Claude Cahun au Jeu de Paume

La première rencontre d’Escapades Culturelles est fixée au samedi 24 septembre à 14h au jeu de paume, 1 place de la Concorde 75008 Paris. Rendez-vous dans l’entrée du musée.

Claude Cahun,  Sans titre, vers 1939
Claude Cahun, Sans titre, vers 1939

CLAUDE CAHUN AU JEU DE PAUME par Dominique Chauvin

L’actualité Claude Cahun vient croiser la rentrée lacanienne. L’exposition que lui consacre le musée du Jeu de Paume depuis le mois de mai s’achèvera en effet le 25 septembre, ce qui nous laisse juste le temps de vous proposer cette visite ! Heureuse coïncidence, car Claude Cahun, qui a fait partie du groupe surréaliste dans les années trente, a elle-même croisé Lacan. Elle a suivi des présentations de malades à Sainte-Anne et Lacan a fréquenté à l’occasion, en compagnie de ses amis surréalistes, l’atelier qu’elle occupait avec sa compagne Suzanne Malherbe, 70 bis, rue Notre-Dame des Champs. En 1938, Claude et Suzanne s’installent dans l’île de Jersey et se trouvent dès lors coupées du groupe. Elles sont arrêtées en 1944 pour actes de résistance, condamnées à mort, libérées en 1945(1)…
Claude Cahun se tenait plutôt pour un écrivain, un poète. Elle se passionna aussi pour le théâtre. L’œuvre photographique, présentée ici, était peu connue de son vivant. C’est pourtant une œuvre fascinante, que nous vous invitons à venir découvrir.

(1) Cf. François Leperlier, Claude Cahun, L’exotisme intérieur, Paris, Fayard, 2006.

Tu seras mon éclaireuse…

J’aime bien, quant à moi, me laisser porter par le désir d’autres, j’aborde les œuvres de façon brute, c’est-à-dire brutale. Celles qui me touchent me laissent sans voix, sans mot: elles savent dans leur mouvement même retenir le punctum ( R. Barthes). Quant au studium, c’est l’ennui assuré!

Le visage, de profil et en miroir, de Claude Cahun, n’a pu s’effacer, pour moi, au fil de la visite. Je n’ai pu regarder les autres « tableaux » qu’à travers le prisme de ce premier, qui ne s’est jamais vraiment estompé!

Bises
Alain

munch, premier repérage

Bonsoir tous,

Passant devant Beaubourg, j’ai fait un premier repérage impromptu cet après-midi !

Points communs avec Claude Cahun : Munch a pratiqué la photographie, l’autoportrait tout au long de sa vie, et l’écriture. En l’occurrence, de poèmes, dont l’un est intitulé « Le cri ».

Il a, lui aussi, un rapport très particulier au regard (normal, il est peintre): souffrant de troubles de la vision (hémorragie de l’œil droit), il entreprend de peindre ce qu’il voit à travers cet œil. Normal aussi: ça se traduit à l’occasion par des visions assez cauchemardesques.

Mercredi, je mettrai la dernière main à mes préparatifs de voyage. A un prochain samedi, donc ?

D

A text from Munch’s diary in 1892 relates to The Scream:
I was walking along a path with two friends
the sun was setting
I felt a breath of melancholy
Suddenly the sky turned blood-red
I stopped and leant against the railing,
deathly tired
looking out across flaming clouds that hung
like – blood and a sword over the
deep blue fjord and town
My friends walked on –
I stood there trembling with anxiety
And I felt a great, infinite scream pass
through nature

Claude cahun corps et nan-na Kun

CAHUN – rien à faire, pour moi la coïncidence est trop belle : claude cahun corps et nan-na Kun ! et quel corps ! alors, oui, alain, le punctum des premiers portraits  qui pour moi comportent quelque chose d’horrible… et dont une part de l’horreur fonctionne paradoxalement dans l’exacerbation du semblant – ça n’est pas la chose nue, c’est la chose ultra-policée, polie, peau-lissée, en dehors de tous les poncifs sur la beauté proche bientôt d’une sorte de nudité foetale – interrogeant aussi le moment où la beauté fait ou ferait l’homme ou la femme -, – l’hors-la-loi qui use des moyens même de la police pour venir à se montrer. le voile opaque qui pourtant montre. ah, ce n’est pas cela que j’avais en tête l’autre nuit, mais, je ne me souviens plus de ce que j’avais en tête l’autre nuit.

amicalement à vous,

véronique

——————————————————-

Merci Véronique pour pour tes réflexions à propos de Claude Cahun ! Anne-Marie Landivaux souhaitait pour « Confluents » un retour de nos « Escapades ». Je me demandais si tu serais d’accord pour lui envoyer ces lignes, qui font déjà un petit texte, ou si tu voudrais les étoffer avec celles qui t’étaient venues la veille. Ou encore cela pourrait être l’amorce d’une réflexion à plusieurs voix, comme le suggéraient Vanessa et Alain ?

A bientôt,

D

——————————————————-

Dominique,

Confluents ? oh je ne sais pas, j’ai écrit vite.

je viens de revoir l’image dont parle Alain:

l’effroi, l’envie de détourner les yeux  est toujours là:  mais la chose est bien plus nue que ce que j’en disais cet après-midi,  quand me me revenait à l’esprit plutôt cette image-là (dont la vue ne me dérange pas moins) :

Claude Cahun, Autoportrait, 1927
Claude Cahun, Autoportrait, 1927, Tirage gélatino-argentique, 19,5 x 14 cm

et quand on aura parlé du maquillage, de la sophistication extrême, de « l’étal »  – ce côté : « comment c’est », « là », on aura encore rien dit de l’humour (des chatteries, de la provocation) :


et l’incroyable sérieux:

cette femme au crâne rasé, ce regard droit, comment ne pas songer au sort qui sera, quelques années plus tard, celui des… … (ah, je n’arrive même pas à l’écrire).

« Brouiller les cartes. Masculin ? Féminin ? Mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. S’il existait dans notre langue on n’observerait pas ce flottement de ma pensée. Je serais pour de bon l’abeille ouvrière. »

«I am in training, don’t kiss me.»

«A 7 ans je cherchais déjà sans le savoir, avec la hardiesse stratégique et l’impuissance motrice qui me caractérisent, l’aventure sentimentale.»

«Me voici pure, vierge sans emploi, reine en grève, chômeuse volontaire, en marge et comme on dit au ban de l’humanité. Faites comme moi : Restez à la maison et mangez de la laine.»

quelle lucidité, quel talent,

causons, plutôt,

à vous,

véronique

un petit vortex temporel

Bonsoir à tous!

Je rentre de paris, la tête pleine des croisements de regards, rencontrés dans cette belle exposition de « l’œil moderne »!

J’ai finalement trouvé un petit vortex temporel pour me faufiler entre deux toiles d’Edvard. Cette respiration en milieu de semaine fut un vrai délice!

Je suis très intéressée par la présentation en série qui est faite là. Pas uniquement de la série des autoportraits. Celle des reprises et cette salle sublime de la femme nue qui pleure……. Wouaaaa! Magnifique travail!

C’est toi Alain qui rappelait: « la série c’est le sérieux »? Tu pourrais me redonner la référence de cette citation?

Cahun / Munch… Conjonction contingente bien riche à creuser il me semble sur la question de leur regards portés sur le monde.

En plus des éléments donnés Dominique, ce qui me frappe (justement oui me frappe!) c’est la violence à fleur de toile, ou de clichés, des images de souffrances, et en même temps une grande délicatesse. Les contrastes ombres/lumières de Cahun et ceux des couleurs de Munch font apparaitre des lumières blafardes parfois, et tellement vives et douces par moment. Saisissant! Il y a du corps de la chair, et du sang!!

Pour les amateurs de face de bouc… les clichés sont en ligne! Pour les autres… vivement la prochaine visite! 😉

Bonne fin de soirée!

Vanessa

De Cahun à Munch

DEUXIEME ESCAPADE

De Cahun à Munch

Nous vous invitons à nous rejoindre pour une nouvelle escapade, prévue le 29 octobre à l’occasion de l’exposition EDVARD MUNCH L’OEIL MODERNE, que le musée du centre Pompidou consacre au grand peintre.

[dailymotion id=xkw1eg]

L’artiste norvégien n’est plus à présenter depuis le « retentissant » vol de son œuvre la plus célèbre « Le Cri », ainsi que « La Madone » en 2004, fort heureusement retrouvés en 2007.

Il s’agira au cours de cette rétrospective de la seconde partie de son œuvre, production moins connue qui inspire les artistes actuels, de découvrir les multiples talents d’un homme devenu pionnier de l’expressionnisme, étonnamment en avance sur son époque, précurseur de l’autoportrait photographique bien avant l’ère du Smartphone, explorateur de techniques inédites, toujours poussé à créer pour tenir à distance les angoisses de mort qui l’assaillaient.

Det syke barn - L’Enfant malade, 1896

Ayant perdu sa mère à l’âge de 5 ans, puis sa sœur Sophie à l’âge de 14 ans (dont il peindra l’agonie « L’Enfant malade» faisant scandale), il a grandi dans l’autorité d’un père médecin-militaire très religieux qui voulait faire de lui un banquier.

« Nous ne peindrons plus longtemps des intérieurs avec des hommes lisant et des femmes tricotant. Nous voulons peindre des êtres vivants qui respirent, ressentent, souffrent et aiment ». Ce manifesto écrit en 1889 par l’artiste norvégien Edvard Munch, âgé de 26 ans, a été mis en pratique par l’artiste dans les années 1890, dans ses oeuvres majeures sur les thèmes universels de l’amour, l’anxiété, la mort, liés dans un « arrangement symphonique » qu’il intitula La frise de la vie.

C’est par la voie de la peinture que Munch s’émancipera, faisant de l’art sa vocation, voulant « peindre sa propre vie » dont il fera plus tard «La Frise de la vie ». Il n’aura dès lors de cesse de créer à partir de ses tourments existentiels, sa peinture ayant pour thème de prédilection la maladie, la mort et la douleur. L’amour et ses relations tumultueuses avec les femmes seront également source d’inspiration.

Dans les années 1940, les nazis jugeront son œuvre « art dégénéré » et retireront ses tableaux des musées allemands. Munch sera profondément affecté par cette situation, lui qui était antifasciste et qui considérait l’Allemagne comme sa seconde patrie. Ce qu’il exprimera lors de l’invasion de la Norvège « Devant cet énorme fantôme, dit-il à Pola, le dernier fils de Gauguin, tous mes vieux fantômes ont déguerpi dans leurs trous de souris. ».

Retiré des mondanités et menant une existence solitaire mais apaisée dans sa maison atelier au bord de la mer à Ekely, Edvard Munch meurt en 1944, un mois après ses 80 ans. Il lègue environ un millier de tableaux, 4 500 dessins et aquarelles et six sculptures à la ville d’Oslo, qui construit en son honneur le Musée Munch à Tøyen.

Rendez-vous donc le 29 octobre au 6ème étage, à l’entrée de l’exposition, à partir de 14h30. Ce groupe est un groupe ouvert et nomade.

mUNch au centre Pompidou

Voilà le tableau qui retint mon souffle autant que mon regard : il vous prive de ce qu’il vous montre! Une solitude qui n’est pas solitaire, son nom : Deux êtres humains. Les solitaires. 1933-1935

Le réel affleure toujours dans chaque tableau à la surface de la réalité peinte.

« L’œil moderne », titre de l’expo, fait palpiter le regard, UN regard surpris, étonné, perplexe, incompréhensif devant la dureté de la vie, les passions de l’âme: crime, feu, bagarre, fatigue, maladie, nudité… vieillesse.

Une bizarrerie :  je n’ai vu qu’un enfant, peint, au regard effrayé devant « le cheval au galop ». « Le petit Hans » sans doute. Munch & Freud, du réel épié, épieur.

Allez, bandes de moebius escapadeurs, courrez chez mUnch, avec des lunettes, rondes, carrées, ovales, ou toutes autres formes, mais sans verres… Surtout pas des correctifs!

Bises à pas-toutes.

Alain

Bonjour Alain, merci !

@eoik regarde ... Et hop! Sur l'affichette!!!! 1933-35 ! Belle remarque sur mon refoulement des enfants, sauf Un!

J’ai publié ton texte, là.

D’où tiens tu les dates 1933-1935 pour le tableau Deux êtres humains. Les solitaires ? Je n’ai trouvé que la date de 1905…

Saviez-vous que cette peinture  est une « copie » d’une version de 1892 perdue dans un naufrage?

Munch a beaucoup pratiqué la copie, aussi parce qu’il était obligé de « vivre de son art », et qu’il déplorait d’avoir à se séparer de ses peintures. Aussi, repeignait-il régulièrement les toiles vendues pour en disposer dans son atelier et  y reconstituer sa « Frise de la vie », car, disait-il, il fallait qu’il avance en s’appuyant sur ses précédents tableaux :

« Je suis tout à fait contre ce qu’on appelle une fabrique de tableaux – faire des répliques pour la vente – Mais je dis, il ne faut jurer de ‘rien’ – et j’ai le plus souvent copié mes tableaux – Mais il y a toujours une évolution et jamais la même – je construis un tableau à partir d’un autre. »

Je vous envoie en annexe le dossier de presse du Centre Pompidou, d’où j’ai tiré ces renseignements.

Pour ce qui est des « enfants » Alain, je suis tout de même un peu étonnée par ta remarque, mais c’est le sentiment que tu as eu, faudrait voir d’où ça vient, parce que de mon côté, tout de suite j’ai pensé aux tableaux de l’enfant malade et la puberté dont j’ai trouvé cette  jolie photo dans un article de Valérie Duponchelle (là : http://www.lefigaro.fr/culture/2011/09/19/03004-20110919ARTFIG00427-munchsans-cliches.php) :

L'Enfant malade (1896) et La Puberté (1894-1895) d'Edvard Munch, lors de l'accrochage à Beaubourg, le 15 septembre


à bientôt ,

vrm

bigornetteries (l’un pas du réel)

d’@alintes @Bigornette

@alintes La solitude, mUNch & Ferré…

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=BR7E0fbl-As]

@Bigornette bonjour 🙂 dis moi stp y a « le cri » à l’expo Munch ?

@alintes il est omniprésent, par son absence même.  Mais on le retrouve, presque dans chaque tableau: point noir dans la bouche ouverte

@alintes Du Cri de Munch à l’Injection faite à Irma de Freud, il n’y a qu’un pas, celui du réel, traqué-traqueur.

Pour une « romance mathématique »…

Chers Escapadiens,

De chez Hortense, face à la Dame du Pyla , j’observerai votre ascension du mont Munch.

D’ici là, histoire de me réveiller, je parcours LQ72 et tombe, séduit, sur la Nouvelle d’azymut de CLM:  » À la fondation Cartier: une conversation avec l’univers ». Ça y parle de l’exposition  » Mathématiques. Un dépaysement soudain » ( du 21 oct 11 au 18 mars 12 à la fondation Cartier).

J’y suis d’autant plus sensible que mon premier amour ( extra-maternel !!!) furent les mathématiques.

Je nous invite à faire de cette  » romance mathématique  » notre prochaine escapade.

Bien à vous, Pieds Penseurs et Têtes rieuses !

YAYOI KUSAMA – « Self-Obliteration »

Yayoi Kusama . Ceci n'est pas un tableau ( à partir de son phénomène élémentaire d'enfant)

Chers Escapadiens,

Les éclaireurs hyper-actifs, Al, Ley & Nou ont encore frappé sur leur lieu du crime préféré: le centre Pompidou! Ils se « dépayseront soudainement » avec les mathématiques chez Cartier une autre fois. Al, en effet, n’a pas réussi sa romance auprès de Ley & Nou pour les rendre gourmandes des parfums mathématiques. Il a fallu qu’il dise seulement « dé-gentée », femme et japon, pour embarquer Ley & Nou dans une escapade impromptue ce « ça me dit »-là. Escapade à la galerie du musée, et qui a pour nom: YAYOI KUSAMA, jusqu’au 9 janvier 12!

Un choix de 150 œuvres réalisées par cette artiste japonaise, entre 1949 et 2011.

Œuvre démarrée par une hallucination visuelle vécue autour de la table familiale: les fleurs rouges de la nappe se multiplient sur le plafond, les murs, le sol, sur elle-même. L’expo débute par une évocation de cet Un. Ainsi se fonde la légende, vivante, de Kusama: âme sans corps, l’artiste fait de son « Self-Obliteration » le défi et la quête même d’une œuvre singulière, qui lui donne corps et nom!

Le parcours dans l’expo double celui de Yayoi dans sa réalité.

On se balade dans de la répétition qui allège, qui, étrangement, fait surgir de l’infini comme fini.
La promenade s’achève sur un traitement de la réalité ( corps, objets, événements) par le tissu-phallus.

Ce n’est pas sans évocation Louise Bourgeois, son travail avec les tissus et sa  » destruction du père », avec cependant, l’ironie en moins.

Ces objets tissés par la multiplicité de phallus ( qui en signe son défaut) – pris pour des nouilles par une mère causant à son fils -, sont d’une blanche beauté qui délivre une image de solidité amusante.

Imaginez-vous recevoir vos patients sur un divan tissé de petits phallus en tout genre! Sourire, mais justement, et bizarrement, ça ne porte pas ici à l’humour, à l’ironie.

Belle Exposition, courrez-y!

Alain

Yayoi Kusama . Invitation au voyage . Mille bateaux.

 

Yayoi Kusama . la femme phallique . le divan
Yayoi Kusama . la femme phallique . le divan

Yayoi Kusama – la belle perplexité

J’ai placé Ley dans la chambre rouge, œuvre de Yayoi, faudrait vérifier qu’elle n’y soit pas toujours!

«Un souvenir d’enfance fonde la légende de Yayoi Kusama et associe le commencement de sa vie d’artiste à une hallucination, une inquiétante étrangeté qui s’est manifestée autour de la table familiale : les fleurs rouges de la nappe se multiplient sur le plafond, les murs, le sol, sur elle-même. Âme sans corps, l’artiste fait de son insupportable auto-anéantissement (Self-Obliteration) le défi et la quête même d’une oeuvre radicale et atypique : inscrire son corps, s’inventer un corps à corps selon des procédures formelles toujours réinventées..

L’exil à New York en 1958 libérera Kusama, peintre, sculpteure, performeuse, écrivaine et chanteuse. En traversant les frontières, elle se défait de tout lien, sauf de la mémoire d’une immense culture.

[…]
« C’était la période de l’engouement pour l’Action painting. J’avais l’idée qu’il était important pour moi d’élaborer un art original, issu uniquement de mon monde intérieur […]. En 1959, j’exposais mes Infinity Nets, blancs sur fond noir. La monotonie engendrée par une répétition due à une action constante, l’absence d’un centre, et l’indifférence témoignée à la composition, plongèrent le public dans la perplexité […] J’avais en moi le désir de mesurer de façon prophétique l’infini de l’univers incommensurable à partir de ma position, en montrant l’accumulation de particules dans mes mailles d’un filet où les pois seraient traités comme autant de négatifs. […] C’est en pressentant cela que je puis me rendre compte de ce qu’est ma vie, qui est un pois. Ma vie, c’est-à-dire un point au milieu de ces millions de particules qui sont les pois. […] »

Un jour, après avoir vu, sur la table, la nappe au motif de fleurettes rouges, j’ai porté mon regard vers le plafond. Là, partout, sur la surface de la vitre comme sur celle de la poutre, s’étendaient les formes des fleurettes rouges. Toute la pièce, tout mon corps, tout l’univers en seront pleins ; moi-même je m’acheminerai vers l’autoanéantissement, vers un retour, vers une réduction, dans l’absolu de l’espace et dans l’infini d’un temps éternel. […] Je fus saisie de stupeur. […] Peindre était la seule façon de me garder en vie, ou à l’inverse était une fièvre qui m’acculait moi-même. […] »

UN POIS, C’EST TOUT, Chantal Béret, Conservatrice au musée national d’art moderne. Texte publié dans le magazine programme Code Couleur

clair de lune

je me suis interrogée sur ce « i » qui si souvent revenait dans les compositions de Munch, pour découvrir alors qu’il s’agissait d’un clair de lune.

TWO HUMAN BEINGS. 1899-16. Woodcut
TWO HUMAN BEINGS. 1899-16. Woodcut

Munch, à propos des « Lonely Ones » (« De ensomme »)

The Lonely Ones
Her gaze is lost in the growing night, his gaze is lost in the whiteness of her figure and the golden brazier of her hair. And his back arches, his neck tenses, his fists clench in dark desire for her white loveliness.

comment traduire?

Les solitaires
Son regard à elle perdu dans la nuit qui vient, le sien dans la blancheur de sa silhouette et le brasier d’or de ses cheveux. Et son dos se courbe, sa nuque se tend, il serre les poings dans le noir désir de sa beauté blanche.

j’ai vérifié que « MUNCH », en norvégien, veut dire « mastiquer »,

que « lune » se dit « MOON »,

« bouche » se dit « MUNN »,

« clair de lune » se dit « MåNESKINN »,

« homme » se dit « MANN »,

et que feu se dit « BRANN »,

la première amie de Munch s’appelait MILLIE Thaulow (née Ihlen), et il s’y réfère dans ses écrits en l’appelant Mme Heiberg, et se désignant lui-même sous le nom de BRANDT,

« LIE » veut dire « mensonge ».

« What a deep impression she has left on my mind – so much so that no other image can completely efface it –

Was it because she took my first kiss that she robbed me of the taste of life – Was it that she lied – deceived – that she one day suddenly shook the scales from my eyes so that I saw the medusa’s head – saw life as unmitigated horror – saw that everything which had once had a rosy glow – now looked grey and empty. »

« Hvilket dypt mærke hun har gravet ind i min hjerne – at intet andet billede kan trænge det aldeles væk –

Var det fordi hun tog mit første kys at hun tog duften af livet fra mig –
Var det at hun løi – bedrog – at hun en dag pludselig tog skjællene fra
mit øie så jeg så medusahovedet – så livet som en stor rædsel –
At alt det som før havde rosenskjær – nu så tomt og gråt ut »

retour du i de la lune de munch (par jules)

Chers,

Jules (qui trouve qu’il faudrait une Escapade tous les mercredis) lors de notre escapade à l’exposition Munch a voulu chercher ses « i » .

A trouvé (et photographié) celui-ci, que nous connaissions,

Et plus tard décrété que le i, le point du i, jaune, c’était ça:

(tiens, de quelle peinture il les a extraits, ces troncs?)

Puis, j’ai voulu revoir les i que j’avais publiés sur le blog, et je suis tombée sur celui-ci

MISTERY OF THE SHORE, 1899
MISTERY OF THE SHORE, 1899

avec ce texte de Munch :

The Tree Stump
The stones protruded from the shallow water far far out, they looked like a whole family of sea people, large and small, who moved and stretched and made faces, but silently. You could see a little of the moon, large and yellow.

Stubben
Stenerne raget opad det grunde vand langt langt ud, de så som en hel familie af havmennesker store og små som bevægede sig og stragte sig og skar ansigter, men stille. Der så man lidt af månen gul og stor

Marrant non…

à plus plus !

!eoik

@escapcult écoute la radio

escapcult

En ce moment, « 3D » émission sur F. Inter sur l’expo  » les mathématiques, un dépaysement soudain« , avec Chandès , directeur de Cartier …

Pour réécouter l’émission de France Inter – 3D à la Fondation Cartier : le mystère des mathématiques, et les robots et la curiosité

« 3D » Fondation Cartier, comment un mathématicien élabore une façon d’écrire?  » j’ai abusé du zéro ».  » les banquiers fatiguent les zéros  »

« 3D » Fondation Cartier,  Chandès: 2 années de conversation d’artistes avec les mathématiciens, écouter, fréquenter les uns et les autres. 

« 3D » Fondation Cartier,  Chandès: comment exposer une pensée, écrire l’invisible? Quelles formes donner aux maths dans un lieu d’images?

————————————————————————————————————————————-

Trois Lacanquotidienistes ont écrit sur cet expo:

  1. dans le LQ72, Catherine Lazarus-Matet (  » Nouvelles d’azimut – A la fondation Cartier: une
    conversation avec l’univers
    « ),
  2. dans la LQ74, Rose-paule Vinciguerra (« L’exposition Mathématiques, un dépaysement soudain ») et
  3. et dans la LQ77, Luc Miller avec son fils ( «  Vu par un enfant et un mathématicien« )

post kusama

Chers amis,

Et voilà! encore une super escapcult ce dimanche à Beaubourg pour l’exposition de cette artiste au prénom imprononçable pour nous, Yayoi Kusama.

En ce qui me concerne exposition intéressante à plusieurs titres. je n’arrive pas encore à élaborer ma question précisément mais elle tourne, d’une part, autour du lien de la psychose et de l’art, de ce que ce lien peut nous dire de la nature de l’art aujourd’hui, et, d’autre part, de ce que l’art nous dit du monde contemporain.

lien psychose – art // disparition du Nom du Père – monde contemporain // psychose généralisée

Au départ de l’expérience de YK que peut-on dire de l’éthique de l’artiste ?

Pour rappel, en guide de prélude à l’exposition, on passe par une pièce qui reproduit ce qu’Alain avait nommé le « phénomène élémentaire » d’enfant de Yayoi Kusama dont elle parle dans les termes suivants ( que je reprends du petit dépliant de l’exposition):

« Un jour, après avoir vu, sur la table, la nappe au motif de fleurettes rouges, j’ai porté mon regard vers le plafond. Là, partout, sur la surface de la vitre comme sur celle de la poutre, s’étendaient les formes des fleurettes rouges. Toute la pièce, tout mon corps, tout l’univers en seront pleins; moi-même je m’acheminerai vers l’auto-anéantissement, vers un retour, vers une réduction, dans l’absolu de l’espace et dans l’infini d’un temps éternel […] Je fus saisie de stupeur. […] peindre était la seule façon de me garder en vie, ou à l’inverse était une fièvre qui m’acculait moi-même. […]. »

Le terme de « phénomène élémentaire » utilisé par Alain m’avait frappée, retenue : sans doute avais-je envie d’entendre parler de psychose (j e rappelle que je ne suis pas psychanalyste, mais très intéressée par la psychanalyse). Au cours de la discussion post-expo à la cafèt de Beaubourg, je repose la question : de quoi s’agit-il quand on parle de « phénomène élémentaire ». Dominique me répond que s’agissant de l’installation dont il est question plus haut on peut parler d’une expérience de jouissance. Et rappelle dans quels termes Lacan parle du phénomène élémentaire dans le séminaire des psychoses :

« Dès cette époque, j’ai souligné avec fermeté que les phénomènes élémentaires ne sont pas plus élémentaires que ce qui est sous-jacent à l’ensemble de la construction du délire. Ils sont élémentaires comme l’est, par rapport à une plante, la feuille où se verra un certain détail de la façon dont s’imbriquent et s’insèrent les nervures – il y a quelque chose de commun à toute la plante qui se reproduit dans certaines des formes qui composent sa totalité. De même, des structures analogues se retrouvent au niveau de la composition, de la motivation, de la thématisation du délire, et au niveau du phénomène élémentaire. Autrement dit, c’est toujours la même force structurante, si l’on peut s’exprimer ainsi, qui est à l’œuvre dans le délire, qu’on le considère dans une de ses parties ou dans sa totalité. L’important du phénomène élémentaire n’est donc pas d’être un noyau initial, un point parasitaire, comme s’exprimait Clérambault, à l’intérieur de la personnalité, autour duquel le sujet ferait une réaction fibreuse destinée à l’enkyster en l’enveloppant, et en même temps à l’intégrer, c’est-à-dire à l’expliquer, comme on dit souvent.
Le délire n’est pas déduit, il en reproduit la même force constituante, il est, lui aussi, un phénomène élémentaire. »
J. Lacan, Le Séminaire, Livre III, Les Psychoses (1955-1956), Paris, Le Seuil, 1981, p. 26.

Je me souviens alors que Miller a parlé l’année dernière du symptôme comme d’un objet fractal (objet fractal que m’évoque ici la feuille et ses nervures de Lacan) :

Alors l’ itération du symptôme, l’itération du Un de jouissance, il m’est arrivé durant la semaine de la comparer, quand j’ai eu à parler à Londres, il m’est arrivé en passant, de la comparer au processus qui génère ce qu’on appelle en mathématiques, les objets fractals. Ce sont des objets qui sont exactement auto-similaires, c’est-à-dire où le tout est semblable à chacune des parties. Et bien, c’est sur cette référence que je m’arrête pour dessiner la configuration du symptôme dont la matrice est élémentaire, et dont pourtant les formes sont les plus complexes de celles qui peuvent se rencontrer dans les mathématiques.
cours du 6 avril 2011

Le symptôme, ce qui en reste une fois qu’il est interprété, une fois que le fantasme est traversé, une fois que le désêtre est conquis, le symptôme n’est pas dialectique, il représente, il répercute le « une seule fois« , et lorsqu’il est fermé, lorsque dans l’expérience, et dans la parole bien entendu, il est saisi dans sa forme la plus pure, alors il apparaît qu’il est, comme on dit en mathématiques, auto-similaire (n’écrivez pas ça « S -I-M-I- L L – E- R » … )  Il est auto-similaire, c’est-à-dire qu’on s’aperçoit que la totalité est semblable à l’une des parties, et c’est en quoi il est fractal.
cours du 3 mai 2011

Dans l’installation-prélude : passé et présent sont emmêlés : on trouve dans le buffet livres et photos récents de Yayoi, la nappe n’est pas celle de la première expérience – d’ailleurs il n’y en n’a plus – , témoignant de la constante actualité de cette hallucination : cela parle – ou plutôt manque à parler – encore aujourd’hui. A cette première hallucination, peut-être suivie d’autres, je ne le sais pas, YK n’a cessé de chercher à y revenir, d’en rendre, d’en ramener le réel vers la représentation.

Est-ce que c’est ce fait de la représentation qui la « soulage » ? Est-ce que c’est le « ratage » même de la représentation qui la sauve ?

Les Infinity Dots offrent ce même type de réponse : c’est la toile même qui fait arrêt, qui cadre qui limite l’expérience d’infinitisation, d’illimité (la cerne en un objet … d’art). Et en quelque sorte le ratage de la représentation vient ici redoubler le premier ratage, celui du manque rencontré dans le symbolique qui a provoqué l’hallucination, le retour dans le réel du forclos.

Ce qui est intéressant également, c’est que la réponse de YK trouve de l’intérêt auprès du public, qu’il fût artiste ou profane (l’intérêt du public et du marché, d’ailleurs) – dans quelle mesure est-ce que cela ne souligne pas qu’on a tous à faire avec la psychose…

Question à Alain : penses-tu que Munch est plutôt du côté de la psychose quand tu proposes le i de Munch comme son Nom-du-père ?

Autre question à Alain ( !) : lien Bourgeois /Kusama : pourquoi avoir souligné qu’il n’y avait pas d’ironie chez Kusama ?

//

Autres points d’intérêt pour moi :

.politique

Au cours de la discussion, Nou a voulu souligner les points de ressemblances entre les 3 expos – Cahun /Munch/Kusama. voulait parler de leur présence dans le monde, de leur façon d’engagement politique.

.keskelart

C’est alors qu’à un moment donné Dominique a, me semble-t-il, posé la question de « Mais est-ce que c’est de l’art ? » « Pourquoi ? Parce que c’était quelque chose qu’elle faisait ‘pour elle-même’ ?» lui a répondu Nou parlant de Claude Cahun, et de son travail photographique…

(Pour moi, intuitivement, oui, c’est de l’art, il me semble que leur démarche à tous les trois s’inscrivait dans une démarche artistique, et il m’arrive de penser à l’art comme à un style de vie – il y a là, quelque chose, une vie qui se mène sinon au nom de l’art, au moins grâce au soutien de ce nom.

Bon, c’est pas très clair. Plus clairement, YK a fait une école d’art, il y a autour de Cahun et de sa compagne la présence de tout un monde artistique foisonnant ; quant à Munch il est clair que sa démarche est volontairement artistique. Puis, est-ce qu’il ne faut et suffit pas qu’il y ait quelqu’un qui dise : c’est de l’art, pour que ça en soit ? )

.l’acte et le processus

Enfin, il a une fois de plus été question du cartel proposé par Alain. De l’acte et du processus… (je m’étais permise de rapporter que Vanessa était éventuellement intéressée à travailler la question du processus de création – tandis qu’Alain était intéressé par la dimension de l’acte)

Qu’est-ce que l’acte ? On s’y oublie, dit quelqu’un (Dominique ?)

« Devenez un avec l’éternité. Oblitérez votre personnalité. Devenez une partie de votre environnement. Oubliez-vous. L’auto-destruction est la seule issue. » YK

Dominique souligne qu’on ne peut parler de l’acte sans se référer à l’acte analytique.

Je fais un rapprochement entre les Infinity Dots de Y. Kusama quand elle arrive à New York et le travail de Pollock. Frédéric en profite pour signaler qu’il n’aimait pas du tous les Infinity Dots. Qu’il les trouvait fastidieux, là où on contraire chez Pollock, on sent l’acte, le geste, le mouvement.

Les Infinity Dots rappellent à Dominique Louise Bourgeois qui, quand elle n’arrivait pas à dormir la nuit, dessinait des petits carrés.

J’ai encore été trop longue, hein.

biiiiise !!!

vrm

nb : hii, à ceux dont les propos sont rapportés ici, n’hésitez pas à corriger, compléter vos positions…

post kusama – l’acte et le geste

Chère Véronique,

Bravo et merci pour ton texte, qui rassemble les fils de plusieurs discussions et ouvre de nombreuses pistes pour d’autres échanges. Nous voici en plein cartel, déjà ! Il faut que je retrouve quelques références et je t’en ferai part.

