Volk Ding Zero

Esc femmes, Esc hommes,

Paris. Ses rues hivernales parfois le soir offrent, dans de lointaines fenêtres, d’étranges personnages bleus – que nous aimons bien:

 

BASELITZ SCULPTEUR
MAM
11 avenue du Président Wilson
75116 Paris
Standard : 01 53 67 40 00
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h (fermeture des caisses à 17h15)
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h (fermeture des caisses à 21h15).
Fermeture les jours fériés.
Métro Alma-Marceau ou Iéna
RER C Pont de l’Alma
Bus 32, 42, 63, 72, 80, 92
Station Vélib’ 2 rue Marceau

lui, porte ce nom étrange : «Volk Ding Zero», si tant est qu’il ne le sont pas tous, étranges, les noms : «Peuple Chose Zéro».

C’était avenue du Président Wilson, où nous avions opté d’aller hier, pluvieux mardi, avec Géraldine.

(nous escapdons, nous optons) (et toi, veux-tu escapader avec nous) (nous artscapadâmes)(artscapadâteras-tu)

puis, nous étions dans une très grande salle blanche atteinte après avoir traversé nombre de vastes salles dont le blanc n’était pas pur, finalement, et sur le front de « Volk Chose Zéro« , nous avons pu lire l’inscription : «ZERO»

son visage bleu, ses yeux de larmes blanches.

un panneau dit  :

« Autoportraits 2009-2010
Les sculptures les plus récentes de Baselitz sont des autoportraits monumentaux, Volk Ding Zero et Dunklung Nachtung Amung Ding. Bien qu’elles puissent évoquer (à tort) Le Penseur de Rodin, leur modèle avoué est celui des Christ aux Outrages de l’art populaire. Un personnage assis, la tête dans les mains, des yeux constitués de coulures d’une teinte blanche caractéristique des dernières peintures, constitue ce que Baselitz appelle un de ces « signes ».

sur un banc de pierre g, miss g, mamzelle g, nous sommes dans la fiction, n’est-ce pas, a consulté oracle google, j’étais assise à ses côtés, google, google, dis-moi, veux-tu, ce qu’est « Christs aux outrages « . de mon côté, j’en avais bien quelque idée, mais je ne lui trouvais pas les bons mots. je me suis demandé si mon père lui aussi n’avait pas peint l’un ou l’autre christ aux outrages, ça a aurait bien été son style. j’ai dit, eh bien, ils lui ont mis une couronne à jésus, en épines, ont planté un bâton en guise de sceptre dans la main, et ils lui ont dit, ha ha, roi des juifs, tu rigoles moins, maintenant. la réponse de google n’était pas beaucoup plus claire. mais on a vu de belles images : ce grünewald :

Matthias Grünewald (1480-1528)

Le Christ aux outrages, 1503/1505

L’épisode représenté
 
Nom : grec : Empaigmos ; lat. : Christi Alapatio, Christus velatus, consputus, et calaphizatus, it. : Nostro Signore beffagiato ; Gesù dériso, schernito, oltraggiato, angl. : The mocking (Buffeting, Scoffing) of Christ, The Lord buffeted and spit upon, all. : Die Verspottung (Verhöhnung) Christi.
 
Époque : à la fin de la vie de Jésus, dans le cycle narratif de la Passion (qui conduit à sa crucifixion).
 
Lieu : à Jérusalem.
 
L’épisode des outrages fait partie du cycle des procès que Jésus subit avant sa crucifixion : […] Au cours de ces confrontations avec les autorités, on le gifle et on le flagelle.
 
