilité dans le cliché.

Sortir de son halo l’objet en détruisant son aura, c’est la marque d’une perception dont le sens du semblable dans le monde se voit intensifié à tel point que, moyennant la reproduction, elle parvient à standardiser l’unique. Ainsi se manifeste dans le domaine de la réceptivité ce qui déjà, dans le domaine de la théorie, fait l’importance toujours croissante de la statistique. L’action des masses sur la réalité et de la réalité sur les masses représente un processus d’une portée illimitée, tant pour la pensée que pour la réceptivité.

IV

L’unicité de l’oeuvre d’art ne fait qu’un avec son intégration dans la tradition. Par ailleurs, cette tradition elle-même est sans doute quelque chose de fort vivant, d’extraordinairement changeant en soi. Une antique statue de Vénus était autrement située, par rapport à la tradition, chez les Grecs qui en faisaient l’objet d’un culte, que chez les clercs du Moyen-âge qui voyaient en elle une idole malfaisante. Mais aux premiers comme aux seconds elle apparaissait dans tout son caractère d’unicité, en un mot dans son aura. La forme originelle d’intégration de l’œuvre d’art dans la tradition se réalisait dans le culte. Nous savons que les oeuvres d’art les plus anciennes s’élaborèrent au service d’un rituel d’abord magique, puis religieux. Or, il est de la plus haute signification que le mode d’existence de l’oeuvre d’art déterminé par l’aura ne se sépare jamais absolument de sa fonction rituelle. En d’autres termes : la valeur unique de l’oeuvre d’art authentique a sa base dans le rituel. Ce fond rituel, si reculé soit-il, transparaît encore dans les formes les plus profanes du culte de la beauté. Ce culte, qui se développe au cours de la Renaissance, reste en honneur pendant trois siècles – au bout desquels le premier ébranlement sérieux qu’il subit décèle ce fond. Lorsqu’à l’avènement du premier mode de reproduction vraiment révolutionnaire, la photographie (simultanément avec la montée du socialisme), l’art éprouve l’approche de la crise, devenue évidente un siècle plus tard, il réagit par la doctrine de l’art pour l’art, qui n’est qu’une théologie de l’art. C’est d’elle qu’est ultérieurement issue une théologie négative sous forme de l’idée de l’art pur, qui refuse non seulement toute fonction sociale, mais encore toute détermination par n’importe quel sujet concret. (En poésie, Mallarmé fut le premier à atteindre cette position.)

Il est indispensable de tenir compte de ces circonstances historiques dans une analyse ayant pour objet l’oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée. Car elles annoncent cette vérité décisive : la reproduction mécanisée, pour la première fois dans l’histoire universelle, émancipe l’oeuvre d’art de son existence parasitaire dans le rituel. Dans une mesure toujours accrue, l’oeuvre d’art reproduite devient reproduction d’une oeuvre d’art destinée à la reproductibilité [2]. Un cliché photographique, par exemple, permet le tirage de quantité d’épreuves : en demander l’épreuve authentique serait absurde. Mais dès l’instant où le critère d’authenticité cesse d’être applicable à la production artistique, l’ensemble de la fonction sociale de l’art se trouve renversé. À son fond ritueldoit se substituer un fond constitué par une pratique autre : la politique.

V

Il serait possible de représenter l’histoire de l’art comme l’opposition de deux pôles de l’oeuvre d’art même, et de retracer la courbe de son évolution en suivant les déplacements du centre de gravité d’un pôle à l’autre. Ces deux pôles sont sa valeur rituelle et sa valeur d’exposition. La production artistique commence par des images au service de la magie. Leur importance tient au fait même d’exister, non au fait d’être vues. L’élan que l’homme de l’âge de la pierre dessine sur les murs de sa grotte est un instrument de magie, qu’il n’expose que par hasard à la vue d’autrui ; l’important serait tout au plus que les esprits voient cette image. La valeur rituelle exige presque que l’oeuvre d’art demeure cachée : certaines statues de dieux ne sont accessibles qu’au prêtre, certaines images de la Vierge restent voilées durant presque toute l’année, certaines sculptures des cathédrales gothiques sont invisibles au spectateur au niveau du sol. Avec l’émancipation des différents procédés d’art au sein du rituel se multiplient pour l’oeuvre d’art les occasions de s’exposer. Un buste, que l’on peut envoyer à tel ou tel endroit, est plus susceptible d’être exposé qu’une statue de dieu qui a sa place fixée dans l’enceinte du temple. Le tableau surpasse à cet égard la mosaïque ou la fresque qui le précédèrent.

Avec les différentes méthodes de reproduction de l’oeuvre d’art, son caractère d’exposabilités’est accru dans de telles proportions que le déplacement quantitatif entre les deux pôles se renverse, comme aux âges préhistoriques, en transformation qualitative de son essence. De même qu’aux âges préhistoriques, l’oeuvre d’art, par le poids absolu de sa valeur rituelle, fut en premier lieu un instrument de magie dont on n’admit que plus tard le caractère artistique, de même de nos jours, par le poids absolu de sa valeur d’exposition, elle devient une création à fonctions entièrement nouvelles – parmi lesquelles la fonction pour nous la plus familière, la fonction artistique, se distingue en ce qu’elle sera sans doute reconnue plus tard accessoire. Du moins est-il patent que le film fournit les éléments les plus probants à pareil pronostic. Il est en outre certain que la portée historique de cette transformation des fonctions de l’art, manifestement déjà fort avancée dans le film, permet la confrontation avec la préhistoire de manière non seulement méthodologique mais matérielle.

VI

L’art de la préhistoire met ses notations plastiques au service de certaines pratiques, les pratiques magiques – qu’il s’agisse de tailler la figure d’un ancêtre (cet acte étant en soi-même magique) ; d’indiquer le mode d’exécution de ces pratiques (la statue étant dans une attitude rituelle) ; ou enfin, de fournir un objet de contemplation magique (la contemplation de la statue s’effectuait selon les exigences d’une société à technique encore confondue avec le rituel). Technique naturellement arriérée en comparaison de la technique mécanique. Mais ce qui importe à la considération dialectique, ce n’est pas l’infériorité mécanique de cette technique, mais sa différence de tendance d’avec la nôtre – la première engageant l’homme autant que possible, la seconde le moins possible. L’exploit de la première, si l’on ose dire, est le sacrifice humain, celui de la seconde s’annoncerait dans l’avion sans pilote dirigé à distance par ondes hertziennes. Une fois pour toutes – ce fut la devise de la première technique (soit la faute irréparable, soit le sacrifice de la vie éternellement exemplaire). Une fois n’est rien- c’est la devise de la seconde technique (dont l’objet est de reprendre, en les variant inlassablement, ses expériences). L’origine de la seconde technique doit être cherchée dans le moment où, guidé par une ruse inconsciente, l’homme s’apprêta pour la première fois à se distancer de la nature. En d’autres termes : la seconde technique naquit dans le jeu.

Le sérieux et le jeu, la rigueur et la désinvolture se mêlent intimement dans l’oeuvre d’art, encore qu’à différents degrés. Ceci implique que l’art est solidaire de la première comme de la seconde technique. Sans doute les termes : domination des forces naturelles n’expriment-ils le but de la technique moderne que de façon fort discutable ; ils appartiennent encore au langage de la première technique. Celle-ci visait réellement à un asservissement de la nature – la seconde bien plus à une harmonie de la nature et de l’humanité. La fonction sociale décisive de l’art actuel consiste en l’initiation de l’humanité à ce jeu harmonien. Cela vaut surtout pour le film. Le film sert à exercer l’homme à la perception et à la réaction déterminées par la pratique d’un équipement technique dont le rôle dans sa vie ne cesse de croître en importance. Ce rôle lui enseignera que son asservissement momentané à cet outillage ne fera place à l’affranchissement par ce même outillage que lorsque la structure économique de l’humanité se sera adaptée aux nouvelles forces productives mises en mouvement par la seconde technique [3].

VII

Dans la photographie, la valeur d’exposition commence à refouler sur toute la ligne la valeur rituelle. Mais celle-ci ne cède pas le terrain sans résister. Elle se retire dans un ultime retranchement : la face humaine. Ce n’est point par hasard que le portrait se trouve être l’objet principal de la première photographie. Le culte du souvenir des êtres aimés, absents ou défunts, offre au sens rituel de l’oeuvre d’art un dernier refuge. Dans l’expression fugitive d’un visage humain, sur d’anciennes photographies, l’aura semble jeter un dernier éclat. C’est ce qui fait leur incomparable beauté, toute chargée de mélancolie. Mais sitôt que la figure humaine tend à disparaître de la photographie, la valeur d’exposition s’y affirme comme supérieure à la valeur rituelle. Le fait d’avoir situé ce processus dans les rues de Paris 1900, en les photographiant désertes, constitue toute l’importance des clichés d’Atget. Avec raison, on a dit qu’il les photographiait comme le lieu d’un crime. Le lieu du crime est désert. On le photographie pour y relever des indices. Dans le procès de l’histoire, les photographies d’Atget prennent la valeur de pièces à conviction. C’est ce qui leur donne une signification politique cachée. Les premières, elles exigent une compréhension dans un sens déterminé. Elles ne se prêtent plus à un regard détaché. Elles inquiètent celui qui les contemple : il sent que pour les pénétrer, il lui faut certains chemins; il a déjà suivi pareils chemins dans les journaux illustrés. De vrais ou de faux – n’importe. Ce n’est que dans ces illustrés que les légendes sont devenues obligatoires. Et il est clair qu’elles ont un tout autre caractère que les titres de tableaux. Les directives que donnent à l’amateur d’images les légendes bientôt se feront plus précises et plus impératives dans le film, où l’interprétation de chaque image est déterminée par la succession de toutes les précédentes.

VIII

Les Grecs ne connaissaient que deux procédés de reproduction mécanisée de l’oeuvre d’art : le moulage et la frappe. Les bronzes, les terracottes et les médailles étaient les seules oeuvres d’art qu’ils pussent produire en série. Tout le reste restait unique et techniquement irreproductible. Aussi ces oeuvres devaient-elles être faites pour l’éternité. Les Grecs se voyaient contraints, de par la situation même de leur technique, de créer un art de valeurs éternelles. C’est à cette circonstance qu’est due leur position exclusive dans l’histoire de l’art, qui devait servir aux générations suivantes de point de repère. Nul doute que la nôtre ne soit aux antipodes des Grecs. Jamais auparavant les oeuvres d’art ne furent à un tel degré mécaniquement reproductibles. Le film offre l’exemple d’une forme d’art dont le caractère est pour la première fois intégralement déterminé par sa reproductibilité. Il serait oiseux de comparer les particularités de cette forme à celles de l’art grec. Sur un point cependant, cette comparaison est instructive. Par le film est devenue décisive une qualité que les Grecs n’eussent sans doute admise qu’en dernier lieu ou comme la plus négligeable de l’art : la perfectibilité de l’oeuvre d’art. Un film achevé n’est rien moins qu’une création d’un seul jet ; il se compose d’une succession d’images parmi lesquelles le monteur fait son choix – images qui de la première à la dernière prise de vue avaient été à volonté retouchables. Pour monter son Opinion publique, film de 3 000 mètres, Chaplin en tourne 125 000. Le film est donc l’oeuvre d’art la plus perfectible, et cette perfectibilité procède directement de son renoncement radical à toute valeur d’éternité. Ce qui ressort de la contre-épreuve : les Grecs, dont l’art était astreint à la production de valeurs éternelles, avaient placé au sommet de la hiérarchie des arts la forme d’art la moins susceptible de perfectibilité, la sculpture, dont les productions sont littéralement tout d’une pièce. La décadence de la sculpture à l’époque des oeuvres d’art montables apparaît comme inévitable.

IX

La dispute qui s’ouvrit, au cours du XIXe siècle, entre la peinture et la photographie, quant à la valeur artistique de leurs productions respectives, apparaît de nos jours confuse et dépassée. Cela n’en diminue du reste nullement la portée, et pourrait au contraire la souligner. En fait, cette querelle était le symptôme d’un bouleversement historique de portée universelle dont ni l’une ni l’autre des deux rivales ne jugeaient toute la portée. L’ère de la reproductibilité mécanisée séparant l’art de son fondement rituel, l’apparence de son autonomie s’évanouit à jamais. Cependant le changement des fonctions de l’art qui en résultait dépassait les limites des perspectives du siècle. Et même, la signification en échappait encore au XXe siècle – qui vit la naissance du film.