Je n’ai jamais mis en doute que les photos de Claude Cahun soient de l’art !!! A développer, mais je ne voulais pas laisser planer ce malentendu… Je disais sans doute qu’à côté de son art, elle avait fait des actes dans sa vie – en particulier de résistance.

Il y aurait peut-être une distinction à faire entre « acte« , analytique ou pas (pour nous c’est une référence un peu obligée en effet, quand on parle d’acte, cf. le séminaire XV, « L’acte psychanalytique ») et « geste » de l’artiste. En même temps, ça a certainement quelque chose à voir. Cf. les développements de Lacan sur « l’unique trait de pinceau » des peintres et calligraphes chinois, dans « Lituraterre » et, je crois, dans le séminaire XVIII, « D’un discours qui ne serait pas du semblant ».

A suivre bientôt…

D

post kusama – tu n’as rien vu à Hiroshima

Bonsoir chers amis,

Merci Véronique et Dominique pour vos commentaires passionnants sur l’exposition Yayoi Kusama!

Beaucoup de pistes intéressantes en effet pour une réflexion plus psychanalytique qui s’inscrirait dans un travail en cartel à davantage préciser… Merci Alain pour cette formidable proposition!

Cette citation de Yves-Claude Stavy, relevée dans un récent numéro de Confluents, me parait également apporter quelques lumières  :

« Ce à quoi convoque chaque expérience psychanalytique, c’est la rencontre toujours singulière …(d’)une jouissance opaque, qu’emporte le symptôme avec lui. C’est sur ce point précis que l’artiste devance le psychanalyste: il y a ce qui relève de l’interprétation; et il y a ce qui relève du témoignage d’un incurable. L’objet de la clinique sitôt qu’on s’oriente de Freud et de Lacan, c’est l’objet a…L’artiste devance le psychanalyste, en cette exigence de témoignage d’une jouissance pas toute réductible au noyau élaborable qu’est l’objet a. »

J’ai aussi beaucoup apprécié cette exposition, avec une préférence pour la première période japonaise, (1949-1957), regroupant ses premières peintures très marquées par « l’après Hiroshima », mêlant les thèmes de la mort, de l’anéantissement, du corps, de la séparation, de l’énigme de la féminité, avec dés 1950   » l’élément fondateur de sa pratique artistique, le motif du Dot (pois ou point) comme substitut de son Auto-portrait, annonçant déjà la dissolution de sa propre image et de son individualité dans l’infini d’un paysage cosmique. » (brochure de l’exposition).

Je joins en aparté le chapitre 1 du film Hiroshima mon amour trouvé sur Youtube, film que j’avais en tête en découvrant l’exposition Yayoi Kusama.

« Tu n’as rien vu à Hiroshima… »  http://www.youtube.com/watch?v=2UpPd-2wWlc&feature=share

A bien vite.

Amitiés.

Géraldine.

post kusama – présentation de l’objet, retour du punctum

Chères amies,
Chère Eoik,

Nos bavardages ont fière allure. Il est l’heure de dormir, mais je suis trop tenté de répondre, de répondre à la fougue d’eoik qui aiguise le désir de l’échange.

Je vais donc, comme d’habitude, maltraiter mon corps, sans atteindre toutefois le niveau d’expérience de Yayoi dans la contingence de son hallucination inaugurale ( que je pose comme phénomène élémentaire). D’avoir élevé à la nécessité d’art cette contingence lui permet de la faire fonctionner comme Nom-du-père qui capitonne son existence dans ce que tu rappelles si bien :  » devenez Un avec l’éternité… l’autodestruction est la seule issue ». Ce qui soulage, sauve peut-être pour un temps Yayoi, c’est de faire de cette hallucination un trait qui par sa réitération ou sa répétition ( je ne saurais dire ce qui conviendrait le mieux) est une tentative d’inscrire dans l’Autre de l’art cette expérience inaugurale inouïe, bref, c’est d’en faire un destin et un nom, non par la représentation, mais par, dirais-je, la présentation: l’objet, pois, point, phallus, par sa réédition fait le père.

Bien qu’il soit difficile de repérer l’acte en dehors d’une référence à la psychanalyse, il n’en reste pas moins qu’il existe hors d’elle. La politique, l’histoire en recèlent d’exemples.

Si chez Kusama, l’hallucination fait fonction de cadre pour venir border son existence, chez Munch, c’est plutôt le i jaune, trait extime de ses toiles, punctum selon Barthes. Le sens du i jaune est sans intérêt, ne compte, me semble-t-il, que sa présence.

Il y a d’autre point en suspens, j’ y répondrai plus tard, me laissant séduire par le sommeil rieur. Juste un mot pour dire que l’idée de cartel tient toujours pour moi, il y en a déjà un certain écho. Un +1 non analyste serait le bienvenu, mais N’EST PAS NON ANALYSTE QUI VEUT!!!!

Bye bye
Alain

Volk Ding Zero

Esc femmes, Esc hommes,

Paris. Ses rues hivernales parfois le soir offrent, dans de lointaines fenêtres, d’étranges personnages bleus – que nous aimons bien:

 

BASELITZ SCULPTEUR
MAM
11 avenue du Président Wilson
75116 Paris
Standard : 01 53 67 40 00
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h (fermeture des caisses à 17h15)
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h (fermeture des caisses à 21h15).
Fermeture les jours fériés.
Métro Alma-Marceau ou Iéna
RER C Pont de l’Alma
Bus 32, 42, 63, 72, 80, 92
Station Vélib’ 2 rue Marceau

lui, porte ce nom étrange : «Volk Ding Zero», si tant est qu’il ne le sont pas tous, étranges, les noms : «Peuple Chose Zéro».

C’était avenue du Président Wilson, où nous avions opté d’aller hier, pluvieux mardi, avec Géraldine.

(nous escapdons, nous optons) (et toi, veux-tu escapader avec nous) (nous artscapadâmes)(artscapadâteras-tu)

puis, nous étions dans une très grande salle blanche atteinte après avoir traversé nombre de vastes salles dont le blanc n’était pas pur, finalement, et sur le front de « Volk Chose Zéro« , nous avons pu lire l’inscription : «ZERO»

son visage bleu, ses yeux de larmes blanches.

un panneau dit  :

« Autoportraits 2009-2010
Les sculptures les plus récentes de Baselitz sont des autoportraits monumentaux, Volk Ding Zero et Dunklung Nachtung Amung Ding. Bien qu’elles puissent évoquer (à tort) Le Penseur de Rodin, leur modèle avoué est celui des Christ aux Outrages de l’art populaire. Un personnage assis, la tête dans les mains, des yeux constitués de coulures d’une teinte blanche caractéristique des dernières peintures, constitue ce que Baselitz appelle un de ces « signes ».

sur un banc de pierre g, miss g, mamzelle g, nous sommes dans la fiction, n’est-ce pas, a consulté oracle google, j’étais assise à ses côtés, google, google, dis-moi, veux-tu, ce qu’est « Christs aux outrages « . de mon côté, j’en avais bien quelque idée, mais je ne lui trouvais pas les bons mots. je me suis demandé si mon père lui aussi n’avait pas peint l’un ou l’autre christ aux outrages, ça a aurait bien été son style. j’ai dit, eh bien, ils lui ont mis une couronne à jésus, en épines, ont planté un bâton en guise de sceptre dans la main, et ils lui ont dit, ha ha, roi des juifs, tu rigoles moins, maintenant. la réponse de google n’était pas beaucoup plus claire. mais on a vu de belles images : ce grünewald :

Matthias Grünewald (1480-1528)

Le Christ aux outrages, 1503/1505

L’épisode représenté
 
Nom : grec : Empaigmos ; lat. : Christi Alapatio, Christus velatus, consputus, et calaphizatus, it. : Nostro Signore beffagiato ; Gesù dériso, schernito, oltraggiato, angl. : The mocking (Buffeting, Scoffing) of Christ, The Lord buffeted and spit upon, all. : Die Verspottung (Verhöhnung) Christi.
 
Époque : à la fin de la vie de Jésus, dans le cycle narratif de la Passion (qui conduit à sa crucifixion).
 
Lieu : à Jérusalem.
 
L’épisode des outrages fait partie du cycle des procès que Jésus subit avant sa crucifixion : […] Au cours de ces confrontations avec les autorités, on le gifle et on le flagelle.
 
Les textes
 
On distingue deux séances d’outrages dans les textes :
 
  1. La première séance reprend les injures. … Luc, 22, 63-65 « Les hommes qui le gardaient le bafouaient et le battaient ; ils lui voilaient le visage et l’interrogeaient en disant : “Fais le prophète! Qui est-ce qui t’a frappé ?” Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres injures. »
  2. La seconde séance est beaucoup plus cruelle.
    Jean 19, 1-2 « Pilate prit alors Jésus et le fit flageller. Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avançaient vers lui et disaient : “Salut, roi des Juifs !” Et ils lui donnaient des coups. »
Traduction picturale
 
La scène
 
L’évangile présente deux scènes : les outrages au Sanhédrin et la flagellation après la comparution devant Pilate.
[…]
Ces scènes apparaissent vers le 11e siècle et prennent un tour pathétique à la fin du Moyen-Âge où l’on insiste sur les détails morbides.[…]  Le couronnement d’épines semble avoir supplanté un temps le Christ aux outrages, même si on retrouve cette dernière représentation jusqu’au 19e siècle, en particulier chez Manet [Edouard MANET, 1865, Chicago, Art Institute].
Nous traitons ici de la première dérision, en lien avec le tableau de Grünewald.
 
Les sources de l’Iconographie de Grünewald
 
Des spécialistes modernes ont situé les sources de Grünewald dans les Révélations de sainte Brigitte de Suède, un ouvrage mystique du 14e siècle, très diffusé à l’époque de la Renaissance allemande.
 
Sainte Brigitte de Suède, Révélations I, 11 :
 

« Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière qu’il se donna librement à ses ennemis qui le crucifiaient, et comment il faut vivre avec continence, se privant de tout ce qui est illicite, à l’exemple de sa douce passion. — Le Fils de Dieu parlait à son épouse, disant : Je suis le Créateur du ciel et de la terre, et le corps qui est consacré sur l’autel est mon vrai corps. Aimez-moi de tout votre cœur, car je vous ai aimée. Je me suis librement donné à mes ennemis, et mes amis et ma Mère ont été assaillis d’une douleur trop amère, et ils ont fondu en larmes.

Quand je voyais la lance, les clous, les fouets et autres instruments préparés pour ma passion, je m’en approchais néanmoins avec joie. Et quand, sous la couronne d’épines, ma tête fut toute sanglante, et que mon sang ruisselait partout, et bien que mes ennemis touchassent mon cœur, j’eusse mieux aimé qu’il eût été déchiré en deux que de ne pas vous posséder et ne pas vous aimer. Parant, vous seriez trop ingrate, si vous ne m’aimiez, en reconnaissance du grand amour que je vous ai témoigné. Si ma tête a été percée par les épines et s’est inclinée sur la croix, votre tête doit bien s’incliner à l’humilité ; et parce que mes yeux étaient remplis de sang et de larmes, vous devez vous abstenir de ce qui délecte vos yeux ; et parce que mes oreilles ont été remplies de sang et ont ouï qu’on me détractait, partant, vos oreilles ne doivent pas écouter les paroles moqueuses, niaises et légères ; et parce qu’aussi on a abreuvé ma bouche d’une boisson amère, vous devez aussi fermer la bouche aux paroles mauvaises et l’ouvrir aux bonnes ; et comme mes mains ont été étendues sur le gibet, vos œuvres, figurées par les mains, doivent être tendues aux pauvres et à mes commandements ; vos pieds, c’est-à-dire vos affections, par lesquelles vous devez venir à moi, doivent être crucifiées à toutes les voluptés ; et comme j’ai souffert en tous mes membres, de même tous vos membres doivent être prêts et disposés à m’obéir, car j’exige plus de service de vous que des autres, parce que je vous ai douée et enrichie d’une grâce plus grande et plus excellente. »

 
 

à bientôt chers escapadeurs,

véronique m.

Herr, was ist da zu sagen? // Bazelitz Georg, la salle des Freud Sig. // indices

accrochées par des titres :

HERDOKTORKUNSTFREUD
HERDOKTORKUNSTFREUD
Peintures de la série des «Herfreud Grüßgott» (2011)
Sept peintures réalisées par Baselitz au printemps 2011 viennent s’insérer dans le parcours.
Leurs titres-tiroirs intraduisibles renforcent l’énigme d’une peinture soucieuse de ne rien
dévoiler sinon elle-même et de faire «voir sans comprendre».
Les figures, renversées, frontales et côte à côte, sont des pseudo-portraits, où il est
question de Sigmund Freud, de facteur, de quartier-maître et de contrôleur. Leur
iconographie se renouvelle par l’utilisation de têtes d’expression photographiées du XIXè
siècle.
Lorsqu’elle est seule, la figure intègre des attributs féminins; quand les visages sont
dédoublés ou présentés en paire, une tache noire les sépare et les unit à la fois et, à la
manière d’un test de Rorschach, renvoie à l’inconscient, à la sexualité, aux réminiscences
enfantines.
[présentation du musée]
HERFREUD GRÜSSGOTT HERBRIEFTRÄGER
HERFREUD GRÜSSGOTT HERBRIEFTRÄGER

//

Grüssgott :

Grüssgott: Salut bavarois indique un texte explicatif dans la salle. Grüssen, saluer, Gott, Dieu

I asked, « What do you mean, a Grüss Gott shop? »

She explained that in Bavaria, shopkeepers greet customers by saying « Grüss Gott » (which means roughly « praise God »). During the Third Reich it was safer to change the greeting to « Sieg Heil. » It was a hard choice. Each shopkeeper had to make it. Everyone in Dachau knew which shops were Grüss Gott shops and which were Sieg Heil shops.
Pausing, as if mustering the energy for one last sentence, she stood up and said, « My father’s shop was a Grüss Gott shop, » then stepped off the bus.

//

se rappeler l’oubli :

HERR, was ist da zu sagen? / Freud, l’oubli, Signorelli (Signor – [Herr] – Eli)

Sigmund Freud, Schema zur Psychodynamik des Vergessens

//

consulter le dictionnaire allemand-français : HER (adv.):

chez, ici, là, là-bas, par ici, par là-bas, voici

//

Georg Baselitz : Herfreud Grüssgott Herbriefträger, 2011


Briefträger : facteur, « porteur de lettre »

//

Georg Baselitz : Herdoktorfreud Grüssgott Herbootsmann, 2011


Bootsmann, maître d’équipage, « homme de bateau »

//

Georg Baselitz : Herfreud Grüssgot, 2011

//

Un autre titre encore : Hersigmund anklopfen
an
à, à/au…, à même qqch., au bord de, chez, contre, dans, de, de la prendre drogue, en, en marche , être régime, sous, sur, vers
an (adj.)
allumé
an (adv.)
allumé, en marche
an (v.)
allumer, éteindre
an-
essayer (V+comp)
an- (v.)
accepter, prendre
Anklopfen (n.)
appel en attente
anklopfen (v.)
frapper (V+à+comp)
Klopfen
claque, coup
Klopfen (n.)
battage, battement, cognement, coups, coup sec, frappement, martèlement, martellement
klopfen
heurter
klopfen (v.)
attendrir, battre, battre rapidement, cogner, frapper, palpiter, tailler (V+comp), taper, taper sur les doigts

sigmund, je frappe à ta porte…

herdoktorkunstfreud, grüssgott; voici le docteur de l’art freud, salut dieu.

déclin des religions, avènement de la psychanalyse, avènement de la modernité en peinture

Je ne peux m’empêcher de m’attarder aux titres-valises des peintures de Baselitz, dont je vous parlais hier.

Si le HER m’évoque le HERR perdu de Freud, celui tombé dans les limbes, HER, en allemand veut également dire, je l’apprenais hier, « VOICI ». « Voici » qui est justement le titre de l’exposition dont je vous ai parlé de Thierry de Duve.

A cause de ça[1], cet éventuel indice à trois lettres, je suis tentée d’y retourner, et vous livre ici quelques extraits des premières pages du catalogue de l’exposition. Je ne suis pas sans craindre de vous envahir, mais… c’est plus fort que moi…

« Et si nous allions tout droit à Manet, là où l’aventure de l’art moderne a commencé? Et si nous choisissions de faire démarrer d’aventure, non d’Olympia ou du Déjeuner sur l’herbe, mais d’un tableau moins connu du grand public et pourtant tout à fait extraordinaire, Le Christ aux anges de 1864? »

Continuer la lecture de herdoktorkunstfreud, grüssgott; voici le docteur de l’art freud, salut dieu.

Sophie Taeuber-Arp (« Danser sa vie » au centre Pompidou)

12/12/2011

01:53

Merci tout plein pour vos échos de la dernière escapades, et pour vos photos, vos liens, vos citations. Pour me consoler d’avoir raté Klee avec vous, un premier petit tour aujourd’hui à l’expo « Danser sa vie » au centre Pompidou. Un monde à visiter. D’emblée, je suis accrochée par sept gouaches de Sophie Taeuber-Arp, au début de la deuxième partie de l’expo, « Art et abstraction ». C’est très simple et c’est une évidence, ces taches de couleur dansent sur la feuille.


Sophie Taeuber, née le 19 janvier 1889 à Davos, Suisse et morte le 13 janvier 1943 à Zurich, est une artiste, peintre et sculpteur suisse ayant participé aux mouvements Dada puis surréaliste avec son époux Jean Arp.
Le billet de banque de 50 francs suisses, en circulation depuis 1995, représente l’artiste.

02:40
Sophie Taeuber-Arp, il me semble que ça danse parce qu’il y a du vide (le souffle médian…). Enfin, entre autres éléments. Bien sûr, il y a les couleurs, le rythme, et puis le fait que c’est un peu de traviole. La grande fresque de Sonia Delaunay, dans la même salle, c’est uniquement du plein. Il y a du mouvement mais, pour moi, de danse point.

02:53

Bon, il n’y a pas que ça, dans cette expo. Aussi : la captation de « L’après-midi d’un faune », donné à l’opéra Garnier il y a deux ou trois ans dans un cycle « Ballets russes ». Et mille autres choses.

D.

Robert Morris, Site, 1963 Performance au Surplus Dance Theater, Stage 73, New York, 1963 Danseurs : Carolee Schneemann et Robert Morris Film 16 mm, noir et blanc, sonore, 18’30” Réalisateur anonyme Collection de l’artiste

Le Centre Pompidou consacre une exposition sans précédent aux liens des arts visuels et de la danse, depuis les années 1900 jusqu’à aujourd’hui. « Danser sa vie » montre comment ils ont allumé l’étincelle de la modernité pour nourrir les courants majeurs et les figures qui ont écrit l’histoire de l’art moderne et contemporain. L’exposition illustre son propos par les œuvres des figures artistiques du 20e siècle, des mouvements fondateurs de la modernité, ainsi que par les recherches des artistes et danseurs contemporains. Elle montre l’intérêt commun de l’art et de la danse pour le corps en mouvement. « Danser sa vie » fait dialoguer toutes les disciplines, des arts plastiques et de l’art chorégraphique. Un vaste choix de peintures, de sculptures, d’installations, d’œuvres audiovisuelles et de pièces chorégraphiques, témoigne de leurs échanges incessants, d’un dialogue souvent fusionnel.

23 novembre 2011 – 2 avril 2012
11h00 – 21h00

Kusama, un article de Philip Metz dans la LM

Un article de Philip Metz sur Yayoi Kusama, dans la Lettre mensuelle n° 304, reçue aujourd’hui. Sous le titre évocateur « Une poulette japonaise rencontre le fantôme du serpent. Let’s go fuck ! » (p. 31). Philip Metz mentionne aussi « le superbe article de Gérard Wajcman », dans la catalogue de l’exposition.

Matisse, Cézanne, Picasso… L’aventure des Stein

Picasso, Nu assis
Picasso, Grand nu rose, 1906
Picasso, Pierreuses au bar
Paul Gauguin, Tournesols sur un fauteuil, 1901
La femme à l
Henri Matisse, La Gitane
Henri Matisse, La femme au chapeau, 1905

 

Balthus, Le spahi et son cheval, 1949

Cher tous,
Quelques clichés pris à la volée des tableaux exposés au Grand Palais actuellement: « Matisse, Cézanne, Picasso…L’aventure des Stein. » Très belle exposition. Bises et bonnes fêtes de fin d’année à vous! Géraldine.

Gerhard Richter à la Tate modern

Tiens tiens, que dit donc Pierre Naveau de cette exposition (voir Lacan Quotidien n°120) ?

NB : Richter doit être l’un des mes peintres préférés, sinon, mon peintre préféré. Et, et, et, l’exposition sera à paris en juin !!!

v

 

▪ Lecture d’une Oeuvre ▪

Londres, Tate Modern, Gerhard Richter : Panorama Pierre Naveau

GERHARD RICHTER EST UN PEINTRE POUR QUI, ÉTANT NÉ EN 1932, LA GUERRE A ÉTÉ UN MOMENT-CLÉ. LA QUESTION, EN EFFET, SE POSE : QUE PEUT LA PEINTURE PAR RAPPORT À L’HISTOIRE ?

Confrontation 3, 1988. Oil on Canvas 112 cm X 102 cm

Pendant un temps, Richter a peint à partir de photographies, s’appuyant sur elles en tant que supports de son inspiration. L’exposition de Londres montre une série de tableaux dans lesquels apparaît une variété de gris. Le gris, a pu dire Richter, c’est «l’indifférence, le non-engagement, l’absence d’opinion ». Quatre termes définissent, selon lui, cette tendance à donner au gris le pas sur les autres couleurs : la perte, le chagrin, la frustration et le dégoût. Richter a peint, par exemple, le bombardement de Cologne pendant la guerre, des faits d’armes des membres de la bande Baader-Meinhof ou la catastrophe du 11 septembre 2001. La dominante de ses tableaux est une sorte de brume qui irréalise la réalité, qui donne au réel une valeur de « semblant ». C’est le mot que lui-même utilise : Painting concerns itself exclusively with semblance. Puis, il y eut le passage à la couleur. Richter a peint ainsi des paysages, des montagnes, des mers, des ciels, des villes. Des couples – joyeux – s’ébattent. Les corps sont nus, mais – à l’opposé de Francis Bacon ou de Lucian Freud – sans que le trait de la nudité soit pour autant appuyé. Une « étudiante » impudique perd quelque chose de son attitude provocatrice à cause du gris de la brume qui efface les reliefs. C’est comme s’il cherchait à rendre invisible le visible. Le paradoxe de cet étrange voile jeté sur le réel peut être ainsi formulé : « Vous ne verrez pas ce que vous voulez voir ». L’âme de la peinture de Gerhard Richter est la rencontre avec l’incompréhensible. Cela donne l’impression qu’à la fin des fins, les visiteurs de l’exposition ne peuvent rien y comprendre. Il y a une telle diversité ! Des tableaux figuratifs et des tableaux abstraits. Certains représentent quelque chose et d’autres, rien du tout. Mais, que ses tableaux soient figuratifs ou abstraits, la manière de peindre de Richter tend vers l’abstraction, c’est-à-dire, comme il le dit lui-même, vers quelque chose de mystérieux qui échappe à la description et à la prise du concept. La brume crée une atmosphère qui serait celle d’un songe et donne un sentiment d’illusion. Son désir est d’aller au-delà de ce qui est, d’aller vers ce qui n’existe pas et d’atteindre ainsi le hors sens et le hors temps. Le néant est au bout du chemin. Sur son auto-portrait lui-même, on ne distingue pas les traits du visage du peintre. Il se montre et il se cache. L’être du peintre devient insaisissable. Richter insiste sur le fait qu’il en passe fréquemment par l’échec qui fait ainsi partie de sa pratique. Il lui faut alors laisser ce qu’il a commencé et recommencer. Le ratage est, pour lui, inévitable. La rencontre avec Marcel Duchamp a marqué Gerhard Richter. Ainsi a-t-il repris le thème de la femme qui descend un escalier – nue. J’aime beaucoup « La liseuse » qui fait penser, comme il l’indique lui-même, à un Vermeer.

Le mot de Richter est : la qualité. C’est ce qu’il cherche. Il n’est satisfait que s’il la trouve. Gerhard Richter a traversé deux systèmes totalitaires, le nazisme et le stalinisme. Sa mère était libraire et son père instituteur. Mais, affirme-t-il, il n’a pas eu de père, un père qui dit non, précise-t-il. C’est pourquoi, il aime les commandements : Thou shalt and Thou shalt not. Il a essayé de peindre la Shoah. Il n’y est pas arrivé. Il reconnaît qu’il ne peut y en avoir aucune représentation. Ce thème, dit-il bizarrement, it’s like a cudgel – « c’est comme une trique ». En 1995, il a reçu, à Jérusalem, le Wolf Prize des Arts. Richter refuse ce qu’il y a de spectaculaire dans l’image. Il évide le spectacle que l’image pourrait offrir au regard. Il ne croit pas au père, mais il croit au hasard. Quand il peint, dit-il, il se saisit de ce que le hasard fait surgir. C’est pour cette raison qu’il aime la musique de John Cage, qui restitue au hasard sa fonction. Il partage avec John Cage une certaine réticence à parler. Il a fait sienne cette phrase de John Cage : Je n’ai rien à dire et je le dis.

L’exposition Gerhard Richter se tient à Londres du 6 octobre 2011 au 8 janvier 2012. Elle sera au Centre Pompidou du 6 juin au 24 septembre 2012

Lien :

Gerhard Richter : Panorama http://www.tate.org.uk/modern/exhibitions/gerhardrichter/default.shtm

http://www.gerhard-richter.com/

 

le plus-de-jouir du mathématicien

Voilà, je suis revenue à Nancy déjà, après avoir vu l’exposition sur les mathématiques à la Fondation Cartier. C’est un peu difficile, il faut un peu de culture dans ce domaine, mais c’est aussi très enthousiasmant sur le plan du rapport subjectif de la science et des maths au réel: Le monde, y compris celui des mathématiques est construit par nous, par l’homme-mathématicien, ou physicien et dépend de ses possibilités personnelles et donc subjectives et intimes de trouver des outils qui l’éclaire… reste après le pb de la vérification et de la non-contradiction, mais qui peut aussi être révolutionnaire (Galilée, Einstein, et pourquoi pas Freud, Lacan…). Une preuve qui m’a beaucoup séduite, est la question du style: Quand il s’agit d’un théorème, on peut retrouver celui qui l’a inventé, car, « c’est bien son style »! Il y a donc, et c’est très clair dans l’exposition, comme si elle était faite pour des psychanalystes, la question du plus-de-jouir qui motive le mathématicien. Cela a été attrapé par le concept de beauté:  La résolution d’un pb, d’une équation recherchée est belle, esthétique,  élégante, harmonieuse; et cette beauté, ressentie personnellement,  ne trompe pas (comme l’angoisse à l’envers); elle éclaire sur le chemin de la Vérité, jamais atteignable.

Finalement, la Science dépend de la Beauté, de la » bonne forme » à donner aux choses; j’adore!

La science, loin d’un « savoir » sur le « Vrai », serait à l’intersection de l’intelligence et de la beauté; La Science n’est que Culture, ce que nous visons…

Bises à tous « jazzi

Catherine Decaudin

 

 

Au bonheur des maths

Quelle joie, Catherine, de revoir en DVD le film de Raymond Depardon « Au bonheur des maths », qui est le clou de l’exposition de la fondation Cartier. Cela me permet de transcrire quelques extraits du témoignage de Michael Atiyah, celui des mathématiciens interrogés dont les propos m’avaient le plus frappée :

 « Les mathématiques sont un processus interactif. Il s’agit d’idées. Une idée, c’est quelque choses de fluide. Ça fluctue rapidement. On réfléchit bien plus vite qu’on n’écrit ou qu’on ne parle. Une idée, c’est un peu comme une vision, une image qui apparaît. Quand on parle avec un collègue mathématicien, on peut échanger des idées à un rythme incroyable. Un peu comme dans un film en accéléré. […]. L’écrit et même l’oral sont des formes primitives de communication. La pensée est beaucoup plus créative que la parole. La partie créative des mathématiques opère à ce niveau. 

 On explore des idées. L’exploration, c’est l’essence même des mathématiques. […] La science ou l’art sont une exploration. On tente d’explorer le monde de la nature, mais aussi notre monde intérieur. […] Un mathématicien est comme un peintre.Un artiste ne peint pas ce qui existe, mais ce qu’il voit.

C’est la même chose avec les mathématiques. On interprète le monde selon nos propres schémas, nos structures, selon les choses qui nous semblent belles et fondamentales. [….] on essaie d’utiliser son intuition fondamentale, son imagination. Et bien sûr, la pensée logique. Mais la pensée logique est la structure qui permet à votre vision de se développer et d’arriver à maturité. La logique n’est pas le processus créatif, c’est la structure à l’intérieur de laquelle les choses se développent. Beaucoup de gens pensent que les mathématiques sont une branche de la logique. C’est faux. Les mathématiques se rapprochent plus de l’art.

Le grand mathématicien allemand Hermann Weyl a dit un jour qu’il consacrait sa vie à la recherche de la vérité et de la beauté. Mais que dans le doute il choisissait la beauté. Ce qui veut dire que la vérité est une chose que l’on cherche mais que l’on n’atteint jamais. On n’arrive qu’à une vérité partielle. Alors que la beauté est immédiate et personnelle. Quand on voit quelque chose de beau, on sait que c’est beau. C’est certain. La beauté, c’est ce qui nous éclaire, ce qui nous mène dans la bonne direction. On espère qu’en la suivant, on atteindra notre objectif. Mais on n’atteint jamais la fin. La vie, comme les mathématiques, est une quête sans fin. »

 Cela ne revient-il pas, avec ses mots, à mettre la vérité du côté du manque à être, du sens après lequel le sujet court toujours, tandis que ce qu’il appelle la « beauté » (mathématique, bien sûr) serait en position de cause, et du côté du réel ? Comme tu l’as déjà souligné, Catherine.

 Quant à ce qu’il dit de la logique, ça me rappelle la phrase de Lacan : « Le signifiant est bête. » Alain Prochiantz, lors du débat sur « Ex vivo in vitro » voyait, lui, dans les mathématiques le dernier refuge de la poésie – qui est une toute autre façon de traiter le signifiant… Lacan déplorait, n’est-ce pas, de n’être « pas poâte assez ».

 Merci Alain, Catherine, et les autres…

 Dominique.

Re: Au bonheur des maths

Je regrette vraiment de ne pas avoir été avec vous hier, merci pour le partage de vos réflexions ici et sur twitter

Une chose me vient en te lisant Dominique : la pensée est créative oui mais elle a besoin de l’écriture pour se dire. Il semblerait que Lacan a surtout utilisé les maths comme écriture du réel. On n’est pas dans l’imaginaire puisque les formules ne permettent pas de se représenter quelque chose sous forme d’image

 A vous lire

bises

Isabelle

Re: Re: Au bonheur des maths

Bien sûr, Isabelle, mais ces mathématiciens cherchent à approcher, avec leur vocabulaire, les phénomènes dont ils témoignent. Cela nous demande un effort de traduction ! Pas facile, car c’est plein de contradictions. Il ne s’agit sans doute pas de l’imaginaire comme nous l’entendons. Le terme de « vision« , que Michael Atiyah emploie aussi, convient peut-être mieux ? Avant de trouver quelque chose, ils écrivent beaucoup de formules, et en écrivent encore beaucoup après, pour vérifier une découverte, puis pour en formaliser la démonstration. Il insiste sur le fait que le chemin est semé d’essais et d’erreurs. Mais, et c’est ce qui m’a frappée, la trouvaille n’intervient pas quand ils ont le nez sur leurs équations. C’est un moment tout à fait particulier. Qu’est-ce qui pourrait traduire « vision » dans notre vocabulaire à nous ? Une sorte d’ « éclair », peut-être ?

« La pensée est beaucoup plus créative que la parole », dit-il encore. La pensée est bien du symbolique. Il s’agirait d’un discours sans paroles ? Cf. le travail de l’inconscient, les « pensées du rêve » chez Freud. Je divague. A l’aide, amis mathématiciens !

Enfin, ce terme si mystérieux de « beauté », que je distinguerai de l’ « élégance ». Les mathématiciens font aussi grand cas de l’élégance (c’est même un lieu commun), mais dans un second temps, celui de la démonstration. La démonstration, objet d’échange dans le monde scientifique. Alors que ce qu’il appelle la « beauté » intervient dans la quête et dans la découverte et, comme je le disais hier, me semble de l’ordre de la cause, propre à chacun. Cette appréhension de la beauté, Atiyah la qualifie de « certaine », d’ « immédiate et personnelle ». C’est sûr, la pratique des mathématiques génère chez certains un plus-de-jouir évident, une « lichette » de taille.

 Bon, tu vas les voir et de les entendre, ils sont passionnés (voire passablement allumés).

J’espère d’autres commentaires de toi après la visite.

 Dominique.

Rattrapage Mathématiques

Attention attention, rattrapage Mathématiques, un dépaysement soudain, je répète rattrapage Mathématiques, un dépaysement soudain, le vendredi 27 février à 17 heures.

L’exposition sur le site de la Fondation Cartier, là : http://fondation.cartier.com/fr/art-contemporain/26/expositions/27/mathematiques-un-depaysement-soudain/89/presentation/

l’objet nu du mathématicien prolétaire

Chère Catherine,

A propos de la beauté, de la bonne forme : Lacan s’en est toujours méfiée, me semble-t-il. Alors, comment préciser cela ?