Les textes
 
On distingue deux séances d’outrages dans les textes :
 
  1. La première séance reprend les injures. … Luc, 22, 63-65 « Les hommes qui le gardaient le bafouaient et le battaient ; ils lui voilaient le visage et l’interrogeaient en disant : “Fais le prophète! Qui est-ce qui t’a frappé ?” Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres injures. »
  2. La seconde séance est beaucoup plus cruelle.
    Jean 19, 1-2 « Pilate prit alors Jésus et le fit flageller. Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avançaient vers lui et disaient : “Salut, roi des Juifs !” Et ils lui donnaient des coups. »
Traduction picturale
 
La scène
 
L’évangile présente deux scènes : les outrages au Sanhédrin et la flagellation après la comparution devant Pilate.
[…]
Ces scènes apparaissent vers le 11e siècle et prennent un tour pathétique à la fin du Moyen-Âge où l’on insiste sur les détails morbides.[…]  Le couronnement d’épines semble avoir supplanté un temps le Christ aux outrages, même si on retrouve cette dernière représentation jusqu’au 19e siècle, en particulier chez Manet [Edouard MANET, 1865, Chicago, Art Institute].
Nous traitons ici de la première dérision, en lien avec le tableau de Grünewald.
 
Les sources de l’Iconographie de Grünewald
 
Des spécialistes modernes ont situé les sources de Grünewald dans les Révélations de sainte Brigitte de Suède, un ouvrage mystique du 14e siècle, très diffusé à l’époque de la Renaissance allemande.
 
Sainte Brigitte de Suède, Révélations I, 11 :
 

« Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière qu’il se donna librement à ses ennemis qui le crucifiaient, et comment il faut vivre avec continence, se privant de tout ce qui est illicite, à l’exemple de sa douce passion. — Le Fils de Dieu parlait à son épouse, disant : Je suis le Créateur du ciel et de la terre, et le corps qui est consacré sur l’autel est mon vrai corps. Aimez-moi de tout votre cœur, car je vous ai aimée. Je me suis librement donné à mes ennemis, et mes amis et ma Mère ont été assaillis d’une douleur trop amère, et ils ont fondu en larmes.

Quand je voyais la lance, les clous, les fouets et autres instruments préparés pour ma passion, je m’en approchais néanmoins avec joie. Et quand, sous la couronne d’épines, ma tête fut toute sanglante, et que mon sang ruisselait partout, et bien que mes ennemis touchassent mon cœur, j’eusse mieux aimé qu’il eût été déchiré en deux que de ne pas vous posséder et ne pas vous aimer. Parant, vous seriez trop ingrate, si vous ne m’aimiez, en reconnaissance du grand amour que je vous ai témoigné. Si ma tête a été percée par les épines et s’est inclinée sur la croix, votre tête doit bien s’incliner à l’humilité ; et parce que mes yeux étaient remplis de sang et de larmes, vous devez vous abstenir de ce qui délecte vos yeux ; et parce que mes oreilles ont été remplies de sang et ont ouï qu’on me détractait, partant, vos oreilles ne doivent pas écouter les paroles moqueuses, niaises et légères ; et parce qu’aussi on a abreuvé ma bouche d’une boisson amère, vous devez aussi fermer la bouche aux paroles mauvaises et l’ouvrir aux bonnes ; et comme mes mains ont été étendues sur le gibet, vos œuvres, figurées par les mains, doivent être tendues aux pauvres et à mes commandements ; vos pieds, c’est-à-dire vos affections, par lesquelles vous devez venir à moi, doivent être crucifiées à toutes les voluptés ; et comme j’ai souffert en tous mes membres, de même tous vos membres doivent être prêts et disposés à m’obéir, car j’exige plus de service de vous que des autres, parce que je vous ai douée et enrichie d’une grâce plus grande et plus excellente. »

 
 

à bientôt chers escapadeurs,

véronique m.