Si l’on s’était auparavant dépensé en vaines subtilités pour résoudre ce problème : la photographie est-elle ou n’est-elle pas un art ? – sans s’être préalablement demandé si l’invention même de la photographie n’avait pas, du tout au tout, renversé le caractère fondamental de l’art – les théoriciens du cinéma à leur tour s’attaquèrent à cette question prématurée. Or, les difficultés que la photographie avait suscitées à l’esthétique traditionnelle n’étaient que jeux d’enfant au regard de celles que lui préparait le film. D’où l’aveuglement obstiné qui caractérise les premières théories cinématographiques. C’est ainsi qu’Abel Gance, par exemple, prétend : Nous voilà, par un prodigieux retour en arrière, revenus sur le plan d’expression des Egyptiens… Le langage des images n’est pas encore au point parce que nos yeux ne sont pas encore faits pour elles. Il n’y a pas encore assez de respect, de culte pour ce qu’elles expriment. [4]Séverin-Mars écrit : Quel art eut un rêve plus hautain, plus poétique à la fois et plus réel. Considéré ainsi, le cinématographe deviendrait un moyen d’expression tout à fait exceptionnel, et dans son atmosphère ne devraient se mouvoir que des personnages de la pensée la plus supérieure aux moments les plus parfaits et les plus mystérieux de leur course. [5]Alexandre Arnoux de son côté achevant une fantaisie sur le film muet, va même jusqu’à demander : En somme, tous les termes hasardeux que nous venons d’employer ne définissent-ils pas la prière ? [6]Il est significatif de constater combien leur désir de classer le cinéma parmi les arts, pousse ces théoriciens à faire entrer brutalement dans le film des éléments rituels. Et pourtant, à l’époque de ces spéculations, des oeuvres telles que L’Opinion publique et La Ruée vers l’or se projetaient sur tous les écrans. Ce qui n’empêche pas Gance de se servir de la comparaison des hiéroglyphes, ni Séverin-Mars de parler du film comme des peintures de Fra Angelico. Il est caractéristique qu’aujourd’hui encore des auteurs conservateurs cherchent l’importance du film, sinon dans le sacral, du moins dans le surnaturel. Commentant la réalisation du Songe d’une nuit d’été, par Reinhardt, Werfel constate que c’est sans aucun doute la stérile copie du monde extérieur avec ses rues, ses intérieurs, ses gares, ses restaurants, ses autos et ses plages qui a jusqu’à présent entravé l’essor du film vers le domaine de l’art. Le film n’a pas encore saisi son vrai sens, ses véritables possibilités… Celles-ci consistent dans sa faculté spécifique d’exprimer par des moyens naturels et avec une incomparable force de persuasion tout ce qui est féerique, merveilleux et surnaturel. [7]

X

Photographier un tableau est un mode de reproduction ; photographier un événement fictif dans un studio en est un autre. Dans le premier cas, la chose reproduite est une oeuvre d’art, sa reproduction ne l’est point. Car l’acte du photographe réglant l’objectif ne crée pas davantage une oeuvre d’art que celui du chef d’orchestre dirigeant une symphonie. Ces actes représentent tout au plus des performances artistiques. Il en va autrement de la prise de vue au studio. Ici la chose reproduite n’est déjà plus oeuvre d’art, et la reproduction l’est tout aussi peu que dans le premier cas. L’oeuvre d’art proprement dite ne s’élabore qu’au fur et à mesure que s’effectue le découpage. Découpagedont chaque partie intégrante est la reproduction d’une scène qui n’est oeuvre d’art ni par elle-même ni par la photographie. Que sont donc ces événements reproduits dans le film, s’il est clair que ce ne sont point des oeuvres d’art ?

La réponse devra tenir compte du travail particulier de l’interprète de film. Il se distingue de l’acteur de théâtre en ceci que son jeu qui sert de base à la reproduction, s’effectue, non devant un public fortuit, mais devant un comité de spécialistes qui, en qualité de directeur de production, metteur en scène, opérateur, ingénieur du son ou de l’éclairage, etc., peuvent à tout instant intervenir personnellement dans son jeu. II s’agit ici d’un indice social de grande importance. L’intervention d’un comité de spécialistes dans une performance donnée est caractéristique du travail sportif et, en général, de l’exécution d’un test. Pareille intervention détermine en fait tout le processus de la production du film. On sait que pour de nombreux passages de la bande, on tourne des variantes. Par exemple, un cri peut donner lieu à divers enregistrements. Le monteur procède alors à une sélection établissant ainsi une sorte de record. Un événement fictif tourné dans un studio se distingue donc de l’événement réel correspondant comme se distinguerait la projection d’un disque sur une piste, dans un concours sportif, de la projection du même disque au même endroit, sur la même trajectoire, si cela avait lieu pour tuer un homme. Le premier acte serait l’exécution d’un test, mais non le second.

Il est vrai que l’épreuve de test soutenue par un interprète de l’écran est d’un ordre tout à fait unique. En quoi consiste-t-elle ? À dépasser certaine limite qui restreint étroitement la valeur sociale d’épreuves de test. Nous rappellerons qu’il ne s’agit point ici d’épreuve sportive, mais uniquement d’épreuves de tests mécanisés. Le sportsman ne connaît pour ainsi dire que les tests naturels. Il se mesure aux épreuves que la nature lui fixe, non à celles d’un appareil quelconque – à quelques exceptions prés, tel Nurmi qui, dit-on, courait contre la montre. Entre-temps, le processus du travail, surtout depuis sa normalisation par le système de la chaîne, soumet tous les jours d’innombrables ouvriers à d’innombrables épreuves de tests mécanisés. Ces épreuves s’établissent automatiquement : est éliminé qui ne peut les soutenir. Par ailleurs, ces épreuves sont ouvertement pratiquées par les instituts d’orientation professionnelle.

Or, ces épreuves présentent un inconvénient considérable : à la différence des épreuves sportives, elles ne se prêtent pas à l’exposition dans la mesure désirable. C’est là, justement qu’intervient le film. Le film rend l’exécution d’un test susceptible d’être exposée en faisant de cette exposabilité même un test. Car interprète de l’écran ne joue pas devant un public, mais devant un appareil enregistreur. Le directeur de prise de vue, pourrait-on dire, occupe exactement la même place que le contrôleur du test lors de l’examen d’aptitude professionnelle. Jouer sous les feux des sunlights tout en satisfaisant aux exigences du microphone, c’est là une performance de premier ordre. S’en acquitter, c’est pour l’acteur garder toute son humanité devant les appareils enregistreurs. Pareille performance présente un immense intérêt. Car c’est sous le contrôle d’appareils que le plus grand nombre des habitants des villes, dans les comptoirs comme dans les fabriques, doivent durant la journée de travail abdiquer leur humanité. Le soir venu, ces mêmes masses remplissent les salles de cinéma pour assister à la revanche que prend pour elles l’interprète de l’écran, non seulement en affirmant son humanité (ou ce qui en tient lieu) face à l’appareil, mais en mettant ce dernier au service de son propre triomphe.

XI

Pour le film, il importe bien moins que l’interprète représente quelqu’un d’autre aux yeux du public que lui-même devant l’appareil. L’un des premiers à sentir cette métamorphose que l’épreuve de test fait subir à l’interprète fut Pirandello. Les remarques qu’il fait à ce sujet dans son roman On tourne, encore qu’elles fassent uniquement ressortir l’aspect négatif de la question, et que Pirandello ne parle que du film muet, gardent toute leur valeur. Car le film sonore n’y a rien changé d’essentiel. La chose décisive est qu’il s’agit de jouer devant un appareil dans le premier cas, devant deux dans le second. Les acteurs de cinéma, écrit Pirandello, se sentent comme en exil. En exil non seulement de la scène, mais encore d’eux-mêmes. Ils remarquent confusément, avec une sensation de dépit, d’indéfinissable vide et même de faillite, que leur corps est presque subtilisé, supprimé, privé de sa réalité, de sa vie, de sa voix, du bruit qu’il produit en se remuant, pour devenir une image muette qui tremble un instant sur l’écran et disparaît en silence… La petite machine jouera devant le public avec leurs ombres, et eux, ils doivent se contenter de jouer devant elle. [8]

Le fait pourrait aussi se caractériser comme suit : pour la première fois – et c’est là l’oeuvre du film – l’homme se trouve mis en demeure de vivre et d’agir totalement de sa propre personne, tout en renonçant du même coup à son aura. Car l’aura dépend de son hic et nunc. Il n’en existe nulle reproduction, nulle réplique. L’aura qui, sur la scène, émane de Macbeth, le public l’éprouve nécessairement comme celui de l’acteur jouant ce rôle. La singularité de la prise de vues au studio tient à ce que l’appareil se substitue au public. Avec le public disparaît l’aura qui environne l’interprète et avec celui de l’interprète l’aura de son personnage.

Rien d’étonnant à ce qu’un dramaturge tel que Pirandello, en caractérisant l’interprète de l’écran, touche involontairement au fond même de la crise dont nous voyons le théâtre atteint. À l’oeuvre exclusivement conçue pour la technique de reproduction telle que le film ne saurait en effet s’opposer rien de plus décisif que l’oeuvre scénique. Toute considération plus approfondie le confirme. Les observateurs spécialisés ont depuis longtemps reconnu que c’est presque toujours en jouant le moins possible que l’on obtient les plus puissants effets cinématographiques… . Dès 1932, Arnheim considère comme dernier progrès du film de n’y tenir l’acteur que pour un accessoire choisi en raison de ses caractéristiques… et que l’on intercale au bon endroit [9]. À cela se rattache étroitement autre chose. L ‘acteur de scène s’identifie au caractère de son rôle. L’interprète d’écran n ‘en a pas toujours la possibilité. Sa création n’est nullement tout d’une pièce ; elle se compose de nombreuses créations distinctes. A part certaines circonstances fortuites telles que la location du studio, le choix et la mobilisation des partenaires, la confection des décors et autres accessoires, ce sont d’élémentaires nécessités de machinerie qui décomposent le jeu de l’acteur en une série de créations montables. II s’agit avant tout de l’éclairage dont l’installation oblige à filmer un événement qui, sur l’écran, se déroulera en une scène rapide et unique, en une suite de prises de vues distinctes qui peuvent parfois se prolonger des heures durant au studio. Sans même parler de truquages plus frappants. Si un saut, du haut d’une fenêtre à l’écran, peut fort bien s’effectuer au studio du haut d’un échafaudage, la scène de la fuite qui succède au saut ne se tournera, au besoin, que plusieurs semaines plus tard au cours des prises d’extérieurs. Au reste, l’on reconstitue aisément des cas encore plus paradoxaux. Admettons que l’interprète doive sursauter après des coups frappés à une porte. Ce sursaut n’est-il pas réalisé à souhait, le metteur en scène peut recourir à quelque expédient : profiter d’une présence occasionnelle de l’interprète au studio pour faire éclater un coup de feu. L’effroi vécu, spontané de l’interprète, enregistré à son insu, pourra s’intercaler dans la bande. Rien ne montre avec tant de plasticité que l’art s’est échappé du domaine de la belle apparence, qui longtemps passa pour le seul où il pût prospérer.

XII

Dans la représentation de l’image de l’homme par l’appareil, l’aliénation de l’homme par lui-même trouve une utilisation hautement productive. On en mesurera toute l’étendue au fait que le sentiment d’étrangeté de l’interprète devant l’objectif, décrit par Pirandello, est de même origine que le sentiment d’étrangeté de l’homme devant son image dans le miroir – sentiment que les romantiques aimaient à pénétrer. Or, désormais cette image réfléchie de l’homme devient séparable de lui, transportable et où ? Devant la masse. Évidemment, l’interprète de l’écran ne cesse pas un instant d’en avoir conscience. Durant qu’il se tient devant l’objectif, il sait qu’il aura à faire en dernière instance à la masse des spectateurs. Ce marché que constitue la masse, où il viendra offrir non seulement sa puissance de travail, mais encore son physique, il lui est aussi impossible de se le représenter que pour un article d’usine. Cette circonstance ne contribuerait-elle pas, comme l’a remarqué Pirandello, à cette oppression, à cette angoisse nouvelle qui l’étreint devant l’objectif ? À cette nouvelle angoisse correspond, comme de juste, un triomphe nouveau : celui de la star. Favorisé par le capital du film, le culte de la vedette conserve ce charme de la personnalité qui depuis longtemps n’est que le faux rayonnement de son essence mercantile. Ce culte trouve son complément dans le culte du public, culte qui favorise la mentalité corrompue de masse que les régimes autoritaires cherchent à substituer à sa conscience de classe. Si tout se conformait au capital cinématographique, le processus s’arrêterait à l’aliénation de soi-même, chez l’artiste de l’écran comme chez les spectateurs. Mais la technique du film prévient cet arrêt : elle prépare le renversement dialectique.