Par ailleurs, il me semble que vous avez vu des choses qui rendait compte de la subjectivité à l’œuvre encore dans la démarche scientifique. Or, cette subjectivité – qui transparaît dans le style, la signature, dont tu parles – , est également ce que la science en premier chef tente à forclore : de sujet, point. Ce dont pâtit le monde contemporain et qui nous vaut le triste règne de l’évaluation. Où, comment se situe la distinction?

 À propos de l’objet du mathématicien, j’ai retrouvé cet extrait du cours de Miller du 9 mars 2011 (là : https://disparates.org/lun/2011/03/jam-9-mars-2011-de-l-ontologie-a-lontique/ ), au départ d’un texte d’Alain (https://disparates.org/lun/2011/03/le-mathematicien/ )

Tu verras que dans son cours Miller oppose l’objet de l’analyste et celui du mathématicien. L’objet de l’analyste a affaire avec les passions, « l’objet du mathématicien lui ne se laisse pas émouvoir. Il est rebelle, rétif à toutes les afféteries, les blandices de la parole. »

Qu’en penses-tu ? Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, je n’ai pas vu l’expo en raison de mon incroyable erreur qui a fait que je me suis retrouvée, avec Frédéric, à Maison Rouge, pour une autre exposition, plutôt qu’à la Fondation Cartier.

 Bises à toi, Bises aux autres,

 Véronique

 Ci-dessous, l’extrait concerné du cours (ma transcription) :

 […] je vais vous lire quelques lignes, non sans accents poétiques, d’un texte sur les affinités des mathématiques et du réel, d’un professeur pour lequel Lacan n’a eu que des sarcasmes, sans doute trace d’une dilection de jeunesse. Comme ça avait d’ailleurs été le cas pour Paul Valéry [ dont on sait par… (ex femme?) qu’il n’avait pour lui que des louanges dans sa jeunesse].

Jam lit:

Le mathématicien ne pense jamais sans objet. Je dis bien plus ; je dis que c’est le seul homme qui pense un objet tout nu. Défini, construit, que ce soit figure tracée ou expression algébrique. Il n’en est pas moins vrai qu’une fois cet objet proposé, il n’y a aucune espérance de le vaincre, j’entends le fondre, le dissoudre, le changer, s’en rendre maître enfin, par un autre moyen que la droite et exacte connaissance et le maniement correct qui en résulte. Le désir, la prière, la folle espérance y peuvent encore moins que dans le travail sur les choses mêmes, où il se rencontre bien plus qu’on ne sait, et enfin une heureuse chance qui peut faire succès de colère. Un coup désespéré peut rompre la pierre. L’objet du mathématicien offre un autre genre de résistance, inflexible, mais par consentement et je dirais même par serment. C’est alors que se montre la nécessité extérieure, qui offre prise. Le mathématicien est de tous les hommes celui qui sait le mieux ce qu’il fait.“

Alain, Esquisse de l’homme, 1927, “Le mathématicien”, 24 juin 1924.

L’auteur, c’est ce personnage éminent de la III° République, qui fut le penseur de référence du parti radical alors à son apogée, enseignant de khâgne à Henri IV et qui se choisit comme pseudonyme tout simplement Alain.

[ …]

« Le mathématicien est prolétaire par un côté. Qu’est-ce qu’un prolétaire ? C’est un homme qui ne peut même point essayer de la politesse, ni de la flatterie, ni du mensonge dans le genre de travail qu’il fait. Les choses n’ont point égard et ne veulent point égard. D’où cet œil qui cherche passage pour l’outil. Toutefois il n’existe point de prolétaire parfait; autant que le prolétaire doit persuader, il est bourgeois ; que cet autre esprit et cette autre ruse se développent dans les chefs, et par tous les genres de politique, cela est inévitable et il ne faut point s’en étonner. Un chirurgien est prolétaire par l’action, et bourgeois par la parole. Il se trouve entre deux, et le médecin est à sa droite. Le plus bourgeois des bourgeois est le prêtre, parce que son travail est de persuader, sans considérer jamais aucune chose. L’avocat n’est pas loin du prêtre, parce que ce sont les passions, et non point les choses, qui nourrissent les procès.»

Il invente de définir le mathématicien comme un “prolétaire”. Dans le travail du mathématicien, il n’y a en effet pas de place pour la politesse, la flatterie, les mensonges, on a affaires aux choses et non aux passions, on n’a pas à plaider. C’est une philosophie qui oppose parole et action.

[…]

Quand on a affaire à ce qu’il appelle les passions, on les dirige par la rhétorique, on s’y rapporte par l’art du bien dire. Et d’ailleurs quand on cherche à recomposer la théorie des passions d’Aristote, on va d’abord voir dans sa rhétorique, c’est-à-dire l’art d’émouvoir. L’objet du mathématicien lui ne se laisse pas émouvoir. Il est rebelle, rétif à toutes les afféteries, les blandices de la parole.

 – Opposition entre le rhéteur et le mathématicien. –

Le désir, la prière, la folle espérance ne peuvent rien sur l’objet.

Et quand Lacan dit “Je suis un rhéteur”, il ne s’agit non pas là d’une déclaration de son goût, sinon que le psychanalyste à affaire à une chose qui se meut et se meut par la parole.

La chose du psychanalyste est à l’opposé de l’objet du mathématicien.

L’inconscient est mû par la parole. La formation du psychanalyste – quand il y a formation, apprentissage, c’est avant tout une forme rhétorique. Quoi dire, et ne pas dire? On apprend comment agir par la parole sur les passions. c’est-à-dire sur le désir qui les résume toutes.

 

la beauté au un par un

Chère Véronique,

Il me semble que c’est justement cela, qu’il n’y ai pas de subjectivité ni d’émotions dans les mathématiques que l’exposition contredit foncièrement et de toutes les façons possibles… surtout en amenant cet objet, la beauté.

C’est vrai que Lacan n’aimait pas beaucoup « la bonne forme », placée du coté de l’imaginaire , surtout à cause des Gestaltistes, il me semble, qui avaient tendance à la standardiser. Mais au un par un, c’est peut-être différent.. tu verras le film de Depardon ou des mathématiciens s’expriment est magique!

Il y a aussi le rapport de la beauté avec la pulsion de mort, que Lacan attrappe dans « Antigone ». Bon..à voir…

Bon, il faut que j’aille travailler

A+ et bonne journée à toi

Cath

Baselitz ne parle que l’allemand mais en jouant avec les mots, presque de matière sculpturale.

Dans sa conversation le langage est un objet dont il éprouve la plasticité à tous moments. Il se considère comme un provincial mais souligne que c’est là une force puisque la province nourrit la capitale. Son imagination es t vive et il précède facilement les pensée de ses interlocuteurs. Il parle par métaphore et cherche souvent les paradoxes et les provocations. Il prend un réel plaisir à parler. De toute évidence il aime sa langue et s’évertue à la déformer comme il le fait avec la couleur quand il peint. Il cherche les idées et s’étonne de formulations comme il le fait sans doute devant les figures qu’il dessine, s’étonne que ce soit bon, et comme un enfant, un paysan ou un animal, emporte cette idée au fond de lui-même pour en faire, plus tard, un meilleur  usage.
Baselitz, p. 10

l’effet de beauté est effet d’aveuglement

Le 13/01/12 21:52, « Catherine Decaudin » a écrit :

Merci, Alain pour ton texte, qui retrace si bien ce parcours, que nous avons chacun fait « à part » et ensemble à l’exposition sur les mathémathiques.

Tu as bien raison,  de rappeler aussi, en contrepoint de la beauté, l’horreur pour les Maths. Rappelle-toi de ce que Lacan disait sur la beauté, dans le séminaire « L’éthique »:

Nous remettons ici en question la fonction du beau, par rapport à la visée du désir (p299).

Et,

l’effet de beauté est en effet un aveuglement (P.327).

Le côté touchant de la beauté fait vaciller tout jugement critique, arrête l’analyse, et plonge les différentes formes en jeu dans une certaine confusion, ou plutôt un aveuglement essentiel.

Il en parlait à propos d’Antigone, qui était allée pour défendre son frère, au-delà des biens de la cité, défendus par Créon, dans cet « Ex-nihilo », dans ce domaine de l’Até, où règne l’attrait pour le beau, mais aussi la pulsion de mort. Elle a tout sacrifié à cet attrait de la création d’un signifiant nouveau, « ex-nihilo », le signifiant « frère », la Fraternité, et s’est retrouvée entre deux morts…

bises à toi

Cath

//

Le 13 janv. 2012 à 22:27, Gentes a écrit :

Chère Cath,

Notre cart-ailes du désir prend son envol! c’est ça!

Tu prolonges ma pensée de si belle façon avec ces références à Lacan. C’ets la réaction si vive de ce lycéen, mobilisant son corps pour tenter de dire ce qui n¹est pas possible à dire avec des mots, que m’est apparu l’oublié de cet expo: la beauté n’est qu’en son fond voile de l’horreur, du réel.

Bises à toi, et peut-être à demain si tu viens pour Diane Arbus.

Al.

Ca se dé-mère pour o-pérer…

Chers S…Capadants,

Voici quelques mots à délire sur notre chère mathématique, qui fait beauté pour les uns et horreur pour d’autres. Tiens, justement, voilà le secret de cette exposition: l’horreur de la Dame y est exclue, n’a pas droit de cité. Étrange, non?

Bises algébriques. Al.

Envoyé de mon iPad

doc iconESCAPADES CULTURELLES.doc

//

ESCAPADES CULTURELLES
Mathématiques, un dépaysement soudain.
Fondation Cartier

Aux Arts’ Maths, Lacaniens!

Nous avons pris, samedi dernier, nos Cartier à la fondation du même nom, pour une S…capade au pays des mathématiciens. Le nombre 7 représentait notre collection de S(1…7), barrés chacun par deux ou trois lettres, selon la beauté de ce qui s’entend ou la nécessité de la distinction. Ainsi, Ley, Nou, Do, Jo, Veb, Cath & Al ont navigué entre les 3 salles de la fondation, à leur rythme, sous des voilures différentes. Se vérifie, comme  nous le voulons, que nous ne faisons point groupe, sinon peut-être un groupe gras (à courbure positive) ou maigre (à courbure négative), comme le dirait le mathématicien Cédric Villani.

Électrons libres nous sommes, qui s’entrecroisent autour d’un noyau littéral fluide « Arts et psychanalyse », aujourd’hui  les Mathématiques, et leur secret la poésie, à travers les espaces matériels de la Fondation. De nos mouvements,  Nicole El Karoui, fascinée par le hasard à mesurer, pourrait sans doute en calculer les aléas. Ah les A, qui justement là s’absentent pour laisser danser les Uns, se moquant de ce que la muse ment.

Quelle mouche m’a piqué pour aller voir cette exposition, et d’y embarquer quelques escapadants?

Des retrouvailles avec mon Ex, mon ex-amante « LesMathématiques« , premier amour post-maternel ! Mais aussi à cause de Lacan et de sa drôlerie mathématique: Mathèmes, Topologie & Nœuds.

Très vite,  je me suis retrouvé en sous-sol, à la salle du « bonheur des mathématiques« : pas un seul des mathématiciens interviewés n’a pu faire autrement que de livrer une rencontre unique, de jouissance, décideuse de leur destin de mathématicien. Une rencontre singulière entre une satisfaction de corps et un nombre, une écriture ou une démonstration, une rencontre qui fait croire au rapport sexuel. « La Matematica è stata un amante difficile » s’écrit Cédric Villani.

Là s’entendent les mots de Michel Cassé, astrophysicien: que les mathématiques, en leur unité, se résument en quelques mots, « rigueur et beauté, certains, y ajoutant plaisir« . On se met alors à douter que le sujet est forclos chez le mathématicien, comme il l’est dans le discours de la science. Surtout à lire Les Déchiffreurs de Sir Michael Atiyah:

« lorsqu’il fait grand jour, les mathématiciens vérifient leurs équations et leurs preuves, retournant chaque pierre dans leur quête de rigueur. Mais quand vient la nuit que baigne la pleine lune, ils rêvent, flottant parmi les étoiles et s’émerveillant au miracle des cieux. C’est qu’ils sont inspirés. Il n’y a sans le rêve ni art, ni mathématique, ni vie. »

Ce n’est pas sans évoquer le sinthome de Lacan, et ce qui se touche en fin de cure. Ce que disent ces mathématiciens, sous l’effet de leurs rencontres avec quelques artistes, dont David Lynch ou Patti Smith, résonne avec ce que Jacques Alain Miller dit de la compréhension: comprendre, c’est jouir en quelque sorte! Giancarlo Lucchini l’illustre, avec sa collègue, Carolina Canales González de façon épatante. Une jouissance se découpe sur un point qui « allume » le sujet. Nicole El Karoui, de nouveau, fait voisiner sa passion pour les aléas des phénomènes en mouvement avec l’aléatoire de la naissance de chacun de ses enfants.

Dans la foulée, elle conçoit le zéro comme une invention qui force le vide à entrer dans le symbolique, poussant par la même occasion ce dernier à s’ordonner, pour ne point trop délirer, ajouterais-je. C’est exactement ce que fit hier un garçon phobique de quatre ans, en analyse: user de la fonction du zéro pour commencer ses propres séances . Il déclara en effet à son analyste « Il me reste 0 séance, donc une! « , et à sa mère en fin de séance « encore 40 séances, Maman« . Autrement dit: terminer et annuler les séances imposées pour commencer les siennes.

« Au bonheur des maths » est l’affect qui me fixa, collégien, aux mathématiques pendant plusieurs années. En classe de 5eme, un professeur avare de mots, nous donna des équations à résoudre. Après quelques inquiétudes à faire gémir lettres et chiffres sur un bout de papier, une jubilation monte, irrésistible, d’avoir trouvé le résultat. Quelque chose s’est allumé, hors de portée de quiconque. J’ en sais aujourd’hui l’une des raisons: je pouvais me passer de la mère, et de son savoir inhibiteur. Ma fortune fut qu’elle n’y pompait rien à l’algèbre. Les Mathématiques comme ouverture à une autre loi. Une liberté se prend ici avec elles, au prix d’en perdre une autre: celle de la rencontre avec l’impossible rencontre, L’Autre sexe. La démonstration mathématique serait-elle une élégante façon de se passer de La femme qui n’existe pas? Au moins de se passer de la mère: se dé-mèrer pour o-pérer !

Si le sujet s’efface au moment de l’acte mathématique, il se rattrape vite au moment de l’entracte, où se lève un vent de poésie. Lisez donc « Entre deux miroirs » de Misha Gromov, et il vous viendra sans doute à la bouche le mot de sinthome, de Lacan. On pense alors au réel et à son abord différentiel entre psychanalyse et mathématiques.

Un autre mathématicien, dont je ne me souviens plus le nom, définit le réel comme la superposition des possibles imaginaires. Comment, diable, ne pas être intéressé par une telle approche! Il suffit de la renverser, ou de se promener suffisamment longtemps sur la bande de Moebius, pour en faire un usage plus lacanien: c’est à superposer assez longtemps des solutions imaginaires qu’on peut apercevoir ce qui ne s’imaginarise pas au bout du compte, ce qui y résiste.

Les mathématiques sont peut-être le plus pur transformateur de contingence en nécessité, de vide en existence.
Touché par cet exposition, d’un émerveillement étrange, je reste sur un brin d’énigme: pourquoi donc Lacan, avec ses mathèmes, et ses noeuds, n’y figure-t-il pas, ne serait-ce comme extime ?

Et sur une question, à partir de ce qu’un lycéen me dit, hier, « les maths? C’est monstrueux!  » : pourquoi l’horreur des mathématiques n’est-il pas abordé? Ce qu’il y a de réel dans les maths se dévoile peut- être plus dans leur horreur que dans leur beauté.

Derniers Jours : Gisèle Freund

James Joyce, Paris, 1939 Tirage photographique couleurs (dye-transfer) © Gisèle Freund / Collection de la famille Freund

 

Derniers jours de l’exposition Gisèle Freund à la fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, proposition escapade via Brigitte Lehmann.
Je pense y aller demain, qui m’accompagne? Brigitte? Vé?
Géraldine.

http://www.fondation-pb-ysl.net/fr/Accueil-Gisele-Freund-564.html

——–
Fondation Pierre Bergé – Yve Saint Laurent 5 avenue Marceau, 75116 Paris
———-

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme Exposition Walter Benjamin Archives

Proposition d’escapade via Brigitte Lehmann, exposition jusqu’au 5 février. Je suis très intéressée, qui se joindrait à nous?
Géraldine.

Né à Berlin en 1892, dans une famille juive assimilée, Walter Benjamin s’est suicidé à la frontière franco-espagnole le 26 septembre 1940, devant la menace d’être livré aux nazis et envoyé à la mort. C’est à l’un des philosophes et critiques les plus importants du XXe siècle que l’exposition Walter Benjamin Archives est consacrée ; son ambition est de montrer la manière dont le penseur allemand organisait, préservait et inventait ses propres archives, à mesure de ses recherches.

L’exposition rassemble des matériaux, des supports, des objets ou des écrits (manuscrits, tapuscrits, cartes postales, carnets de notes, enveloppes, tickets, photographies, coupures de presse, registres, fichiers, répertoires, carnet d’adresses, paperolles, etc.), qui témoignent tous d’une exigence constante chez Walter Benjamin : arracher à l’oubli une pensée en devenir et en organiser le sauvetage, qu’il s’agisse de sa propre pensée, de celle de ses proches ou de pans entiers de l’histoire négligés. L’exposition est divisée en treize sections auxquelles s’adjoignent neuf sections conçues spécialement pour la présentation au MAHJ.

Sa vie durant, Walter Benjamin a pris soin de confier ses textes, notes ou manuscrits à différents amis (dont Gershom Scholem et Gretel Karplus). À la diversité des matériaux s’ajoute donc le caractère fragmentaire de ces « dépôts ». Ainsi émerge une constellation mouvante d’archives dispersées qui vient former un paysage de pensée d’une rare intensité. Voulue et organisée, cette dispersion fut amplifiée par les aléas de l’histoire : l’exil en France de Walter Benjamin à partir de 1933, ses périodes de refuge aux Baléares ou au Danemark, la disparition de sa bibliothèque, puis la partition de l’Allemagne après-guerre.

Collectionneur passionné (de livres pour enfants notamment), Walter Benjamin a adapté l’objet et la méthode de la collecte au travail de la pensée. L’extraction, le découpage, la citation, le montage, l’association, la juxtaposition, ou encore la mise en regard furent autant de gestes qui lui permirent de déconstruire des logiques de représentation dominantes et de faire apparaître des configurations inédites à l’origine de lectures radicalement nouvelles de l’histoire, de la littérature, du rapport de l’art au politique.

En nous conviant à découvrir ses micrographies et ses propres inventaires, en nous ouvrant ses correspondances, fichiers ou carnets de notes, en montrant son travail de recherche bibliographique ou la constitution de ses collections, cette exposition révèle un mode de pensée et une vision du monde réfléchis dans chacun des actes de Walter Benjamin.

Le livre Walter Benjamin Archives sera publié aux éditions Klincksieck à l’occasion de l’exposition.

http://www.mahj.org/fr/3_expositions/expo-Walter-Benjamin-Archives.php?niv=2&ssniv=

—————————————————

PARTENARIAT
Tous les visiteurs de l’exposition Gisèle Freund bénéficient d’un tarif réduit pour l’exposition Walter Benjamin, sur simple présentation de leur billet d’entrée à la Fondation, et vice versa.

—————————————————

L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée

par Walter Benjamin

I

Il est du principe de l’œuvre d’art d’avoir toujours été reproductible. Ce que des hommes avaient fait, d’autres pouvaient toujours le refaire. Ainsi, la réplique fut pratiquée par les maîtres pour la diffusion de leurs œuvres, la copie par les élèves dans l’exercice du métier, enfin le faux par des tiers avides de gain. Par rapport à ces procédés, la reproduction mécanisée de l’œuvre d’art représente quelque chose de nouveau ; technique qui s’élabore de manière intermittente à travers l’histoire, par poussées à de longs intervalles, mais avec une intensité croissante. Avec la gravure sur bois, le dessin fut pour la première fois mécaniquement reproductible il le fut longtemps avant que l’écriture ne le devînt par l’imprimerie. Les formidables changements que l’imprimerie, reproduction mécanisée de l’écriture, a provoqué dans la littérature, sont suffisamment connus. Mais ces procédés ne représentent qu’une étape particulière, d’une portée sans doute considérable, du processus que nous analysons ici sur le plan de l’histoire universelle. La gravure sur bois du Moyen-Age, est suivie de l’estampe et de l’eau-forte, puis, au début du XIXe siècle, de la lithographie.

Avec la lithographie, la technique de reproduction atteint un plan essentiellement nouveau. Ce procédé beaucoup plus immédiat, qui distingue la réplique d’un dessin sur une pierre de son incision sur un bloc de bois ou sur une planche de cuivre, permit à l’art graphique d’écouler sur le marché ses productions, non seulement d’une manière massive comme jusques alors, mais aussi sous forme de créations toujours nouvelles. Grâce à la lithographie, le dessin fut à même d’accompagner illustrativement la vie quotidienne. Il se mit à aller de pair avec l’imprimé. Mais la lithographie en était encore à ses débuts, quand elle se vit dépassée, quelques dizaines d’années après son invention, par celle de la photographie. Pour la première fois dans les procédés reproductifs de l’image, la main se trouvait libérée des obligations artistiques les plus importantes, qui désormais incombaient à l’œil seul. Et comme l’œil perçoit plus rapidement que ne peut dessiner la main, le procédé de la reproduction de l’image se trouva accéléré à tel point qu’il put aller de pair avec la parole. De même que la lithographie contenait virtuellement le journal illustré ainsi la photographie, le film sonore. La reproduction mécanisée du son fut amorcée à la fin du siècle dernier.

Vers 1900, la reproduction mécanisée avait atteint un standard où non seulement elle commençait à faire des œuvres d’art du passé son objet et à transformer par là même leur action, mais encore atteignait à une situation autonome les procédés artistiques. Pour l’étude de ce standard, rien n’est plus révélateur que la manière dont ses deux manifestations différentes reproduction de l’œuvre d’art et art cinématographique se répercutèrent sur l’art dans sa forme traditionnelle.

II

A la reproduction même la plus perfectionnée d’une œuvre d’art, un facteur fait toujours défaut : son hic et nunc, son existence unique au lieu où elle se trouve. Sur cette existence unique, exclusivement, s’exerçait son histoire. Nous entendons par là autant les altérations qu’elle peut subir dans sa structure physique, que les conditions toujours changeantes de propriété par lesquelles elle a pu passer. La trace des premières ne saurait être relevée que par des analyses chimiques qu’il est impossible d’opérer sur la reproduction; les secondes sont l’objet d’une tradition dont la reconstitution doit prendre son point de départ au lieu même où se trouve l’original.

Le hic et nunc de l’original forme le contenu de la notion de l’authenticité, et sur cette dernière repose la représentation d’une tradition qui a transmis jusqu’à nos jours cet objet comme étant resté identique à lui-même. Les composantes de l’authenticité se refusent à toute reproduction, non pas seulement à la reproduction mécanisée. L’original, en regard de la reproduction manuelle, dont il faisait aisément apparaître le produit comme faux, conservait toute son autorité; or, cette situation privilégiée change en regard de la reproduction mécanisée.

Le motif en est double. Tout d’abord, la reproduction mécanisée s’affirme avec plus d’indépendance par rapport à l’original que la reproduction manuelle. Elle peut, par exemple en photographie, révéler des aspects de l’original accessibles non à l’œil nu, mais seulement à l’objectif réglable et libre de choisir son champ et qui, à l’aide de certains procédés tels que l’agrandissement, capte des images qui échappent à l’optique naturelle. En second lieu, la reproduction mécanisée assure à l’original l’ubiquité dont il est naturellement privé. Avant tout, elle lui permet de venir s’offrir à la perception soit sous forme de photographie, soit sous forme de disque. La cathédrale quitte son emplacement pour entrer dans le studio d’un amateur ; le chœur exécuté en plein air ou dans une salle d’audition, retentit dans une chambre.

Ces circonstances nouvelles peuvent laisser intact le contenu d’une œuvre d’art – toujours est-il qu’elles déprécient son hic et nunc. S’il est vrai que cela ne vaut pas exclusivement pour l’œuvre d’art, mais aussi pour un paysage qu’un film déroule devant le spectateur, ce processus atteint l’objet d’art – en cela bien plus vulnérable que l’objet de la nature – en son centre même : son authenticité. L’authenticité d’une chose intègre tout ce qu’elle comporte de transmissible de par son origine, sa durée matérielle comme son témoignage historique. Ce témoignage, reposant sur la matérialité, se voit remis en question par la reproduction, d’où toute matérialité s’est retirée. Sans doute seul ce témoignage est-il atteint, mais en lui l’autorité de la chose et son poids traditionnel.

On pourrait réunir tous ces indices dans la notion d’aura et dire : ce qui, dans l’œuvre d’art, à l’époque de la reproduction mécanisée, dépérit, c’est son aura. Processus symptomatique dont la signification dépasse de beaucoup le domaine de l’art.

La technique de reproduction – telle pourrait être la formule générale – détache la chose reproduite du domaine de la tradition. En multipliant sa reproduction, elle met à la place de son unique existence son existence en série et, en permettant à la reproduction de s’offrir en n’importe quelle situation au spectateur ou à l’auditeur, elle actualise la chose reproduite. Ces deux procès mènent à un puissant bouleversement de la chose transmise, bouleversement de la tradition qui n’est que le revers de la crise et du renouvellement actuel de l’humanité. Ces deux procès sont en étroit rapport avec les mouvements de masse contemporains. Leur agent le plus puissant est le film. Sa signification sociale, même considérée dans sa fonction la plus positive, ne se conçoit pas sans cette fonction destructive, cathartique : la liquidation de ia valeur traditionnelle de l’héritage culturel. Ce phénomène est particulièrement tangible dans les grands films historiques. Il intègre à son domaine des régions toujours nouvelles. Et si Abel Gance, en 1927, s’écrie avec enthousiasme : Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinéma… Toutes les légendes, toute la mythologie et tous les mythes, tous les fondateurs de religions et toutes les religions elles-mêmes… attendent leur résurrection lumineuse, et les héros se bousculent a nos portes pour entrer [1], il convie sans s’en douter à une vaste liquidation.

III

À de grands intervalles dans l’histoire, se transforme en même temps que leur mode d’existence le mode de perception des sociétés humaines. La façon dont le mode de perception s’élabore (le médium dans lequel elle s’accomplit) n’est pas seulement déterminée par la nature humaine, mais par les circonstances historiques. L’époque de l’invasion des Barbares, durant laquelle naquirent l’industrie artistique du Bas-Empire et la Genèse de Vienne, ne connaissait pas seulement un art autre que celui de l’Antiquité, mais aussi une perception autre. Les savants de l’École viennoise, Riegl et Wickhoff, qui réhabilitèrent cet art longtemps déconsidéré sous l’influence des théories classicistes, ont les premiers eu l’idée d’en tirer des conclusions quant au mode de perception particulier à l’époque où cet art était en honneur. Quelle qu’ait été la portée de leur pénétration, elle se trouvait limitée par le fait que ces savants se contentaient de relever les caractéristiques formelles de ce mode de perception. Ils n’ont pas essayé – et peut-être ne pouvaient espérer – de montrer les bouleversements sociaux que révélaient les métamorphoses de la perception.

De nos jours, les conditions d’une recherche correspondante sont plus favorables et, si les transformations dans le médium de la perception contemporaine peuvent se comprendre comme la déchéance de l’aura, il est possible d’en indiquer les causes sociales.

Qu’est-ce en somme que l’aura ? Une singulière trame de temps et d’espace : apparition unique d’un lointain, si proche soit-il. L’homme qui, un après-midi d’été, s’abandonne à suivre du regard le profil d’un horizon de montagnes ou la ligne d’une branche qui jette sur lui son ombre – cet homme respire l’aura de ces montagnes, de cette branche. Cette expérience nous permettra de comprendre la détermination sociale de l’actuelle déchéance de l’aura. Cette déchéance est due à deux circonstances, en rapport toutes deux avec la prise de conscience accentuée des masses et l’intensité croissante de leurs mouvements. Car : la masse revendique que le monde lui soit rendu plus accessible avec autant de passion qu’elle prétend à déprécier l’unicité de tout phénomène en accueillant sa reproduction multiple. De jour en jour, le besoin s’affirme plus irrésistible de prendre possession immédiate de l’objet dans l’image, bien plus, dans sa reproduction. Aussi, telle que les journaux illustrés et les actualités filmées la tiennent à disposition se distingue-t-elle immanquablement de l’image d’art. Dans cette dernière, l’unicité et la durée sont aussi étroitement confondues que la fugacité et la reproductibilité dans le cliché.

Sortir de son halo l’objet en détruisant son aura, c’est la marque d’une perception dont le sens du semblable dans le monde se voit intensifié à tel point que, moyennant la reproduction, elle parvient à standardiser l’unique. Ainsi se manifeste dans le domaine de la réceptivité ce qui déjà, dans le domaine de la théorie, fait l’importance toujours croissante de la statistique. L’action des masses sur la réalité et de la réalité sur les masses représente un processus d’une portée illimitée, tant pour la pensée que pour la réceptivité.

IV

L’unicité de l’oeuvre d’art ne fait qu’un avec son intégration dans la tradition. Par ailleurs, cette tradition elle-même est sans doute quelque chose de fort vivant, d’extraordinairement changeant en soi. Une antique statue de Vénus était autrement située, par rapport à la tradition, chez les Grecs qui en faisaient l’objet d’un culte, que chez les clercs du Moyen-âge qui voyaient en elle une idole malfaisante. Mais aux premiers comme aux seconds elle apparaissait dans tout son caractère d’unicité, en un mot dans son aura. La forme originelle d’intégration de l’œuvre d’art dans la tradition se réalisait dans le culte. Nous savons que les oeuvres d’art les plus anciennes s’élaborèrent au service d’un rituel d’abord magique, puis religieux. Or, il est de la plus haute signification que le mode d’existence de l’oeuvre d’art déterminé par l’aura ne se sépare jamais absolument de sa fonction rituelle. En d’autres termes : la valeur unique de l’oeuvre d’art authentique a sa base dans le rituel. Ce fond rituel, si reculé soit-il, transparaît encore dans les formes les plus profanes du culte de la beauté. Ce culte, qui se développe au cours de la Renaissance, reste en honneur pendant trois siècles – au bout desquels le premier ébranlement sérieux qu’il subit décèle ce fond. Lorsqu’à l’avènement du premier mode de reproduction vraiment révolutionnaire, la photographie (simultanément avec la montée du socialisme), l’art éprouve l’approche de la crise, devenue évidente un siècle plus tard, il réagit par la doctrine de l’art pour l’art, qui n’est qu’une théologie de l’art. C’est d’elle qu’est ultérieurement issue une théologie négative sous forme de l’idée de l’art pur, qui refuse non seulement toute fonction sociale, mais encore toute détermination par n’importe quel sujet concret. (En poésie, Mallarmé fut le premier à atteindre cette position.)

Il est indispensable de tenir compte de ces circonstances historiques dans une analyse ayant pour objet l’oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée. Car elles annoncent cette vérité décisive : la reproduction mécanisée, pour la première fois dans l’histoire universelle, émancipe l’oeuvre d’art de son existence parasitaire dans le rituel. Dans une mesure toujours accrue, l’oeuvre d’art reproduite devient reproduction d’une oeuvre d’art destinée à la reproductibilité [2]. Un cliché photographique, par exemple, permet le tirage de quantité d’épreuves : en demander l’épreuve authentique serait absurde. Mais dès l’instant où le critère d’authenticité cesse d’être applicable à la production artistique, l’ensemble de la fonction sociale de l’art se trouve renversé. À son fond ritueldoit se substituer un fond constitué par une pratique autre : la politique.

V

Il serait possible de représenter l’histoire de l’art comme l’opposition de deux pôles de l’oeuvre d’art même, et de retracer la courbe de son évolution en suivant les déplacements du centre de gravité d’un pôle à l’autre. Ces deux pôles sont sa valeur rituelle et sa valeur d’exposition. La production artistique commence par des images au service de la magie. Leur importance tient au fait même d’exister, non au fait d’être vues. L’élan que l’homme de l’âge de la pierre dessine sur les murs de sa grotte est un instrument de magie, qu’il n’expose que par hasard à la vue d’autrui ; l’important serait tout au plus que les esprits voient cette image. La valeur rituelle exige presque que l’oeuvre d’art demeure cachée : certaines statues de dieux ne sont accessibles qu’au prêtre, certaines images de la Vierge restent voilées durant presque toute l’année, certaines sculptures des cathédrales gothiques sont invisibles au spectateur au niveau du sol. Avec l’émancipation des différents procédés d’art au sein du rituel se multiplient pour l’oeuvre d’art les occasions de s’exposer. Un buste, que l’on peut envoyer à tel ou tel endroit, est plus susceptible d’être exposé qu’une statue de dieu qui a sa place fixée dans l’enceinte du temple. Le tableau surpasse à cet égard la mosaïque ou la fresque qui le précédèrent.

Avec les différentes méthodes de reproduction de l’oeuvre d’art, son caractère d’exposabilités’est accru dans de telles proportions que le déplacement quantitatif entre les deux pôles se renverse, comme aux âges préhistoriques, en transformation qualitative de son essence. De même qu’aux âges préhistoriques, l’oeuvre d’art, par le poids absolu de sa valeur rituelle, fut en premier lieu un instrument de magie dont on n’admit que plus tard le caractère artistique, de même de nos jours, par le poids absolu de sa valeur d’exposition, elle devient une création à fonctions entièrement nouvelles – parmi lesquelles la fonction pour nous la plus familière, la fonction artistique, se distingue en ce qu’elle sera sans doute reconnue plus tard accessoire. Du moins est-il patent que le film fournit les éléments les plus probants à pareil pronostic. Il est en outre certain que la portée historique de cette transformation des fonctions de l’art, manifestement déjà fort avancée dans le film, permet la confrontation avec la préhistoire de manière non seulement méthodologique mais matérielle.