Herr, was ist da zu sagen? // Bazelitz Georg, la salle des Freud Sig. // indices

accrochées par des titres :

HERDOKTORKUNSTFREUD
HERDOKTORKUNSTFREUD
Peintures de la série des «Herfreud Grüßgott» (2011)
Sept peintures réalisées par Baselitz au printemps 2011 viennent s’insérer dans le parcours.
Leurs titres-tiroirs intraduisibles renforcent l’énigme d’une peinture soucieuse de ne rien
dévoiler sinon elle-même et de faire «voir sans comprendre».
Les figures, renversées, frontales et côte à côte, sont des pseudo-portraits, où il est
question de Sigmund Freud, de facteur, de quartier-maître et de contrôleur. Leur
iconographie se renouvelle par l’utilisation de têtes d’expression photographiées du XIXè
siècle.
Lorsqu’elle est seule, la figure intègre des attributs féminins; quand les visages sont
dédoublés ou présentés en paire, une tache noire les sépare et les unit à la fois et, à la
manière d’un test de Rorschach, renvoie à l’inconscient, à la sexualité, aux réminiscences
enfantines.
[présentation du musée]
HERFREUD GRÜSSGOTT HERBRIEFTRÄGER
HERFREUD GRÜSSGOTT HERBRIEFTRÄGER

//

Grüssgott :

Grüssgott: Salut bavarois indique un texte explicatif dans la salle. Grüssen, saluer, Gott, Dieu

I asked, « What do you mean, a Grüss Gott shop? »

She explained that in Bavaria, shopkeepers greet customers by saying « Grüss Gott » (which means roughly « praise God »). During the Third Reich it was safer to change the greeting to « Sieg Heil. » It was a hard choice. Each shopkeeper had to make it. Everyone in Dachau knew which shops were Grüss Gott shops and which were Sieg Heil shops.
Pausing, as if mustering the energy for one last sentence, she stood up and said, « My father’s shop was a Grüss Gott shop, » then stepped off the bus.

//

se rappeler l’oubli :

HERR, was ist da zu sagen? / Freud, l’oubli, Signorelli (Signor – [Herr] – Eli)

Sigmund Freud, Schema zur Psychodynamik des Vergessens

//

consulter le dictionnaire allemand-français : HER (adv.):

chez, ici, là, là-bas, par ici, par là-bas, voici

//

Georg Baselitz : Herfreud Grüssgott Herbriefträger, 2011


Briefträger : facteur, « porteur de lettre »

//

Georg Baselitz : Herdoktorfreud Grüssgott Herbootsmann, 2011


Bootsmann, maître d’équipage, « homme de bateau »

//

Georg Baselitz : Herfreud Grüssgot, 2011

//

Un autre titre encore : Hersigmund anklopfen
an
à, à/au…, à même qqch., au bord de, chez, contre, dans, de, de la prendre drogue, en, en marche , être régime, sous, sur, vers
an (adj.)
allumé
an (adv.)
allumé, en marche
an (v.)
allumer, éteindre
an-
essayer (V+comp)
an- (v.)
accepter, prendre
Anklopfen (n.)
appel en attente
anklopfen (v.)
frapper (V+à+comp)
Klopfen
claque, coup
Klopfen (n.)
battage, battement, cognement, coups, coup sec, frappement, martèlement, martellement
klopfen
heurter
klopfen (v.)
attendrir, battre, battre rapidement, cogner, frapper, palpiter, tailler (V+comp), taper, taper sur les doigts

sigmund, je frappe à ta porte…

herdoktorkunstfreud, grüssgott; voici le docteur de l’art freud, salut dieu.

déclin des religions, avènement de la psychanalyse, avènement de la modernité en peinture

Je ne peux m’empêcher de m’attarder aux titres-valises des peintures de Baselitz, dont je vous parlais hier.

Si le HER m’évoque le HERR perdu de Freud, celui tombé dans les limbes, HER, en allemand veut également dire, je l’apprenais hier, « VOICI ». « Voici » qui est justement le titre de l’exposition dont je vous ai parlé de Thierry de Duve.