XIII

Il appartient à la technique du film comme à celle du sport que tout homme assiste plus ou moins en connaisseur à leurs exhibitions. Pour s’en rendre compte, il suffit d’entendre un groupe de jeunes porteurs de journaux appuyés sur leurs bicyclettes, commenter les résultats de quelque course cycliste ; en ce qui concerne le film, les actualités prouvent assez nettement qu’un chacun peut se trouver filmé. Mais la question n’est pas la. Chaque homme aujourd’hui a le droit d’être filmé. Ce droit, la situation historique de la vie littéraire actuelle permettrait de le comprendre.

Durant des siècles, les conditions déterminantes de la vie littéraire affrontaient un petit nombre d’écrivains à des milliers de lecteurs. La fin du siècle dernier vit se produire un changement. Avec l’extension croissante de la presse, qui ne cessait de mettre de nouveaux organes politiques, religieux, scientifiques, professionnels et locaux à la disposition des lecteurs, un nombre toujours plus grand de ceux-ci se trouvèrent engagés occasionnellement dans la littérature. Cela débuta avec les boîtes aux lettresque la presse quotidienne ouvrit à ses lecteurs – si bien que, de nos jours, il n’y a guère de travailleur européen qui ne se trouve à même de publier quelque part ses observations personnelles sur le travail sous forme de reportage ou n’importe quoi de cet ordre. La différence entre auteur et public tend ainsi à perdre son caractère fondamental. Elle n’est plus que fonctionnelle, elle peut varier d’un cas à l’autre. Le lecteur est à tout moment prêt à passer écrivain. En qualité de spécialiste qu’il a dû tant bien que mal devenir dans un processus de travail différencié à l’extrême – et le fût-il d’un infime emploi – il peut à tout moment acquérir la qualité d’auteur. Le travail lui-même prend la parole. Et sa représentation par le mot fait partie intégrante du pouvoir nécessaire à son exécution. Les compétences littéraires ne se fondent plus sur une formation spécialisée, mais sur une polytechnique et deviennent par là bien commun.

Tout cela vaut également pour le film, où les décalages qui avaient mis des siècles à se produire dans la vie littéraire se sont effectués au cours d’une dizaine d’années. Car dans la pratique cinématographique – et surtout dans la pratique russe – ce décalage s’est en partie déjà réalisé. Un certain nombre d’interprètes des films soviétiques ne sont point des acteurs au sens occidental du mot, mais des hommes jouant leur propre rôle – tout premièrement leur rôle dans le processus du travail. En Europe occidentale, l’exploitation du film par le capital cinématographique interdit à l’homme de faire valoir son droit à se montrer dans ce rôle. Au reste, le chômage l’interdit également, qui exclut de grandes masses de la production dans le processus de laquelle elles trouveraient surtout un droit à se voir reproduites. Dans ces conditions, l’industrie cinématographique a tout intérêt à stimuler la masse par des représentations illusoires et des spéculations équivoques. À cette fin, elle a mis en branle un puissant appareil publicitaire : elle a tiré parti de la carrière et de la vie amoureuse des stars, elle a organisé des plébiscites et des concours de beauté. Elle exploite ainsi un élément dialectique de formation de la masse. L’aspiration de l’individu isolé à se mettre à la place de la star, c’est-à-dire à se dégager de la masse, est précisément ce qui agglomère les masses spectatrices des projections. C’est de cet intérêt tout privé que joue l’industrie cinématographique pour corrompre l’intérêt originel justifié des masses pour le film.

XIV

La prise de vues et surtout l’enregistrement d’un film offrent une sorte de spectacle telle qu’on n’en avait jamais vue auparavant. Spectacle qu’on ne saurait regarder d’un point quelconque sans que tous les auxiliaires étrangers à la mise en scène même – appareils d’enregistrement, d’éclairage, état-major d’assistants – ne tombent dans le champ visuel (à moins que la pupille du spectateur fortuit ne coïncide avec l’objectif). Ce simple fait suffit seul à rendre superficielle et vaine toute comparaison entre enregistrement au studio et répétition théâtrale. De par son principe, le théâtre connaît le point d’où l’illusion de l’action ne peut être détruite. Ce point n’existe pas vis-à-vis de la scène de film qu’on enregistre. La nature illusionniste du film est une nature au second degré – résultat du découpage. Ce qui veut dire : au studio l’équipement technique a si profondément pénétré la réalité que celle-ci n’apparaît dans le film dépouillée de l’outillage que grâce à une procédure particulière – à savoir l’angle de prise de vues par la caméra et le montage de cette prise avec d’autres de même ordre.

Dans le monde du film la réalité n’apparaît dépouillée des appareils que par le plus grand des artifices et la réalité immédiates’y présente comme la fleur bleue au pays de la Technique.

Ces données, ainsi bien distinctes de celles du théâtre, peuvent être confrontées de manière encore plus révélatrice avec celles de la peinture. II nous faut ici poser cette question : quelle est la situation de l’opérateur par rapport au peintre ? Pour y répondre, nous nous permettrons de tirer parti de la notion d’opérateur, usuelle en chirurgie. Or, le chirurgien se tient à l’un des pôles d’un univers dont l’autre est occupé par le magicien. Le comportement du magicien qui guérit un malade par imposition des mains diffère de celui du chirurgien qui procède à une intervention dans le corps du malade. Le magicien maintient la distance naturelle entre le patient et lui ou, plus exactement, s’il ne la diminue – par l’imposition des mains – que très peu, il l’augmente – par son autorité – de beaucoup. Le chirurgien fait exactement l’inverse : il diminue de beaucoup la distance entre lui et le patient – en pénétrant à l’intérieur du corps de celui-ci – et ne l’augmente que de peu – par la circonspection avec laquelle se meut sa main parmi les organes. Bref, à la différence du mage (dont le caractère est encore inhérent au praticien), le chirurgien s’abstient au moment décisif d’adopter le comportement d’homme à homme vis-à-vis du malade : c’est opératoirement qu’il le pénètre plutôt.

Le peintre est à l’opérateur ce qu’est le mage au chirurgien. Le peintre conserve dans son travail une distance normale vis-à-vis de la réalité de son sujet – par contre le cameraman pénètre profondément les tissus de la réalité donnée. Les images obtenues par l’un et par l’autre résultent de procès absolument différents. L’image du peintre est totale, celle du cameraman faite de fragments multiples coordonnés selon une loi nouvelle.

C’est ainsi que, de ces deux modes de représentation de la réalité – la peinture et le film – le dernier est pour l’homme actuel incomparablement le plus significatif, parce qu’il obtient de la réalité un aspect dépouillé de tout appareil – aspect que l’homme est en droit d’attendre de l’oeuvre d’art précisément grâce à une pénétration intensive du réelpar les appareils.

XV

La reproduction mécanisée de l’oeuvre d’art modifie la façon de réagir de la masse vis-à-vis de l’art. De rétrograde qu’elle se montre devant un Picasso par exemple, elle se fait le public le plus progressiste en face d’un Chaplin. Ajoutons que, dans tout comportement progressiste, le plaisir émotionnel et spectaculaire se confond immédiatement et intimement avec l’attitude de l’expert. C’est là un indice social important. Car plus l’importance sociale d’un art diminue, plus s’affirme dans le public le divorce entre l’attitude critique et le plaisir pur et simple. On goûte sans critiquer le conventionnel – on critique avec dégoût le véritablement nouveau. Il n’en est pas de même au cinéma. La circonstance décisive y est en effet celle-ci : les réactions des individus isolés, dont la somme constitue la réaction massive du public, ne se montrent nulle part ailleurs plus qu’au cinéma déterminées par leur multiplication imminente. Tout en se manifestant, ces réactions se contrôlent. Ici, la comparaison à la peinture s’impose une fois de plus. Jadis, le tableau n’avait pu s’offrir qu’à la contemplation d’un seul ou de quelques-uns. La contemplation simultanée de tableaux par un grand public, telle qu’elle s’annonce au XIXe siècle, est un symptôme précoce de la crise de la peinture, qui ne fut point exclusivement provoquée par la photographie mais, d’une manière relativement indépendante de celle-ci, par la tendance de l’oeuvre d’art à rallier les masses.

En fait, le tableau n’a jamais pu devenir l’objet d’une réception collective,ainsi que ce fut le cas de tout temps pour l’architecture, jadis pour le poème épique, aujourd’hui pour le film. Et, si peu que cette circonstance puisse se prêter à des conclusions quant au rôle social de la peinture, elle n’en représente pas moins une lourde entrave à un moment où le tableau, dans les conditions en quelque sorte contraires à sa nature, se voit directement confronté avec les masses. Dans les églises et les monastères du Moyen-Age, ainsi que dans les cours des princes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la réception collective des oeuvres picturales ne s’effectuait pas simultanément sur une échelle égale, mais par une entremise infiniment graduée et hiérarchisée. Le changement qui s’est produit depuis n’exprime que le conflit particulier dans lequel la peinture s’est vue impliquée par la reproduction mécanisée du tableau. Encore qu’on entreprît de l’exposer dans les galeries et les salons, la masse ne pouvait guère s’y contrôler et s’organiser comme le fait, à la faveur de ses réactions, le public du cinéma. Aussi le même public qui réagit dans un esprit progressiste devant un film burlesque, doit-il nécessairement réagir dans un esprit rétrograde en face de n’importe quelle production du surréalisme.

XVI

Parmi les fonctions sociales du film, la plus importante consiste à établir l’équilibre entre l’homme et l’équipement technique. Cette tâche, le film ne l’accomplit pas seulement par la manière dont l’homme peut s’offrir aux appareils, mais aussi par la manière dont il peut à l’aide de ses appareils se représenter le monde environnant. Si le film, en relevant par ses gros plans dans l’inventaire du monde extérieur des détails généralement cachés d’accessoires familiers, en explorant des milieux banals sous la direction géniale de l’objectif, étend d’une part notre compréhension aux mille déterminations dont dépend notre existence, il parvient d’autre part à nous ouvrir un champ d’action immense et insoupçonné.

Nos bistros et nos avenues de métropoles, nos bureaux et chambres meublées, nos gares et nos usines paraissaient devoir nous enfermer sans espoir d’y échapper jamais. Vint le film, qui fit sauter ce monde-prison par la dynamite des dixièmes de seconde, si bien que désormais, au milieu de ses ruines et débris au loin projetés, nous faisons insoucieusement d’aventureux voyages.Sous la prise de vues à gros plan s’étend l’espace, sous le temps de pose se développe le mouvement. De même que dans l’agrandissement il s’agit bien moins de rendre simplement précis ce qui sans cela garderait un aspect vague que de mettre en évidence des formations structurelles entièrement nouvelles de la matière, il s’agit moins de rendre par le temps de pose des motifs de mouvement que de déceler plutôt dans ces mouvements connus, au moyen du ralenti, des mouvements inconnus qui, loin de représenter des ralentissements de mouvements rapides, font l’effet de mouvements singulièrement glissants, aériens, surnaturels. [10]

Il devient ainsi tangible que la nature qui parle à la caméra, est autre que celle qui parle aux yeux. Autre surtout en ce sens qu’à un espace consciemment exploré par l’homme se substitue un espace qu’il a inconsciemment pénétré. S’il n’y a rien que d’ordinaire au fait de se rendre compte, d’une manière plus ou moins sommaire, de la démarche d’un homme, on ne sait encore rien de son maintien dans la fraction de seconde d’une enjambée. Le geste de saisir le briquet ou la cuiller nous est-il aussi conscient que familier, nous ne savons néanmoins rien de ce qui se passe alors entre la main et le métal, sans parler même des fluctuations dont ce processus inconnu peut être susceptible en raison de nos diverses dispositions psychiques. C’est ici qu’intervient la caméra avec tous ses moyens auxiliaires, ses chutes et ses ascensions, ses interruptions et ses isolements, ses extensions et ses accélérations, ses agrandissements et ses rapetissements. C’est elle qui nous initie à l’inconscient optique comme la psychanalyse à l’inconscient pulsionnel.