VI

L’art de la préhistoire met ses notations plastiques au service de certaines pratiques, les pratiques magiques – qu’il s’agisse de tailler la figure d’un ancêtre (cet acte étant en soi-même magique) ; d’indiquer le mode d’exécution de ces pratiques (la statue étant dans une attitude rituelle) ; ou enfin, de fournir un objet de contemplation magique (la contemplation de la statue s’effectuait selon les exigences d’une société à technique encore confondue avec le rituel). Technique naturellement arriérée en comparaison de la technique mécanique. Mais ce qui importe à la considération dialectique, ce n’est pas l’infériorité mécanique de cette technique, mais sa différence de tendance d’avec la nôtre – la première engageant l’homme autant que possible, la seconde le moins possible. L’exploit de la première, si l’on ose dire, est le sacrifice humain, celui de la seconde s’annoncerait dans l’avion sans pilote dirigé à distance par ondes hertziennes. Une fois pour toutes – ce fut la devise de la première technique (soit la faute irréparable, soit le sacrifice de la vie éternellement exemplaire). Une fois n’est rien- c’est la devise de la seconde technique (dont l’objet est de reprendre, en les variant inlassablement, ses expériences). L’origine de la seconde technique doit être cherchée dans le moment où, guidé par une ruse inconsciente, l’homme s’apprêta pour la première fois à se distancer de la nature. En d’autres termes : la seconde technique naquit dans le jeu.

Le sérieux et le jeu, la rigueur et la désinvolture se mêlent intimement dans l’oeuvre d’art, encore qu’à différents degrés. Ceci implique que l’art est solidaire de la première comme de la seconde technique. Sans doute les termes : domination des forces naturelles n’expriment-ils le but de la technique moderne que de façon fort discutable ; ils appartiennent encore au langage de la première technique. Celle-ci visait réellement à un asservissement de la nature – la seconde bien plus à une harmonie de la nature et de l’humanité. La fonction sociale décisive de l’art actuel consiste en l’initiation de l’humanité à ce jeu harmonien. Cela vaut surtout pour le film. Le film sert à exercer l’homme à la perception et à la réaction déterminées par la pratique d’un équipement technique dont le rôle dans sa vie ne cesse de croître en importance. Ce rôle lui enseignera que son asservissement momentané à cet outillage ne fera place à l’affranchissement par ce même outillage que lorsque la structure économique de l’humanité se sera adaptée aux nouvelles forces productives mises en mouvement par la seconde technique [3].

VII

Dans la photographie, la valeur d’exposition commence à refouler sur toute la ligne la valeur rituelle. Mais celle-ci ne cède pas le terrain sans résister. Elle se retire dans un ultime retranchement : la face humaine. Ce n’est point par hasard que le portrait se trouve être l’objet principal de la première photographie. Le culte du souvenir des êtres aimés, absents ou défunts, offre au sens rituel de l’oeuvre d’art un dernier refuge. Dans l’expression fugitive d’un visage humain, sur d’anciennes photographies, l’aura semble jeter un dernier éclat. C’est ce qui fait leur incomparable beauté, toute chargée de mélancolie. Mais sitôt que la figure humaine tend à disparaître de la photographie, la valeur d’exposition s’y affirme comme supérieure à la valeur rituelle. Le fait d’avoir situé ce processus dans les rues de Paris 1900, en les photographiant désertes, constitue toute l’importance des clichés d’Atget. Avec raison, on a dit qu’il les photographiait comme le lieu d’un crime. Le lieu du crime est désert. On le photographie pour y relever des indices. Dans le procès de l’histoire, les photographies d’Atget prennent la valeur de pièces à conviction. C’est ce qui leur donne une signification politique cachée. Les premières, elles exigent une compréhension dans un sens déterminé. Elles ne se prêtent plus à un regard détaché. Elles inquiètent celui qui les contemple : il sent que pour les pénétrer, il lui faut certains chemins; il a déjà suivi pareils chemins dans les journaux illustrés. De vrais ou de faux – n’importe. Ce n’est que dans ces illustrés que les légendes sont devenues obligatoires. Et il est clair qu’elles ont un tout autre caractère que les titres de tableaux. Les directives que donnent à l’amateur d’images les légendes bientôt se feront plus précises et plus impératives dans le film, où l’interprétation de chaque image est déterminée par la succession de toutes les précédentes.

VIII

Les Grecs ne connaissaient que deux procédés de reproduction mécanisée de l’oeuvre d’art : le moulage et la frappe. Les bronzes, les terracottes et les médailles étaient les seules oeuvres d’art qu’ils pussent produire en série. Tout le reste restait unique et techniquement irreproductible. Aussi ces oeuvres devaient-elles être faites pour l’éternité. Les Grecs se voyaient contraints, de par la situation même de leur technique, de créer un art de valeurs éternelles. C’est à cette circonstance qu’est due leur position exclusive dans l’histoire de l’art, qui devait servir aux générations suivantes de point de repère. Nul doute que la nôtre ne soit aux antipodes des Grecs. Jamais auparavant les oeuvres d’art ne furent à un tel degré mécaniquement reproductibles. Le film offre l’exemple d’une forme d’art dont le caractère est pour la première fois intégralement déterminé par sa reproductibilité. Il serait oiseux de comparer les particularités de cette forme à celles de l’art grec. Sur un point cependant, cette comparaison est instructive. Par le film est devenue décisive une qualité que les Grecs n’eussent sans doute admise qu’en dernier lieu ou comme la plus négligeable de l’art : la perfectibilité de l’oeuvre d’art. Un film achevé n’est rien moins qu’une création d’un seul jet ; il se compose d’une succession d’images parmi lesquelles le monteur fait son choix – images qui de la première à la dernière prise de vue avaient été à volonté retouchables. Pour monter son Opinion publique, film de 3 000 mètres, Chaplin en tourne 125 000. Le film est donc l’oeuvre d’art la plus perfectible, et cette perfectibilité procède directement de son renoncement radical à toute valeur d’éternité. Ce qui ressort de la contre-épreuve : les Grecs, dont l’art était astreint à la production de valeurs éternelles, avaient placé au sommet de la hiérarchie des arts la forme d’art la moins susceptible de perfectibilité, la sculpture, dont les productions sont littéralement tout d’une pièce. La décadence de la sculpture à l’époque des oeuvres d’art montables apparaît comme inévitable.

IX

La dispute qui s’ouvrit, au cours du XIXe siècle, entre la peinture et la photographie, quant à la valeur artistique de leurs productions respectives, apparaît de nos jours confuse et dépassée. Cela n’en diminue du reste nullement la portée, et pourrait au contraire la souligner. En fait, cette querelle était le symptôme d’un bouleversement historique de portée universelle dont ni l’une ni l’autre des deux rivales ne jugeaient toute la portée. L’ère de la reproductibilité mécanisée séparant l’art de son fondement rituel, l’apparence de son autonomie s’évanouit à jamais. Cependant le changement des fonctions de l’art qui en résultait dépassait les limites des perspectives du siècle. Et même, la signification en échappait encore au XXe siècle – qui vit la naissance du film.

Si l’on s’était auparavant dépensé en vaines subtilités pour résoudre ce problème : la photographie est-elle ou n’est-elle pas un art ? – sans s’être préalablement demandé si l’invention même de la photographie n’avait pas, du tout au tout, renversé le caractère fondamental de l’art – les théoriciens du cinéma à leur tour s’attaquèrent à cette question prématurée. Or, les difficultés que la photographie avait suscitées à l’esthétique traditionnelle n’étaient que jeux d’enfant au regard de celles que lui préparait le film. D’où l’aveuglement obstiné qui caractérise les premières théories cinématographiques. C’est ainsi qu’Abel Gance, par exemple, prétend : Nous voilà, par un prodigieux retour en arrière, revenus sur le plan d’expression des Egyptiens… Le langage des images n’est pas encore au point parce que nos yeux ne sont pas encore faits pour elles. Il n’y a pas encore assez de respect, de culte pour ce qu’elles expriment. [4]Séverin-Mars écrit : Quel art eut un rêve plus hautain, plus poétique à la fois et plus réel. Considéré ainsi, le cinématographe deviendrait un moyen d’expression tout à fait exceptionnel, et dans son atmosphère ne devraient se mouvoir que des personnages de la pensée la plus supérieure aux moments les plus parfaits et les plus mystérieux de leur course. [5]Alexandre Arnoux de son côté achevant une fantaisie sur le film muet, va même jusqu’à demander : En somme, tous les termes hasardeux que nous venons d’employer ne définissent-ils pas la prière ? [6]Il est significatif de constater combien leur désir de classer le cinéma parmi les arts, pousse ces théoriciens à faire entrer brutalement dans le film des éléments rituels. Et pourtant, à l’époque de ces spéculations, des oeuvres telles que L’Opinion publique et La Ruée vers l’or se projetaient sur tous les écrans. Ce qui n’empêche pas Gance de se servir de la comparaison des hiéroglyphes, ni Séverin-Mars de parler du film comme des peintures de Fra Angelico. Il est caractéristique qu’aujourd’hui encore des auteurs conservateurs cherchent l’importance du film, sinon dans le sacral, du moins dans le surnaturel. Commentant la réalisation du Songe d’une nuit d’été, par Reinhardt, Werfel constate que c’est sans aucun doute la stérile copie du monde extérieur avec ses rues, ses intérieurs, ses gares, ses restaurants, ses autos et ses plages qui a jusqu’à présent entravé l’essor du film vers le domaine de l’art. Le film n’a pas encore saisi son vrai sens, ses véritables possibilités… Celles-ci consistent dans sa faculté spécifique d’exprimer par des moyens naturels et avec une incomparable force de persuasion tout ce qui est féerique, merveilleux et surnaturel. [7]

X

Photographier un tableau est un mode de reproduction ; photographier un événement fictif dans un studio en est un autre. Dans le premier cas, la chose reproduite est une oeuvre d’art, sa reproduction ne l’est point. Car l’acte du photographe réglant l’objectif ne crée pas davantage une oeuvre d’art que celui du chef d’orchestre dirigeant une symphonie. Ces actes représentent tout au plus des performances artistiques. Il en va autrement de la prise de vue au studio. Ici la chose reproduite n’est déjà plus oeuvre d’art, et la reproduction l’est tout aussi peu que dans le premier cas. L’oeuvre d’art proprement dite ne s’élabore qu’au fur et à mesure que s’effectue le découpage. Découpagedont chaque partie intégrante est la reproduction d’une scène qui n’est oeuvre d’art ni par elle-même ni par la photographie. Que sont donc ces événements reproduits dans le film, s’il est clair que ce ne sont point des oeuvres d’art ?

La réponse devra tenir compte du travail particulier de l’interprète de film. Il se distingue de l’acteur de théâtre en ceci que son jeu qui sert de base à la reproduction, s’effectue, non devant un public fortuit, mais devant un comité de spécialistes qui, en qualité de directeur de production, metteur en scène, opérateur, ingénieur du son ou de l’éclairage, etc., peuvent à tout instant intervenir personnellement dans son jeu. II s’agit ici d’un indice social de grande importance. L’intervention d’un comité de spécialistes dans une performance donnée est caractéristique du travail sportif et, en général, de l’exécution d’un test. Pareille intervention détermine en fait tout le processus de la production du film. On sait que pour de nombreux passages de la bande, on tourne des variantes. Par exemple, un cri peut donner lieu à divers enregistrements. Le monteur procède alors à une sélection établissant ainsi une sorte de record. Un événement fictif tourné dans un studio se distingue donc de l’événement réel correspondant comme se distinguerait la projection d’un disque sur une piste, dans un concours sportif, de la projection du même disque au même endroit, sur la même trajectoire, si cela avait lieu pour tuer un homme. Le premier acte serait l’exécution d’un test, mais non le second.

Il est vrai que l’épreuve de test soutenue par un interprète de l’écran est d’un ordre tout à fait unique. En quoi consiste-t-elle ? À dépasser certaine limite qui restreint étroitement la valeur sociale d’épreuves de test. Nous rappellerons qu’il ne s’agit point ici d’épreuve sportive, mais uniquement d’épreuves de tests mécanisés. Le sportsman ne connaît pour ainsi dire que les tests naturels. Il se mesure aux épreuves que la nature lui fixe, non à celles d’un appareil quelconque – à quelques exceptions prés, tel Nurmi qui, dit-on, courait contre la montre. Entre-temps, le processus du travail, surtout depuis sa normalisation par le système de la chaîne, soumet tous les jours d’innombrables ouvriers à d’innombrables épreuves de tests mécanisés. Ces épreuves s’établissent automatiquement : est éliminé qui ne peut les soutenir. Par ailleurs, ces épreuves sont ouvertement pratiquées par les instituts d’orientation professionnelle.

Or, ces épreuves présentent un inconvénient considérable : à la différence des épreuves sportives, elles ne se prêtent pas à l’exposition dans la mesure désirable. C’est là, justement qu’intervient le film. Le film rend l’exécution d’un test susceptible d’être exposée en faisant de cette exposabilité même un test. Car interprète de l’écran ne joue pas devant un public, mais devant un appareil enregistreur. Le directeur de prise de vue, pourrait-on dire, occupe exactement la même place que le contrôleur du test lors de l’examen d’aptitude professionnelle. Jouer sous les feux des sunlights tout en satisfaisant aux exigences du microphone, c’est là une performance de premier ordre. S’en acquitter, c’est pour l’acteur garder toute son humanité devant les appareils enregistreurs. Pareille performance présente un immense intérêt. Car c’est sous le contrôle d’appareils que le plus grand nombre des habitants des villes, dans les comptoirs comme dans les fabriques, doivent durant la journée de travail abdiquer leur humanité. Le soir venu, ces mêmes masses remplissent les salles de cinéma pour assister à la revanche que prend pour elles l’interprète de l’écran, non seulement en affirmant son humanité (ou ce qui en tient lieu) face à l’appareil, mais en mettant ce dernier au service de son propre triomphe.

XI

Pour le film, il importe bien moins que l’interprète représente quelqu’un d’autre aux yeux du public que lui-même devant l’appareil. L’un des premiers à sentir cette métamorphose que l’épreuve de test fait subir à l’interprète fut Pirandello. Les remarques qu’il fait à ce sujet dans son roman On tourne, encore qu’elles fassent uniquement ressortir l’aspect négatif de la question, et que Pirandello ne parle que du film muet, gardent toute leur valeur. Car le film sonore n’y a rien changé d’essentiel. La chose décisive est qu’il s’agit de jouer devant un appareil dans le premier cas, devant deux dans le second. Les acteurs de cinéma, écrit Pirandello, se sentent comme en exil. En exil non seulement de la scène, mais encore d’eux-mêmes. Ils remarquent confusément, avec une sensation de dépit, d’indéfinissable vide et même de faillite, que leur corps est presque subtilisé, supprimé, privé de sa réalité, de sa vie, de sa voix, du bruit qu’il produit en se remuant, pour devenir une image muette qui tremble un instant sur l’écran et disparaît en silence… La petite machine jouera devant le public avec leurs ombres, et eux, ils doivent se contenter de jouer devant elle. [8]

Le fait pourrait aussi se caractériser comme suit : pour la première fois – et c’est là l’oeuvre du film – l’homme se trouve mis en demeure de vivre et d’agir totalement de sa propre personne, tout en renonçant du même coup à son aura. Car l’aura dépend de son hic et nunc. Il n’en existe nulle reproduction, nulle réplique. L’aura qui, sur la scène, émane de Macbeth, le public l’éprouve nécessairement comme celui de l’acteur jouant ce rôle. La singularité de la prise de vues au studio tient à ce que l’appareil se substitue au public. Avec le public disparaît l’aura qui environne l’interprète et avec celui de l’interprète l’aura de son personnage.

Rien d’étonnant à ce qu’un dramaturge tel que Pirandello, en caractérisant l’interprète de l’écran, touche involontairement au fond même de la crise dont nous voyons le théâtre atteint. À l’oeuvre exclusivement conçue pour la technique de reproduction telle que le film ne saurait en effet s’opposer rien de plus décisif que l’oeuvre scénique. Toute considération plus approfondie le confirme. Les observateurs spécialisés ont depuis longtemps reconnu que c’est presque toujours en jouant le moins possible que l’on obtient les plus puissants effets cinématographiques… . Dès 1932, Arnheim considère comme dernier progrès du film de n’y tenir l’acteur que pour un accessoire choisi en raison de ses caractéristiques… et que l’on intercale au bon endroit [9]. À cela se rattache étroitement autre chose. L ‘acteur de scène s’identifie au caractère de son rôle. L’interprète d’écran n ‘en a pas toujours la possibilité. Sa création n’est nullement tout d’une pièce ; elle se compose de nombreuses créations distinctes. A part certaines circonstances fortuites telles que la location du studio, le choix et la mobilisation des partenaires, la confection des décors et autres accessoires, ce sont d’élémentaires nécessités de machinerie qui décomposent le jeu de l’acteur en une série de créations montables. II s’agit avant tout de l’éclairage dont l’installation oblige à filmer un événement qui, sur l’écran, se déroulera en une scène rapide et unique, en une suite de prises de vues distinctes qui peuvent parfois se prolonger des heures durant au studio. Sans même parler de truquages plus frappants. Si un saut, du haut d’une fenêtre à l’écran, peut fort bien s’effectuer au studio du haut d’un échafaudage, la scène de la fuite qui succède au saut ne se tournera, au besoin, que plusieurs semaines plus tard au cours des prises d’extérieurs. Au reste, l’on reconstitue aisément des cas encore plus paradoxaux. Admettons que l’interprète doive sursauter après des coups frappés à une porte. Ce sursaut n’est-il pas réalisé à souhait, le metteur en scène peut recourir à quelque expédient : profiter d’une présence occasionnelle de l’interprète au studio pour faire éclater un coup de feu. L’effroi vécu, spontané de l’interprète, enregistré à son insu, pourra s’intercaler dans la bande. Rien ne montre avec tant de plasticité que l’art s’est échappé du domaine de la belle apparence, qui longtemps passa pour le seul où il pût prospérer.

XII

Dans la représentation de l’image de l’homme par l’appareil, l’aliénation de l’homme par lui-même trouve une utilisation hautement productive. On en mesurera toute l’étendue au fait que le sentiment d’étrangeté de l’interprète devant l’objectif, décrit par Pirandello, est de même origine que le sentiment d’étrangeté de l’homme devant son image dans le miroir – sentiment que les romantiques aimaient à pénétrer. Or, désormais cette image réfléchie de l’homme devient séparable de lui, transportable et où ? Devant la masse. Évidemment, l’interprète de l’écran ne cesse pas un instant d’en avoir conscience. Durant qu’il se tient devant l’objectif, il sait qu’il aura à faire en dernière instance à la masse des spectateurs. Ce marché que constitue la masse, où il viendra offrir non seulement sa puissance de travail, mais encore son physique, il lui est aussi impossible de se le représenter que pour un article d’usine. Cette circonstance ne contribuerait-elle pas, comme l’a remarqué Pirandello, à cette oppression, à cette angoisse nouvelle qui l’étreint devant l’objectif ? À cette nouvelle angoisse correspond, comme de juste, un triomphe nouveau : celui de la star. Favorisé par le capital du film, le culte de la vedette conserve ce charme de la personnalité qui depuis longtemps n’est que le faux rayonnement de son essence mercantile. Ce culte trouve son complément dans le culte du public, culte qui favorise la mentalité corrompue de masse que les régimes autoritaires cherchent à substituer à sa conscience de classe. Si tout se conformait au capital cinématographique, le processus s’arrêterait à l’aliénation de soi-même, chez l’artiste de l’écran comme chez les spectateurs. Mais la technique du film prévient cet arrêt : elle prépare le renversement dialectique.

XIII

Il appartient à la technique du film comme à celle du sport que tout homme assiste plus ou moins en connaisseur à leurs exhibitions. Pour s’en rendre compte, il suffit d’entendre un groupe de jeunes porteurs de journaux appuyés sur leurs bicyclettes, commenter les résultats de quelque course cycliste ; en ce qui concerne le film, les actualités prouvent assez nettement qu’un chacun peut se trouver filmé. Mais la question n’est pas la. Chaque homme aujourd’hui a le droit d’être filmé. Ce droit, la situation historique de la vie littéraire actuelle permettrait de le comprendre.

Durant des siècles, les conditions déterminantes de la vie littéraire affrontaient un petit nombre d’écrivains à des milliers de lecteurs. La fin du siècle dernier vit se produire un changement. Avec l’extension croissante de la presse, qui ne cessait de mettre de nouveaux organes politiques, religieux, scientifiques, professionnels et locaux à la disposition des lecteurs, un nombre toujours plus grand de ceux-ci se trouvèrent engagés occasionnellement dans la littérature. Cela débuta avec les boîtes aux lettresque la presse quotidienne ouvrit à ses lecteurs – si bien que, de nos jours, il n’y a guère de travailleur européen qui ne se trouve à même de publier quelque part ses observations personnelles sur le travail sous forme de reportage ou n’importe quoi de cet ordre. La différence entre auteur et public tend ainsi à perdre son caractère fondamental. Elle n’est plus que fonctionnelle, elle peut varier d’un cas à l’autre. Le lecteur est à tout moment prêt à passer écrivain. En qualité de spécialiste qu’il a dû tant bien que mal devenir dans un processus de travail différencié à l’extrême – et le fût-il d’un infime emploi – il peut à tout moment acquérir la qualité d’auteur. Le travail lui-même prend la parole. Et sa représentation par le mot fait partie intégrante du pouvoir nécessaire à son exécution. Les compétences littéraires ne se fondent plus sur une formation spécialisée, mais sur une polytechnique et deviennent par là bien commun.

Tout cela vaut également pour le film, où les décalages qui avaient mis des siècles à se produire dans la vie littéraire se sont effectués au cours d’une dizaine d’années. Car dans la pratique cinématographique – et surtout dans la pratique russe – ce décalage s’est en partie déjà réalisé. Un certain nombre d’interprètes des films soviétiques ne sont point des acteurs au sens occidental du mot, mais des hommes jouant leur propre rôle – tout premièrement leur rôle dans le processus du travail. En Europe occidentale, l’exploitation du film par le capital cinématographique interdit à l’homme de faire valoir son droit à se montrer dans ce rôle. Au reste, le chômage l’interdit également, qui exclut de grandes masses de la production dans le processus de laquelle elles trouveraient surtout un droit à se voir reproduites. Dans ces conditions, l’industrie cinématographique a tout intérêt à stimuler la masse par des représentations illusoires et des spéculations équivoques. À cette fin, elle a mis en branle un puissant appareil publicitaire : elle a tiré parti de la carrière et de la vie amoureuse des stars, elle a organisé des plébiscites et des concours de beauté. Elle exploite ainsi un élément dialectique de formation de la masse. L’aspiration de l’individu isolé à se mettre à la place de la star, c’est-à-dire à se dégager de la masse, est précisément ce qui agglomère les masses spectatrices des projections. C’est de cet intérêt tout privé que joue l’industrie cinématographique pour corrompre l’intérêt originel justifié des masses pour le film.

XIV

La prise de vues et surtout l’enregistrement d’un film offrent une sorte de spectacle telle qu’on n’en avait jamais vue auparavant. Spectacle qu’on ne saurait regarder d’un point quelconque sans que tous les auxiliaires étrangers à la mise en scène même – appareils d’enregistrement, d’éclairage, état-major d’assistants – ne tombent dans le champ visuel (à moins que la pupille du spectateur fortuit ne coïncide avec l’objectif). Ce simple fait suffit seul à rendre superficielle et vaine toute comparaison entre enregistrement au studio et répétition théâtrale. De par son principe, le théâtre connaît le point d’où l’illusion de l’action ne peut être détruite. Ce point n’existe pas vis-à-vis de la scène de film qu’on enregistre. La nature illusionniste du film est une nature au second degré – résultat du découpage. Ce qui veut dire : au studio l’équipement technique a si profondément pénétré la réalité que celle-ci n’apparaît dans le film dépouillée de l’outillage que grâce à une procédure particulière – à savoir l’angle de prise de vues par la caméra et le montage de cette prise avec d’autres de même ordre.

Dans le monde du film la réalité n’apparaît dépouillée des appareils que par le plus grand des artifices et la réalité immédiates’y présente comme la fleur bleue au pays de la Technique.

Ces données, ainsi bien distinctes de celles du théâtre, peuvent être confrontées de manière encore plus révélatrice avec celles de la peinture. II nous faut ici poser cette question : quelle est la situation de l’opérateur par rapport au peintre ? Pour y répondre, nous nous permettrons de tirer parti de la notion d’opérateur, usuelle en chirurgie. Or, le chirurgien se tient à l’un des pôles d’un univers dont l’autre est occupé par le magicien. Le comportement du magicien qui guérit un malade par imposition des mains diffère de celui du chirurgien qui procède à une intervention dans le corps du malade. Le magicien maintient la distance naturelle entre le patient et lui ou, plus exactement, s’il ne la diminue – par l’imposition des mains – que très peu, il l’augmente – par son autorité – de beaucoup. Le chirurgien fait exactement l’inverse : il diminue de beaucoup la distance entre lui et le patient – en pénétrant à l’intérieur du corps de celui-ci – et ne l’augmente que de peu – par la circonspection avec laquelle se meut sa main parmi les organes. Bref, à la différence du mage (dont le caractère est encore inhérent au praticien), le chirurgien s’abstient au moment décisif d’adopter le comportement d’homme à homme vis-à-vis du malade : c’est opératoirement qu’il le pénètre plutôt.

Le peintre est à l’opérateur ce qu’est le mage au chirurgien. Le peintre conserve dans son travail une distance normale vis-à-vis de la réalité de son sujet – par contre le cameraman pénètre profondément les tissus de la réalité donnée. Les images obtenues par l’un et par l’autre résultent de procès absolument différents. L’image du peintre est totale, celle du cameraman faite de fragments multiples coordonnés selon une loi nouvelle.

C’est ainsi que, de ces deux modes de représentation de la réalité – la peinture et le film – le dernier est pour l’homme actuel incomparablement le plus significatif, parce qu’il obtient de la réalité un aspect dépouillé de tout appareil – aspect que l’homme est en droit d’attendre de l’oeuvre d’art précisément grâce à une pénétration intensive du réelpar les appareils.

XV

La reproduction mécanisée de l’oeuvre d’art modifie la façon de réagir de la masse vis-à-vis de l’art. De rétrograde qu’elle se montre devant un Picasso par exemple, elle se fait le public le plus progressiste en face d’un Chaplin. Ajoutons que, dans tout comportement progressiste, le plaisir émotionnel et spectaculaire se confond immédiatement et intimement avec l’attitude de l’expert. C’est là un indice social important. Car plus l’importance sociale d’un art diminue, plus s’affirme dans le public le divorce entre l’attitude critique et le plaisir pur et simple. On goûte sans critiquer le conventionnel – on critique avec dégoût le véritablement nouveau. Il n’en est pas de même au cinéma. La circonstance décisive y est en effet celle-ci : les réactions des individus isolés, dont la somme constitue la réaction massive du public, ne se montrent nulle part ailleurs plus qu’au cinéma déterminées par leur multiplication imminente. Tout en se manifestant, ces réactions se contrôlent. Ici, la comparaison à la peinture s’impose une fois de plus. Jadis, le tableau n’avait pu s’offrir qu’à la contemplation d’un seul ou de quelques-uns. La contemplation simultanée de tableaux par un grand public, telle qu’elle s’annonce au XIXe siècle, est un symptôme précoce de la crise de la peinture, qui ne fut point exclusivement provoquée par la photographie mais, d’une manière relativement indépendante de celle-ci, par la tendance de l’oeuvre d’art à rallier les masses.

En fait, le tableau n’a jamais pu devenir l’objet d’une réception collective,ainsi que ce fut le cas de tout temps pour l’architecture, jadis pour le poème épique, aujourd’hui pour le film. Et, si peu que cette circonstance puisse se prêter à des conclusions quant au rôle social de la peinture, elle n’en représente pas moins une lourde entrave à un moment où le tableau, dans les conditions en quelque sorte contraires à sa nature, se voit directement confronté avec les masses. Dans les églises et les monastères du Moyen-Age, ainsi que dans les cours des princes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la réception collective des oeuvres picturales ne s’effectuait pas simultanément sur une échelle égale, mais par une entremise infiniment graduée et hiérarchisée. Le changement qui s’est produit depuis n’exprime que le conflit particulier dans lequel la peinture s’est vue impliquée par la reproduction mécanisée du tableau. Encore qu’on entreprît de l’exposer dans les galeries et les salons, la masse ne pouvait guère s’y contrôler et s’organiser comme le fait, à la faveur de ses réactions, le public du cinéma. Aussi le même public qui réagit dans un esprit progressiste devant un film burlesque, doit-il nécessairement réagir dans un esprit rétrograde en face de n’importe quelle production du surréalisme.

XVI

Parmi les fonctions sociales du film, la plus importante consiste à établir l’équilibre entre l’homme et l’équipement technique. Cette tâche, le film ne l’accomplit pas seulement par la manière dont l’homme peut s’offrir aux appareils, mais aussi par la manière dont il peut à l’aide de ses appareils se représenter le monde environnant. Si le film, en relevant par ses gros plans dans l’inventaire du monde extérieur des détails généralement cachés d’accessoires familiers, en explorant des milieux banals sous la direction géniale de l’objectif, étend d’une part notre compréhension aux mille déterminations dont dépend notre existence, il parvient d’autre part à nous ouvrir un champ d’action immense et insoupçonné.

Nos bistros et nos avenues de métropoles, nos bureaux et chambres meublées, nos gares et nos usines paraissaient devoir nous enfermer sans espoir d’y échapper jamais. Vint le film, qui fit sauter ce monde-prison par la dynamite des dixièmes de seconde, si bien que désormais, au milieu de ses ruines et débris au loin projetés, nous faisons insoucieusement d’aventureux voyages.Sous la prise de vues à gros plan s’étend l’espace, sous le temps de pose se développe le mouvement. De même que dans l’agrandissement il s’agit bien moins de rendre simplement précis ce qui sans cela garderait un aspect vague que de mettre en évidence des formations structurelles entièrement nouvelles de la matière, il s’agit moins de rendre par le temps de pose des motifs de mouvement que de déceler plutôt dans ces mouvements connus, au moyen du ralenti, des mouvements inconnus qui, loin de représenter des ralentissements de mouvements rapides, font l’effet de mouvements singulièrement glissants, aériens, surnaturels. [10]

Il devient ainsi tangible que la nature qui parle à la caméra, est autre que celle qui parle aux yeux. Autre surtout en ce sens qu’à un espace consciemment exploré par l’homme se substitue un espace qu’il a inconsciemment pénétré. S’il n’y a rien que d’ordinaire au fait de se rendre compte, d’une manière plus ou moins sommaire, de la démarche d’un homme, on ne sait encore rien de son maintien dans la fraction de seconde d’une enjambée. Le geste de saisir le briquet ou la cuiller nous est-il aussi conscient que familier, nous ne savons néanmoins rien de ce qui se passe alors entre la main et le métal, sans parler même des fluctuations dont ce processus inconnu peut être susceptible en raison de nos diverses dispositions psychiques. C’est ici qu’intervient la caméra avec tous ses moyens auxiliaires, ses chutes et ses ascensions, ses interruptions et ses isolements, ses extensions et ses accélérations, ses agrandissements et ses rapetissements. C’est elle qui nous initie à l’inconscient optique comme la psychanalyse à l’inconscient pulsionnel.

Au reste, les rapports les plus étroits existent entre ces deux formes de l’inconscient, car les multiples aspects que l’appareil enregistreur peut dérober à la réalité se trouvent pour une grande part exclusivement en dehors du spectre normal de la perception sensorielle. Nombre des altérations et stéréotypes, des transformations et des catastrophes que le monde visible peut subir dans le film l’affectent réellement dans les psychoses, les hallucinations et les rêves. Les déformations de la caméra sont autant de procédés grâce auxquels la perception collectives’approprie les modes de perception du psychopathe et du rêveur. Ainsi, dans l’antique vérité hératiclienne – les hommes à l’état de veille ont un seul monde commun à tous, mais pendant le sommeil chacun retourne à son propre monde – le film a fait une brèche, et notamment moins par des représentations du monde onirique que par la création de figures puisées dans le rêve collectif, telles que Mickey Mouse, faisant vertigineusement le tour du globe.

Si l’on se rend compte des dangereuses tensions que la technique rationnelle a engendrées au sein de l’économie capitaliste devenue depuis longtemps irrationnelle, on reconnaîtra par ailleurs que cette même technique a créé, contre certaines psychoses collectives, des moyens d’immunisation, à savoir certains films. Ceux-ci, parce qu’ils présentent des fantasmes sadiques et des images délirantes masochistes de manière artificiellement forcée, préviennent la maturation naturelle de ces troubles dans les masses, particulièrement exposées en raison des formes actuelles de l’économie. L’hilarité collective représente l’explosion prématurée et salutaire de pareilles psychoses collectives. Les énormes quantités d’incidents grotesques qui sont consommées dans le film sont un indice frappant des dangers qui menacent l’humanité du fond des pulsions refoulées par la civilisation actuelle. Les films burlesques américains et les bandes de Disney déclenchent un dynamitage de l’inconscient. [11]Leur précurseur avait été l’excentrique. Dans les nouveaux champs ouverts par le film, il avait été le premier à s’installer. C’est ici que se situe la figure historique de Chaplin.