A cause de ça[1], cet éventuel indice à trois lettres, je suis tentée d’y retourner, et vous livre ici quelques extraits des premières pages du catalogue de l’exposition. Je ne suis pas sans craindre de vous envahir, mais… c’est plus fort que moi…

« Et si nous allions tout droit à Manet, là où l’aventure de l’art moderne a commencé? Et si nous choisissions de faire démarrer d’aventure, non d’Olympia ou du Déjeuner sur l’herbe, mais d’un tableau moins connu du grand public et pourtant tout à fait extraordinaire, Le Christ aux anges de 1864? »

Continuer la lecture de herdoktorkunstfreud, grüssgott; voici le docteur de l’art freud, salut dieu.

Baselitz ne parle que l’allemand mais en jouant avec les mots, presque de matière sculpturale.

Dans sa conversation le langage est un objet dont il éprouve la plasticité à tous moments. Il se considère comme un provincial mais souligne que c’est là une force puisque la province nourrit la capitale. Son imagination es t vive et il précède facilement les pensée de ses interlocuteurs. Il parle par métaphore et cherche souvent les paradoxes et les provocations. Il prend un réel plaisir à parler. De toute évidence il aime sa langue et s’évertue à la déformer comme il le fait avec la couleur quand il peint. Il cherche les idées et s’étonne de formulations comme il le fait sans doute devant les figures qu’il dessine, s’étonne que ce soit bon, et comme un enfant, un paysan ou un animal, emporte cette idée au fond de lui-même pour en faire, plus tard, un meilleur  usage.
Baselitz, p. 10

« Je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire. »

Chers amis,

 Je vous adresse à la faveur des récentes escapades Baselitz et de la fin de l’exposition, la réflexion qui m’était venue au moment de la découverte de l’exposition avec Véronique en décembre et que j’ai complétée tout dernièrement dans l’après-coup.

Merci Véronique pour ce témoignage et ces recherches passionnantes autour de l’oeuvre de Baselitz, artiste peintre, dessinateur et sculpteur contemporain allemand, qui nous introduit à une réflexion de plus en plus poussée sur ce qui pourrait définir l’art moderne, et merci surtout pour cette escapade improvisée ensemble ce mardi de novembre pluvieux au musée des arts modernes, à la rencontre de ses sculptures insolites et colossales.

J’ai pour ma part d’emblée été saisie par un certain malaise, tu le sais, en découvrant en tout premier le monumental Modell für eine Skulptur (1979-1980), la sculpture inaugurale, présentée à la Biennale de Venise en 1980 et qui fit scandale. Est-ce le bras tendu, assimilable au salut hitlérien, est-ce le profil ambigu de cette grossière tête humaine sortie du tronc, rampante et cherchant à se dresser, quelque chose là, dans ce buste menaçant, d’une étrangeté inquiétante m’a renvoyée à cette sombre période de l’histoire.

Suivant le fil de ce malaise en m’intéressant ici uniquement aux sculptures exposées et en faisant quelques recherches biographiques sur l’artiste, je trouve son témoignage d’une enfance prise dans la tourmente de la dictature du troisième Reich: « mon père était nazi, mais comment peut-on m’attribuer une part de responsabilité alors que j’avais 7 ans en 1945. » 

Cette formulation en dit long et m’évoque une phrase de Victor Klemperer, philologue juif allemand vivant également à Dresde et qui a écrit pendant les douze années du nazisme, en tenant un journal clandestin, au péril de sa vie, afin de résister et de dénoncer l’effet progressif d’empoisonnement de la langue comme mode de propagation de la « LTI, la langue du III Reich », que je cite de mémoire, à propos des jeunesses hitlériennes : « combien de générations avant que ces immondices nazies ne s’effacent de ces chères têtes blondes?« .

Comment ne pas y songer en voyant certaines de ces statues géantes…comme le retour du refoulé, de ce que l’enfant Baselitz a perçu des figures effrayantes, monstrueuses du nazisme, du discours totalitaire qui ont marqué ses premières années et des mots qu’il a entendu alors? 