Au reste, les rapports les plus étroits existent entre ces deux formes de l’inconscient, car les multiples aspects que l’appareil enregistreur peut dérober à la réalité se trouvent pour une grande part exclusivement en dehors du spectre normal de la perception sensorielle. Nombre des altérations et stéréotypes, des transformations et des catastrophes que le monde visible peut subir dans le film l’affectent réellement dans les psychoses, les hallucinations et les rêves. Les déformations de la caméra sont autant de procédés grâce auxquels la perception collectives’approprie les modes de perception du psychopathe et du rêveur. Ainsi, dans l’antique vérité hératiclienne – les hommes à l’état de veille ont un seul monde commun à tous, mais pendant le sommeil chacun retourne à son propre monde – le film a fait une brèche, et notamment moins par des représentations du monde onirique que par la création de figures puisées dans le rêve collectif, telles que Mickey Mouse, faisant vertigineusement le tour du globe.

Si l’on se rend compte des dangereuses tensions que la technique rationnelle a engendrées au sein de l’économie capitaliste devenue depuis longtemps irrationnelle, on reconnaîtra par ailleurs que cette même technique a créé, contre certaines psychoses collectives, des moyens d’immunisation, à savoir certains films. Ceux-ci, parce qu’ils présentent des fantasmes sadiques et des images délirantes masochistes de manière artificiellement forcée, préviennent la maturation naturelle de ces troubles dans les masses, particulièrement exposées en raison des formes actuelles de l’économie. L’hilarité collective représente l’explosion prématurée et salutaire de pareilles psychoses collectives. Les énormes quantités d’incidents grotesques qui sont consommées dans le film sont un indice frappant des dangers qui menacent l’humanité du fond des pulsions refoulées par la civilisation actuelle. Les films burlesques américains et les bandes de Disney déclenchent un dynamitage de l’inconscient. [11]Leur précurseur avait été l’excentrique. Dans les nouveaux champs ouverts par le film, il avait été le premier à s’installer. C’est ici que se situe la figure historique de Chaplin.

XVII

L’une des tâches les plus importantes de l’art a été de tout temps d’engendrer une demande dont l’entière satisfaction devait se produire à plus ou moins longue échéance. L’histoire de toute forme d’art connaît des époques critiques où cette forme aspire à des effets qui ne peuvent s’obtenir sans contrainte qu’à base d’un standard technique transformé, c’est-à-dire dans une forme d’art nouvelle. Les extravagances et les crudités de l’art, qui se produisent ainsi particulièrement dans les soi-disant époques décadentes, surgissent en réalité de son foyer créateur le plus riche. De pareils barbarismes ont en de pareilles heures fait la joie du dadaïsme. Ce n’est qu’à présent que son impulsion devient déterminable : le dadaïsme essaya d’engendrer, par des moyens picturaux et littéraires, les effets que le public cherche aujourd’hui dans le film.

Toute création de demande foncièrement nouvelle, grosse de conséquences, portera au-delà de son but. C’est ce qui se produisait pour les dadaistes, au point qu’ils sacrifiaient les valeurs négociables, exploitées avec tant de succès par le cinéma, en obéissant à des instances dont, bien entendu, ils ne se rendaient pas compte. Les dadaïstes s’appuyèrent beaucoup moins sur l’utilité mercantile de leurs oeuvres que sur l’impropriété de celles-ci au recueillement contemplatif. Pour atteindre a cette impropriété, la dégradation préméditée de leur matériel ne fut pas leur moindre moyen. Leurs poèmes sont, comme disent les psychiatres allemands, des salades de mots, faites de tournures obscènes et de tous les déchets imaginables du langage. II en est de même de leurs tableaux, sur lesquels ils ajustaient des boutons et des tickets. Ce qu’ils obtinrent par de pareils moyens, fut une impitoyable destruction de l’aura même de leurs créations, auxquelles ils appliquaient, avec les moyens de la production, la marque infamante de la reproduction. Il est impossible, devant un tableau d’Arp ou un poème d’August Stramm, de prendre le temps de se recueillir et d’apprécier comme en face d’une toile de Derain ou d’un poème de Rilke. Au recueillement qui, dans la déchéance de la bourgeoisie, devint un exercice de comportement asocial [12], s’oppose la distraction en tant qu’initiation à de nouveaux modes d’attitude sociale. Aussi, les manifestations dadaïstes assurèrent-elles une distraction fort véhémente en faisant de l’oeuvre d’art le centre d’un scandale. Il s’agissait avant tout de satisfaire à cette exigence : provoquer un outrage public.

De tentation pour l’oeil ou de séduction pour l’oreille que l’oeuvre était auparavant, elle devint projectile chez les dadaïstes. Spectateur ou lecteur, on en était atteint. L’oeuvre d’art acquit une qualité traumatique. Elle a ainsi favorisé la demande de films, dont l’élément distrayant est également en première ligne traumatisant, basé qu’il est sur les changements de lieu et de plan qui assaillent le spectateur par à-coups. Que l’on compare la toile sur laquelle se déroule le film à la toile du tableau ; l’image sur la première se transforme, mais non l’image sur la seconde. Cette dernière invite le spectateur à la contemplation. Devant elle, il peut s’abandonner à ses associations. I1 ne le peut devant une prise de vue. À peine son oeil l’a-t-elle saisi que déjà elle s’est métamorphosée. Elle ne saurait être fixée. Duhamel, qui déteste le film, mais non sans avoir saisi quelques éléments de sa structure, commente ainsi cette circonstance : Je ne peux déjà plus penser ce que je veux. Les images mouvantes se substituent à mes propres pensées. [13]

En fait, le processus d’association de celui qui contemple ces images est aussitôt interrompu par leurs transformations. C’est ce qui constitue le choc traumatisant du film qui, comme tout traumatisme, demande à être amorti par une attention soutenue. [14]Par son mécanisme même, le film a rendu leur caractère physique aux traumatismes moraux pratiqués par le dadaïsme.

XVIII

La masse est la matrice où, à l’heure actuelle, s’engendre l’attitude nouvelle vis-à-vis de l’oeuvre d’art. La quantité se transmue en qualité : les masses beaucoup plus grandes de participants ont produit un mode transformé de participation.Le fait que ce mode se présente d’abord sous une forme décriée ne doit pas induire en erreur et, cependant, il n’en a pas manqué pour s’en prendre avec passion à cet aspect superficiel du problème. Parmi ceux-ci, Duhamel s’est exprimé de la manière la plus radicale. Le principal grief qu’il fait au film est le mode de participation qu’il suscite chez les masses. Duhamel voit dans le film un divertissement d’îlotes, un passe-temps d’illettrés, de créatures misérables, ahuris par leur besogne et leurs soucis…, un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées…, n’éveille au fond des coeurs aucune lumière, n’excite aucune espérance, sinon celle, ridicule d’être un jour « star » à Los-Angeles. [15]

On le voit, c’est au fond toujours la vieille plainte que les masses ne cherchent qu’à se distraire, alors que l’art exige le recueillement. C’est là un lieu commun. Reste à savoir s’il est apte à résoudre le problème. Celui qui se recueille devant l’oeuvre d’art s’y plonge : il y pénètre comme ce peintre chinois qui disparut dans le pavillon peint sur le fond de son paysage. Par contre, la masse, de par sa distraction même, recueille l’oeuvre d’art dans son sein, elle lui transmet son rythme de vie, elle l’embrasse de ses flots. L’architecture en est un exemple des plus saisissants. De tout temps elle offrit le prototype d’un art dont la réception réservée à la collectivité s’effectuait dans la distraction. Les lois de cette réception sont des plus révélatrices.

Les architectures ont accompagné l’humanité depuis ses origines. Nombre de genres d’art se sont élaborés pour s’évanouir. La tragédie naît avec les Grecs pour s’éteindre avec eux ; seules les règles en ressuscitèrent, des siècles plus tard. Le poème épique, dont l’origine remonte à l’enfance des peuples, s’évanouit en Europe au sortir de la Renaissance. Le tableau est une création du Moyen Âge, et rien ne semble garantir à ce mode de peinture une durée illimitée. Par contre, le besoin humain de se loger demeure constant. L’architecture n’a jamais chômé. Son histoire est plus ancienne que celle de n’importe quel art, et il est utile de tenir compte toujours de son genre d’influence quand on veut comprendre le rapport des masses avec l’art. Les constructions architecturales sont l’objet d’un double mode de réception : l’usage et la perception, ou mieux encore : le toucher et la vue. On ne saurait juger exactement la réception de l’architecture en songeant au recueillement des voyageurs devant les édifices célèbres. Car il n’existe rien dans la perception tactile qui corresponde à ce qu’est la contemplation dans la perception optique. La réception tactile s’effectue moins par la voie de l’attention que par celle de l’habitude. En ce qui concerne l’architecture, l’habitude détermine dans une large mesure même la réception optique. Elle aussi, de par son essence, se produit bien moins dans une attention soutenue que dans une impression fortuite. Or, ce mode de réception, élaboré au contact de l’architecture, a dans certaines circonstances acquis une valeur canonique. Car : les tâches qui, aux tournants de l’histoire, ont été imposées à la perception humaine ne sauraient guère être résolues par la simple optique, c’est-à-dire la contemplation. Elles ne sont que progressivement surmontées par l’habitude d’une optique approximativement tactile.

S’habituer, le distrait le peut aussi. Bien plus : ce n’est que lorsque nous surmontons certaines tâches dans la distraction que nous sommes sûrs de les résoudre par l’habitude. Au moyen de la distraction qu’il est à même de nous offrir, l’art établit à notre insu jusqu’à quel point de nouvelles taches de la perception sont devenues solubles. Et comme, pour l’individu isolé, la tentation subsiste toujours de se soustraire à de pareilles tâches, l’art saura s’attaquer aux plus difficiles et aux plus importantes toutes les fois qu’il pourra mobiliser des masses. Il le fait actuellement par le film. La réception dans la distraction, qui s’affirme avec une croissante intensité dans tous les domaines de l’art et représente le symptôme de profondes transformations de la perception, a trouvé dans le film son propre champ d’expérience. Le film s’avère ainsi l’objet actuellement le plus important de cette science de la perception que les Grecs avaient nommée l’esthétique.

XIX

La prolétarisation croissante de l’homme d’aujourd’hui, ainsi que la formation croissante de masses, ne sont que les deux aspects du même phénomène. L’État totalitaire essaye d’organiser les masses prolétarisées nouvellement constituées, sans toucher aux conditions de propriété, à l’abolition desquelles tendent ces masses. Il voit son salut dans le fait de permettre à ces masses l’expression de leur nature, non pas certes celle de leurs droits. [16]Les masses tendent à la transformation des conditions de propriété. L’État totalitaire cherche à donner une expression à cette tendance tout en maintenant les conditions de propriété. En d’autres termes : l’État totalitaire aboutit nécessairement à une esthétisation de la vie politique. Tous les efforts d’esthétisation politique culminent en un point. Ce point, c’est la guerre moderne. La guerre, et rien que la guerre permet de fixer un but aux mouvements de masses les plus vastes, en conservant les conditions de propriété. Voilà comment se présente l’état de choses du point de vue politique. Du point de vue technique, il se présenterait ainsi : seule la guerre permet de mobiliser la totalité des moyens techniques de l’époque actuelle en maintenant les conditions de propriété. Il est évident que l’apothéose de la guerre par l’état totalitaire ne se sert pas de pareils arguments, et cependant il sera profitable d’y jeter un coup d’oeil. Dans le manifeste de Marinetti sur la guerre italo-éthiopienne, il est dit : Depuis vingt-sept ans, nous autres futuristes nous nous élevons contre l’affirmation que la guerre n’est pas esthétique… Aussi sommes-nous amenés à constater… La guerre est belle, parce que grâce aux masques à gaz, aux terrifiants mégaphones, aux lance-flammes et aux petits tanks, elle fonde la suprématie de L’homme sur la machine subjuguée. La guerre est belle, parce qu’elle inaugure la métallisation rêvée du corps humain. La guerre est belle, parce qu’elle enrichit un pré fleuri des flamboyantes orchidées des mitrailleuses. La guerre est belle, parce qu’elle unit les coups de fusils, les canonnades, les pauses du feu, les parfums et les odeurs de la décomposition dans une symphonie. La guerre est belle, parce qu’elle crée de nouvelles architectures telle celle des grands tanks, des escadres géométriques d’avions, des spirales de fumée s’élevant des villages en flammes, et beaucoup d’autres choses encore… Poètes et artistes du Futurisme… souvenez-vous de ces principes d’une esthétique de la guerre, afin que votre lutte pour une poésie et une plastique nouvelle… en soit éclairée !