XVII

L’une des tâches les plus importantes de l’art a été de tout temps d’engendrer une demande dont l’entière satisfaction devait se produire à plus ou moins longue échéance. L’histoire de toute forme d’art connaît des époques critiques où cette forme aspire à des effets qui ne peuvent s’obtenir sans contrainte qu’à base d’un standard technique transformé, c’est-à-dire dans une forme d’art nouvelle. Les extravagances et les crudités de l’art, qui se produisent ainsi particulièrement dans les soi-disant époques décadentes, surgissent en réalité de son foyer créateur le plus riche. De pareils barbarismes ont en de pareilles heures fait la joie du dadaïsme. Ce n’est qu’à présent que son impulsion devient déterminable : le dadaïsme essaya d’engendrer, par des moyens picturaux et littéraires, les effets que le public cherche aujourd’hui dans le film.

Toute création de demande foncièrement nouvelle, grosse de conséquences, portera au-delà de son but. C’est ce qui se produisait pour les dadaistes, au point qu’ils sacrifiaient les valeurs négociables, exploitées avec tant de succès par le cinéma, en obéissant à des instances dont, bien entendu, ils ne se rendaient pas compte. Les dadaïstes s’appuyèrent beaucoup moins sur l’utilité mercantile de leurs oeuvres que sur l’impropriété de celles-ci au recueillement contemplatif. Pour atteindre a cette impropriété, la dégradation préméditée de leur matériel ne fut pas leur moindre moyen. Leurs poèmes sont, comme disent les psychiatres allemands, des salades de mots, faites de tournures obscènes et de tous les déchets imaginables du langage. II en est de même de leurs tableaux, sur lesquels ils ajustaient des boutons et des tickets. Ce qu’ils obtinrent par de pareils moyens, fut une impitoyable destruction de l’aura même de leurs créations, auxquelles ils appliquaient, avec les moyens de la production, la marque infamante de la reproduction. Il est impossible, devant un tableau d’Arp ou un poème d’August Stramm, de prendre le temps de se recueillir et d’apprécier comme en face d’une toile de Derain ou d’un poème de Rilke. Au recueillement qui, dans la déchéance de la bourgeoisie, devint un exercice de comportement asocial [12], s’oppose la distraction en tant qu’initiation à de nouveaux modes d’attitude sociale. Aussi, les manifestations dadaïstes assurèrent-elles une distraction fort véhémente en faisant de l’oeuvre d’art le centre d’un scandale. Il s’agissait avant tout de satisfaire à cette exigence : provoquer un outrage public.

De tentation pour l’oeil ou de séduction pour l’oreille que l’oeuvre était auparavant, elle devint projectile chez les dadaïstes. Spectateur ou lecteur, on en était atteint. L’oeuvre d’art acquit une qualité traumatique. Elle a ainsi favorisé la demande de films, dont l’élément distrayant est également en première ligne traumatisant, basé qu’il est sur les changements de lieu et de plan qui assaillent le spectateur par à-coups. Que l’on compare la toile sur laquelle se déroule le film à la toile du tableau ; l’image sur la première se transforme, mais non l’image sur la seconde. Cette dernière invite le spectateur à la contemplation. Devant elle, il peut s’abandonner à ses associations. I1 ne le peut devant une prise de vue. À peine son oeil l’a-t-elle saisi que déjà elle s’est métamorphosée. Elle ne saurait être fixée. Duhamel, qui déteste le film, mais non sans avoir saisi quelques éléments de sa structure, commente ainsi cette circonstance : Je ne peux déjà plus penser ce que je veux. Les images mouvantes se substituent à mes propres pensées. [13]

En fait, le processus d’association de celui qui contemple ces images est aussitôt interrompu par leurs transformations. C’est ce qui constitue le choc traumatisant du film qui, comme tout traumatisme, demande à être amorti par une attention soutenue. [14]Par son mécanisme même, le film a rendu leur caractère physique aux traumatismes moraux pratiqués par le dadaïsme.

XVIII

La masse est la matrice où, à l’heure actuelle, s’engendre l’attitude nouvelle vis-à-vis de l’oeuvre d’art. La quantité se transmue en qualité : les masses beaucoup plus grandes de participants ont produit un mode transformé de participation.Le fait que ce mode se présente d’abord sous une forme décriée ne doit pas induire en erreur et, cependant, il n’en a pas manqué pour s’en prendre avec passion à cet aspect superficiel du problème. Parmi ceux-ci, Duhamel s’est exprimé de la manière la plus radicale. Le principal grief qu’il fait au film est le mode de participation qu’il suscite chez les masses. Duhamel voit dans le film un divertissement d’îlotes, un passe-temps d’illettrés, de créatures misérables, ahuris par leur besogne et leurs soucis…, un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées…, n’éveille au fond des coeurs aucune lumière, n’excite aucune espérance, sinon celle, ridicule d’être un jour « star » à Los-Angeles. [15]

On le voit, c’est au fond toujours la vieille plainte que les masses ne cherchent qu’à se distraire, alors que l’art exige le recueillement. C’est là un lieu commun. Reste à savoir s’il est apte à résoudre le problème. Celui qui se recueille devant l’oeuvre d’art s’y plonge : il y pénètre comme ce peintre chinois qui disparut dans le pavillon peint sur le fond de son paysage. Par contre, la masse, de par sa distraction même, recueille l’oeuvre d’art dans son sein, elle lui transmet son rythme de vie, elle l’embrasse de ses flots. L’architecture en est un exemple des plus saisissants. De tout temps elle offrit le prototype d’un art dont la réception réservée à la collectivité s’effectuait dans la distraction. Les lois de cette réception sont des plus révélatrices.

Les architectures ont accompagné l’humanité depuis ses origines. Nombre de genres d’art se sont élaborés pour s’évanouir. La tragédie naît avec les Grecs pour s’éteindre avec eux ; seules les règles en ressuscitèrent, des siècles plus tard. Le poème épique, dont l’origine remonte à l’enfance des peuples, s’évanouit en Europe au sortir de la Renaissance. Le tableau est une création du Moyen Âge, et rien ne semble garantir à ce mode de peinture une durée illimitée. Par contre, le besoin humain de se loger demeure constant. L’architecture n’a jamais chômé. Son histoire est plus ancienne que celle de n’importe quel art, et il est utile de tenir compte toujours de son genre d’influence quand on veut comprendre le rapport des masses avec l’art. Les constructions architecturales sont l’objet d’un double mode de réception : l’usage et la perception, ou mieux encore : le toucher et la vue. On ne saurait juger exactement la réception de l’architecture en songeant au recueillement des voyageurs devant les édifices célèbres. Car il n’existe rien dans la perception tactile qui corresponde à ce qu’est la contemplation dans la perception optique. La réception tactile s’effectue moins par la voie de l’attention que par celle de l’habitude. En ce qui concerne l’architecture, l’habitude détermine dans une large mesure même la réception optique. Elle aussi, de par son essence, se produit bien moins dans une attention soutenue que dans une impression fortuite. Or, ce mode de réception, élaboré au contact de l’architecture, a dans certaines circonstances acquis une valeur canonique. Car : les tâches qui, aux tournants de l’histoire, ont été imposées à la perception humaine ne sauraient guère être résolues par la simple optique, c’est-à-dire la contemplation. Elles ne sont que progressivement surmontées par l’habitude d’une optique approximativement tactile.

S’habituer, le distrait le peut aussi. Bien plus : ce n’est que lorsque nous surmontons certaines tâches dans la distraction que nous sommes sûrs de les résoudre par l’habitude. Au moyen de la distraction qu’il est à même de nous offrir, l’art établit à notre insu jusqu’à quel point de nouvelles taches de la perception sont devenues solubles. Et comme, pour l’individu isolé, la tentation subsiste toujours de se soustraire à de pareilles tâches, l’art saura s’attaquer aux plus difficiles et aux plus importantes toutes les fois qu’il pourra mobiliser des masses. Il le fait actuellement par le film. La réception dans la distraction, qui s’affirme avec une croissante intensité dans tous les domaines de l’art et représente le symptôme de profondes transformations de la perception, a trouvé dans le film son propre champ d’expérience. Le film s’avère ainsi l’objet actuellement le plus important de cette science de la perception que les Grecs avaient nommée l’esthétique.

XIX

La prolétarisation croissante de l’homme d’aujourd’hui, ainsi que la formation croissante de masses, ne sont que les deux aspects du même phénomène. L’État totalitaire essaye d’organiser les masses prolétarisées nouvellement constituées, sans toucher aux conditions de propriété, à l’abolition desquelles tendent ces masses. Il voit son salut dans le fait de permettre à ces masses l’expression de leur nature, non pas certes celle de leurs droits. [16]Les masses tendent à la transformation des conditions de propriété. L’État totalitaire cherche à donner une expression à cette tendance tout en maintenant les conditions de propriété. En d’autres termes : l’État totalitaire aboutit nécessairement à une esthétisation de la vie politique. Tous les efforts d’esthétisation politique culminent en un point. Ce point, c’est la guerre moderne. La guerre, et rien que la guerre permet de fixer un but aux mouvements de masses les plus vastes, en conservant les conditions de propriété. Voilà comment se présente l’état de choses du point de vue politique. Du point de vue technique, il se présenterait ainsi : seule la guerre permet de mobiliser la totalité des moyens techniques de l’époque actuelle en maintenant les conditions de propriété. Il est évident que l’apothéose de la guerre par l’état totalitaire ne se sert pas de pareils arguments, et cependant il sera profitable d’y jeter un coup d’oeil. Dans le manifeste de Marinetti sur la guerre italo-éthiopienne, il est dit : Depuis vingt-sept ans, nous autres futuristes nous nous élevons contre l’affirmation que la guerre n’est pas esthétique… Aussi sommes-nous amenés à constater… La guerre est belle, parce que grâce aux masques à gaz, aux terrifiants mégaphones, aux lance-flammes et aux petits tanks, elle fonde la suprématie de L’homme sur la machine subjuguée. La guerre est belle, parce qu’elle inaugure la métallisation rêvée du corps humain. La guerre est belle, parce qu’elle enrichit un pré fleuri des flamboyantes orchidées des mitrailleuses. La guerre est belle, parce qu’elle unit les coups de fusils, les canonnades, les pauses du feu, les parfums et les odeurs de la décomposition dans une symphonie. La guerre est belle, parce qu’elle crée de nouvelles architectures telle celle des grands tanks, des escadres géométriques d’avions, des spirales de fumée s’élevant des villages en flammes, et beaucoup d’autres choses encore… Poètes et artistes du Futurisme… souvenez-vous de ces principes d’une esthétique de la guerre, afin que votre lutte pour une poésie et une plastique nouvelle… en soit éclairée !

Ce manifeste a l’avantage de la netteté. Sa façon de poser la question mérite d’être adoptée par le dialecticien. À ses yeux, l’esthétique de la guerre contemporaine se présente de la manière suivante. Lorsque l’utilisation naturelle des forces de production est retardée et refoulée par l’ordre de la propriété, l’intensification de la technique, des rythmes de la vie, des générateurs d’énergie tend à une utilisation contre-nature. Elle la trouve dans la guerre, qui par ses destructions vient prouver que la société n’était pas mûre pour faire de la technique son organe, que la technique n’était pas assez développée pour juguler les forces sociales élémentaires. La guerre moderne, dans ses traits les plus immondes, est déterminée par le décalage entre les puissants moyens de production et leur utilisation insuffisante dans le processus de la production (en d’autres termes, par le chômage et le manque de débouchés).

Dans cette guerre, la technique insurgée pour avoir été frustrée par la société de son matériel naturel extorque des dommages-intérets au matériel humain. Au lieu de canaliser des cours d’eau, elle remplit ses tranchées de flots humains. Au lieu d’ensemencer la terre du haut de ses avions, elle y sème l’incendie. Et dans ses laboratoires chimiques elle a trouvé un procédé nouveau et immédiat pour supprimer l’aura.

Fiat ars, pereat mundus, dit la théorie totalitaire de l’état qui, de l’aveu de Marinetti, attend de la guerre la saturation artistique de la perception transformée par la technique. C’est apparemment là le parachèvement de l’art pour l’art. L’humanité, qui jadis avec Homère avait été objet de contemplation pour les dieux olympiens, l’est maintenant devenue pour elle-même. Son aliénation d’elle-même par elle-même a atteint ce degré qui lui fait vivre sa propre destruction comme une sensation esthétique de tout premier ordre. Voilà où en est l’esthétisation de la politique perpétrée par les doctrines totalitaires. Les forces constructives de l’humanité y répondent par la politisation de l’art.

Notes

[1]Abel GANCE : Le Temps de l’image est venu: L’art cinématographique, II, Paris, 1927. pp. 94-96).

[2]Pour les films, la reproductibilité ne dépend pas, comme pour les créations littéraires et picturales, d’une condition extérieure à leur diffusion massive. La reproductibilité mécanisée des films est inhérente à la technique même de leur production. Cette technique, non seulement permet la diffusion massive de la manière la plus immédiate, mais la détermine bien plutôt. Elle la détermine du fait même que la production d’un film exige de tels frais que l’individu, s’il peut encore se payer un tableau, ne pourra jamais s’offrir un film. En 1927, on a pu établir que, pour couvrir tous ses frais, un grand film devait disposer d’un public de neuf millions de spectateurs. Il est vrai que la création du film sonore a d’abord amené un recul de la diffusion internationale – son public s’arrêtant à la frontière des langues. Cela coïncida avec la revendication d’intérêts nationaux par les régimes autoritaires. Aussi est-il plus important d’insister sur ce rapport évident avec les pratiques des régimes autoritaires, que sur les restrictions résultant de la langue mais bientôt levées par la synchronisation. La simultanéité des deux phénomènes procède de la crise économique. Les mêmes troubles qui, sur le plan général, ont abouti à la tentative de maintenir par la force les conditions de propriété, ont déterminé les capitaux des producteurs à hâter l’élaboration du film sonore. L’avénement de ce dernier amena une détente passagère, non seulement parce que le film sonore se créa un nouveau public, mais parce qu’il rendit de nouveaux capitaux de l’industrie électrique solidaires des capitaux de production cinématographique. Ainsi, considéré de l’extérieur, le film sonore a favorisé les intérêts nationaux, mais, vu de l’intérieur, il a contribué à internationaliser la production du film encore davantage que ses conditions antérieures de production.

[3]Le but même des révolutions est d’accélérer cette adaptation. Les révolutions sont les innervations de l’élément collectif ou, plus exactement, les tentatives d’innervation de la collectivité qui pour la première fois trouve ses organes dans la seconde technique. Cette technique constitue un système qui exige que les forces sociales élémentaires soient subjuguées pour que puisse s’établir un jeu harmonien entre les forces naturelles et l’homme. Et de même qu’un enfant qui apprend à saisir tend la main vers la lune comme vers une balle à sa portée l’humanité, dans ses tentatives d’innervation, envisage, à côté des buts accessibles, d’autres qui ne sont d’abord qu’utopiques. Car ce n’est pas seulement la seconde technique qui, dans les révolutions, annonce les revendications qu’elle adressera à la société. C’est précisément parce que cette technique ne vise qu’à libérer davantage l’homme de ses corvées que l’individu voit tout d’un coup son champ d’action s’étendre, incommensurable. Dans ce champ, il ne sait encore s’orienter. Mais il y affirme déjà ses revendications. Car plus l’élément collectif s’approprie sa seconde technique, plus l’individu éprouve combien limité, sous l’emprise de la première technique, avait été le domaine de ses possibilités. Bref, c’est l’individu particulier, émancipé par la liquidation de la première technique, qui revendique ses droits. Or, la seconde technique est à peine assurée de ses premières acquisitions révolutionnaires, que déjà les instances vitales de l’individu, réprimées du fait de la première technique l’amour et la mort aspirent à s’imposer avec une nouvelle vigueur. L’oeuvre de Fourier constitue l’un des plus importants documents historiques de cette revendication.

[4]Abel GANCE, Op. Cit., pp. 100-101.

[5]Séverin-Mars, cité par Abel GANCE, Op. Cit., p. 100.

[6]Alexandre ARNOUX, Cinéma, Paris, 1929, p. 28.

[7]Franz WERFEL, Ein Sommernachtstraum. Ein Film von Shakespeare und Reinhardt, Neues Wiener Journal, cité par Lu, 15 novembre 1935.

[8]Luigi PIRANDELLO : On tourne, cité par Léon PIERRE-QUINT, Signification du cinéma(L’Art cinématographique, II, Paris, 1927, pp. 14-15).

[9]Rudolf ARNHEIM, Der Film als Kunst, Berlin, 1932, pp. 176-177.

[10]Rudolf ARNHEIM, Op. Cit., p. 138.

[11]Il est vrai qu’une analyse intégrale de ces films ne devrait pas taire leur sens antithétique. Elle devrait partir du sens antithétique de ces éléments qui donnent une sensation de comique et d’horreur à la fois. Le comique et l’horreur, ainsi que le prouvent les réactions des enfants, voisinent étroitement. Et pourquoi n’aurait on pas le droit de se demander, en face de certains faits, laquelle de ces deux réactions, dans un cas donné, est la plus humaine ? Quelques-unes des plus récentes bandes de Mickey Mouse justifient pareille question. Ce qui, à la lumière de nouvelles bandes de Disney, apparaît nettement, se trouvait déjà annoncé dans maintes bandes plus anciennes : faire accepter de gaieté de coeur la brutalité et la violence comme des caprices du sort.

[12]L’archétype théologique de ce recueillement est la conscience d’être seul à seul avec son Dieu. Par cette conscience, à l’époque de splendeur de la bourgeoisie, s’est fortifiée la liberté de secouer la tutelle cléricale. À l’époque de sa déchéance, ce comportement pouvait favoriser la tendance latente à soustraire aux affaires de la communauté les forces puissantes que l’individu isolé mobilise dans sa fréquentation de Dieu.

[13]Georges DUHAMEL, Scènes de la vie future, Paris, 1930, p. 52.

[14]Le film représente la forme d’art correspondant au danger de mort accentué dans lequel vivent les hommes d’aujourd’hui. Il correspond à des transformations profondes dans les modes de perception transformations telles qu’éprouve, sur le plan de l’existence privée, tout piéton des grandes villes et, sur le plan historique universel, tout homme résolu à lutter pour un ordre vraiment humain.

[15]Georges DUHAMEL, op. cit., p. 58.

[16]Il s’agit ici de souligner une circonstance technique significative, surtout en ce qui concerne les actualités cinématographiques. A une reproduction massive répond particulièrement une reproduction des masses. Dans les grands cortèges de fête, les assemblées monstres, les organisations de masse du sport et de la guerre, qui tous sont aujourd’hui offerts aux appareils enregistreurs, la masse se regarde elle-même dans ses propres yeux. Ce processus, dont l’importance ne saurait être surestimée, dépend étroitement du développement de la technique de reproduction, et particulièrement d’enregistrement. Les mouvements de masse se présentent plus nettement aux appareils enregistreurs qu’à l’oeil nu. Des rassemblements de centaines de mille hommes se laissent le mieux embrasser à vol d’oiseau et, encore que cette perspective soit aussi accessible à l’oeil nu qu’à l’appareil enregistreur, l’image qu’en retient l’oeil n’est pas susceptible de l’agrandissement que peut subir la prise de vue. Ce qui veut dire que des mouvements de masse, et en premier lieu la guerre moderne, représentent une forme de comportement humain particulièrement accessible aux appareils enregistreurs.

quel nom pour quel visage

Hé oui, « l’habitude de ces fugues était prise… Si une semaine s’écoulait sans escapade, on le voyait s’ennuyer, dépérir et fureter dans le logis pour trouver une issue ».

Ce week-end, ce fut une escapade autour des visages : Le film coréen présenté à la soirée « Cinéma et psychanalyse » ciblait une femme qui s’est « dévisagée » pour renouveler le désir de son homme. Voyant qu’il regardait d’autres femmes et que sa libido était un peu fatiguée (tu en as marre de moi? disait-t’elle), elle s’est « fait l’objet du désir de l’homme », non dans le semblant, mais dans le réel, en passant par la chirurgie esthétique. Pourtant, disait le chirurgien, vous ne pourrez pas être plus belle, vous l’êtes déjà. Elle croit réussir, en le séduisant incognito avec son nouveau visage, après six mois d’absence,   mais ce succès s’avère un échec et elle est « triste à exploser »; il aime encore celle qu’il croit avoir perdue, ce qui ranime en elle une jalousie absurde. Devant l’impossible à supporter de ce réel qu’il finit par découvrir, il tente de la suivre dans cet au-delà, cet illimité féminin, et va voir le chirurgien, lui aussi. Cela se termine très mal, puisqu’il ne pourra jamais plus se présenter à elle et préférera mourir: Il ne peut être « Autre à lui-même ». Il devient méconnaissable, elle aussi d’ailleurs. « On ne pourra plus jamais vous reconnaître », dit le chirurgien qu’elle retourne voir une seconde fois, comme si cela pouvait effacer l’horreur de son premier acte. Voila un peu ce que j’en ai retenu.

Le lendemain, ce fut grâce l’exposition photo de Gisèle Freund, qu’il devenait possible de mettre des visages sous des noms, et reconnaître Gide, Malraux, Cocteau, Sartre, Marie Bonaparte, Zweig et…. Joyce. La démarche m’a parue inverse de la veille: retour au symbolique, reconnaissance qui s’opposait bien à la méconnaissance.

Notre discussion après, autour d’un verre, fut magique.

Enfin, aujourd’hui, petit « rattrapage » Baselitz, en solo, avec, du coup une émotion face aux visages jaunes et en creux des « femmes de Dresde », et la monumentale « femme outremer ».

Je te passe la plume pour l’escapade des deux semaines prochaines où je ne pourrais venir, Alain?

Bises à tous,

Catherine

 

Illus:

  1. Une image de la fin du film de Kim Ki-Duc
  2. André Gide sous le masque de Leopardi, Gisele Freund, Paris 1939
  3. Georg Baselitz, Le labyrinthe des plaintes des femmes de Dresde

ennuyeux, mike kelley has died

De la part de Guy M.
Objet : [escapadesculturelles] ennuyeux

  http://www.galleristny.com/2012/02/mike-kelley-has-died/

 __._,_.___

De la part de véronique müller
Objet :[escapadesculturelles] ennuyeux, mike kelley has died

tu te souviens, en 2004, de cette exposition que nous avions vue, de lui, MIKE KELLEY

et nous avions même ramené une des photocopies qui parsemaient le sol, et je l’avais ensuite donnée à annick, en lui disant tiens j’ai un mike kelley à te donner, et quand même elle avait été un peu déçue…

 GH-Kelley2-06G.jpg

 GH-Kelley2-01G.jpgGH-Kelley2-02G.jpgGH-Kelley2-03G.jpgGH-Kelley2-04G.jpgGH-Kelley2-05G.jpg

De la part de Guy M.
Objet : [escapadesculturelles] ennuyeux, mike kelley has died

Oui bien sûr
j’avais vu aussi son expo au whitney museum en ’93, ‘catholic tastes’ le
catalogue est très bien
et surtout j’ai le t-shirt!
http://books.google.com/books?id=_NXdfW9kpokC&pg=PA77&lpg=PA77&dq=Hi+my+name+is+if+I+am+lost+take+me+to+the+clock+tower&source=bl&ots=rqe-5GiX7c&sig=iabiKiX2IFhgl9s70MP7RCl3yhw&hl=en&sa=X&ei=XpsqT_-rOI-G-wbw-cSuDg&ved=0CB8Q6AEwAA
qui est en haut de la page 77 (si vous arrivez à accéder à la page…)

Hi my name is
_____________
if I am lost
take me to
the clock tower

je suppose que j’ai écris quelque chose là dessus à l’époque
à l’époque j’écrivais des trucs
et je m’intéressais à l’art

c’est aussi pour ça, là:
http://punkmusic.about.com/od/punkinthenews/a/Rip-Mike-Kelley-1954-2012.htm
que c’est triste

Votre,
Guy.
PS/ je crois qu’on a vu aussi une expo à bruxelles il y a un an, il
fallait se mettre à quatre pattes dans des tuyaux de plus en plus petits,
hein

De la part de Guy M.
Objet : [escapadesculturelles] ennuyeux

Un homme de culture

 

c’est trop triste

 

Votre,

Guy.

__._,_.___

De la part de véronique müller
Objet :[escapadesculturelles] ennuyeux, mike kelley has died

ah, oui, “Educational Complex Onwards” au Wiels, en 2008, avec Jules, c’est vrai, je me souviens aussi.

je dois avoir une sorte d’affiche quelque part,

De la part de Guy M.
Objet : [escapadesculturelles] ennuyeux

l’article dans liberation aujourd’hui est completement stupide avec ces
histoires de « trash » qui ne veulent rien dire
  néanmoins ça m’a fait revenir ce à quoi je pensais en 93 au sortir de
catholic tastes, je résume:

mike kelley (ici un exemple parmi d’autres)
http://www.initialaccess.co.uk/exh/42/8/unholy-truths/mike-kelley
annette messager
http://www.shift.jp.org/en/archives/2008/09/annette_messager_exhibition.html
(c’est aussi un exemple)

utilisation des peluches
ce serait à discuter
si je n’avais pas
http://homme-moderne.org/musique/carnet2/?p=3836
un ami mort

Votre,
Guy.

l’anti-dépresseur du gai-savoir…

ces formes géométriques de toutes les couleurs qui se déroulent dans un écran en creux
ces sortes de robots  "implantés" dans un espace pour étudier la naissance du langage
ces sortes de robots "implantés" dans un espace pour étudier la naissance du langage

Bonjour à tous,

Comme Mariana, en solo j’ai  rattrapé mon retard de l’escapade « Mathématiques, un dépaysement soudain » à la fondation Cartier.

Quelle surprise et quel bonheur de rencontrer ces mathématiciens pétillants et joyeux de nous transmettre leur gai-savoir.

Je retrouvais mes yeux d’enfants à observer ces formes géométriques de toutes les couleurs qui se déroulent dans un écran en creux, et j’ai eu un échange très drôle avec une des femmes présentes pour nous guider qui nous expliquait ces sortes de robots  « implantés » dans un espace pour étudier la naissance du langage. Ce sont des tiges informatisées que David Lynch a « habillées » avec les têtes d’un de ses films, faites de 3 creux, 2 yeux et une bouche en forme de 0 pourrait-on dire. En aparté, la présentatrice me disait son trouble qu’on leur ait mis des visages et son étonnement quand, pour parler de « ça », on dise « elles » –  ce serait devenu des femmes ??? On a bien ri !

Et le soir j’allais écouter, entre autres, Cinzia Crozali sur la dépression, qui mettait l’accent sur l’anti-dépresseur trouvé par Lacan du côté du « gai-savoir », la boucle était bouclée !

Je reviens le 22 février à Paris pour une réunion de bureau des PF, une escapade vers 16h30/17h vous tenterait ? sinon j’ai plein de retard à rattraper lol

Bises,

Isabelle

~
des robots implantés dans un espace pour « étudier la naissance du langage » dis-tu !!!!
et tu pourrais nous en dire plus ????
vrm
~
Ce sont des tiges qui sont implantées dans un espace, des tiges informatisées et leur logiciel est d’entrer en interaction l’une avec l’autre et avec le public qui bouge devant « elles ». Je n’ai pas tout compris mais quand elles sont d’accord sur un terme elles lèvent la tête et quand elles ne sont pas d’accord elles la baissent, elles se cherchent et elles fabriquent des sons, des sonorités, parfois il y a des mots et derrière sur un écran, une arborescence se dessine petit à petit. J’ai trouvé ça très poétique, et très drôle aussi d’imaginer des êtres féminins en train de palabrer… mais s’il y a quelqu’un qui a une explication plus scientifique, elle sera la bienvenue
Bon week end d’escapade.. ou pas
Isabelle

walter benjamin meurt à port-bou

kiefer-tescheveuxcendresulamith.jpg

Anselm Kiefer, Dein aschenes Haar, Sülamith.

PORT-BOU – ALLEMAND ?

Déjouque la cagoule magique,
le casque d’acier.
Nibelungs
de gauche, Nibelungs
de droite:
nettoyé, rhincé, purifié,
déchet.
Benjamin
vous non-dit, à jamais,
il oui-dit.
Ce genre d’éternité, aussi
sous les espèces du B~ Bauhaus :
non.
Pas de Trop tard,
un secret
Ouvert.

Paul Celan

Les « Nibelungs de gauche» désignent un collectif: les étudiants « antifascistes» de 1968 qui élurent Benjamin comme leader spirituel tout en se présentant eux-mêmes en victimes de leurs pères. Comme Benjamin, Celan «dit non» pour « dire oui» : non à « ce genre d’éternité », non à toute éternité héroïco-transhistorique, non aussi à sa purification moderniste, non au fonctionnalisme ésotérique du Bauhaus. Celan met en parallèle l’isolement croissant de Benjamin et le sien, son propre sentiment de marginalisation parmi des gauchistes qu’il soupçonne, à tort ou à raison, d’être restés fidèles à l’appel des Nibelungs sous la cagoule magique d’un philo sémitisme ressentimental. Il les met dans le même sac que les « Nibelungs de droite », les nationalistes de « l’Allemagne secrète» critiqués par Benjamin, s’approprie l’adjectif « secret» et pose un « secret Ouvert» utopique, en lieu et place de la topique nationaliste. Quant à l’adjectif qualificatif « allemand », il est éjecté vers le titre, séparé par un trait de Port-Bou, la localité dans les Pyrénées espagnoles où Benjamin, poursuivi par la Gestapo, ne voyant plus d’issue, s’est donné la mort en 1940. L’évocation de Port-Bou place l’ensemble du poème sous l’angle du suicide et de la tombe de Benjamin en terre espagnole, sous l’angle du rétrécissement ultime de sa biographie dans l’impasse de l’histoire. Port-Bou serait-il allemand? La question du titre débouche sur un « secret Ouvert». Ouvert serait-il la « petite porte étroite» par laquelle, selon Benjamin, le monde en ruines pouvait encore trouver une issue? On ne le saura pas. À 1′instar du philosophe, Celan conserve le missing link qui ouvre le dialogue avec le lecteur.

Andrea Lauterwein, Anselm Kiefer et la poésie de Paul Celan, Editions du regard, pp. 63, 64

Rencontre avec Francis Warin, artiste peintre et sculpteur

Chers amies, chers amis, ès cap pas d’heures,

Groupe ouvert et à géométrie variable, j’aime la liberté offerte par nos escapades qui laissent une place de choix à l’improvisation, à la surprise, à la contingence! C’est par le biais d’un ami Lithuanien, intéressé par l’art et auquel je parlais récemment de notre aventure nouvelle en terre d’escapades, que le nom de Francis Warin a surgi en associant librement… »Ah, tiens, je voudrais te présenter un ami… ».

Jeudi dernier, avec Nidas donc, d’un ami à l’autre, le temps d’un délicieux déjeuner improvisé au Café de la pie à Saint-Maur des Fossés, chez Solange, lieu insolite où le temps n’a pas de prise, j’ai fait la rencontre incroyable de cet artiste peintre sculpteur de 81 ans, Francis Warin, dont la vie est un roman tout à fait passionnant, traversé par tant d’événements historiques marquants et de rencontres d’artistes majeurs, tant dans sa vie personnelle que dans sa vie artistique et dont il témoigne avec beaucoup de générosité, en conteur libre et spontané. La rencontre a été un grand moment d’échange sur l’art, la vie, la psychanalyse…

Après que Francis Warin ait évoqué un projet de réunir un jour, dans son atelier au milieu de ses œuvres, des musiciens de jazz, je lui ai parlé de la rencontre de Miro et Duke Ellington, et lui ai fait parvenir ce lien:

http://www.dailymotion.com/video/x35lvc_duke-ellington-blues-for-miro-1966_music

Francis Warin m’a confié après avoir écouté le lien que c’est en écoutant Duke Ellington, qu’il connait par coeur, qu’il crée… Je suis revenue le rencontrer, seule, aujourd’hui, dans son très bel atelier, qui nous ouvre toutes grandes ses portes. Je vous joins quelques photos d’un très bon moment passé en une fort agréable et enseignante compagnie.

C’est une visite et une rencontre que je vous propose de faire à votre tour, seul(e) ou à plusieurs, à la découverte de ses œuvres et à l’écoute de ses nombreuses anecdotes, Francis Warin étant un hôte tout à fait remarquable, accueillant et pétillant. Quelle émotion de parler avec l’artiste, dans son univers, dans ses murs, de le voir s’animer devant ses tableaux, de l’écouter témoigner de l’insaisissabilité de l’acte de création, son mystère, son évanescence, de toucher les sculptures, de poser ses questions, de photographier librement, de jouer avec la lumière naturelle sur une toile, de laisser se dérouler une visite impromptue, intemporelle, laissant les œuvres se dévoiler, se découvrir, se retrouver, se parler, au hasard de la conversation, de fil en aiguille, sans suivre un circuit, un sens, un guide…

A vous de faire votre rencontre, Francis Warin vous accueillera pour une visite de son atelier à Saint Maur des Fossés. Vos visites sont attendues. Peut-être même que Francis Warin rejoindra notre groupe d’escapadeurs à l’occasion? L’invitation est lancée pour l’exposition à la Pinacothèque:

http://www.pinacotheque.com/index.php?id=732

A propos, si vous connaissez des artistes, des ateliers, des galeries, des endroits insolites d’expressions artistiques, des lieux de création inconnus, des expositions qui sortent des sentiers battus et tout bitumés de l’art en marché,  je suis très intéressée par de nouvelles découvertes, et souhaite qu’Escapade s’oriente aussi dans ces voies là. Et vous? 🙂

Bises.