Mais son expérience de la dictature ne s’arrêta pas avec la fin de la guerre, Baselitz, dont le nom d’artiste est un hommage à sa ville de naissance en Saxe, à Deutschbaselitz, a vécu  également l’horreur du Stalinisme depuis l’Allemagne de l’Est et ne passera à l’ouest qu’en 1957, après avoir été renvoyé de l’École des arts plastiques de Berlin-est pour « manque de maturité socio-politique. « …

Les sculptures de Baselitz, artiste viscéralement travaillé par les questions laissées par l’Histoire allemande: « je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire », charcutent les corps, comme autant de représentations possibles de corps percutés par les signifiants du nazisme, du stalinisme, du totalitarisme, et de sa variante moderne de l’hyper-capitalisme?

Massifs, les géants de bois, dont la matière première m’évoque le pantin ou le jouet et tamponne le gigantisme et la figure de puissance, tantôt totémiques, en pieds, assis, couchés, en bustes, en morceaux, démembrés,  bruts, peints, maquillés outrageusement, naïfs, primitifs, découpés, scarifiés, tronçonnés, morcelés, asexués, bi-sexués, parfois recouverts de tissus comme une tentative d’habillage, de voile mis sur l’horreur, parfois accoutrés à la manière d’ouvriers stalino-communistes, en uniforme, en culotte courte, bottés, perchés sur des escarpins grossiers, avec des grosses montres, ou colorés, ensanglantés, cramoisis, jaunis, bleuis, ne cessent d’interpeler sur les restes des signifiants du nazisme, du fanatisme, du fascisme, du culte et de ses offrandes à des dieux obscurs, hérités depuis la nuit des temps, qui tiennent au corps ou pire.

Cela m’évoque un passage du séminaire livre XI de Lacan, cité par Anne-Lise Stern, dans « …Et Lacan:  un courageux regard », p 158 In Le Savoir-déporté, Seuil, 2004.

« Il est quelque chose de profondément masqué dans la critique de l’histoire que nous avons vécue. C’est présentifiant les formes les plus monstrueuses et prétendues dépassées de l’holocauste, le drame du nazisme. Je tiens qu’aucun sens de l’histoire, fondé sur les prémisses hégéliano-marxistes n’est capable de rendre compte de cette résurgence, par quoi il s’avère que l’offrande à des dieux obscurs d’un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une monstrueuse capture.

L’ignorance, l’indifférence, le détournement du regard, peut expliquer sous quel voile reste encore caché ce mystère. 

Mais pour quiconque est capable, vers ce phénomène, de diriger un courageux regard – et encore une fois, il y en a peu assurément pour ne pas succomber à la fascination du sacrifice en lui-même – , le sacrifice signifie que dans l’objet de nos désirs, nous essayons de trouver le témoignage de la présence du désir de cet Autre que j’appelle ici le Dieu obscur. C’est le sens éternel du sacrifice, auquel nul ne peut résister, sauf à être animé de cette foi si difficile à soutenir, et que seul, peut-être, un homme a su formuler d’une façon plausible – à savoir Spinoza, avec l’Amor intellectualis. »

Les femmes de Dresde, tableau émouvant de têtes nues de femmes aux couleurs de flammes et aux regards vides, creux, hommage aux survivantes hagardes des bombardements et de l’incendie qui a ravagé Dresde à la fin de la guerre, se laissaient approcher de loin, pour mieux entendre leurs plaintes lancinantes qui se faisaient écho dans le labyrinthe de colonnes qui les soutenaient. Te souviens-tu Vé? Tu t’y es arrêtée et t’es retournée… As-tu entendu comme moi les pleurs inconsolables de ces femmes chargées de re-donner vie et de re-construire après le chaos et l’enfer?

Le portrait mélancolique de Volk Ding Zero, que tu as formidablement commenté Véronique, à partir de l’inspiration indiquée de la figure du martyr du Christ s’impose à la fin de l’exposition, par son énigmatique douleur… Volk Ding Zero. 