Ce manifeste a l’avantage de la netteté. Sa façon de poser la question mérite d’être adoptée par le dialecticien. À ses yeux, l’esthétique de la guerre contemporaine se présente de la manière suivante. Lorsque l’utilisation naturelle des forces de production est retardée et refoulée par l’ordre de la propriété, l’intensification de la technique, des rythmes de la vie, des générateurs d’énergie tend à une utilisation contre-nature. Elle la trouve dans la guerre, qui par ses destructions vient prouver que la société n’était pas mûre pour faire de la technique son organe, que la technique n’était pas assez développée pour juguler les forces sociales élémentaires. La guerre moderne, dans ses traits les plus immondes, est déterminée par le décalage entre les puissants moyens de production et leur utilisation insuffisante dans le processus de la production (en d’autres termes, par le chômage et le manque de débouchés).

Dans cette guerre, la technique insurgée pour avoir été frustrée par la société de son matériel naturel extorque des dommages-intérets au matériel humain. Au lieu de canaliser des cours d’eau, elle remplit ses tranchées de flots humains. Au lieu d’ensemencer la terre du haut de ses avions, elle y sème l’incendie. Et dans ses laboratoires chimiques elle a trouvé un procédé nouveau et immédiat pour supprimer l’aura.

Fiat ars, pereat mundus, dit la théorie totalitaire de l’état qui, de l’aveu de Marinetti, attend de la guerre la saturation artistique de la perception transformée par la technique. C’est apparemment là le parachèvement de l’art pour l’art. L’humanité, qui jadis avec Homère avait été objet de contemplation pour les dieux olympiens, l’est maintenant devenue pour elle-même. Son aliénation d’elle-même par elle-même a atteint ce degré qui lui fait vivre sa propre destruction comme une sensation esthétique de tout premier ordre. Voilà où en est l’esthétisation de la politique perpétrée par les doctrines totalitaires. Les forces constructives de l’humanité y répondent par la politisation de l’art.

Notes

[1]Abel GANCE : Le Temps de l’image est venu: L’art cinématographique, II, Paris, 1927. pp. 94-96).

[2]Pour les films, la reproductibilité ne dépend pas, comme pour les créations littéraires et picturales, d’une condition extérieure à leur diffusion massive. La reproductibilité mécanisée des films est inhérente à la technique même de leur production. Cette technique, non seulement permet la diffusion massive de la manière la plus immédiate, mais la détermine bien plutôt. Elle la détermine du fait même que la production d’un film exige de tels frais que l’individu, s’il peut encore se payer un tableau, ne pourra jamais s’offrir un film. En 1927, on a pu établir que, pour couvrir tous ses frais, un grand film devait disposer d’un public de neuf millions de spectateurs. Il est vrai que la création du film sonore a d’abord amené un recul de la diffusion internationale – son public s’arrêtant à la frontière des langues. Cela coïncida avec la revendication d’intérêts nationaux par les régimes autoritaires. Aussi est-il plus important d’insister sur ce rapport évident avec les pratiques des régimes autoritaires, que sur les restrictions résultant de la langue mais bientôt levées par la synchronisation. La simultanéité des deux phénomènes procède de la crise économique. Les mêmes troubles qui, sur le plan général, ont abouti à la tentative de maintenir par la force les conditions de propriété, ont déterminé les capitaux des producteurs à hâter l’élaboration du film sonore. L’avénement de ce dernier amena une détente passagère, non seulement parce que le film sonore se créa un nouveau public, mais parce qu’il rendit de nouveaux capitaux de l’industrie électrique solidaires des capitaux de production cinématographique. Ainsi, considéré de l’extérieur, le film sonore a favorisé les intérêts nationaux, mais, vu de l’intérieur, il a contribué à internationaliser la production du film encore davantage que ses conditions antérieures de production.

[3]Le but même des révolutions est d’accélérer cette adaptation. Les révolutions sont les innervations de l’élément collectif ou, plus exactement, les tentatives d’innervation de la collectivité qui pour la première fois trouve ses organes dans la seconde technique. Cette technique constitue un système qui exige que les forces sociales élémentaires soient subjuguées pour que puisse s’établir un jeu harmonien entre les forces naturelles et l’homme. Et de même qu’un enfant qui apprend à saisir tend la main vers la lune comme vers une balle à sa portée l’humanité, dans ses tentatives d’innervation, envisage, à côté des buts accessibles, d’autres qui ne sont d’abord qu’utopiques. Car ce n’est pas seulement la seconde technique qui, dans les révolutions, annonce les revendications qu’elle adressera à la société. C’est précisément parce que cette technique ne vise qu’à libérer davantage l’homme de ses corvées que l’individu voit tout d’un coup son champ d’action s’étendre, incommensurable. Dans ce champ, il ne sait encore s’orienter. Mais il y affirme déjà ses revendications. Car plus l’élément collectif s’approprie sa seconde technique, plus l’individu éprouve combien limité, sous l’emprise de la première technique, avait été le domaine de ses possibilités. Bref, c’est l’individu particulier, émancipé par la liquidation de la première technique, qui revendique ses droits. Or, la seconde technique est à peine assurée de ses premières acquisitions révolutionnaires, que déjà les instances vitales de l’individu, réprimées du fait de la première technique l’amour et la mort aspirent à s’imposer avec une nouvelle vigueur. L’oeuvre de Fourier constitue l’un des plus importants documents historiques de cette revendication.

[4]Abel GANCE, Op. Cit., pp. 100-101.

[5]Séverin-Mars, cité par Abel GANCE, Op. Cit., p. 100.

[6]Alexandre ARNOUX, Cinéma, Paris, 1929, p. 28.

[7]Franz WERFEL, Ein Sommernachtstraum. Ein Film von Shakespeare und Reinhardt, Neues Wiener Journal, cité par Lu, 15 novembre 1935.

[8]Luigi PIRANDELLO : On tourne, cité par Léon PIERRE-QUINT, Signification du cinéma(L’Art cinématographique, II, Paris, 1927, pp. 14-15).

[9]Rudolf ARNHEIM, Der Film als Kunst, Berlin, 1932, pp. 176-177.

[10]Rudolf ARNHEIM, Op. Cit., p. 138.

[11]Il est vrai qu’une analyse intégrale de ces films ne devrait pas taire leur sens antithétique. Elle devrait partir du sens antithétique de ces éléments qui donnent une sensation de comique et d’horreur à la fois. Le comique et l’horreur, ainsi que le prouvent les réactions des enfants, voisinent étroitement. Et pourquoi n’aurait on pas le droit de se demander, en face de certains faits, laquelle de ces deux réactions, dans un cas donné, est la plus humaine ? Quelques-unes des plus récentes bandes de Mickey Mouse justifient pareille question. Ce qui, à la lumière de nouvelles bandes de Disney, apparaît nettement, se trouvait déjà annoncé dans maintes bandes plus anciennes : faire accepter de gaieté de coeur la brutalité et la violence comme des caprices du sort.

[12]L’archétype théologique de ce recueillement est la conscience d’être seul à seul avec son Dieu. Par cette conscience, à l’époque de splendeur de la bourgeoisie, s’est fortifiée la liberté de secouer la tutelle cléricale. À l’époque de sa déchéance, ce comportement pouvait favoriser la tendance latente à soustraire aux affaires de la communauté les forces puissantes que l’individu isolé mobilise dans sa fréquentation de Dieu.

[13]Georges DUHAMEL, Scènes de la vie future, Paris, 1930, p. 52.

[14]Le film représente la forme d’art correspondant au danger de mort accentué dans lequel vivent les hommes d’aujourd’hui. Il correspond à des transformations profondes dans les modes de perception transformations telles qu’éprouve, sur le plan de l’existence privée, tout piéton des grandes villes et, sur le plan historique universel, tout homme résolu à lutter pour un ordre vraiment humain.

[15]Georges DUHAMEL, op. cit., p. 58.

[16]Il s’agit ici de souligner une circonstance technique significative, surtout en ce qui concerne les actualités cinématographiques. A une reproduction massive répond particulièrement une reproduction des masses. Dans les grands cortèges de fête, les assemblées monstres, les organisations de masse du sport et de la guerre, qui tous sont aujourd’hui offerts aux appareils enregistreurs, la masse se regarde elle-même dans ses propres yeux. Ce processus, dont l’importance ne saurait être surestimée, dépend étroitement du développement de la technique de reproduction, et particulièrement d’enregistrement. Les mouvements de masse se présentent plus nettement aux appareils enregistreurs qu’à l’oeil nu. Des rassemblements de centaines de mille hommes se laissent le mieux embrasser à vol d’oiseau et, encore que cette perspective soit aussi accessible à l’oeil nu qu’à l’appareil enregistreur, l’image qu’en retient l’oeil n’est pas susceptible de l’agrandissement que peut subir la prise de vue. Ce qui veut dire que des mouvements de masse, et en premier lieu la guerre moderne, représentent une forme de comportement humain particulièrement accessible aux appareils enregistreurs.

Re: Help! (Message personnel)

El 25 janv. 2012, a las 16:01, « Guy M. » escribió:

Bonjour je suis en réunion mais n’oublie pas d’acheter mes biscottes
Heudebert de préférence
Merci
Ton,
Guy.

—————————————

De la part de mariana alba de luna
Envoyé :mercredi 25 janvier 2012 20:56

Véro, pourrait tu m’acheter aussi mes tortillas? De préférence maiz et pas farine.

Muchas gracias 

Mariana Luna

—————————————

De la part de Guy
Envoyé :mercredi 25 janvier 2012 23:06

Back on topic

http://youtu.be/oqSpPyDuIZw

sorry, it’s in English again

Votre,

Guy.

—————————————

De la part de Véronique
Envoyé :jeudi 26 janvier 2012 00:26

really nice GUY ! thanks !

good night to to you ALL

véronique

Nota bene, pour ce qui est de l’english

Escapade, en anglais:

1 a wild or exciting adventure, esp. one that is mischievous or unlawful; scrape  

2 any lighthearted or carefree episode; prank; romp 
  (C17: from French, from Old Italian scappata, from Vulgar Latin ex-cappare (unattested) to escape)  

adventure, antic, caper, fling, lark    (informal)  mischief, prank, romp, scrape    (informal)  spree, stunt, trick  

et aussi :

Étymologie d’Escapade

Du vieil espagnol escapada, dérivé de escapar (« échapper »), du latin vulgaire excappāre («échapper»).

Définition d’Escapade 

escapade

Nom commun

escapade /ɛs.ka.pad/ féminin

  1. (Équitation) (Vieilli) Action du cheval qui s’emporte.
  2. (Par extension)Action de se dérober, de manquer à son devoir pour aller se divertir.
    • On avait beau le corriger quand les voisins le ramenait en carriole, l’habitude de ces fugues était prise. […]. Si une semaine s’écoulait sans escapade, on le voyait s’ennuyer, dépérir et fureter dans le logis pour trouver une issue. — (Francis Carco, L’Homme de Minuit, 1938)

« MÊME PAS MORTE » Cie Mabel Octobre

Bonsoir à tous,

Mabel octobre est une compagnie de théâtre.

« Même pas morte » est une pièce mise en scène par Judith Depaule qui est, hélas pour les Parisiens, jouée en banlieue. Elle a fait l’objet d’un café psychanalyse auxquels José et moi et quelques autres ont eu le plaisir d’assister.

Vesna (« le printemps ») a entre 8 et 10 ans. C’est une enfant de la guerre. On peut imaginer qu’elle est orpheline. Après avoir fui un pays en conflit, elle se retrouve dans une famille d’accueil d’un pays occidental. Mais pour Vesna les choses « normales » de la vie quotidienne ne veulent pas dire grand chose. Vesna, dotée d’un tempérament vif et impulsif, a contracté pendant la guerre de drôles d’habitudes et une vision du monde dont il lui est difficile de se défaire, elle a développé des facultés que les autres enfants n’ont pas comme de disparaître dans ses rêves, diurnes comme nocturnes. Les adultes qui l’entourent essaient de lui réapprendre à vivre et à oublier la guerre…

C’ est un spectacle basé sur la rencontre des arts de la scène et des technologies numériques (vidéo, animation 2D assistée par ordinateur, animation 3D, effets spéciaux, programmation, jeu vidéo). Il met en scène une marionnette virtuelle nommée Vesna (la fillette), un personnage animé en 3D, projeté en vidéo et manipulé en direct. Ce personnage dialogue avec le public et de vrais acteurs, dans des décors virtuels.