Géraldine.

« Je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire. »

Chers amis,

 Je vous adresse à la faveur des récentes escapades Baselitz et de la fin de l’exposition, la réflexion qui m’était venue au moment de la découverte de l’exposition avec Véronique en décembre et que j’ai complétée tout dernièrement dans l’après-coup.

Merci Véronique pour ce témoignage et ces recherches passionnantes autour de l’oeuvre de Baselitz, artiste peintre, dessinateur et sculpteur contemporain allemand, qui nous introduit à une réflexion de plus en plus poussée sur ce qui pourrait définir l’art moderne, et merci surtout pour cette escapade improvisée ensemble ce mardi de novembre pluvieux au musée des arts modernes, à la rencontre de ses sculptures insolites et colossales.

J’ai pour ma part d’emblée été saisie par un certain malaise, tu le sais, en découvrant en tout premier le monumental Modell für eine Skulptur (1979-1980), la sculpture inaugurale, présentée à la Biennale de Venise en 1980 et qui fit scandale. Est-ce le bras tendu, assimilable au salut hitlérien, est-ce le profil ambigu de cette grossière tête humaine sortie du tronc, rampante et cherchant à se dresser, quelque chose là, dans ce buste menaçant, d’une étrangeté inquiétante m’a renvoyée à cette sombre période de l’histoire.

Suivant le fil de ce malaise en m’intéressant ici uniquement aux sculptures exposées et en faisant quelques recherches biographiques sur l’artiste, je trouve son témoignage d’une enfance prise dans la tourmente de la dictature du troisième Reich: « mon père était nazi, mais comment peut-on m’attribuer une part de responsabilité alors que j’avais 7 ans en 1945. » 

Cette formulation en dit long et m’évoque une phrase de Victor Klemperer, philologue juif allemand vivant également à Dresde et qui a écrit pendant les douze années du nazisme, en tenant un journal clandestin, au péril de sa vie, afin de résister et de dénoncer l’effet progressif d’empoisonnement de la langue comme mode de propagation de la « LTI, la langue du III Reich », que je cite de mémoire, à propos des jeunesses hitlériennes : « combien de générations avant que ces immondices nazies ne s’effacent de ces chères têtes blondes?« .

Comment ne pas y songer en voyant certaines de ces statues géantes…comme le retour du refoulé, de ce que l’enfant Baselitz a perçu des figures effrayantes, monstrueuses du nazisme, du discours totalitaire qui ont marqué ses premières années et des mots qu’il a entendu alors? 

Mais son expérience de la dictature ne s’arrêta pas avec la fin de la guerre, Baselitz, dont le nom d’artiste est un hommage à sa ville de naissance en Saxe, à Deutschbaselitz, a vécu  également l’horreur du Stalinisme depuis l’Allemagne de l’Est et ne passera à l’ouest qu’en 1957, après avoir été renvoyé de l’École des arts plastiques de Berlin-est pour « manque de maturité socio-politique. « …

Les sculptures de Baselitz, artiste viscéralement travaillé par les questions laissées par l’Histoire allemande: « je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire », charcutent les corps, comme autant de représentations possibles de corps percutés par les signifiants du nazisme, du stalinisme, du totalitarisme, et de sa variante moderne de l’hyper-capitalisme?

Massifs, les géants de bois, dont la matière première m’évoque le pantin ou le jouet et tamponne le gigantisme et la figure de puissance, tantôt totémiques, en pieds, assis, couchés, en bustes, en morceaux, démembrés,  bruts, peints, maquillés outrageusement, naïfs, primitifs, découpés, scarifiés, tronçonnés, morcelés, asexués, bi-sexués, parfois recouverts de tissus comme une tentative d’habillage, de voile mis sur l’horreur, parfois accoutrés à la manière d’ouvriers stalino-communistes, en uniforme, en culotte courte, bottés, perchés sur des escarpins grossiers, avec des grosses montres, ou colorés, ensanglantés, cramoisis, jaunis, bleuis, ne cessent d’interpeler sur les restes des signifiants du nazisme, du fanatisme, du fascisme, du culte et de ses offrandes à des dieux obscurs, hérités depuis la nuit des temps, qui tiennent au corps ou pire.

Cela m’évoque un passage du séminaire livre XI de Lacan, cité par Anne-Lise Stern, dans « …Et Lacan:  un courageux regard », p 158 In Le Savoir-déporté, Seuil, 2004.

« Il est quelque chose de profondément masqué dans la critique de l’histoire que nous avons vécue. C’est présentifiant les formes les plus monstrueuses et prétendues dépassées de l’holocauste, le drame du nazisme. Je tiens qu’aucun sens de l’histoire, fondé sur les prémisses hégéliano-marxistes n’est capable de rendre compte de cette résurgence, par quoi il s’avère que l’offrande à des dieux obscurs d’un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une monstrueuse capture.

L’ignorance, l’indifférence, le détournement du regard, peut expliquer sous quel voile reste encore caché ce mystère. 

Mais pour quiconque est capable, vers ce phénomène, de diriger un courageux regard – et encore une fois, il y en a peu assurément pour ne pas succomber à la fascination du sacrifice en lui-même – , le sacrifice signifie que dans l’objet de nos désirs, nous essayons de trouver le témoignage de la présence du désir de cet Autre que j’appelle ici le Dieu obscur. C’est le sens éternel du sacrifice, auquel nul ne peut résister, sauf à être animé de cette foi si difficile à soutenir, et que seul, peut-être, un homme a su formuler d’une façon plausible – à savoir Spinoza, avec l’Amor intellectualis. »

Les femmes de Dresde, tableau émouvant de têtes nues de femmes aux couleurs de flammes et aux regards vides, creux, hommage aux survivantes hagardes des bombardements et de l’incendie qui a ravagé Dresde à la fin de la guerre, se laissaient approcher de loin, pour mieux entendre leurs plaintes lancinantes qui se faisaient écho dans le labyrinthe de colonnes qui les soutenaient. Te souviens-tu Vé? Tu t’y es arrêtée et t’es retournée… As-tu entendu comme moi les pleurs inconsolables de ces femmes chargées de re-donner vie et de re-construire après le chaos et l’enfer?

Le portrait mélancolique de Volk Ding Zero, que tu as formidablement commenté Véronique, à partir de l’inspiration indiquée de la figure du martyr du Christ s’impose à la fin de l’exposition, par son énigmatique douleur… Volk Ding Zero. 

Une exposition dont je ne suis pas sortie indemne, qui a produit son effet plus dans l’après-coup et qui m’a interrogée sur la fonction de l’art moderne au sein du malaise contemporain aux prises avec les questions de notre époque, tout autant traversées par ‘les restes’? 

A vous lire,

 Géraldine.

RE: « Je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire. »

Merci Géraldine! 

Coup sur coup, ta rencontre singulière et aventureuse avec ce peintre sculpteur, ses formes et ses couleurs si incisives et ton commentaire historicisé de Baselitz. J’ai surtout relevé cette référence au « Dieu obscur », qui pourrait dangereusement prendre la place de l’objet cause du désir et devenir insidieusement « Désir de l’Autre », menant à tous les sacrifices et à toutes les destructions sous l’égide de la pulsion de mort … sauf pour celui qui soutient décidément le Désir de l’analyste, serrant un objet qui ne serait plus un objet de sacrifice, mais un objet vivant, au-delà du bien, des biens, et du discours commun.

Merci et bise à toi

catherine

Baselitz à propos de Modèle pour une sculpture

Chers tous, Nou en particulier,

Je tombe, en faisant un peu de rangement, sur ce vieux numéro d’Art Press datant du moment de l’ouverture de l’exposition Baselitz. Dans son interview Baselitz revient sur Modèle pour une sculpture et s’en explique de la façon suivante :

« Le point de départ a été la Biennale de Venise [de 1980], où Anselm Kiefer et moi avions été sélectionnés pour occuper le pavi­llon allemand. Ce pavillon a toujours été critiqué car il s’agit d’un bâtiment fasciste, construit pendant la période fasciste et déjà utilisé en tant que pavillon par les fascistes. Celui-ci a accueilli avant moi de nombreuses expositions de sculpteurs. Le pavillon ne se prête pas à la peinture. Je n’avais pas encore réalisé de sculptures. Aussi trouvais-je les sculptures conçues par mes collègues sans inté­rêt. Je me suis dit qu’il fallait faire autre chose. « À cette époque, il y a avait une sorte de compétition entre les peintres, quelque peu déconsidérés, et les conceptuels, ces « gau­chistes » qui projettent des programmes artistiques sans jamais les exécuter. Et puis il y avait la sculpture. J’ai bien entendu été témoin de la « réduction » sculpturale. Flavin, Andre et Judd et toutes ces choses m’étaient fami­lières ( … ) On part du principe que les sculp­teurs sont plus idiots que les peintres. C’est un préjugé. C’est aussi lié à la proximité et à la question de l’objet. Il est très difficile d’extraire une sculpture de sa condition d’objet. Qu’on le veuille ou non, Judd réalise des boîtes et Carl Andre du carrelage. Tandis que la pein­ture a une capacité d’abstraction. Elle peut être beaucoup moins précise, plus inventive dans ce qu’elle représente. On peut finalement tout représenter ou ne rien représenter. On peut peindre une toile blanche.

« Quand je me suis dit que j’allais réaliser une sculpture, j’ai été confronté à une difficulté dans la mesure où je peins tout à l’envers. Mon programme consiste à s’éloigner de toute forme de « figuration », de tout « environnement ». Je ne crois pas à la représentation de contenus. ( … ) J’ai commencé par travailler de la terre glaise et du plâtre. J’ai tout jeté. Puis j’ai sculpté du bois. Au début, c’était bâclé et j’ai fait en sorte que cela s’améliore. Puis la sculpture de Venise est née. Je l’ai appelée Modèle pour une sculpture. Un modèle est quelque chose d’inachevé. C’est une tentative. Le mot sous-entend la possibilité d’un renouvellement et d’une exécution ( … ) [Le résultat] a été vilipendé. Encore une fois pour des questions de contenu. Il y a eu un scandale. On a évoqué le salut hitlérien. Alors que je me référais à la sculpture africaine, à la sculpture Lobi [Burkina Faso], où l’on retrouve des gestes similaires. J’étais totalement innocent. Auparavant, de nombreuses personnes avaient vu la sculpture. Et aucune d’entre elles n’avait réagi de la sorte. ( … ) Dans la presse, on avait pour habitude de me représenter comme quelqu’un de contradictoire et d’agressif. Et cette image collait parfaitement avec Venise. Puis le fait d’avoir co-exposé avec Kiefer n’a pas arrangé les choses. Le tout était un peu prévisible. C’est toujours la même rengaine allemande. Quand on se fait insulter en Allemagne, on ne vous traite pas de salopard, mais de salopard nazi.

« Il y a des influences que l’on suit et d’autres que l’on écarte, auxquelles on s’oppose ( … ). Je me suis toujours confronté à l’art, en particulier à l’art allemand. J’ai toujours essayé de me comparer à d’autres. Le tout est lié aux informations dont on dispose. Après la guerre, en RDA, l’information était mince, mauvaise et univoque. Beaucoup de choses n’étaient pas visibles. Les bibliothèques avaient été vidées des livres déjà censurés par les nazis. Il n’y avait aucun livre sur Die Brücke, Paul Klee ou Kandinsky.

« À 16 ans, je suis tombé sur une brochure italienne sur le futurisme qui contenait des illustrations en noir et blanc. Une source incroyable d’information. Du jour au lendemain, vous tombez sur le futurisme. Comme un Africain j’étais confronté à quelque chose qui m’était totalement étranger. Les ponts entre l’art promu par les nazis et Picasso, l’abstraction et le futurisme étaient inexistants. Il fallait, à par­tir de cette information très mince, développer, quelque chose, et ce dans une méconnaissance presque totale de ce qui avait été conçu par les deux générations précédentes. Une fois étudiant à Berlin-Est, j’ai pu accéder à un peu plus d’information. Il y avait des revues tchèques et polonaises. La Pologne avait des liens avec la France. Les Polonais avaient le droit de voyager. L’art français était commenté dans les revues polonaises, à commencer par l’École de Paris. Puis j’ai pu avec un ami entreprendre un voyage à Berlin-Ouest. Nous sommes allés dans des librairies et avons volé des cartes postales de peintures qui nous intéressaient. Il ne faut pas oublier que le matériau en matière de publications était beaucoup plus réduit à l’époque. Il était maigre et en noir et blanc.

« Je me suis toujours intéressé à ce que font les autres. J’ai fait mes choix et tracé mon chemin. De manière intuitive. J’étais très réceptif à l’école. J’étais curieux. Je le suis aujourd’hui encore, même si c’est mon propre passé qui m’interpelle en premier lieu. ( … ) Quand j’ai commencé à concevoir mes sculp­tures [en 1979], je savais ce qui existait. J’avais vu de Kooning et Giacometti. Picasso et Matisse. Kirchner et Schmidt-Rottluff ( … ). Il y a constamment cette obligation de commencer à zéro. De mettre de côté ce qui est à votre disposition. Cela a toujours été mon problème principal. [À l’Ouest] mon professeur était «dépendant» de Hans Hartung. Il était abstrait, car l’abstraction représentait pour cette génération une libération incroyable, compte tenu de la merde qui existait auparavant. Par la suite, cette génération a voulu nous entraîner dans cette libération. J’ai tenté ainsi pendant un an et en bon étudiant de faire ce que Kandinsky ou Malevitch nous ont appris. Mais je ne suis pas un bon étudiant. L’art en Allemagne a toujours été lié à cette manie de vouloir tout savoir mieux que les autres (Besserwisserei). À l’Ouest, il fallait être un bon étudiant pour faire du bon art. Mon professeur m’a dit à l’époque que ce que je faisais était derrière nous. Anachronique. »

 Extrait d’art press n°381, septembre 2011

Bien amicalement,

Véronique

 

 

 

après-coup d’escapades / Freund et Benjamin

Chers tous,

 A propos de l’exposition  « Gisèle Freund, L’œil frontière » à la Fondation Cartier, j’avais envie d’essayer de vous expliquer mes a priori. Aux photos que nous avons vues ensemble, c’est presque leurs noms, seuls, les noms de leurs illustres portraiturés qui fait pour moi (encore) obstacle. [i] Je préfère et de loin les photos d’anonymes.

L’aura idéalisant que ces portraits peuvent imposer, qui ne ressortit  pas de la photographie même mais de ce que l’on sait de celui qui s’y trouve représenté, cet aura se dissiperait pour moi aujourd’hui (même s’il continue de faire obstacle à une juste appréciation de cette exposition). [ii]  Quelque chose aurait chuté du côté de l’idéal… Chute qui ne se serait pas faite sans en passer par un moment, plus ou moins long, de rejet du « culturel » dans son ensemble. 

Au moins aimerais-je n’avoir pas en passer par un nom pour apprécier une œuvre, aimerais-je que l’art se suffît à lui-même. Il va de soi que le fait que moi père ne se soit pas, lui, « fait un nom », rejaillit sur cette méfiance qui est la mienne vis-à-vis du nom.

Et j’aurais aimé  profiter de vous pour mettre peut-être un peu au clair ce qu’il en est de cette méfiance vis-à-vis du nom.

oubli

Je vous l’ai déjà dit, à l’instar de Freud qui en souffrait également, les noms, je les oublie. J’oublie l’histoire aussi, celle avec un grand H, et la géographie.  Chacun de ces oublis mérite probablement d’être examiné séparément ; à première vue, je noterai d’abord qu’ils ont ensemble cette capacité de rendre la conversation difficile (qu’on songe seulement aux trous que peuvent y faire ces noms de personne, de temps, de lieux quand ils viennent à manquer, c’est une vraie constellation qu’on voit bientôt apparaitre quand une conversation au contraire se doit d’être liée, smooth. La culture ne peut avoir de réticence avec ces trois types de noms.)[iii]

 insignifiance

Ont-ils en commun d’être des signifiants plus particulièrement « insignifiants », c’est-à-dire valant trop purement comme signifiant, comme Un-signifiant  pour l’inconscient qui, lui ni plus que moi, ne distingue l’heure ou le lieu, n’hésite à se jouer du nom des personnes, ne se soucie que du réel en jeu dans le lien à ce que ces signifiants recouvrent et d’avantage encore à la part de réel  rapportée dans les lettres qui les composent. En tous cas, c’est par ce bout-là que le prend Freud quand on le voit s’intéresser à ses oublis,  qu’il note comme étant des oublis de « noms d’auteur » (à NdP, créateur).

Qu’est-ce à dire que ces signifiants seraient plus « particulièrement insignifiants » que d’autres ? Que sont-ils ? Faute d’arriver à saisir quelque chose de plus fondamental sur leur nature, je retiendrai d’abord qu’ils participent de la fabrication de l’histoire. L’histoire faite de noms de personnes, vivant à des moments spécifiques dans le temps, dans des lieux spécifiques. « Gisèle Freund », née en « 1908 » à « Schöneberg », près de « Berlin », « Allemagne ». Et morte en « 2000 », devenue française par mariage, à « Paris ». De  cet ordonnancement du réel par le symbolique, l’inconscient ne retient rien. Là, je le dis de façon trop assurée, mais essayons comme ça.

réel de l’inconscient

Au niveau de l’inconscient (que je dirais, ici, réel), comme nous nous le sommes par le passé déjà dit, l’ordinal – la succession, la suite – ne fonctionne pas. Un signifiant vaut en tant que Un et cet Un ne rentre dans aucun calcul. On est dans l’empilement. Hors-temps, hors-lieu, hors-nom(-du-père) où est-on ? Il y aurait un corps. L’entrée dans le temps et dans l’espace, dans le nom (mais ça résonne plus curieusement), la reconnaissance de cette (déjà) prise (réelle),  ne se fait qu’à partir du moment où un « je » (pro-nom, à la place du nom) rentre dans la circulation de la parole, pur signifiant représentant, à un moment donné, et aucun autre, un signifiant auprès d’un autre signifiant, à cet endroit-là de la phrase, et nulle part ailleurs. Simple place, provisoire nom d’un manque, lié à cette prise inaliénable dans le temps et la mort, l’espace et la place que mon corps y occupe, le nom, propre, qui m’a été donné, imposé, et m’assigne comme trumain, être parlant, appartenant à la communauté humaine, schlagué de ce nom et aucun autre, évanescence,  zéro. Ca serait ça, la castration.

D’où l’on peut déduire que la culture, l’histoire, suppose une certaine séparation, distance à cet inconscient (réel) où l’ordre qui prévaut est celui du ou des traumas (S1) (où il est d’après-coup). Cette séparation, ce vidage est-il possible ? Si oui, dans quelle condition ?

Walter Benjamin à la Bibliothèque nationale par Gisèle Freund

de l’Erlebnis à l’Erfahrung

Pour Walter Benjamin, que je redécouvre en ce moment,  suite à cette autre exposition que nous avons été voir ensemble, au Musée d’Art et d’histoire du judaïsme, le trauma de la première guerre mondiale est ce qui a entraîné une certaine « perte de l’histoire », quand  l’homme s’est vu manquer de la possibilité de dire, et la modernité est pour lui marquée de ce que l’Erlebnis, l’événement vécu, dans son immédiateté, l’instant, en est venu  à remplacer l’expérience relatée (Erfahrung).

« Pour Benjamin, un trait marquant du monde moderne réside dans le remplacement de l’ ‘expérience ‘ (Erfahrung), la mémoire transmissible, par l’ ‘ expérience vécue’»  (Erlebnis) fragmentaire et éphémère. La ‘ remémoration’» (Eigedenken), c’est-à-dire la réactivation du passé dans le présent, ‘ sa relique sécularisée’»[iv], a cessé d’être une pratique sociale spontanée et naturelle dont les modalités sont léguées d’une génération à l’autre. Dans son essai sur la figure du « conteur », consacré à l’œuvre de Nicolas Leskov, Benjamin indiquait dans la Première Guerre mondiale le moment décisif de dissolution de l’expérience transmissible. C’est lorsque les massacres technologiques de 14-18 avaient brisé les rythmes naturels de millions d’êtres humains, en plaçant leurs ‘ corps minuscules et fragile’ au milieu ‘d’un champ de forces traversé de tensions et d’explosions destructrices’, que les expériences antérieurement acquises apparaissaient inutiles et périmées. La remémoration nécessite désormais un déclencheur, une mèche.[v] »[vi]

rapprochement de l’inconscient

Quand  auparavant un certain trauma, une rencontre avec un réel indicible, pouvait être relayé dans un canevas symbolique fort, détaché de la spécificité du trauma, mais lié à un trauma, à un réel plus impersonnel (celui d’un manque fondamental à écrire le réel du sexe, de la génération et de la mort, le fameux « Herr » qui manque à « Signorelli ») pris en charge la religion, ses rites et ses récits, son discours et ses lois, son adresse enfin  à un Dieu, lui, toujours là, celui qui aujourd’hui se voit confronté à ce type de trauma se retrouve seul avec lui (et  technique ou la science, son chiffrage). L’on voit que la perte de Dieu a pu participer à cette perte de l’histoire dont parle Benjamin, à un  rapprochement de chacun à son inconscient, dont les méandres ne trouve plus de ressources extérieures à lui-même pour « s’ex-primer », le condamnant à jouer tout-seul. Benjamin lui, parle-t-il de la mort de Dieu ? Je ne le connais pas suffisamment, peut-être pas de cette façon. Il parle d’une culture qui selon lui n’a plus cours,[vii] dont il a été par ailleurs été gavé jusqu’à plus soif par son père, antiquaire,  dont il veut faire table-rase, tandis qu’Adorno, curieux personnage qui ne manqua pas de cruauté dans l’ascendant qu’il prit sur lui (du fait d’une situation plus confortable, il travaillait aux États-Unis, et la bourse grâce à laquelle vivait Benjamin dépendait de ses bons-offices),  mais pas non plus de lucidité, pense lui que  Benjamin essaye  de « mobiliser la force de l’expérience théologique, de façon anonyme, au sein du profane ».[viii] « Benjamin ne recherchait aucune transcendance, mais interprétait la littérature profane comme s’il s’agissait de textes sacrés et voulait préserver l’héritage théologique par les moyens d’une ‘profanation radicale’ »[ix].

Je peux donc préciser maintenant que ma méfiance vis-à-vis de l’exposition Cartier tient également à ce que je veuille délier la culture, l’art, de toute forme de « croyance » ou d’adoration – où culture, art, canon en viendraient remplacer la religion perdue (ce à quoi je le crois la culture se voit souvent réduite) (à préciser).

Or, mes propres oublis, mon absence de mémoire, ont-ils quelque chose à voir avec la perte de l’histoire dont parle Benjamin, liée aux avancées technologiques ayant ouvert le champ d’une guerre désormais sans fronts mais où bombes ou gaz semblaient devoir, pouvoir surgir de partout, et de nulle part ?

hystérie et revendication

J’ai longtemps voulu croire qu’il s’agissait chez moi d’une position hystérique consistant à laisser le savoir dans l’Autre de sorte qu’il existe, tant le savoir d’ailleurs que celui qui le détient (Sbarré à S1) . Au cours de l’analyse, avec le temps, cette position s’est modifiée, partant d’abord du constat d’une jouissance, jouissance à ne pas savoir, à se trouver à bricoler, jouer de ce manque,  pour en venir à s’y attacher au point de vouloir le défendre, voire le revendiquer. Il ne s’agit plus non plus de garder une position silencieuse, mystérieuse, pour faire miroiter aux yeux de l’Autre  la valeur d’un « inestimable trésor » (petit a), bien plutôt de trouver les mots qui ce manque le fassent résonner,  rendent compte, au moins,  de la justesse (le bonheur) que recèle un savoir qui n’est pas de l’Autre.

cartothèque et pâte feuilletée et lettre

Benjamin, de son côté, une fois reconnue par lui cette perte de l’histoire, cette séparation de la culture ancestrale, a voulu aller dans le sens de cette perte. N’a pas voulu la combattre. Il s’est alors agi pour lui d’écrire, écrire encore, au nom de la mémoire mais en sortant l’écriture de la linéarité, en l’ouvrant comme champ (qui n’est pas sans rappeler celui de son champ de bataille traumatisant) tridimensionnel, rhyzomatique, en l’étendant  à l’espace graphique, la ramenant vers l’image,  rapportant la lettre à son tracé, en travaillant à la façon de Mallarmé sa cartothèque, l’ensemble de ses fiches, qu’il trie, dispose et redispose, procédant par coupures, transferts, collages, assignation de sigles graphiques  :

« La cartothèque apporte la conquête de l’écriture à trois dimensions, par là donc un surprenant contrepoint à la tridimensionnalité de l’écriture en sa forme originaire, runique ou nouée.»

Difficile de ne pas voir là une préfiguration de l’internet d’aujourd’hui, et c’est aussi parce que les mots de Benjamin sont encore écrits manuellement, dans un souci et une contrainte physique recherchée magnifiques de l’écriture et de sa matérialité, que j’étais tentée par cette exposition, nous, qu’internet encore, vaste de champs de lettres immatérielles et d’un format de plus en plus standardisé, ramène si souvent à l’écriture.

obsessionnalisation

Par ailleurs, mon analyse se prolongeant, le rapprochement de la pulsion, la chute des idéaux, un sentiment global de plus grande satisfaction, n’ont pas éliminé l’angoisse, et m’ont laissée très interrogative quant au désir. Ce que j’ai pris pour une sorte d’obsessionnalisation, assez invalidante dans la mesure où plus aucun choix n’est possible, ou tout semble valoir tout et rien ne valoir rien, et où la tentation du mesurage ou du calibrage à un objet scientifiquement correct se faisait de plus en plus forte,  cette obsessionnalisation ne m’a pas davantage rapprochée du savoir que je désirais, pas tant un savoir universitaire qu’un savoir qui me permît de prendre part aux conversations du monde, sans plus avoir à en passer par les sauts d’obstacles au-dessus de trous. Non… le désir de savoir est resté chez moi… lié au désir. Tandis que le lien à mon fondamental trauma s’est resserré, mon désir de savoir ne s’est pas mis à tricoter une grande cape de signifiants qui en vienne à couvrir le manque du monde. Du désir de savoir il ne m’est resté que le désir.

Ce manque qui nous lie, comme le disait si joliment Catherine dans un  bus qui nous ramenait d’escapade.

en guise de non-conclusion (bâclée)

Cependant que la question cruciale, et inhibante, de la valeur serait longtemps restée pendante, latente, inquiétante, tentante. Que vaux-je, que vaut l’art, que valent ces photos ? Que vaut mon père ?  Or, la seule question que je vois à cette question pour le moment, c’est : Qu’est-ce que ça me fait ? Ou plutôt : quels mots pourrais-je mettre sur ce que ça me ferait ? Ce que ça me fait, je ne vois pas encore comment je puis faire autrement que de l’inventer, en m’agrippant à la moindre prise, signifiante, qu’un objet peut m’offrir, l’étirer, vous écrire. N’y aurait-il d’art que d’après-coup.

keski s’oublie dans ski s’entend ?

L’oubli du nom est le rappel de la lettre. Elle ne s’efface pas.
 



[i]       Ce n’est pas un reproche que je puis opposer à la photographe, Gisèle Freund, qui explique dans le film qu’on a pu voir sur place qu’ elle n’avait jamais voulu faire de portraits que d’auteurs dont elle avait lu et apprécié l’œuvre, comment ça avait été une façon pour elle de se rapprocher d’eux, de  les chercher encore,  et comment elle ne pouvait s’empêcher de s’amuser gentiment de leur  « vanité » à se faire tirer le portrait, de l’importance que ça pouvait avoir pour eux et de la façon dont aucun d’entre eux n’avait jamais aimé « sa » photo – celles des autres, « oh oui, magnifiques », mais la leur…

[ii]      Par ailleurs, j’ai beau aimer un auteur, je n’éprouve pas le besoin de sa photo sur la jaquette de son livre. Au contraire, elle me dérange.

[iii]      Ici, on pourrait bien sûr me rétorquer que j’ai seulement du mal à ne pas me trouver suffisamment « intelligente ». C’est vrai. Et que là où je vais chercher des explications liées à mon inconscient et à l’histoire du monde, il s’agit seulement d’un cerveau moins bien configuré qu’un autre, ou, si l’on est gentil, on dira, différent.

[iv]      W. Benjamin, Charles Baudelaire, p. 239.

[v]      W. Benjamin, « Le conteur. Réflexions sur l’œuvre de Nicolas Leskov », Œuvres, t. III, p. 116. Voir : http://dormirajamais.org/narrateur/

[vi]      E. Traverso, « Adorno et Benjamin – Une correspondance à minuit  dans le siècle », Revue Lignes n° 11, mai 2003, p. 64

[vii]     « L’expérience, on savait exactement ce que c’était : toujours les anciens l’avaient apportée aux plus jeunes. […] Où tout cela est-il passé ? Trouve-t-on encore des gens capables de raconter une histoire ? Où les mourants prononcent-ils encore des paroles impérissables, qui se transmettent de génération en génération comme un anneau ancestral, [..] Qui chercherait à clouer le bec à la jeunesse en invoquant son expérience passée ? »  W. Benjamin, « Expérience et pauvreté », Œuvre, t. II, Paris, Gallimard, 2000, p. 364-365.

[viii]    Th. W. Adorno, « Portait de Walter Benjamin », SWB, p. 14, cité IN Lignes n°11, Op. cit.,  p. 71.

[ix]      Lignes n°11, Ibid.

RE: après-coup d’escapades (Freund et Benjamin) – pardon / reflet, sonorité

Chère Véronique,

Je ne vois pas comment répondre à ton long texte et ses interrogations qu’en confiant cette phrase de mon analyste, alors que je remettais quasiment tout en question, face au coté vaniteux de l’objet et fatal de la vie, dévoilé en analyse: « Il y a des choses qui valent plus que d’autres ». j’ai été saisie par cette phrase parce que j’en étais en fait parfaitement d’accord, et m’y tiens depuis… mais en me demandant souvent ce qui vaut vraiment mieux entre ceci et cela, plus ou moins grave selon les cas. C’est une ligne de division subjective qui n’est plus seulement référée à l’objet qui fait jouir autistement, mais aussi à se qui se passe dans le monde dont la culture est  peut-être un reflet.

bises

Catherine

¤

Bonsoir à tous,

 
Belle réponse de Catherine à Véronique…cette division subjective se référant au monde et à la culture…comme une pirouette ou un pas de côté….!
 
A Véronique, juste une pensée me traversant l’esprit me venant à la lecture de certains passages de ton texte, et si la mémoire ne me fait pas défaut… celle de cet  « umlaut ajouté à ton Nom » (qui en modifie, non pas la voyelle mais la sonorité de la voyelle)…:-)
 
A bientôt,

Brigitte

¤

Un pas de côté si tu veux, je connais cela un peu…, mais qui fait face au réel. Et ça, quelques soient nos origines ou nos amis, c’est pas facile.

Bises

cath

RE: après-coup d’escapades (Freund et Benjamin) – pardon

Pardon, dis-tu miss Vé? 

Par le don,

Parle donc!

Te répondre est insensé,

Mais comme la folie me sied bien en ce moment,

Jeu mi-risk, de travers.

Jèm la chutedetontext : l’oubli d’un nom est le rappel de la lettre! Sa présence même, rajouterais-je.

Hâte lire m’est venue de suite qu’il y a nom et nom: le propre et le sale, pardon, le commun !

Et le commun, sans grand intérêt – sauf pour l’obsessionnel – n’est que le comme Un : anobli par Lacan sous le titre de S2.

Avec le nom propre, on entre dans la scène de l’insulte, du trauma, du meurtre ( de la chose que lon-naît ) où règne un pas-de-refoulement, un insubstituable dévergondé !  C’est un velouté de letter, litter & S1tout seul. Une lettre se fixe sur un corps, le sujet en meurt. Et, pour renaître, à partir de son  « dur désir de s’insére »r, comme le jame Miller dans un Feuillet du Courtil, qui ne sera plus qu’on line désormais, il escapade un S2 sur le col de l’Autre, s’allégeant ainsi du trauma du crime de sa première nomination, qui s’efface. S’il n’y a nulle Aspérité au relief, c’est fou…tu !

L’expo sur WB se réduisit pour moi au tableau  » Opinions et pensées. Mots et locutions du fils ».

J’y suis passé maintes fois, aimanté par l’intérêt de Benjamin pour les premières inventions langagières de son fils, soumises à inventaire par le père: la lalangue?

Alain

Envoyé de mon iPad

RE: après-coup d’escapades (Freund et Benjamin) – pardon

Bonjour et Merci
ou de rien, puisque pardon

J’ai exactement la même interrogation, ou plutôt réticence puisque je ne suis pas allé voir l’exposition Freund pour cette raison même: quel intérêt de voir une galerie de stars ? qui plus est à la fondation de l’odieux bergé, bon beaucoup de réticences mais laissons cela et je crois qu’on peut ajouter un questionnement sur la photographie. J’avais complètement oublié, moi, que cette dame avait écrit un ouvrage de référence sur la photo que j’ai lu et dont je n’ai aucun souvenir. ce n’est pas grave.