Une exposition dont je ne suis pas sortie indemne, qui a produit son effet plus dans l’après-coup et qui m’a interrogée sur la fonction de l’art moderne au sein du malaise contemporain aux prises avec les questions de notre époque, tout autant traversées par ‘les restes’? 

A vous lire,

 Géraldine.

RE: « Je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire. »

Merci Géraldine! 

Coup sur coup, ta rencontre singulière et aventureuse avec ce peintre sculpteur, ses formes et ses couleurs si incisives et ton commentaire historicisé de Baselitz. J’ai surtout relevé cette référence au « Dieu obscur », qui pourrait dangereusement prendre la place de l’objet cause du désir et devenir insidieusement « Désir de l’Autre », menant à tous les sacrifices et à toutes les destructions sous l’égide de la pulsion de mort … sauf pour celui qui soutient décidément le Désir de l’analyste, serrant un objet qui ne serait plus un objet de sacrifice, mais un objet vivant, au-delà du bien, des biens, et du discours commun.

Merci et bise à toi

catherine

Baselitz à propos de Modèle pour une sculpture

Chers tous, Nou en particulier,

Je tombe, en faisant un peu de rangement, sur ce vieux numéro d’Art Press datant du moment de l’ouverture de l’exposition Baselitz. Dans son interview Baselitz revient sur Modèle pour une sculpture et s’en explique de la façon suivante :

« Le point de départ a été la Biennale de Venise [de 1980], où Anselm Kiefer et moi avions été sélectionnés pour occuper le pavi­llon allemand. Ce pavillon a toujours été critiqué car il s’agit d’un bâtiment fasciste, construit pendant la période fasciste et déjà utilisé en tant que pavillon par les fascistes. Celui-ci a accueilli avant moi de nombreuses expositions de sculpteurs. Le pavillon ne se prête pas à la peinture. Je n’avais pas encore réalisé de sculptures. Aussi trouvais-je les sculptures conçues par mes collègues sans inté­rêt. Je me suis dit qu’il fallait faire autre chose. « À cette époque, il y a avait une sorte de compétition entre les peintres, quelque peu déconsidérés, et les conceptuels, ces « gau­chistes » qui projettent des programmes artistiques sans jamais les exécuter. Et puis il y avait la sculpture. J’ai bien entendu été témoin de la « réduction » sculpturale. Flavin, Andre et Judd et toutes ces choses m’étaient fami­lières ( … ) On part du principe que les sculp­teurs sont plus idiots que les peintres. C’est un préjugé. C’est aussi lié à la proximité et à la question de l’objet. Il est très difficile d’extraire une sculpture de sa condition d’objet. Qu’on le veuille ou non, Judd réalise des boîtes et Carl Andre du carrelage. Tandis que la pein­ture a une capacité d’abstraction. Elle peut être beaucoup moins précise, plus inventive dans ce qu’elle représente. On peut finalement tout représenter ou ne rien représenter. On peut peindre une toile blanche.

« Quand je me suis dit que j’allais réaliser une sculpture, j’ai été confronté à une difficulté dans la mesure où je peins tout à l’envers. Mon programme consiste à s’éloigner de toute forme de « figuration », de tout « environnement ». Je ne crois pas à la représentation de contenus. ( … ) J’ai commencé par travailler de la terre glaise et du plâtre. J’ai tout jeté. Puis j’ai sculpté du bois. Au début, c’était bâclé et j’ai fait en sorte que cela s’améliore. Puis la sculpture de Venise est née. Je l’ai appelée Modèle pour une sculpture. Un modèle est quelque chose d’inachevé. C’est une tentative. Le mot sous-entend la possibilité d’un renouvellement et d’une exécution ( … ) [Le résultat] a été vilipendé. Encore une fois pour des questions de contenu. Il y a eu un scandale. On a évoqué le salut hitlérien. Alors que je me référais à la sculpture africaine, à la sculpture Lobi [Burkina Faso], où l’on retrouve des gestes similaires. J’étais totalement innocent. Auparavant, de nombreuses personnes avaient vu la sculpture. Et aucune d’entre elles n’avait réagi de la sorte. ( … ) Dans la presse, on avait pour habitude de me représenter comme quelqu’un de contradictoire et d’agressif. Et cette image collait parfaitement avec Venise. Puis le fait d’avoir co-exposé avec Kiefer n’a pas arrangé les choses. Le tout était un peu prévisible. C’est toujours la même rengaine allemande. Quand on se fait insulter en Allemagne, on ne vous traite pas de salopard, mais de salopard nazi.