J. Depaule a créé le langage que parle Vesna, pour cela elle s’est adressée à un laboratoire qui a mixé différentes langues (le roumain, l’arabe, l’hébreu etc…), le résultat est très réussi. De loin, petit clin d’oeil à Joyce ?…………

C’est une pièce qui est accessible à tout public, lorsque nous y sommes allés nombreux étaient les enfants qui y assistaient. Je vous invite vivement à vous y rendre.

vous informe de la représentation de
à L’Apostrophe – Théâtre des Arts – scène nationale (Cergy – 95)
le 04 février 2012 à 17h
le 06 février 2012 à 10h00 et 14h30
le 07 février 2012 à 20h30
et le 08 février 2012 à 14h30
réservations 01 34 20 14 14 / Pour venir
à la Salle Jacques Brel (Gonesse – 95)
le 10 février 2012 à 14h30 et 21h00
réservations 01 64 73 49 00 / Pour venir
au théâtre Jean-Vilar (Vitry-sur-Seine – 94)
le 02 mars 2012 à 14h30
le 05 mars 2012 à 10h00 et 14h30
le 06 mars 2012 à 14h30 et 19h00
et le 08 mars 2012 à 21h
réservations 01 55 53 10 60 / Pour venir
Créé par Judith Depaule, directrice artistique de la compagnie MABEL OCTOBRE,
 
 
 
N’hésitez pas à nous contacter

 

01 41 50 38 10
20 rue Rouget de Lisle
93500 PANTIN
www.mabeloctobre.net
camille@mabeloctobre.net
virginie@mabeloctobre.net
Rejoignez-nous sur Facebook : facebook.com/MabelOctobre

 

_______________________________________________

Mabel Octobre45 rue de TourtilleF-75020 PARIS

http://www.mabeloctobre.netmabeloctobre@mabeloctobre.net

tel. / fax +33 (0) 1 48 05 01 68

Si une semaine s’écoulait sans escapade, on le voyait s’ennuyer, dépérir et fureter dans le logis pour trouver une issue

Edward Munch, Galopperende hest [Cheval au galop], 1910-1912 Huile sur toile, 148 x 120 cm

De la part de  Mariana

J’adore cette partie : « Si une semaine s’écoulait sans escapade, on le voyait s’ennuyer, dépérir et fureter dans le logis pour trouver une issue”. — (Francis Carco, L’Homme de Minuit, 1938)

C’est à faire figurer sur le haut du Blog !! Caramba !!!

olé !

~

De la part de Alain

Je suis d’accord avec Mariana, mettons cette phrase comme emblème de notre Blog !

le désir qui sauve de l’hémorragie de libido!

~

De la part de Catherine Decaudin

Oui, « échapper », c’est une façon d’être « Pas-tout », et « Pas-toute » dans la jouissance de l’Autre, en bref, un peu moins bête .

~

De la part de géraldine

Oui!!!! Tout à fait d’accord avec vous, sublime cette phrase!

Le blog Escapade a trouvé sa formule d’invitation!  Je vais voir de plus près de quoi parle ce livre (1938?).

~

De la part de véronique m

j’aime assez aussi l’action du cheval qui s’emporte

~

De la part de mariana

Géniale !!! Arre, arre caballo !!! 

~

De la part de véronique m

«  le désir qui sauve de l’hémorragie de libido! »mais… comment tu définiras la libido, toi ? alain ? que je comprenne bien…

~

De la part de Catherine Decaudin

C’est plutôt la libido qui va au galop!

Elle emmène son cavalier où elle veut aller, comme l’image freudienne du ça et du moi (P 237 Essais); 

mais, à ce train là, galoper vers des escapades, je veux bien, d’autant que, c’est vrai, il s’agit de s’échapper , d’échapper à toute forme de Tout…

Alors à bientôt, pour nos « escapades pas-toutes » .

Cath

~

De la part de véronique m.

… et aussi à “pas-toutes nos escapades pas-toutes” Clignement d'œil

~

De la part de Gentes

[Le 26 janv. 2012 à 19:30, Véronique a écrit : mais… comment tu définiras la libido, toi ? alain ? que je comprenne bien…]

Ah ! Ah!  Je veux faire le malin avec mes formules Un, plus rapides que mon ombre, tel un Lucky Luke sans cheval, eh bien, bien fait pour moi, encore une femme qui ne me laisse pas roupiller !

Libido? Libido? J’ai dit libido, moi? Est-ce que j’ai une tête de libido? Bon, alors, c’est quoi ce machin truc qui s’empare de notre tas de carne pour ne plus le quitter, sauf dans la mort ou la mélancolie? C’est une chose à Freud, présente dès sa correspondance à Fliess, chose sexuelle que s’empressera de désexualiser Jung. Voilà ce que j’ai trouvé en furetant mes livres, au lieu de dormir, ce qui serait évidemment plus raisonnable que de répondre à la fée du logis:  » manifestation dynamique dans la vie psychique de la pulsion sexuelle. »

Inutile de me demander où j’ai trouvé cela chez Freud, je vais vous le dire:  » Pschoanalyse und Libidotheorie », 1922, G.W, XIII, 220: SE, XVIII,244.

Dans le film  » A Dangerous Method  » on voit Freud s’intéresser à l’intuition de Sabina Spielrein sur une possible connexion entre amour et mort, à partir de sa propre expérience. Ce qui annonce la pulsion de mort, pas sans lien avec la libido chez Freud ( cf Au-delà du principe de plaisir , Malaise dans la civilisation ), lien que n’hésitera pas d’établir Lacan:

jouissance = libido + pulsion de mort,
donc
libido = Jouissance – pulsion de mort ! Et vogue le navire.

Je me frotte les yeux de sommeil.

Et là, Chaire Vé, tucon pr’en bi ain? Jes père queue non.

À l’un.

~

De : véronique m

En tous cas, je me suis bien amusée à te lire… merci!
Heu, et “libido = jouissance – pulsion de mort” , c’est dans lacan ça aussi?

Enfin, à vous lire, maintenant, chers Catherine et Alain, je me dis qu’éventuellement s’K’Al1  veut dire avec son « hémorragie de libido », c’est que “si libido (p)fuit,  transfusion de désir sauve?”

Bonjour!

Illu: Edward Munch, Cheval au galop, 1910-1912, Huile sur toile, 148 x 120 cm (photo @alintes)

les tomates au soleil OU ça …K’HommUnique

publication

Date: Thu, 19 Jan 2012 09:24:54 +0000
Subject: [[escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

Correspondance d’escapades a publié un nouvel article intitulé :

cultivons ensemble notre autisme

Vous pouvez lire la suite de cet article à l’adresse suivante:

https://disparates.org/escapades/cultivons-ensemble-notre-autisme/

Vous recevez cet email parce que vous avez demandé à être notifié des
nouvelles parutions sur le blog.

Cordialement,
Correspondance d’escapades

—————————————————————————————————————————–alarmation

De la part de Mariana Alba de Luna
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 12:01
Objet : RE: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

Chers escapadeurs,

Je ne comprends pas le sens de ce titre, il est trompeur. Comment pouvons nous « cultiver notre autisme ensemble » ?

Invitez-vous à un « autisme à plusieurs » ?

Danger et dérive, me semble-t-il…

Paradoxe…

Il me semble que Catherine a voulu faire référence à la fin de l’analyse, mais cela n’est pas clair de tout pour moi.

Un tel titre m’interpelle.

Mariana

—————————————————————————————————————————–rigolation

De la part de Catherine Decaudin
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 12:13
Objet :Re: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

Effectivement, je n’ai jamais dit « ensemble »… C’est rigolo

Catherine

—————————————————————————————————————————–changeation

De la part de Véronique Müller
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 13:12
Objet : RE: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

d’accord, d’accord, mariana, je change le titre, il est de moi, c’était un joke…

quelque chose à proposer en échange ?

—————————————————————————————————————————– 😉

Le 19 janv. 2012 à 13:42, Véronique Müller  a écrit :

mariana,

bien sûr que catherine parlait de la fin de l’analyse, et d’un très jolie façon d’ailleurs…

mais, je dirais pour ma défense,

culture, se cultiver, cultivons, c’est le travail du désir, c’est un travail qui a du mal à s’accorder avec la jouissance, parce que le culturel, le culturé, cela qui demande culture, demande d’en passer par l’Autre, et donc de prendre quelques distances, quelque liberté par rapport à la jouissance (autiste toujours) (catherine dit « l’Un pas sans l’Autre », ça résonne avec « se passer du père à la condition de savoir sans servir ») (se passer de l’Autre, à la condition d’en connaître un bout sur son Un)

n’y a pas à se leurrer sur le rapport sexuel qu’il n’y a pas. le désir le fait être, et c’est tant mieux, et il faut trouver le moyen de le conjuguer aux contemporaines formes de jouissances qui se passent de l’Autre à tout mieux mieux. c’est un pari, qui ne se passe certainement pas de la culture, que je souhaite perçante. ce qui je crois peut se faire par un rappel du corps, un rappel à la vie du corps (un corps qui ne soit pas « photographié », comme disait Alain) et  qui soit désarrimé, désappareillé  de ses nouveaux gadgets. enfin, je blablate et tu sais tout ça.

mais j’ai ajouté un 😉 à la fin du titre : cultivons ensemble notre autisme 😉

alors, deal ? j’en change, de titre, mais vous m’en trouvez un autre, à cet article : https://disparates.org/escapades/cultivons-ensemble-notre-autisme/

—————————————————————————————————————————–adoucissant

De la part de Alain Gentes
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 15:25
Objet :Re: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

Véro,

J’aime bien pourtant ton titre, son style provocateur.

Peut-être l’adoucir en mettant autisme entre guillemets ( pour dire qu’on y touche en fin d’analyse, avec le Yadl’Un, pas sans lien à l’Autre), peut-être aussi remplacer ensemble par  » à plusieurs » pour éviter l’ambiance groupe de  » ensemble ». Mais c’est moins beau que ta formule!

Peut-être seulement les guillemets!

Al
Envoyé de mon iPhone

—————————————————————————————————————————–vérité

De la part de Mariana Alba de Luna
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 15:29
À : Escapades Culturelles
Objet :RE: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

Véronique,

Les Uns de la fin de l’analyse sont pour moi justement des Uns qui sont sans Autre, qui résonnent avec la destitution de l’Autre comme idéal, adresse et causalité de tout.

Des Uns qui surgissent après avoir passé par un « L’Autre n’existe pas », qui est si difficile d’accepter, lâchant la jouissance que cela implique de toujours être en prise à son ravage.

Ces Uns, ne renvoient plus à L’Autre mais à notre propre responsabilité d’exister.

Donc je ne partage pas ce : « L’Un pas sans l’Autre » qui n’est pas de tout la même chose que « se passer du père à la condition de s’en servir ».

Mais ton expression « se passer de l’Autre à la condition d’en connaître un bout de son Un » racine de son être et choix subjectif, mais paraît intéressante.

Les Uns, le père, autisme, on mélange tout là.

On ne se désappareille pas des bouts de la langue auxquels le corps a été attaché, on desserre le lien, on le subvertit, on lui fait faire une torsion, voilà pour moi l’opération de la fin, ces Uns qui on entend autrement et que nous choisissons d’extraire, encore autrement.

C’est une question complexe, en effet. J’avance sur ce chemin, les Uns qui sont des restes, des lettres asséchées à presque rien et qui ne renvoyant plus à autre chose, ni à l’Autre mais à ma propre existence, jouissance et désir face à l’impossible. Chemin assez solitaire, difficile mais certainement pas autistique et pas d’ensemble face à ça.

Je ne souhaite pas cultiver mon autisme, mais plutôt mes tomates au soleil.