Il y a sans doute dans ces photographies tout de même l’aspect le plus simple et basique de ce que l’on attend de cette activité (si l’on pouvait parler d’art à un moment je crois qu’on peut dire que depuis les années 60 la photographie est devenue une activité très répandue), c’est à dire la documentation. Admettons donc que cette exposition soit documentaire: voici l’aspect physique de certaines personnes d’une certaine époque dont on connait par ailleurs les productions et auxquelles on est (ou pas) attaché bien sûr on sait toutes les limites de cette documentation et tous les choix, donc les restrictions, qui amènent à ce que l’on voit en 2012 telles images. A commencer par la mise en scène initiale, le choix des vêtements, du lieu, de la pose, de la pellicule, du cadrage, du tirage, … Tout est fabrication. Il n’y a pas de documentation qui échappe au fictionnel. Ici, Gisele Freund prend en photo ses « amis » et par cet acte elle s’inscrit elle même dans l’histoire comme amie de ces personnes. soyons un peu indulgent, c’est vrai qu’une recherche d’image de james joyce démontre que les photos de gisele freund sont sommes toutes d’apparence plus intime. Difficile de savoir si l’intimité est feinte, organisée par le sujet ou la photographe, les deux et dans quel but. Mais il est presque impossible de s’extraire du nom et je crois plus précisément de la renommée du sujet. Il est bien ce mot « renommée ». Ici la renommée dévore tout, le cadre la couleur le tirage et le sens. C’est très gênant, c’est insurmontable.

Cela me fait penser aussi que j’avais un moment pensé faire une œuvre en recopiant tous les noms d’un numéro d’art press, je ne l’ai pas fait l’idée me suffisait et me suffit toujours, et surtout c’était beaucoup trop de travail j’ai fait ça à la place http://pleine-peau.com/oeuvre/

sur walter benjamin, il faut que je réfléchisse à ce que tu dis
beaucoup de travail
pardon

Votre,
Guy.

Hellooooo chers Scapadeurs,

Vanessa, Isabelle, je vais aller y jeter un coup d’œil aujourd’hui, pour l’ouverture de l’expo! Je vous fais faux bond pour demain, désolée je file pour une autre escapade au sud! 

Je suis allée voir le film « Une bouteille à la mer« , cette histoire d’amour épistolaire sur la TL malgré tous les risques pris entre Miss Peace et Gazaman, Tal et Naïm, m’a beaucoup bouleversée, c’est un très beau film, sensible et subtil, sur la guerre tragique entre Israël et la Palestine, et ce n’est pas simple d’en faire un sujet de film…

http://www.telerama.fr/cinema/films/une-bouteille-a-la-mer,430356.php

Bises et pensées aux vacanciers!

Géraldine.

Envoyé de mon iPad

Le 21 févr. 2012 à 02:11, Dominique Chauvin  a écrit :

Hélas, pas moi… Cet homme est pourtant bien intéressant.
Une autre fois,
Dominique.

Le 21 févr. 2012 à 00:00, ley vanessens a écrit :

Mercredi prochain rdv vers 17h au jeu de paume…. Avec Isabelle;) pour découvrir l’expo « Ai WEI WEI« .

http://lemagazine.jeudepaume.org/2012/01/ai-weiwei-by-alison-klayman/

Ai Weiwei: Never Sorry TEASER from Ai Weiwei: Never Sorry on Vimeo.

PS… J’ai mon pass… Coupe file… Rdv au chaud…:)

Ai Weiwei : « Entrelacs » au Jeu de Paume

Bonsoir Vanessa et Isabelle,
Un rapide retour donc sur cette exposition nouvelle, intéressante pour ceux que la transformation de la Chine actuelle et ses dérives inquiétantes dans l’œil de cet artiste engagé et cynique accrochent. De l’humour contestataire corrosif au drame de la mondialisation qui rase la culture traditionnelle au nom du profit, des entrelacs de l’effet du malaise contemporain ‘pour tous’.
Géraldine.

[simpleviewer gallery_id= »3″ frameWidth: »0″ galleryWidth= »100% » maxImageWidth= »1024″ maxImageHeight= »768″]

escapades aux pays du soleil levant

– DES TRADITIONS À LEUR ENVERS –

Je voudrais vous faire part des impressions et réflexions que m’ont inspirées mes deux dernières escapades au cœur de deux cultures extrême-orientales : le Japon d’une part avec le spectacle des Tambours japonais de Kodo dirigés par Tamasaburo Bando sous le titre « Dadan » auquel j’ai assisté à la dernière (à plusieurs !) au Théâtre du Châtelet le samedi 18 février et la Chine d’autre part avec l’exposition de l’architecte et photographe Ai Weiwei intitulée « Entrelacs » que j’ai visitée (à deux !) au Jeu de Paume en son jour d’inauguration le 21 février.

J’aimerais vous faire partager le contraste flagrant auquel j’ai été sensible qui a émané de ces deux événements culturels vécus à trois jours d’écart. Autant les percussionnistes de Kodo avec leurs multiples tambours et grosses caisses m’ont semblé transmettre à la perfection des traditions séculaires qui se perpétuent depuis quarante ans dans « la lointaine île de Sado, en mer du Japon » même si celles-ci ont été revisitées par une chorégraphie moderne dirigée par Tamasaburo Bando ; autant les photographies et les blogs de Ai Weiwei m’ont laissé dans un certain malaise à montrer l’arasement de la culture chinoise traditionnelle réputée pour être plusieurs fois millénaire et ce au nom de la mondialisation et du profit financier à tout crin.

Autant les tambours de Kodo ont fait battre mon cœur d’occidental (il faut noter qu’en langue japonaise « kodo » signifie « battement de cœur »), autant les clichés de Ai Weiwei m’ont déprimé à constater les ravages perpétués sur les villages ancestraux pour laisser la place aux buildings « made in monde », aux « Down Town » standardisés, banalisés où scintillent les lettres des grands financeurs.

Le spectacle « Dadan » était impressionnant de maîtrise de cet art des percussions aux sonorités inimaginables associé à une chorégraphie très physique voire sculpturale. Une pure beauté qui a été fort applaudie. J’ai eu le sentiment très étrange mais en même temps très rassurant d’avoir traversé toute l’histoire de l’humanité jusqu’à l’origine primitive de la communion humaine par la découverte de la musique. Il m’a semblé évident que les percussions ont été les premiers outils de la sublimation du caractère animal dont étaient encore empreints les primates (je vous renvoie aux premières scènes du film de Stanley Kubrick 2001 L’Odyssée de l’espace !) Je me suis senti très proche de mes ancêtres du Neandertal. Quoi de plus troublant et réjouissant que cette chaîne humaine que les tambours de Kodo perpétuent !

La mise en images de la Chine nouvelle par Ai Weiwei m’est apparue plutôt de l’ordre d’une coupure radicale entre la tradition et l’individualisme outrancier. Les doigts d’honneur perpétués par l’artiste jusqu’à plus soif (sous couvert de ce qu’il nomme une « perspective ») devant les représentations de la diversité des cultures du monde (Paris, Venise, Rome, Berlin, New-York…) finissent par donner la nausée tant la dérision et la position de déchet sont à leur comble. Comme si ces doigts d’honneur pointaient l’arasement de la différence pour privilégier le « tous pareils ! » N’est-ce pas tout bonnement ce qui se profile à notre horizon prochain ?

Mais fort heureusement il y a encore des percussionnistes pour nous savoir encore des sujets doués d’humanité.

Bien à vous.

 José Rambeau (le 22 février 2012)

 

le bon chinois ( + pointes de B. Abbott)

Merci cher José Rambeau, ton article m’a très fort intéressée et un peu fait frémir.  je n’ai pas pu venir écouter les tambours, mais irai voir Ai Weiwei, avec ce que tu as dit, comme rappel d’ humanité.

Catherine

//

Ai Weiwei, c’est bien. Mais Berenice Abbott, c’est NEW YORK !

D

//

Eh eh, je crois que Ai Weiwei malgré tous les efforts qu’il fait en ce sens ne pourra – effectivement – jamais être américain.

Reste t’il chinois ? En tous cas,  urbi et orbi il est adoubé comme notre « bon » chinois, ce qui revient à dire qu’il peut être aussi bien un « bon » occidental, avec son petit côté exotique  qu’on retrouve de par le monde dans chaque Hilton hôtel. L’art contemporain (ou dois je dire « l’industrie du luxe » ?) aime la couleur locale, les produits du terroir, du moment qu’ils aient vocation à s’industrialiser ou se décliner en accessoires un peu moins cher mais bénéficiant de la marque (l’aura ?)

La détestation pour la Chine actuellement n’a d’égal que la détestation pour la Russie.

Ai Weiwei est utilisé comme une arme de cette détestation, du coup je n’ai pas d’opinion sur son art, il est partout, du coup je ne veux plus le voir

 Vôtre,

Guy.

Robe bleue et doigt d’honneur

À vous lire, chers scapadiens, Weiwei, ça serait aïe aïe aïe ! Le désenchantement au Jeu de paume ?
‘Reusement, j’ai, pour m’enchanter un peu, non la Rose pourpre du Caire ( Woody Allen), mais la Robe bleue en maille d’Amélie, sa dernière « création ».
Je me demande alors si la Haute couture est de l’art.
Je crois que oui, et j’aimerais bien escapader quelques défilés de mode, vieux et jeunes loups de la création, d’ici ou d’ailleurs.
Habiller le corps par le tissu du langage, certes ! Mais l’habiller aussi par le langage du tissu.
Le sublime alors pourrait être de l’habiller ce corps avec un autre corps: faire l’amour n’est-il pas de cet ordre-là?
Sublime qui ne restera que visé, la J propre à chacun y faisant objection!
Montrer ce que ça cache, cacher ce que ça montre, voilà peut-être la source, le moyen et la finalité de l’art…
Et le doigt d’honneur de Weiwei n’y échappe point, à renouveler l’énigme.
Peut-être échappe-t-il à l’obscène par sa réitération même.

Lège, torse nu sous un soleil de plomb!

Alain

le 30 mars, jean-quentin châtelain lira alain huck

Alain Huck, Danse, 2009, édition 1/3, jet d'encre sur papier baryt monté sur aluminium, 74 x 111 cm

Le 30 mars à 20h, au Centre culturel suisse (qui est un endroit très plaisant, 32 rue des Francs-Bourgeois, dans le 3e), lecture par le grand comédien Jean-Quentin Châtelain de « L’inspection des roses », livre-objet d’Alain Huck, composé de citations de 82 auteurs sur le thème des plantes.

Je suis tentée, et vous ?

L’entrée est libre, sur réservation au 01 42 71 95 70

Dominique.

Voir aussi : http://www.ccsparis.com/events/detail/277

__._,_.___

 

ai weiwei – « cet homme a quelque chose à dire et le dira »

 Alain , Je crois que c’est de Jean-Luc dont tu parles non ?

J’étais avec lui et Vanessa à Ai Weiwei , j’en ai écrit un petit texte :

 Nous sommes allés aussi voir Ai Weiwei, avec Vanessa et Jean-Luc. C’était mercredi dernier et il m’en reste une forte « impression » , dans le sens ou cela a fait impression pour moi et qu’il en reste quelque chose de très présent encore aujourd’hui, ce qui n’est quand même pas courant une semaine après une expo …

Des photos, des photos, des images fixes ou qui défilent sur des écrans, des photos de gens en Chine qui inscrivent la vie quotidienne en noir et blanc, des autoportraits aussi, sur plusieurs décennies où l’on voit Ai Weiwei changer : jeune avec cheveux, sans cheveux, habillé, nu, mince, avec un ventre proéminent … le regard toujours énigmatique. Ces photos semblent asexuées, on n’est pas dans l’érotisme des corps, plutôt dans une sorte de quête on pourrait presque dire « d’identité », mais plutôt comme une phrase qui dirait : « Vous voyez!!« 

Des photos couleurs en plus grand format, photos de destruction, beaucoup de terrains vagues, d’espaces vides ou presque, avec ce message d’éphémère, comme ce bâtiment qu’on lui a commandé et qu’il a mis 2 ans à construire et qui la veille de l’inauguration a été détruit en une nuit. C’était juste une façon de l’occuper, de l’avoir à l’œil pour les autorités … Il a quand même participé à la construction du stade olympique de Pékin, avant ? après ? …

Ce qui m’impressionne c’est ce désir décidé, Ai Weiwei a quelque chose à dire et il ne cesse pas de la dire, en photo. Ses photos sont comme une écriture pour moi, ce qui ne cesse pas de s’écrire ??

A close-up photograph of some of the seeds, each kiln-fired twice: once before being hand-painted, once again after. Each is unique

2 ans à fabriquer des graines de tournesol en céramique, de chercher la terre au moulage à la cuisson, à la peinture de chaque graine pour en faire un parterre de flowers. Des centaines de personnes embauchées pour travailler à ça ! Ou faire venir 1000 chinois à New York pour les photographier, passer des heures, des jours, des mois à chaque ambassade pour obtenir un passeport, un visa …

Photos de FUCK enfin, doigt d’honneur devant tous les monuments ou FUCK écrit sur des têtes avec une tondeuse. 3 photos monumentales qui se suivent où on voit Ai Weiwei lâcher un vase Ming 1 : il tient le vase. 2 : il le lâche. 3 : la vase s’écrase par terre. Point final .

Une impression encore de chercher le passé, des photos de son père à l’hôpital, de maisons de son grand père … et FUCK la mémoire aussi, paradoxe ou message de l’éphémère ou de l’inutilité …

 Ça me laisse cette sensation de ne pas répondre à mes questions d’un « Que voï ? » mais cet homme a quelque chose à dire et le dira. Malgré ses emprisonnements, et ses passages à tabac qui le laisse avec une hémorragie cérébrale, il est vivant. C’est une leçon d’un « ne pas céder sur son désir » .

 Isabelle

 

 

 

—- Message d’origine —-
De : « Gentes »
À : « Escapades Culturelles »
Objet : [escapadesculturelles] Impromptu .
Date : 28/02/2012 15:43:25 CET

 

J’interromps un bel échange sur FB avec Jean-Paul (Pradels), aussi banal que précieux, autour de ses sculptures, avec VerO et Ley, pour vous faire part d’une idée qui m’a traversé : la fin d’une psychanalyse ouvre à l’art, ça ne se démontre pas, ça s’acte.
Allez donc tourbillonner dans l’atelier de JLP, autour de ses créatures sans oublier the Artist.
Alain

Envoyé de mon iPhone

« L’ASSIETTE TUEE » – Pensée maya

Il existait une croyance selon laquelle les objets ayant appartenu à ceux qui gouvernent avaient le pouvoir d’absorber l’énergie. Ce pouvoir s’accroissait avec le temps et devenait tellement important que l’on devait « tuer » l’objet afin d’empêcher quiconque n’étant pas son propriétaire attitré d’en faire usage. Ce rituel de « mise à mort » consistait à mutiler les visages des sculptures et de perforer la céramique. Il est donc probable qu’avant d’intégrer ces objets au mobilier funéraire, on en retirait l’énergie pour les transformer en artefacts inertes.

J’ai trouvé cette croyance extraordinaire, surtout que des objets devenaient sans son propriétaire des « artefacts inertes » !? Ils l’étaient pas avant?

La relation que nous avons aux objets est ici déjà mise en question, et les croyances primitives que se trouvent encore être d’actualité chez certains sujets fragiles ou chez l’enfant, relève bien de cela. 

 Tuer un objet, je n’avais jamais pensé à cette possibilité ! Caramba !

 Lunita

Les Masques de jade mayas
À la Pinacothèque de Paris, du 26 janvier au 10 juin

D’autres images de l’exposition MASQUES MAYAS EN JADE

Le dignitaire maya dessiné porte la parure avec laquelle il était préparé pour son voyage vers l’au-delà.

Dans chacun de ses membres, il portait une petite coquille ronde en jade symbole des 4 coins cardinaux et des 4 mondes. Le centre du corps était l’arbre qui garde l’unité et le lien de tous les éléments sacrés.  Il portait des bracelets à 8 rangées de perles en jade, symboles de son rang, et un collier à 9 rangées symbole de sa divinité.

Émouvant et magnifique ! Les artistes de cette époque là étaient maîtres du détail et leur technique inestimable et riche. Garder ce que l’œil voit, même au-delà de la mort.

Les masques funéraires ne servaient pas à « masquer » mais était une vaine tentative de figer la réalité du visage du dignitaire en vie, de son vivant.

D’ailleurs les miroirs aussi étaient considérés comme des moyens de passage et connexion avec l’autre monde, ils reflétaient « le visible mais inaccessible ».

Voilà quelques échos d’une culture qui est aussi la mienne, mais que je ne connais pas comme je devrais.

Gamine, je voulais aussi être anthropologue… un jour peut-être… 

Lunita mexicaine

Les Masques de jade mayas
À la Pinacothèque de Paris, du 26 janvier au 10 juin

Viva Mariana & Resisting the Present

Rendez-vous  le 24 mars au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris  pour l’exposition RESISTING THE PRESENT ~ Mexico 2000 / 2012

[simpleviewer gallery_id= »1″]

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11 avenue du Président Wilson
75116 Paris
Tél. 01 53 67 40 00
www.mam.paris.fr
Ouvert du mardi au dimanche
de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h

Communique de presse

Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente l’exposition « Resisting the Present. Mexico 2000/2012 », composée d’une cinquantaine d’oeuvres (installations, vidéos,
dessins, photos et films). Elle rassemble une génération fortement engagée dans l’évolution sociale et politique de son pays. Nés pour la plupart après 1975, ces 24 artistes sont actifs au Mexique depuis les années 2000.

Marquée par l’évolution politique et économique hors norme du Mexique au cours de ces vingt dernières années, et par le développement de ses institutions culturelles, la scène artistique mexicaine manifeste depuis plus de vingt ans un dynamisme à résonance internationale.

Celui-ci a été impulsé par le rayonnement de la génération des années 90 qui a révolutionné l’image que l’on pouvait avoir de l’art mexicain et l’a placé au centre des courants alternatifs de la décennie 1990-2000. Les artistes présentés dans cette exposition sont les héritiers de cette génération. Ils s’en réclament, tout en affirmant une distance vis à vis d’elle. Majoritairement actifs depuis les années 2000, ils sont confrontés à un contexte historique différent, plus sombre que celui de leurs aînés.

La révolution engendrée par la globalisation économique (Accord de libre -échange
nord-américain, en 1994) et technologique, l’espoir de l’avènement d’une démocratie civile et sa profonde désillusion, la montée des tensions sociales liées à la corruption et à la violence, forment un climat pesant.

Les artistes réunis dans cette exposition viennent d’horizons différents (arts visuels, cinéma, documentaire…) Ils utilisent diverses stratégies qui peuvent prendre le chemin de l’activisme poétique, du détournement de problématiques nationales (guerre des narcos, criminalité, corruption, identité, immigration, frontières). Chacune traduit plus ou moins explicitement la prise de conscience d’un modèle économique en crise et le climat d’inquiétude que traversent aujourd’hui les sociétés soumises aux enjeux de la globalisation.

Liste des artistes exposés

NATALIA ALMADA. Née en 1974 au Mexique / Vit et travaille entre New York et Mexico
EDGARDO ARAGÓN. Né en 1985 à Oaxaca / Vit et travaille entre Oaxaca et Mexico
MARCELA ARMAS. Née en 1976 à Durango / Vit et travaille à Mexico
DIEGO BERRUECOS. Né en 1979 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
IÑAKI BONILLAS. Né en 1981 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
MARIANA CASTILLO DEBALL. Née en 1975 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
MINERVA CUEVAS. Née en 1975 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
JONATHAN HERNÁNDEZ. Né en 1972 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
ARTURO HERNÁNDEZ ALCÁZAR. Né en 1978 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
BAYROL JIMÉNEZ. Né en 1984 à Oaxaca / Vit et travaille à Oaxaca
ALEJANDRO JODOROWSKY. Né en 1929 à Tocopilla, Chili / Vit et travaille à Paris
ADRIANA LARA. Née en 1978 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
GONZALO LEBRIJA. Né en 1972 à Guadalajara / Vit et travaille à Guadalajara
ILÁN LIEBERMAN. Né en 1969 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
JUAN PABLO MACÍAS. Né en 1974 à Puebla / Vit et travaille entre Mexico et l’Italie
JORGE MÉNDEZ BLAKE. Né en 1974 à Guadalajara / Vit et travaille à Guadalajara
NICOLÁS PEREDA. Né en 1982 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
CARLOS REYGADAS. Né en 1971 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
GIANFRANCO ROSI. Vit et travaille entre les États-Unis et l’Italie
JORGE SATORRE. Né en 1979 à Mexico / Vit et travaille entre Mexico et Barcelone
et ERICK BELTRÁN. Né en 1974 à Mexico / Vit et travaille entre Mexico et Barcelone
PABLO SIGG. Né en 1974 à Mexico / Vit et travaille à Mexico
TERCERUNQUINTO. Collectif formé en 1996 à Monterrey / Vivent et travaillent à Mexico
HÉCTOR ZAMORA. Né en 1974 à Mexico / Vit et travaille à Sao Paulo

extraction et continu

chère catherine et chère isabelle,

 catherine d’abord : à propos de la séparation de l’objet, cela m’est revenu ce matin au réveil, j’avais envoyé un texte sur escapades – celui qui traitait du « n’importe quoi » -, où pour illustrer ce qui me semblait témoigner d’un nouveau tour pris par l’histoire de l’art, j’avais parlé du tableau de Manet, « L’asperge », où l’on voit une asperge sur le bord d’une table :

« or, en ce temps-là, il y a eu moment où c’était fait (Manet, l’asperge),http://escapadesculturelles.files.wordpress.com/2011/11/manet-asperge.jpg?w=300 l’asperge était extraite.

évidemment, ça se serait fait sur le bord de la table, au bord du vide, mais il y avait le cadre il y avait le nom il y avait la signature, eût-elle été pâteuse, parachèvement_

(d’éthique: d’un rendre compte de l’objet, sans se confondre avec lui, en s’en séparant) »

j’ai oublié de mentionner ça, samedi.

je vous avait dit (d’un point de vue historique) : à la renaissance, naissance de la perspective : apparition du sujet au point d’infini de la perspective (H. Damisch) et traité d’Alberti à la « fenêtre du tableau » : l’istoria : l’écriture, dans le cadre du tableau, du fantasme (cf. gérard waczman…)

je vous avais mentionné le livre de françois wahl : le discours du tableau

et puis, thierry de duve, Dieu est mort : avancée du « n’importe quoi » (Courbet, ses Casseurs de pierre, plus tard, de façon d’autant plus exemplaire : Duchamp). « n’importe quoi » que je dis de la pulsion (donc de l’objet) , temps donc, de l’extraction de l’objet, de la séparation, de la présentation.

 

 

et puis, Isabelle, à la suite de ça, ce passage sur l’extraction de l’objet, j’écrivais également :

« Tandis que nous, c’est comme si de cette extraction, on ne sortait pas, on ne sortait plus.

Et si le signifiant a fonction de porte (il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée), cette fonction, qui délimite un dedans et un dehors, n’est plus très assumée/assurée.

Comme si de l’être-même de la porte nous ne sortions plus. De son bois (hêtre) dont nous sommes chauffés, dont les gonds jouent au gré de vents auxquels nous ne pouvons rien, si forts parfois que nous en sortons. Des gonds sortons et alors_
/ cette chute – à laquelle l’asperge aurait pu sembler promise »

il s’agit donc d’un texte ancien, d’une époque où je réfléchissais à ce que je faisais dans les blogs, à ce qui se faisait dans les blogs, auxquels effectivement j’essayais de penser comme à « ce qui ne cesse pas de s’écrire ». je voulais revenir là-dessus dans la mesure où c’est l’expression qu’a reprise également Isabelle en découvrant l’exposition Ai Wei Wei.

mon expérience des blogs était bien celle d’une nécessité que je qualifierais d’impérieuse, il était vraiment très difficile de ne pas le faire, cela s’imposait à moi, me prenait « toute » (c’est un peu ma tendance, hein). et dans cette expérience-là, j’avais le sentiment, qu’effectivement « l’objet n’en finissait jamais de sortir »… (ça me paraît un peu atroce de dire ça, mais bon).

voilà, il me semble que c’est également une piste de travail intéressante, et je suis très heureuse que nos mots, à isabelle et à moi, se soient rencontrés là-dessus…

si, nous pouvions réfléchir à ça ensemble, j’en serais heureuse (internet, le présent continu, le perpétuel work in progress, le brouillon infini, l’addiction, bien sûr, etc.) (s’agit-il de « résister au présent ? »)

bien à vous,

à bientôt chers escapadeurs,

véronique

 

jean luc pradels, dernières scultpures

Chers Escapadeurs,

samedi prochain, Jean Luc Pradels nous accueille chez lui pour une exposition privée de ses sculptures.
J’y serais à partir de 15 h 30.
Je vous fais suivre son invitation.
Contactez moi pour obtenir le code d’entrée si vous souhaitez venir.
Bonne fin de week-end à tous.
V

« Samedi 17/03 présentation des dernières sculptures de 11h à 13h et de 14h à 19h
au: 3 rue David d’Angers
75019 Paris

En attendant bonne semaine à tous!
Amicalement Jean-Luc »

(horreur et beauté) (tim burton et les ambassadeurs)

11 mars 2012, 20h10

Tim Burton, à la Cinemathèque, rue de Bercy, c’est extra!

Ne ratez pas son Burtonarium: toutes sortes de créatures, qui sont des monstres qui s’ignorent, qui n’ont nulle conscience de leur étrangeté.

En écho à nos questions de cartel ( magistralement déclaré par notre v ), c’est étrangement – mais pas inquiétant du tout – ni beau, ni laid, c’est ! 

C’est le dessin de la monstruosité comme voile de la monstruosité : il en ressort une certaine humanité. Le crime est toujours au premier plan, celui de la dévoration, maternelle bien sûr chez TB.

Quant à l’acte dans l’art, qui me préoccupe, peut-être y en a t-il une trace chez TB,dans ce qu’il dit: je dessine parce que j’aime ça, sans me soucier si c’est beau ou pas, si on aimera ou pas. Il y a, chez l’artiste, un instant d’acte qui ne se soutient d’aucune référence, sinon son petit a chéri !

Je questionnerai JL là-dessus samedi!

Bises

a.

 ————————————————————————————————————————

12 mars 2012, 00:10

Merci, Alain!

Trop belle cette image sur le couple, au sens de la monstruosité, que nous aurons aussi à travailler dans notre cartel, en en serrant les bords, les bords de la jouissance, pour passer de l’horreur à la beauté -ou moins… et bien nous porter, allégés de cet objet innommable ( je rejoins là mon point: séparation de l’objet).

J’ai vu l’expo sur Matisse aujourd’hui. Un point m’a intéressée, c’est justement le point qu’il repérait dans sa peinture comme faille, comme ce qui ne va pas, à partir duquel il se réintroduisait et reprenait tout son tableau. J’en ai parlé avec Géraldine, lorsque plus tard nous visitions au Jeu de Paume l’œuvre de Ai Wei Wei, et on a repensé à ce point de réel, du tableau de « Ambassadeurs« .

Y a t’il, dans chaque œuvre un point de réel, qui ouvre sur l’horreur ou sur la beauté?

Est-ce cela qui fait l’œuvre d’art?

bises lointaines

Catherine

 

Nus de Degas au musée d’Orsay

Je vous adresse ce texte écrit le jour de l’ouverture de l’exposition.

 

Chers amis et compagnons de contemplation,

Je viens de rentrer d’une escapade solitaire au musée d’Orsay où sont présentés des nus de Degas d’une grande beauté…


Degas et le nu
Musée d’Orsay
13 mars – 1 juillet 2012

Je vous livre ici quelques impressions sur le vif d’une émotion intense et durable: ravissement…

Des nus, des nus, des nus, partout des nus! Vous êtes prévenus!

Des corps dénudés de femmes et de quelques trop rares hommes (ceux-ci restant pudiquement habillés, même au bordel!), croqués, esquissés, estompés, huilés, au sang d’encres, de fusains, tout pastels, ou colorés à outrance.

Des silhouettes devinées, des baigneuses surprises, des tentatrices démystifiées, des séductrices lascives, des jeunes filles sages, des filles de joie, des vieilles femmes, le corps féminin est décliné en variantes souvent empreintes des clichés de l’époque, mais reste largement sublimé par la beauté de la peinture exceptionnelle de l’artiste.

Le bidet, le tub, le bain, la coiffeuse, le peigne, l’éponge, la serviette, la cheminée de la chambre, ou la fraîcheur du jardin, tout est bon pour créer l’atmosphère et pour rendre la toilette et ses gestes d’une intimité dérobée d’une sensualité diffuse, surannée. Une question surgit, les femmes au bain restent le thème de prédilection du peintre, et se répètent avec insistance, comme pris dans une obsession de purification ou d’un fantasme religieux qui contrastent avec la part belle faite aux scènes de bordel.

Les titres évocateurs au vocabulaire détaillé de la passe: Attente, En attendant le client, L’entremetteuse, Repos sur le lit, Conversation, Le client sérieux, etc… renvoient aux scènes troublantes mais racoleuses des maisons closes, réduisant les femmes à des objets, des marchandises à disposition du bon plaisir des hommes, laissant peu de place à la psychologie des femmes d’alors. Tout comme les scènes du petit déjeuner ou de la toilette dans des intérieurs bourgeois marquent et témoignent des styles de vie d’une époque pas si lointaine qui enfermaient les femmes mondaines dans des postures d’attente, comme chosifiées, les peintures des nus de Degas paradoxalement ne montrent rien de l’énigme de la féminité, et par cette absence, suscite-t-il peut-être le questionnement? Des nus qui dénudent les corps, mais laissent à l’âme son entier mystère, …les visages floutés, effacés, ne dévoilent rien…

D’autres nus de grands peintres viennent ponctuer et créer des surprenantes ruptures dans ce parcours répétitif dans la peinture de Degas: Renoir, Manet, Caillebotte, Matisse, Gauguin… et Picasso, avec son magnifique Nu sur fond rouge.

Une exposition à voir.

Bonne fin de soirée.

Géraldine.

Buren liturARTerrit au Grand Pal…

 

LiturARTerrir

 

À une question de Marc Sanchez, directeur de Monumenta du CNAP, Daniel Buren, l’invité du Grand Palais, déclare :

«… L’aspect vraiment frappant de ce lieu est l’atmosphère qui y règne, sa légèreté, cette impression que l’on ressent d’être dehors alors qu’on est dedans…»

Excentrique(s), nom donné à l’exposition, tombe bien pour  souligner cette sensation. Un léger déplacement, dans l’horizontalité, et on se retrouve à flirter avec l’Extimité de Jacques Lacan.

Monumenta 2012 : Excentrique(s) de Daniel Buren, sous la nef du Grand Palais
Du 10 mai au 21 juin 2012, la Nef du Grand Palais héberge pour la cinquième année consécutive Monumenta, qui offre à chaque édition l’immense volume à un artiste contemporain. Après Anselm Kiefer, Richard Serra, Christian Boltanski et Anish Kapoor, c’est à Daniel Buren d’être invité sous la verrière.

Une «  forêt de poteaux verticaux blancs et noirs…supportant les cercles colorés… » appelle le visiteur à arpenter ce piège à lumière dans toute sa longueur. Là se révèle le désir de DB, que lui-même énonce ainsi: « capter cette magnifique lumière du lieu et concevoir les formes adéquates pour faire ressentir à d’autres ce désir… Tourner autour de la recherche du moment où se rencontreraient…le désir précis qui m’animait et la forme qui s’imposerait pour articuler visuellement ce désir… Désir extrêmement fort, bien que totalement immatériel. »

Une écriture donc, avec comme lettres les courbes de la nature ( reprises dans l’architecture de fer et de verre du grand palais, où domine le rond que reproduit le compas) et les droites, qui ne sont que du langage ( Lituraterrre).

Une double libido anime cette écriture réelle, sans parole, mais pas sans son. L’Une, de la lumière du jour qui s’a-muse à raviner « cette sorte de plafond constitué d’une accumulation de centaines de cercles colorés et transparents ». Et l’autre, du visiteur d’art qui divague entre les bâtons rayés.

Il arrive un moment où l’on se demande si l’on ne glisse pas soi-même dans cette écriture, si on n’en devient pas une part d’elle-même, de cette œuvre. Entre l’Être et l’Un, se tricote un littoral, au sens où Lacan le bricole dans Lituraterre, où navigue à vue le sujet.

Excentrique(s), de Buren, fait littoral, littéralement. Quelque chose de pas semblant est à deux doigts de surgir de cette monture de semblants. Lituraterrir*  est ce qui émerge dans la création d’aujourd’hui : une espèce de Bien Écrire, sans parole, qui détrône le beau-dire et son bla-bla. Ce n’est peut-être que dans l’art – et l’expérience autiste? – qu’un discours qui ne serait pas du semblant  peut avoir lieu, s’il existait.

 

Bordeaux le 12 juin 2012

Alain Gentes

* Lituraterrir est de Lacan, c’est le verbe avec lequel il qualifie la pratique de l’écrivain, dans Lituraterre, texte écrit de Lacan pour le numéro d’octobre 71 de la revue littérature . Ce texte, où la lettre est distinguée du signifiant, en un lieu-dit littoral est une traduction écrite par Lacan lui-même de son cours du 12 mai 1971 énoncé dans son séminaire  » D’un discours qui ne serait pas du semblant ».

Richter, les tableaux incompréhensibles

« Ce qui fait vivre les tableaux », pour Richter, « c’est le désir d’y reconnaître quelque chose. Ils offrent à chaque instant des ressemblances avec des phénomènes réels auxquels ils opposent ensuite une forme de démenti. » Dietmar Elger, Gerhard Richter, Hazan, p. 222. D’où la tentation de donner des titres aux tableaux abstraits.

En effet, « Peindre, c’est créer une analogie avec ce qui est invisible et inintelligible et qui peut ainsi prendre forme et se rendre disponible. C’est pourquoi les bons tableaux sont incompréhensibles. » Op. cit., p. 259.

Incompréhensibles même pour le peintre, ajoute-t-il dans le film qui se donne au MK2 Beaubourg (Gerhard Richter Painting, documentaire de Corinna Belz).