« Il y a des influences que l’on suit et d’autres que l’on écarte, auxquelles on s’oppose ( … ). Je me suis toujours confronté à l’art, en particulier à l’art allemand. J’ai toujours essayé de me comparer à d’autres. Le tout est lié aux informations dont on dispose. Après la guerre, en RDA, l’information était mince, mauvaise et univoque. Beaucoup de choses n’étaient pas visibles. Les bibliothèques avaient été vidées des livres déjà censurés par les nazis. Il n’y avait aucun livre sur Die Brücke, Paul Klee ou Kandinsky.

« À 16 ans, je suis tombé sur une brochure italienne sur le futurisme qui contenait des illustrations en noir et blanc. Une source incroyable d’information. Du jour au lendemain, vous tombez sur le futurisme. Comme un Africain j’étais confronté à quelque chose qui m’était totalement étranger. Les ponts entre l’art promu par les nazis et Picasso, l’abstraction et le futurisme étaient inexistants. Il fallait, à par­tir de cette information très mince, développer, quelque chose, et ce dans une méconnaissance presque totale de ce qui avait été conçu par les deux générations précédentes. Une fois étudiant à Berlin-Est, j’ai pu accéder à un peu plus d’information. Il y avait des revues tchèques et polonaises. La Pologne avait des liens avec la France. Les Polonais avaient le droit de voyager. L’art français était commenté dans les revues polonaises, à commencer par l’École de Paris. Puis j’ai pu avec un ami entreprendre un voyage à Berlin-Ouest. Nous sommes allés dans des librairies et avons volé des cartes postales de peintures qui nous intéressaient. Il ne faut pas oublier que le matériau en matière de publications était beaucoup plus réduit à l’époque. Il était maigre et en noir et blanc.

« Je me suis toujours intéressé à ce que font les autres. J’ai fait mes choix et tracé mon chemin. De manière intuitive. J’étais très réceptif à l’école. J’étais curieux. Je le suis aujourd’hui encore, même si c’est mon propre passé qui m’interpelle en premier lieu. ( … ) Quand j’ai commencé à concevoir mes sculp­tures [en 1979], je savais ce qui existait. J’avais vu de Kooning et Giacometti. Picasso et Matisse. Kirchner et Schmidt-Rottluff ( … ). Il y a constamment cette obligation de commencer à zéro. De mettre de côté ce qui est à votre disposition. Cela a toujours été mon problème principal. [À l’Ouest] mon professeur était «dépendant» de Hans Hartung. Il était abstrait, car l’abstraction représentait pour cette génération une libération incroyable, compte tenu de la merde qui existait auparavant. Par la suite, cette génération a voulu nous entraîner dans cette libération. J’ai tenté ainsi pendant un an et en bon étudiant de faire ce que Kandinsky ou Malevitch nous ont appris. Mais je ne suis pas un bon étudiant. L’art en Allemagne a toujours été lié à cette manie de vouloir tout savoir mieux que les autres (Besserwisserei). À l’Ouest, il fallait être un bon étudiant pour faire du bon art. Mon professeur m’a dit à l’époque que ce que je faisais était derrière nous. Anachronique. »

 Extrait d’art press n°381, septembre 2011

Bien amicalement,

Véronique