Mariana

—————————————————————————————————————————–anorganisme

De la part de Guy M.
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 16:38
Objet :RE: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

je trouve que l’expression « cultivons ensemble notre autisme » décrit
parfaitement bien l’expérience internet
on n’y est jamais « ensemble » et on multiplie les outils pour ne pas l’être
mais surtout pour se donner l’illusion d’un rapprochement, une pseudo
présence forcée techniquement,
vaine, puisqu’il n’y a pas de corps
ou le corps sans organes comme disaient les duettistes D&G, mais à propos
de la radio je crois
là on n’a même pas la voix, c’est muet
ça communique mais il n’y a personne
je ne suis pas avec vous sur twitter
je ne suis pas avec vous sur facebook
je ne suis avec vous sur le blog
je ne suis pas avec vous sur cette liste de discussion
quand j’écris je suis avant vous, les uns après les autres et jamais
ensemble non plus ce pseudo vous
quand je lis je suis après vous
mais jamais « là »
Votre,
Guy.

—————————————————————————————————————————–privation

El 19 janv. 2012, a las 17:18, Véronique Müller escribió:

catherine me propose d’enlever « ensemble » 😉

mais je crois que je vais plutôt laisser tomber, c’était juste un clin d’œil, prenons comme une private joke escapCult. c’est bien que mariana ait réagi.

enfin, je peux pas le faire maintenant parce que j’ai plus d’accès à mon internet sur mon pc.

—————————————————————————————————————————–moi&moi

De la part de Véronique Müller
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 17:19
Objet : RE: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

 

Véronique,

  • Mariana,

Les Uns de la fin de l’analyse sont pour moi justement des Uns qui sont sans Autre, qui résonnent avec la destitution de l’Autre comme idéal, adresse et causalité de tout.
Des Uns qui surgissent après avoir passé par un « L’Autre n’existe pas », qui est si difficile d’accepter, lâchant la jouissance que cela implique de toujours être en prise à son ravage.
Ces Uns, ne renvoient plus à L’Autre mais à notre propre responsabilité d’exister.

  • OUI. j’essayais de dire aussi quelque chose du désir. mais ça n’est pas clair encore.

Donc je ne partage pas ce : « L’Un pas sans l’Autre » qui n’est pas de tout la même chose que « se passer du père à la condition de s’en servir ».
Mais ton expression « se passer de l’Autre à la condition d’en connaître un bout de son Un » racine de son être et choix subjectif, mais parâit intéressante.

  • mon expression est insuffisante.

Les Uns, le père, autisme, on mélange tout là.

  • non, je ne pense pas. moi-même j’ai parlé d’autisme, à cause de l’autisme de la jouissance, du réel. L’un, c’est ce qu’il y a, c’est l’impossible du père. L’un est sans Autre, sans le père. L’un est holophrastique. Il est répétition du même. Ses reflets, ses doubles dans le signifiant sont repérables, et multiples. Mais l’un est sans double. Il ne s’agit ici que de quelque chose que j’essaie de dire. Je pense que ce qui est à traquer, ce sont les faux-doubles du Un.

    (je dis ceci en pensant à mon « muller et muller », dont j’avais parlé ici autrefois, ce rêve, dont je me réveille en sursaut, horrifiée « muller et muller ! mon nom, celui de mon père ! mais c’est le même ! c’est l’holophrase ! comment séparer le même du même ? » ce que j’essaie de formuler ici, c’est un dit de ma mère, épelant notre nom « M – U – double L – E – R ». Comment j’ai été marquée par ce « double L ». Ce double est une invention de l’Autre. Qui m’a portée à manger les choses en double, à craindre de doubler, à craindre d’être en double, à me percevoir, me jouer comme étant l’enjeu de deux hommes – et si ces deux n’étaient pas ? qu’étais-je moi ? que restait-il ? rien, rien, rien, comme si j’étais hors du compte… plus tard, à poursuivre Miller de mes assiduités : lui : M . I . double L . E . R.  Moi : M . ü (double points) . double L . E .R.) (mais la séparation de l’un et de l’autre éclaire l’existence.  )

On ne se désappareille pas des bouts de la langue auxquels le corps a été attaché, on desserre le lien, on le subvertit, on lui fait faire une torsion, voilà pour moi l’opération de la fin, ces Uns qui on entend autrement et que nous choisissons d’extraire, encore autrement.
C’est une question complexe, en effet. J’avance sur ce chemin, les Uns qui sont des restes, des lettres asséchées à presque rien et qui ne renvoyant plus à autre chose, ni à l’Autre mais à ma propre existence, jouissance et désir face à l’impossible. Chemin assez solitaire, difficile mais certainement pas autistique et pas d’ensemble face à ça.

  • Oui, c’est ça que je voulais dire. Il s’agit d’extraction, de séparation. Et alors, l’existence. 

Je ne souhaite pas cultiver mon autisme, mais plutôt mes tomates au soleil.

  • essentiel 😉

Mariana

    • oui
      (j’ai oublié d’aller chercher mon fils à l’école !!)

—————————————————————————————————————————–LoL

De la part de mariana alba de luna
Envoyé : jeudi 19 janvier 2012 19:53
Objet :Re: [escapadesculturelles] [correspondance d’escapades] cultivons ensemble notre autisme

Magnifico ! Je te dirais plus tard ce q cela m’évoque.

Dans ce redoublement que tu choisit pour fixer ta jouissance dans la nomination, dans ces LL , il y a aussi peut être à entendre une recherche pour cerner ton  : ELLE. 

Zut, faut pas q n’oublie de faire diner mes vampiritos ! 

Mariana
Enviado desde mi iPhone

 

[affaire à suivre…]

pourquoi PLATONOV mais et remarque sur les tarifs

 

skalpaldeurs, skalpadées, skalpaldatrices,

 PLATONOV MAIS…
23 mars > 15 avril 2012
 
d’après Platonov d’Anton Tchekhov
adaptation et mise en scène Alexis Armengol (Théâtre à cru)
avec Stéphane Gasc, Céline Langlois, Alexandre Le Nours, Édith Mérieau, Christophe Rodomisto, Laurent Seron-Keller, Camille Trophème

 Aviez-vous remarqué, saviez-vous que c’est 10€ sur la 1ère semaine des représentations et 14€ pour «  À deux c’est mieux ! « (soit 28€ au lieu de 40€ pour 2 personnes)

 Et pourriez-vous me dire ce qui a motivé votre choix de cette pièce, l’auteur ? le sujet ? le metteur en scène ? les acteurs ?

 Je n’ai jamais pensé vous poser cette question auparavant,

à plus,

amour simple et éternel,

moi

 

Être Autre à elle-même… par Carolina Koretzky

Psychanalyse et Cinéma
Vendredi 27 janvier 2012
Séance de 20 h 30
ECF 1, rue Huysmans, Paris 6e

TIME de Kim Ki-Duk

Mon commentaire va être bref. Il va se centrer autour d’un signifiant que ce film m’a tout de suite évoqué : l’altérité. Ce film pose au spectateur la question suivante : quelles sont les voies pour atteindre (ou pas) une altérité dans le rapport entre les sexes ? Quel type de partenaire est le personnage féminin dans ce film ?

Une réponse inédite

Le film commence par le ratage du couple, aussi nous ne savons pas grand chose sur les deux ans qu’ils ont passés ensemble. Plus précisément, le réalisateur place notre regard au moment de vacillement du couple : où il commence à regarder d’autres femmes, où ce regard toujours là devient, à un moment donné, un insupportable pour elle. En tout cas, See-Hee produit, au sein du couple qu’elle forme avec Ji-Woo, une réponse jusqu’alors inédite.

See-Hee construit une réponse face au désir qu’elle devine chez son partenaire : « Il veut du nouveau. » Elle va donc décider d’incarner, dans le réel, cet objet « corps nouveau » qui comblerait, à ses yeux, le désir de cet homme. Dès la première scène d’intimité entre eux, nous assistons aux prolégomènes de ce qui sera son passage à l’acte chirurgical. Face à la détumescence de l’organe masculin chez son partenaire, elle lui demande de penser qu’il couche avec une autre femme. Ça le fait jouir. Ainsi : il regarde des femmes, elle les met au lit.

L’homme relais, la femme Autre

See-Hee voudra désormais être une Autre pour lui. Devenir une Autre nous rapproche de la problématique de l’être dans la position féminine et évoque cette célèbre citation de Lacan : « L’altérité du sexe se dénature de cette aliénation. [Aliénation à l’Autre, explique Lacan quelques lignes auparavant.] L’homme sert ici de relais pour que la femme devienne cet Autre pour elle-même, comme elle l’est pour lui. » (( Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 732. )) Phrase assez curieuse où l’homme est qualifié de relais et la femme d’Autre pour lui et pour elle-même. Par le biais de l’homme, la femme retrouve une duplicité en elle-même : d’une part, une jouissance phallique, et d’autre part, elle rencontre une jouissance qui relève d’une autre dimension. À partir de là, quelle est la variante que le sujet hystérique introduit ? Au lieu d’interroger l’Autre, l’altérité comme telle, en prenant l’homme comme relais, elle va convoquer, dans ce point, une Autre femme.

Une économie de la parole

Arrivée à ce stade de la réflexion, je ne suis pas sûre que le personnage féminin du film mette en place une solution hystérique. Certes, elle va interroger l’altérité en sacrifiant ce qui lui est le plus cher : son compagnon. Elle va tout risquer, elle est prête à tout, elle disparaît pendant six mois afin d’être tout pour lui. Mais être une Autre femme passera par une transformation, dans le réel, de son visage. See-Hee le paie très cher par la suite : elle se sent trahie par l’Autre qu’elle est devenue. Elle devient son propre piège dans une course à l’infini, course qui est évoquée par cet escalier qui accueille les amants mais qui monte au ciel vers l’infini.

La réponse de See-Hee est d’une modernité absolue, car nous voyons bien que, dans son cas, le recours à la science fait une totale économie de la parole. Elle pense qu’elle n’aura plus à se demander : Que veut-il ? Qu’est-ce qu’il veut quand il regarde une Autre ? Où est son désir ? Que suis-je pour lui ? Qu’est-ce que l’Autre aurait de si agalmatique ? C’est une solution qui vise l’altérité, mais qui court-circuite les avatars propres au questionnement sur le désir de l’Autre.

Est-ce peut-être celui-ci le trait absolument contemporain du film ? Je le pense. Il est présent à plus d’un titre. À cette incapacité de communiquer s’ajoute l’immersion du spectateur dans un monde impersonnel : appartements ultra-minimalistes, où la seule trace singulière ce sont les quelques photos exposées, des personnages sans métier, sans histoire, sans passé et sans famille. Définitivement, dans ce film le spectateur est immergé dans un monde où le symbolique fait défaut : les lieux et les liens y sont touchés.

Vers l’infini et au-delà… par Charles-Henri Crochet

Psychanalyse et Cinéma
Vendredi 27 janvier 2012
Séance de 20 h 30
ECF 1, rue Huysmans, Paris 6e

TIME de Kim Ki-Duk

Avec le temps, See-Hee considère que Ji-Woo montre des signes de désamour. Deux ans après leur première rencontre, tout dans le comportement de Ji-Woo lui indique qu’il se lasse. Le temps donne le la à l’amour. Il s’agit moins de la routine du quotidien, ils ne partagent d’ailleurs pas le même appartement, que de la mise à l’épreuve du désir par le temps qui passe. Le temps sonne le glas du désir. Pour See-Hee l’objet qu’elle incarne, se doit d’être renouvelé pour combler le désir de l’Autre. « Désolée d’avoir toujours la même tête. » s’excuse-t-elle en se voilant la face d’un drap. Érodé par le temps, l’objet perd de sa brillance phallique. Ceci est partagé par les amis de Ji-Woo. Du corps d’une femme, avoue l’un d’entre eux, « On en a marre. Ça n’veut pas dire qu’il n’y a plus d’amour. Ça veut dire qu’on a envie d’autre chose. »

Le temps ne fait plus symptôme

Les photographies et les sculptures, omniprésentes dans la vie des personnages, rappellent le temps qui s’écoule tout en suspendant son vol. Les oeuvres figent ce que l’inéluctable de la course du temps affecte. Elles sont là pour répéter à l’infini les scènes d’un amour immobile que le temps ne saurait que corrompre.

Le temps est aussi bien comptable de la perte de l’aimé, qu’un test pour éprouver l’amant au cours de la disparition de See-Hee. Le reconquérir constamment au risque de le perdre signifie pour See-Hee se faire Autre en devenant Say-Hee. Transmutation de celle qui voit [see] en celle qui dit [say].