D.

Gerhard Richter (sur le bruit de la peinture)

très beau documentaire sur Richter, oui Dominique, que j’ai pu moi aussi voir l’autre jour dans ce merveilleux petit cinéma (MK2 Beaubourg) ( où se jouent en ce moment, entre autres, Saya Zamuraï, Cosmopolis, Avé et Il n’y a pas de rapport sexuel). 

on y assiste à la genèse très physique, sensorielle, de deux, trois grands tableaux abstraits. sont très étonnants les bruits, en forme de musique,  que fait la grande racle de peinture quand elle glisse sur la toile, conférant à son avancée aveugle un caractère épique, les longues traces, sillons, stries qu’elle tire lentement sur la toile encore vierge ou au travers des couches de peintures déjà posées, qu’elle balaie, détruit.

je n’ai pu m’empêcher de songer aux longues chevelures de Degas (voir l’exposition Degas et le nu au Musée d’Orsay, du 13 mars au 1er juillet 2012) où le peigne passe, ainsi qu’à ces peignes que dans un jeu de mot Duchamp rapportait à la peinture : « que ça peigne », à une époque où certaines avancées techniques, futiles pour le profane, d’importance pour les peintres, comme l’industrialisation de la fabrication de la peinture, amenée dorénavant à sortir de tubes, « readymade », « déjà faites, toutes faites », mais aussi les avancées de la photographie et de la reproduction mécanique, conduisaient les peintres à reconsidérer leur medium : la peinture même, avec lequel il perdait, non sans nostalgie,  un certain rapport physique, artisanal. perte qui conduira des Kandinsky à tout laisser pour ne garder qu’elle : la peinture, la couleur, lui ouvrant les territoires de l’abstraction où elle puisse s’épanouir, jouir, jouer. c’est au moment donc où se perd un rapport physique à la peinture, que les peintres, au moins pour certains d’autres eux, trouvent à nouer avec elle de nouveaux liens. c’est comme ils la perdent, qu’ils la découvrent, en découvrent la physicalité, la font passer au concept. d’où, chez des Degas, par exemple, ces toiles, comme des corps, comme des corps de femme, que le pinceau, le peigne, du peintre vient mettre au monde. c’est particulièrement visible, dans l’exposition des Degas et le nu  avec ses très beaux monotypes : de  l’encre posée sur une plaque, la recouvrant complètement, est travaillée au doigt, à la brosse, au peigne, la plaque étant ensuite retournée sur une feuille de papier, pour une impression unique.

L’un des choix de Richter se situe là : un choix de la peinture (des peintures primaires, simples, dit l’un de ses assistants) dans ce qu’elle comporte de physique, dans ce qu’elle apporte de plaisir, « c’est si amusant de faire ça ». la peinture finalement devenue inutile n’ayant (enfin) laissé d’elle que sa jouissance (« inutilité de la jouissance »), une jouissance à portée de main, à prendre à bras le corps (c’est Jules qui faisait remarquer qu’il devait être costaud, cet homme, Gerhard Richter).

véronique

nb : je ne suis pas sûre du mot racle.

« Le fait que les peintres ne broient plus leurs couleurs paraît de prime abord n’être que la conséquence évidente de la disponibilité des tubes de couleur produits industriellement. En réalité ce fait est d’une importance extrême quand on cherche à comprendre les changements culturels qui bouleversèrent la tradition de la peinture et firent du modernisme une sorte d’anti-tradition, conduisant au déclin de la peinture comme métier et à sa renaissance instantanée comme idée. Aux vieux jours de la peinture ancienne, le broyage des couleurs, comme la confection des châssis, l’apprêt de la toile et d’autres pratiques préparatoires, était loin d’être considéré comme une activité subalterne. Cennino Cennini le prescrit comme un processus important presque amoureux, dans lequel s’entendent déjà les échos de la masturbation olfactive de Duchamp […] » Thierry de Duve, Résonnances du Readymade, Duchamp entre avant-garde et tradition, p. 166.

Matisse sur la brèche // attention, derniers jours

« … si je trouve qu’il y a une faiblesse dans mon ensemble, je me réintroduis dans mon tableau par cette faiblesse – je rentre par la brèche – et je reconçois le tout. » Matisse, 1936.

Dominique.

~~~

derniers jours donc de cette exposition :

Matisse
Paires et séries

7 mars – 18 juin 2012

« Je me suis inventé en considérant d’abord mes premières œuvres. Elles trompent rarement. J’y ai trouvé une chose toujours semblable que je crus à première vue une répétition mettant de la monotonie dans mes tableaux. C’était la manifestation de ma personnalité apparue la même quels que fussent les divers états d’esprit par lesquels j’ai passé. » Henri Matisse interrogé par Guillaume Apollinaire (La Phalange, n°2, décembre 1907).

Escapade à l’atelier de Jean-Pierre Tanguy aux Beaux-Arts de Paris

Ce week-end, Elisabeth, nouvelle escapadrice, Mathis, Géraldine, Vanessa et Jean-Luc, escapadeurs patentés, ont répondu à une invitation:

> *Sent:* Friday, June 22, 2012 10:57 PM
> *Subject:* Un dernier pour la route !
>
> Bonjour à tous,
>
> Pour ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de visiter l’atelier de gravure
> de l’École des Beaux-Arts de Paris, c’est maintenant ou jamais !
> Tanguy serait heureux de vous accueillir le mercredi 27 juin de 17h00 à
> 21h00 avec ses étudiants pour la remise des clés de l’atelier. Aucune
> absence ne sera tolérée. Ambiance festive et récréative. Tenue incorrecte
> exigée. Et bien sûr, les amis de nos amis sont bienvenus.
> Amitiés,
>
>
> Tanguy

Vanessa nous en a ramené quelques photos…

Jean-Pierre Tanguy – Peintures de voyages, ateliers de gravure

Gerhard Richter – Panorama // Galerie

Extraits d’un entretien de l’artiste avec Nicholas Serota, Directeur, Tate Modern, Londres, au printemps 2011. Traduit de l’anglais par Christian-Martin Diebold.

NICHOLAS SEROTA – En plus de cinquante ans de carrière, vous avez abordé la sculpture, le dessin, la photographie, la peinture sur photographies, mais vous êtes toujours resté fidèle à la peinture. […] Une telle fidélité est assez inhabituelle.
GERHARD RICHTER – Beaucoup de gens estiment que d’autres techniques sont plus séduisantes : mettez un écran dans un musée, et plus personne ne regarde les tableaux. Mais ma profession, c’est la peinture. C’est ce qui m’a depuis toujours le plus intéressé. J’ai maintenant atteint un certain âge et je viens d’une tradition différente. De toute façon, je ne sais rien faire d’autre. Je reste cependant persuadé que la peinture fait partie des aptitudes humaines les plus fondamentales, comme la danse ou le chant, qui ont un sens, qui demeurent en nous, comme quelque chose d’humain. […]

NS – Vous vous qualifiez parfois de peintre classique.
GR – La signification précise de ce mot m’a toujours échappé, mais même si je l’utilise improprement, le « classique » a toujours été mon idéal, aussi longtemps que je puisse m’en souvenir. Il m’en est resté quelque chose qui m’a toujours accompagné, jusqu’à aujourd’hui. J’ai rencontré des difficultés, parce que, comparé à mon idéal, je ne m’en suis jamais ne serait-ce qu’approché. Certaines de mes toiles reflètent précisément ce problème. La série Titien, par exemple : je voulais tout simplement posséder ce ravissant tableau, c’est-à-dire le peindre pour moi-même à partir d’une carte postale. Mais je n’y suis pas parvenu, c’est pourquoi nous avons aujourd’hui ces cinq tableaux qui témoignent de mon échec. […] Et s’ils sont réussis, c’est seulement parce que j’ai formulé le plus clairement possible les données du problème et que j’ai trouvé la forme qui lui était appropriée. […]

NS – […] Comment commencez-vous une peinture ?
GR – Parfois j’ai de la chance, il me vient l’idée que « ça pourrait être une peinture ».

NS – En regardant une image ?
GR – Oui. Pour ce qui est des peintures réalistes, soit je vois cette image dans la réalité et je la prends en photo, soit une photo qui se trouve déjà dans ma collection me saute aux yeux parmi toutes les autres. Mais il peut parfois s’écouler des années avant que je ne la peigne. Dans le cas des abstractions, j’ai une vague idée de peintures qui ne demandent qu’à être peintes. Voilà comment ça commence, mais le résultat est presque toujours totalement différent de ce que j’avais imaginé. […]

NS – La peinture commence donc avec ce métier très ancien qui consiste à poser de la couleur sur une toile avec un pinceau…
GR – Commencer à partir de rien, comme cela, c’est une sorte de rituel qui se déroule selon un ordre qui lui est propre, le mélange des couleurs, la recherche des teintes appropriées, l’odeur, toutes ces choses qui nourrissent l’illusion que cela aboutira à un tableau merveilleux. […]

NS – Vous abandonnez souvent vos peintures abstraites ?
GR – Oui, je les remanie bien plus souvent que les figuratives, car elles se révèlent souvent très différentes de ce que j’avais prévu.

NS – Vous commencez donc avec une idée, celle d’une sensation que vous souhaitez créer dans une peinture particulière. Comment commencez-vous vos peintures abstraites ?
GR – Le début est assez facile, puisqu’à ce stade-là, je dispose d’une assez grande liberté pour traiter les choses – les couleurs, les formes. Il en émerge une peinture qui me paraîtra plutôt bonne pendant quelque temps, si lumineuse, si colorée et nouvelle. Mais cette impression ne dure qu’un jour, tout au plus, puis la peinture me paraît progressivement médiocre, fausse. C’est alors que commence le véritable travail : remanier, supprimer, recommencer, etc., jusqu’à ce qu’elle soit terminée.

NS – Votre première décision concerne donc le choix du format du tableau ?
GR – Oui. Un format qui me paraisse conforme à la vague notion que j’ai du tableau, et qui habituellement convient à toute une série de tableaux.
[…]

NS – Vous avez dit un jour, me semble-t-il, que l’élégance, c’est pour la science et pour les mathématiques, mais pas pour l’art. Pourquoi l’élégance est-elle négative en art ?
GR – Les mathématiciens parlent de solutions élégantes. J’aime cette idée. Mais le mot est habituellement employé dans les milieux du design et de la mode, l’élégance d’un meuble ou d’un vêtement. À vrai dire, cela ne me gêne pas que l’on décrive des peintures comme « élégantes ». Après tout, les panneaux gris que j’ai réalisés ont un aspect en effet très élégant.

NS – Quel est donc le but de l’art ?
GR – Il permet de survivre dans ce monde. Un moyen parmi de nombreux autres… comme le pain, comme l’amour.

NS – Et que vous donne-t-il ?
GR – [rires] Certainement quelque chose à quoi l’on peut se raccrocher… Il a la mesure de tout ce qui est insondable, insensé, absurde, de l’incessante cruauté de notre monde. L’art nous montre comment voir ce qui est constructif et bon, et à y prendre une part active.

NS – Il structure donc le monde ?
GR – Oui, il apporte le réconfort, l’espoir, de sorte qu’y participer n’est pas vide de sens. […]

NS – Y a-t-il des sujets qu’il vous est impossible de peindre ?
GR – Je ne pense pas qu’il existe de sujet qui ne puisse être peint, mais il y en a beaucoup qu’il m’est personnellement impossible de peindre.

NS – Dans le cas de Septembre, aviez-vous songé en 2001 à la possibilité de peindre un tableau inspiré du sujet, ou l’idée est-elle venue bien plus tard ?
GR – Quatre ans plus tard, à vrai dire. Bien que les images publiées dans les journaux m’aient bien entendu profondément choqué, je ne pensais pas qu’il soit possible de peindre cet instant, et certainement pas de la façon qu’ont choisi certains, avec le point de vue insensé que cet acte atroce était une sorte de happening ahurissant, pour le célébrer comme une méga oeuvre d’art.

NS – Vous vous êtes donc efforcé de trouver un moyen de traiter le sujet sans le rendre spectaculaire ?
GR – Absolument, en me concentrant sur son incompréhensible cruauté et son caractère atrocement fascinant…

NS – Lorsque vous peignez des tableaux réalistes, vous faut-il être très précis ?
GR – Oui, dans le sens le plus large du terme.

NS – Que cherchez-vous à obtenir avec ces images réalistes ?
GR – Je m’efforce de peindre une image de ce que j’ai vu et de ce qui m’a ému, le mieux possible. C’est tout.
[…]

NS – Avec le pinceau, vous conservez la maîtrise. Le pinceau est chargé de peinture et vous posez la touche. Avec votre expérience, vous savez très exactement ce qui va se produire. Mais avec le racloir, vous perdez la maîtrise.
GR – Pas toute la maîtrise, une partie seulement. Cela dépend de l’angle, de la pression et de la peinture particulière que j’utilise.

NS – Vous aimez donc la possibilité de conserver la maîtrise, mais aussi que certaines choses ne puissent pas être contrôlées.
GR – Oui, c’est ça notre travail. Le hasard est donné, imprévisible, chaotique. C’est la base. Nous essayons alors de le maîtriser par notre intervention, en lui donnant une forme, en le mettant à notre service.

NS – Vous avez cité un jour une phrase de John Cage, en précisant que vous l’approuviez : « Je n’ai rien à dire et je le dis ». Qu’est-ce qui dans l’esprit de Cage vous est proche ?
GR – Ce genre d’état d’esprit est très proche de la réticence que j’éprouve personnellement à parler. C’est aussi, me semble-t-il, une critique très pertinente de toutes ces déclarations pompeuses qu’on entend à droite et à gauche. Mais avant tout, Cage est à mon avis un très grand musicien.
[…] Même si on croit a priori entendre un non-sens provocateur, des tintements et des grincements aléatoires. Mais alors on comprend progressivement à quel point cette musique est merveilleusement intelligente et sensible, à quel point elle est soigneusement construite. Extraordinaire !

NS – Je souhaiterais clore cet entretien en vous demandant pourquoi vous avez si souvent peint votre famille ?
GR – Parce que ce sont les personnes que je connais le mieux. [rires]

NS – Mais c’est assez inhabituel. Rares sont les peintres à avoir peint les membres de leur famille.
GR– Peut-être que je me prends tout simplement trop au sérieux. [rires] Cela s’explique très certainement par l’histoire de ma propre vie.

Shame de Steve McQueen et Les nus de Degas – note 0

Edgard Degas, Intérieur (appelé aussi « Le viol »)
Shame, Steve Mc Queen

0/ Partir de la honte ( relire la « Note sur la honte » de Miller)

D’instinct, aller d’abord vers l’ontologie, parce que concernant cette « science de l’être », Lacan préconisait  de plutôt l’écrire avec un H :  « Hontologie« . Quand Miller nous apprit l’année dernière à l’opposer à l’hénologie.

Hénologie opposée à ontologie.
L’un opposé à l’être,
L’existence à l’essence. 

La honte, celle que vous éprouvez à vous être approché au plus près du noyau de votre être (ai-je retenu de ce que me dit, il y a bien longtemps, mon analyste, peu avant que je n’arrive à Paris (( en ce qui me concerne, la honte d’écrire…))). (( Il y a plus longtemps encore, arrivant juste en analyse, pour ma part je lui dis: « Je ne suis pas venue ici pour demander pardon. Ici, je veux être sans pardon. »))

Déjà, reconnaître dans ce « noyau de l’être », ce qui fait la marque du sujet, sa brulure, dont, s’il convient qu’il se détache de la passion,  il ne convient pas qu’il ne l’assume, ne s’en tienne responsable. Ce que je peux en dire. Du symptôme au sinthome ( ?) (( Et l’Hontologie avec un H de Lacan se ferait précurseur de l’hénologie de Miller. L’hontologie lacanienne extime à l’ ontologie. Ce noyau de l’être extime à l’être.)) 

« J’aimerais au moins être arrivé à vous faire honte » – Lacan J., citation approximative.

 

 

Vous envoie mes notes, et encore, de façon fragmentée. Un texte en effet traîne sur mon bureau, qui n’est pourtant pas long, et que je n’ai même pas eu (pris) le temps de finir de retaper ; il traite de l’exposition sur les Nus de Degas, du  film Shame et de la salle de bain…

Ne s’agit-il pas également avec Escapades d’un laboratoire d’écriture, aussi bien que d’e-lecture…..

Bien à vous,

Véronique

 

Daniel Buren, Monumenta 2012 // hors espace, hors temps : juste où il faut, au bon moment

Chère Dominique,

J’ai été tout d’abord surprise par Buren, je trouvais que ces ronds de plastiques de toutes les couleurs coupaient en 2 le grand espace du grand palais, et que c’était bien dommage … mais ensuite quand je me suis promenée et que j’ai vu à travers ces ronds de couleur le toit du grand palais changer du vert au jaune ou au rouge et les miroirs du milieu qui nous mettent sens dessus dessous tant et si bien que l’on ne sait plus où est le haut où est le bas et qui sont comme hors espace et hors temps, et au final … la montée des marches et la vision d’en haut , de cette forêt de toutes les couleurs…

Je crois que je suis entrée dans l’œuvre, avec une impression d’être là où il fallait être juste un moment!

Je t’embrasse

Isabelle

voir : http://www.gillesvidal.com/blogpano/monumentaburen.htm

cahun, corps – reine du neutre?

« Le visage, de profil et en miroir, de Claude Cahun», disait Alain.

N’est-ce pas qu’elle se voit ici, se voit et se montre, Autre pour elle-même ?

Cette réflexion m’est inspirée par un article très éclairant de Angelina Harari, AE en exercice, publié dans le dernier Quarto :

« Chercher l’Un du côté du parlêtre et non du partenaire a été ma réponse singulière : devenir cette Autre pour moi-même à chaque couple formé, sur le trait de la diversité des langues. » (( « Parler de manière vivante de la praxis lacanienne de la passe comme je me suis proposée de l’envisager, inclut nécessairement l’outrepasse, ainsi nommée par J-A. Miller. Celle-ci a affaire avec l’événement de corps, c’est-à-dire plus précisément avec la jouissance qui se maintient au-delà de la résolution du désir (Miller J-A, « L’Orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris VIII, leçon du 18 mai 2011, inédit.) Les restes symptomatiques issus de l’assomption de l’interdit sont de l’ordre de l’existence, à la différence du désir qui est au niveau de l’être.
Chercher l’Un du côté du parlêtre et non du partenaire a été ma réponse singulière : devenir cette Autre pour moi-même à chaque couple formé, sur le trait de la diversité des langues. Être Autre pour soi-même, selon la proposition de Lacan dans « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine » » (Lacan J. « Propos… », Écrits, Paris, Seuil, 1996, pp. 725-735.), devient dans mon parcours un savoir y faire avec l’Autre dont la racine est l’Un. Ce devenir cette « Autre pour elle-même » a un rapport avec le ça, c’est une façon de réduire la question de l’Autre du désir. »
Angelina Harari, « ‘L’effet de sens, il faut qu’il soit réel' »,  Quarto n° 101-102, L’art est une chose rare))

Autre pour elle-même, dans une nudité fœtale marquée par l’absence de cheveux et de poils par où elle rejoint l’embryon du Tao :

« Le yin naît naturellement dans le yang, le yang naît dans l’extrême yin ; chaque humain possède des énergies masculines et féminines et l’on doit viser au féminin, et à redevenir Embryon, c’est-à-dire un être à la fois doué de toute potentialité et Immortel ».  (( «La jouissance correspond au Chaos, lieu de la création et du renouvellement. […] Le yin naît naturellement dans le yang, le yang naît dans l’extrême yin ; chaque humain possède des énergies masculines et féminines et l’on doit viser au féminin, et à redevenir Embryon, c’est-à-dire un être à la fois doué de toute potentialité et Immortel. […]
‘Comment saurai-je que c’est là où se trouvent les germes de tous les êtres ? Par ceci’. Ceci, c’est-à-dire l’immédiat, le présent, le plus proche, notre corps, le ventre, l’embryon, la chose que ‘son nom ne quitte jamais’, ‘le nom permanent’, en réalité ‘l’Innommable’ représenté par le souffle originel. Parvenir à retrouver cet état originel correspond à une régression dans le temps jusqu’à ce temps mythique où tout est encore possible, qui correspond aussi à un point du corps où quelque chose de l’Embryon est encore là, qui serait notre vrai Moi, à la fois la Mère et son enfançon. Ce serait ‘obtenir le Tao’, passage obligé du Maître taoïste.» « Les amants célestes – Quelques remarques sur la sexualité taoïste au regard de la psychanalyse » par Nathalie Charraud )) 

Ne parle-t-elle pas de ce qui la lie encore à « la jouissance qui se maintient au-delà de la résolution du désir » ?

« Brouiller les cartes, dit-elle.  Masculin ? Féminin ? Mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. S’il existait dans notre langue on n’observerait pas ce flottement de ma pensée. Je serais pour de bon l’abeille ouvrière. » (( « La solution bouddhiste serait celle qui ne s’inscrit pas dans la volonté de castration de l’Autre, et qui en conséquence ne cherche pas refuge dans le narcissisme, elle assume un être-pour-la-mort (momie) qui ne court plus après le désir. Et effectivement, la sérénité corrélative à l’expérience de contemplation du Bouddha laisse penser que « cette figure prend le point d’angoisse à sa charge et suspend, annule apparemment le mystère de la castration » [Séminaire X, p. 278.]. S’il n’en est rien, c’est que l’objet a ne peut se réduire à un degré zéro du désir. Il y aura toujours un reste, quelque chose de réel, un bout de jouissance qui restera inassimilable par le signifiant, et qui dérangera tout sentiment de quiétude. « C’est ce qui nous empêche de trouver dans la formule du désir-illusion le dernier terme de l’expérience » [ibid p. 279.] dit Lacan. » Nathalie Charraud, « Lacan et le bouddhisme chan »  ))

Et quelle serait la nature de l’horreur, de mon horreur face à ses images ? L’horreur de la nature en répondrait-elle, en tant qu’ horreur du réel ? (cf l’horreur du fond de la gorge aperçu d’Irma), horreur dont ses photos sont l’aveu du goût ?

Et cet objet d’horreur ou d’angoisse, est-il le même que celui au genre neutre dont elle dit qu’il qu’il lui convient toujours – tiens, comme Barthes. Son éternel retour. Carte Cahun ? Reine du neutre.

«Me voici pure, vierge sans emploi, reine en grève, chômeuse volontaire, en marge et comme on dit au ban de l’humanité. Faites comme moi : Restez à la maison et mangez de la laine.»

Claude Cahun, Autoportrait, 1927
Tirage gélatino-argentique
19,5 x 14 cm
Musée des Beaux-Arts de Nantes

La voilà là, telle un nouveau-né d’un autre âge posé sur des coussins, apprêté, pris en photo et qui vous observe. Boudha sans sourire dont les mains nous indique la voie. Juxtaposition, assemblage du neutre et du semblant (discord et dissonance).

Et quel lien tracer de cet objet neutre auquel elle travaille et qui la travaille, objet donc qu’elle apprête pour en rendre la vision possible, soutenable, apprêt dont elle souligne le trait avec clairvoyance et ironie, à ce « ban de l’humanité » où elle se situe?  À ces images, celles-là sans le moindre attrait ni apprêt, qui reviennent à nombre de ses spectateurs, des rescapés des camps de la mort – dont on ne se risquera pas à dire qu’elle en fit un portrait prémonitoire.

cahun // et le boudha // la question de l’objet dans sa dimension asexuée

« Ce qui frappe d’emblée dans ces pages du séminaire X, c’est l’absence de tout exotisme : Lacan parle de ses interlocuteurs japonais sans aucune complaisance ni sentiment d’étrangeté. Ce sont des prêtres, des amoureux de la littérature, des professeurs semblables aux nôtres. Cependant, le fait que la scène relatée se déroule dans un monastère bouddhique, à Kamakura, devant une statue aux dix mille répliques qui se profilent dans un dédale de couloirs, donne au récit une certaine dimension onirique. La structure de ces pages n’est pas sans rappeler celle que Lacan met en évidence dans son commentaire du rêve de Freud intitulé L’injection faite à Irma. (( Séminaire II, chapitres XIII et XIV.))  Je rappelle que dans ce rêve, Freud fait appel à trois éminents confrères qui viennent tour à tour examiner Irma et confirmer le diagnostic d’infection dans la gorge, suite probablement à une injection faite peu de temps auparavant par l’un d’entre eux. Comme dans le rêve de Freud, trois hommes de savoir sont successivement mis en scène dans le temple japonais : un abbé du monastère qui lui énonce une phrase jugée pertinente concernant le rapport du sujet au signifiant (rapport qui passe par les pleurs et les gémissements, cf. séminaire X, p. 261 à propos de kwan), puis le guide japonais fort cultivé avec lequel on se penche sur le sexe de cette statue : homme ou femme ? homme et femme à la fois, ou plutôt ni l’un ni l’autre ! Et enfin le professeur qui donne la solution, non pas du sexe de l’être en question, mais de la raison du poli du bois de la statue, en particulier au niveau de la paupière : c’est le résultat de l’effusion des nonnes adoratrices de la divinité qui ont eu le droit de la toucher à travers les siècles. Le rêve de Freud converge vers la formule de la triméthylamine, formule énigmatique qui démontre, pour Lacan à ce moment-là de son enseignement, le rôle primordial de la lettre au sein du symbolique comme représentation condensée du désir, enchâssant un point de réel inassimilable, celui du refoulement originaire. La rencontre avec la statue bouddhique, avec sa capacité de susciter une émotion esthétique, conduit à une autre approche de la question du désir, qui met en valeur la figure du double et du miroir où la place de l’objet est renvoyée à l’infini, autre manière de marquer son inaccessibilité foncière. Un quatrième personnage en effet est là présent, un fidèle qui manifeste sa piété avec une ferveur qui retient Lacan, lui présentant ce que l’on peut ressentir comme émotion à la vue d’une telle statue, quand absorbé dans une contemplation apaisée. « Il l’a regardée ainsi pendant un temps que je ne saurais pas compter, je n’en ai pas vu la fin, car à vrai dire, ce temps s’est superposé avec celui de mon propre regard. C’était évidemment un regard d’effusion, d’un caractère d’autant plus extraordinaire qu’il s’agissait là, non pas d’un homme du commun, car un homme qui se comporte ainsi ne saurait l’être, mais de quelqu’un que rien ne semblait prédestiner, ne fût-ce qu’en raison du fardeau évident qu’il portait de ses travaux sur ses épaules, à cette sorte de communion artistique. » (( Séminaire X, op. cité, p. 262. ))
Comme Freud à propos d’Irma, Lacan nous livre ici un moment d’une expérience personnelle remarquable face à une statue, par l’intermédiaire non pas d’un rêve mais de la présence d’un double, un homme qui n’est pas un homme ordinaire. L’objet du désir file dans le dédale courbe des couloirs du temple, en une multiplicité qui n’est autre qu’itération du Un du même Bouddha, et dans les reflets à l’infini du miroir du double, pour revenir et s’arrêter l’espace d’un instant sur la figure de la statue de Guanyin. Même si l’ambiguïté du genre de la statue est évoquée, et si la fascination du fidèle fait penser à Dora devant le portrait de la Madone au musée de Dresde, ce n’est pas le mystère de la féminité qui est ici mis en avant, mais la question de l’objet dans sa dimension asexuée se glissant dans la confrontation du double au miroir où l’on reconnaît son propre désir. »

 « Lacan et le bouddhisme chan » par Nathalie Charraud

en parlant d’Adolf Wölfi, si vous passez un jour par Berne, une visite à la Fondation Adolf Wölfi,

Bonsoir,

en parlant d’Adolf Wölfi, si vous passez un jour par Berne, une visite à la Fondation Adolf Wölfi, logée au Musée des Beaux-Arts de la ville, pourrait vous intéresser: http://www.adolfwoelfli.ch/

Malik

Europe’s Aid Approach For Syrian Refugees: One million Debit Playing cards

Enlarge this imageThe debit card the ecu Union is funding for 1 million Syrian refugees in Turkey, revealed in a mock-up, would offer about $30 for every person per thirty day period to every family members member. The thought is to enable the refugees in Turkey and hold them from gonna nations in Europe.Gokce Saracoglu for NPRhide captiontoggle captionGokce Saracoglu for NPRThe debit card the european Union is funding for one million Syrian refugees in Turkey, shown inside a mock-up, would supply about $30 per individual for each month to each loved ones member. The reasoning is to aid the refugees in Turkey and keep them from about to international locations in Europe.Gokce Saracoglu for NPRThe European Union is eager to preserve Syrian refugees from bolting from Turkey for Europe. However the prospective customers for Syrians in Turkey have been slender. Now the EU is launching its biggest a sist software still a lot more than $375 million aimed at a million in the neediest Syrians in Turkey. And it can be not baggage of rice thrown within the back of a truck. It is a bit more modern: a debit card that will be accustomed to get what ever food items, medicine or apparel a household requirements, or to receive money. The Syrian refugees are intrigued, but immediately grasp the brutal math. You will find about 3 million Syrian refugees currently in Turkey. Although there really are a million of such cards and distributing them will require a large work meaning 2 million Syrians in Turkey wouldn’t be acquiring them. It is known as the Kizilay card, named after the Turkish Pink Crescent, a single with the important a sist teams launching the task, combined with the United Nations Planet Meals Plan. Giving refugees some alternatives On the Pink Crescent’s Ankara headquarters, Director Basic Mehmet Gulluoglu states the card utilized to be limited to refugees residing in camps, and authorized them to order food items at close by outlets.But Gulluoglu states this new software offers something else: Refugees outside the house the camps that are the majority of them will be able to acquire these playing cards to an ATM and acquire cash, approximately one Detlef Schrempf Jersey hundred Turkish lira a month, or about $30 for every registered relatives member. Enlarge this imageAid through debit card has already reached Syrian refugees living in Turkish camps such as one at Islahiye, revealed here in March 2016. The new system will attain refugees living outside camps.Lefteris Pitarakis/APhide captiontoggle captionLefteris Pitarakis/APAid by using debit card has already attained Syrian refugees residing in Turkish camps just like the one at Islahiye, proven right here in March 2016. The new application will arrive at refugees living outside the house camps.Lefteris Pitarakis/AP »They can pay their rents, pay their payments or for foodstuff, what ever they Ray Allen Jersey will need, » he states. « Because it will be sure, it’s going to be concrete and it’ll be typical help. » It’s going to also be used on community enterprises. There have been cash-based aid packages right before, but not on this scale. Jonny Hogg, spokesman for that Entire world Meals Plan, says this is actually the largest humanitarian relief contract ever signed by the EU. It aims to help refugees not simply endure and also have a small little bit of command around their lives all over again. « These refugees, who’ve had their overall existence turned the wrong way up by conflict, by poverty by displacement how can we give them a sense that really, they’re serious members of society, they’re not second-cla s citizens? » he asks. « And we feel that we are supplying them a chance to pick how they live their life. » Syrians in Turkey are designed to keep exactly where they’re registered. They’re able to rent residence when they can afford it, get the job done whenever they can find a task, and will be suitable for wellbeing care and schooling. But for a sensible matter, the demand from customers usually outstrips the provision. Turkey’s amba sador into the U.K. a short while ago wrote there are all-around 853,000 school-age small children, 310,000 of which might be eligible to acquire education and learning. Syrian communities in Turkey There are a few components of Istanbul you could wander into wherever you might think you’d cro sed a border with out noticing. On the the latest Sunday morning, the raucous horns, drums and cries of a Syrian wedding ceremony echoed from the modest condominium blocks within the doing the job course community of Bagcilar. A younger Syrian female named Jazia is guiding me to her family’s compact condominium. Her mom, Haifa, greets us and waves us right into a smaller sitting down area with cushions around the ground, Middle East-style. We’re not working with their household identify simply because Haifa’s spouse is still in Syria. Jazia says her family made 3 unsucce sful attempts to achieve Greece by boat that remaining her petrified of the ocean. In the finish, only two more mature brothers made it to Germany. Jazia, her 20-year-old brother and a sister who’s just fifteen commit 12-hour days in a shirt-making manufacturing unit to help keep the family members afloat. Only Mohammad, eleven, smiling shyly while in the corner, remains in school for now, at the least. Their mom, Haifa, appears to be with fascination in a photo in the new EU debit card. It will not exist in Istanbul still. A pilot method has started off down near the Syrian border, partly to look for prospective problems. For illustration, the amount of folks are paying the funds on cigarettes and lottery tickets? The amount will it a sist? https://www.thunderedges.com/Devon-Hall-Jersey Some supporters have previously pointed to an obvious concern: Regardle s of the program’s admirable get to, aiming to help one million from the neediest Syrians in Turkey, the amount of a sist can they actually get from 100 lira, just in exce s of $30 per month? Hogg, the WFP spokesman, says in a few cases, rather a lot: « I’ve met refugees who are living in caves because they can’t come acro s wherever else to reside. They’ve put in the winter season living in caves. A hundred Turkish lira will probably come up with a profound big difference to these people’s life. » As with so much with the worldwide response on the refugee crisis, this plan is hugely bold and nonethele s not adequate. Jazia and her relatives would like some added fiscal a sist, neverthele s they doubt they will qualify with the EU playing cards. Bad as they are, with a few individuals performing extended several hours for pretty reduced wages, they’re nonethele s far better off than a lot of other people. But if they did in some way qualify, the extra funds could po sibly just enable them to retain her 11-year-old brother in cla s, as opposed to introducing him on the Syrian little one labor drive in Turkey. After i asked Mehmet Gulluoglu, the Turkish Crimson Crescent director, if $30 a month is enough, he replied by using a restricted smile: « It’s a get started. »