Quant à Ji-Woo, c’est le temps du lent travail de deuil qui le plonge dans une grande solitude intérieure faite de nostalgie, de désolation et de désespoir. Il rencontre ensuite un réel inassimilable, l’insoutenable  transformation de See-Hee. Et enfin, après sa propre opération, le temps de l’impossible retour s’enkyste. La présence dans l’absence, sa (( Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, 2005, Paris, NLS, n° 15, p. 19. )) présence impossible, le précipite vers la mort.

Le temps responsable de l’usure d’un couple, le temps qui émousse l’amour, c’est là une thématique on ne peut plus classique. Mais ici, le temps prend un autre rythme. Il est entraîné par la cadence effrénée de notre société contemporaine scandée par le discours du maître moderne. Le discours capitaliste instaure un rapport à l’objet qui ne peut que se consumer afin d’être sans cesse renouvelé. Seul l’attrait de la nouveauté marque cette série d’objets métonymiques. Ce renouvellement infini permet de tenir en éveil le désir.

L’idéal féminin de See-Hee est du côté de la nouveauté, collant ainsi au discours capitalise qui enjoint le consommateur à la répétition. Elle se fait elle-même objet de consommation.

Modelant son corps dans une course folle contre le temps, elle devient pur produit de consommation. On voit ici combien les modes du lien social et la régulation des jouissances sont subvertis. Il ne s’agit plus de faire consister le non-rapport entre les sexes par les voies de l’insatisfaction mais par le labyrinthe de l’impossible. Le temps ne fait plus symptôme.

Le temps est un réel

Le temps est un réel auquel See-Hee se cogne. Un impossible. Le désir n’est mesurable qu’à l’aune du temps 1 de la première rencontre. See-Hee se fait objet du désir d’un homme mais l’Autre ne lui répond plus, plus comme avant. Angoisse proustienne, s’il en est, où le sens de leur rapport est prisonnier de la première fois. Ça a marché mais ça ne tourne plus rond. La voilà confrontée à une bascule, un ratage particulier qui n’est autre que le ratage généralisé, propre à tous les êtres parlants et c’est pour elle insupportable. Il lui suffit alors de réinventer cette première rencontre pour devenir Autre, pour ranimer le désir de l’Autre afin qu’il soit tout à elle. Cette Autre elle-même est accessible par la chirurgie. Elle s’y emploie comme un coréen sur dix. Véritable «psychothérapie chirurgicale» (( www.chirurgien-esthetique-plastique-paris.fr ))  prônée par le corps médical.

Dans un premier temps, See-Hee confectionne elle-même son image à l’aide d’éléments hétéroclites à la Frankenstein découpés dans les magazines. Le choix du nouveau visage qu’elle veut incarner colle aux canons contemporains de la beauté. Et c’est, presque sans mot, qu’elle accède au billard de la salle d’opération. Le chirurgien sans mot dire, lui aussi, projette sur écran le réel insoutenable de l’opération, mais See-Hee ne cèdera pas. « Pour avoir un nouveau visage, je suis prête à tout ! » lance-t-elle.

Ce que femme veut, le maître contemporain le veut. Le chirurgien esthétique lui offre sur un plateau d’argent le rêve d’une beauté artificielle modelable à merci. Véritable deus ex machina, il ira avec elle jusqu’au bout. Aucune limite ne les arrête. Le client est roi. Il lui demande in fine : « Vous voulez que personne ne vous reconnaisse ? » Qu’à cela ne tienne, à chaque problème, nous dit le maître moderne, il y a une solution. C’est le miracle du bistouri ! Au frontispice de la clinique on peut d’ailleurs lire : « Vivez une autre vie. » Ici, la chirurgie est le moyen de changer d’identité, voire de disparaître. La marque du discours capitaliste rend anonyme.

Le temps du scalpel

See-Hee s’évertue à répondre au plus près à l’injonction du monde contemporain. Si Ji-Woo est en quête d’un nouvel objet de désir, alors, elle sera cette nouvelle femme. « La dictature du plus-de-jouir dévaste la nature, elle […] remanie le corps [ouvrant les portes à] une posthumanité. » constate Jacques-Alain Miller. (( Miller J.-A., Une fantaisie, Mental, 2005, Paris, NLS, n° 15, p. 19. ))  Say-Hee offre à Ji-Woo un fauxsemblant de nouveauté. Elle se fait objet métonymique. Elle incarne la nouveauté renouvelable à l’envi. Et ça marche, puisque Ji-Woo peut en jouir. Mieux, ce qu’il éprouve lors de leur première relation sexuelle après la chirurgie est de l’ordre de la nouveauté. Il confie naïvement à Say-Hee : « C’était très différent, je n’avais jamais ressenti ça avant. »

Ce qui fait exister le rapport sexuel, c’est donc le bistouri. Ici, le symptôme ne pallie pas au rapport qu’il n’y a pas entre un homme et une femme. Le symptôme comme évènement de corps dans ce qu’il a de plus radical, ce que Lacan nomme sinthome (( Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005. )), scelle de manière indélébile la rencontre du langage sur le corps. Il supplée à l’impossible de formaliser dans un discours le rapport entre les sexes. Impossible écriture. Ce n’est qu’au titre du signifiant que l’être parlant se dit homme ou femme. Il n’y a donc ni harmonie, ni recette, ni même complémentarité. Le symptôme est la réponse signifiante dans le corps à la castration symbolique. Il est un mode de jouir du parlêtre avec son inconscient (( Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « RSI », leçon du 18 février 1975, inédit.  )).

Ici, l’incidence indélébile sur le corps passe par le bistouri. On y traite le corps réel afin de suppléer au non rapport. La chirurgie plastique suture toute marque de castration. Elle la forclot à l’instar du discours capitaliste. Dans la modernité, le versant réel du corps occupe les devants de la scène. Le corps est traité comme un « meuble », (( Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, op. cit., p. 154. )) sans âme et sans limite.

L’imaginaire va alors coller à ce réel.

 Peut-on dire que le visage est élevé au rang de mascarade ? See-Hee fait-elle usage de semblants ? Elle est le semblant, pourrait-on dire. Il n’y a rien à chercher derrière le masque. Elle fait de son visage un objet fétiche. Elle s’identifie à la cause du désir d’un homme jusqu’à se faire marchandise malléable. L’objet en soi ne compte pas, c’est sa qualité qui importe, nommée ici nouveauté. See-Hee se transforme en consommable.

Évidement, elle reste insatiable, jalouse de sa rivale qui n’est autre qu’elle-même. Elle entre en compétition avec son double. Elle joue double jeu en faisant revivre sa version antérieure. Joue-t-elle avec les semblants ? Non, les suites post-opératoires lui échappent.

Elle est confrontée à un impossible. Elle vacille au chevet de son amant endormi. Dans un moment de division subjective, elle s’avoue à elle-même : « Ça c’est déroulé comme je l’avais prévu. Et pourtant, est-ce que je suis heureuse ? La tristesse envahit mon coeur. J’ai l’impression qu’il va exploser. » Le temps poursuit sa course et, de fait, elle se trouve prise dans un engrenage sans fin.

Elle… Et lui ?

« Nous entrons dans la grande époque de la féminisation du monde » (( Miller J.-A., L’orientation lacanienne, «les us du laps» (1999-2000), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, leçon du 26 janvier 2000, inédit. )) note J.-A. Miller.

Elle est ici à l’oeuvre, entraînant avec elle sa part de ravage. Le passage à l’Autre jouissance libéré de la prégnance du signifiant phallique fait vaciller Ji-Hoo. D’un côté, l’incommensurable de la jouissance féminine pousse See-Hee vers le ravage. Elle l’emporte dans une volonté de jouissance débridée, sans fard, pour enfin faire sombrer Say-Hee dans l’anonymat. De l’autre, elle entraîne Ji-Hoo vers l’au-delà de ses limites.

L’homme ne peut pas suivre. Il s’y essaie, mais il en meurt, incapable de se représenter à elle. Il est allé trop loin.

quel nom pour quel visage

Hé oui, « l’habitude de ces fugues était prise… Si une semaine s’écoulait sans escapade, on le voyait s’ennuyer, dépérir et fureter dans le logis pour trouver une issue ».

Ce week-end, ce fut une escapade autour des visages : Le film coréen présenté à la soirée « Cinéma et psychanalyse » ciblait une femme qui s’est « dévisagée » pour renouveler le désir de son homme. Voyant qu’il regardait d’autres femmes et que sa libido était un peu fatiguée (tu en as marre de moi? disait-t’elle), elle s’est « fait l’objet du désir de l’homme », non dans le semblant, mais dans le réel, en passant par la chirurgie esthétique. Pourtant, disait le chirurgien, vous ne pourrez pas être plus belle, vous l’êtes déjà. Elle croit réussir, en le séduisant incognito avec son nouveau visage, après six mois d’absence,   mais ce succès s’avère un échec et elle est « triste à exploser »; il aime encore celle qu’il croit avoir perdue, ce qui ranime en elle une jalousie absurde. Devant l’impossible à supporter de ce réel qu’il finit par découvrir, il tente de la suivre dans cet au-delà, cet illimité féminin, et va voir le chirurgien, lui aussi. Cela se termine très mal, puisqu’il ne pourra jamais plus se présenter à elle et préférera mourir: Il ne peut être « Autre à lui-même ». Il devient méconnaissable, elle aussi d’ailleurs. « On ne pourra plus jamais vous reconnaître », dit le chirurgien qu’elle retourne voir une seconde fois, comme si cela pouvait effacer l’horreur de son premier acte. Voila un peu ce que j’en ai retenu.

Le lendemain, ce fut grâce l’exposition photo de Gisèle Freund, qu’il devenait possible de mettre des visages sous des noms, et reconnaître Gide, Malraux, Cocteau, Sartre, Marie Bonaparte, Zweig et…. Joyce. La démarche m’a parue inverse de la veille: retour au symbolique, reconnaissance qui s’opposait bien à la méconnaissance.

Notre discussion après, autour d’un verre, fut magique.

Enfin, aujourd’hui, petit « rattrapage » Baselitz, en solo, avec, du coup une émotion face aux visages jaunes et en creux des « femmes de Dresde », et la monumentale « femme outremer ».

Je te passe la plume pour l’escapade des deux semaines prochaines où je ne pourrais venir, Alain?

Bises à tous,

Catherine

 

Illus:

  1. Une image de la fin du film de Kim Ki-Duc
  2. André Gide sous le masque de Leopardi, Gisele Freund, Paris 1939
  3. Georg Baselitz, Le labyrinthe des plaintes des femmes de Dresde
Est-ce capadecapable ?
Je rentre de ma solitude lègeoise, où le froid se chamaillait avec le soleil sous quelques larmes du ciel. Je scrutais mon iPad pour quelques trésors d’escapades parisiennes…Qui vinrent finalement sous la plume de Cath.
Décidément, l’écriture de l’Un fait exister à l’Autre ce qui n’a pas eu lieu pour lui. Merci pour cette navigation du Miroir, de l’île du réel au port du symbolique, et retour.
Le programme des 2 semaines suivantes est chargé: les Bonnes de J. Genet, le débat avec Ansermet, les archives avec Benjamin et  le café psychanalyse avec les « Bonnes de J.Genet et MHB.
Clin d’œil à tous !

Alain

Pourquoi « Platonov mais… »?

J’aime ta question Vé! 

Les mystères des choix d’escapades!!! Pourquoi « Platonov mais…« ?

C’est à partir de ce que nous indiquait Marion lors de la soirée Fineggans au théâtre de l’aquarium que j’ai retenu le titre de la pièce, que je ne connaissais pas. J’ai fait quelques recherches sur le net et, le sujet, l’histoire m’ont intéressée. C’est donc à Marion, à son enthousiasme contagieux et à ses yeux pétillants de passion pour cette œuvre que nous devons cette proposition! (le détail du mémoire donné par Dom m’avait échappé.)

Voilà chère Vé, les escapades les plus riches pour moi naissent de ces moments indéfinissables, qui surgissent tout à trac, qui nous animent du désir d’un(e) autre, d’un désir à l’autre, au croisement d’une transmission souvent inconsciente de ce qui nous touche et nous tient à coeur, que nous souhaitons partager et qui fait écho…C’est d’une certaine manière le fruit d’une mise en commun des désirs qui nous tiennent!

Bises

Géraldine.