RV : Bruegel, le moulin et la croix

Bruegel, le Moulin et la Croix

1h31mn‎‎ – Drame‎‎ – VO st Fr‎- Distribution: Rutger Hauer, Charlotte Rampling, Michael York, Oskar Huliczka, Joanna Litwin

Année 1564, alors que les Flandres subissent l’occupation brutale des Espagnols, Pieter Bruegel l’Ancien achève son chef-d’œuvre « Le Portement de la croix ». Derrière la Passion du Christ, on peut lire en filigrane la souffrance d’un pays en plein chaos. Le film plonge littéralement le spectateur dans le tableau et suit le parcours d’une douzaine de personnages au temps des guerres de Religion. Leurs histoires s’entrelacent dans de vastes paysages peuplés de villageois et de cavaliers rouges. Parmi eux Bruegel lui-même, son ami le collectionneur Nicholas Jonghelinck et la Vierge Marie

Vendredi 20 janvier à 17h 55 aux 7parnassiens. On entre dès qu’on peut et on se retrouve directement dans la salle ? Je devrai filer vite après. On échangera nos impressions sur Escapades
Dominique.

Cinéma Les parnassiens 98 boulevard Montparnasse 75014 Paris M° Vavin / Notre-Dames des Champs / Montparnasse / Edgar Quinet

Bruegel, le Moulin, la Croix et l’image

– ou du passage du fixé à l’animé – 

L’exercice était périlleux. Le résultat remarquable. Encore un film à ne pas mettre sous tous les yeux, car exigeant. Du cinéma qui offre un espace d’expression au spectateur et lui laisse la latitude d’aller au-delà de l’image montrée. Du grand art généreux, d’autant plus noble que le travail, l’énergie, la réflexion et la créativité mis dans ce film de Lech Majewski crèvent l’écran.

Invité dans le tableau de Pieter Bruegel l’Ancien, Le Portement de Croix, le spectateur suit la journée de quelques personnages du tableau choisis parmis les 500 figurants qui entourent le protagoniste principal: le Christ portant sa croix. Les petites histoires des hommes, dans leur quotidien se mêlent à la grande histoire de l’humanité, à travers les travers de ceux qui la compose, les petites et grandes lâchetés, les petites et grandes joies, les petites et grandes misères, les petites et grandes cruautés sur fond de grande histoire, l’invasion de la Flandre par les Espagnols au XVIème siècle, l’Inquisition vs. le Protestantisme.

Le plus impressionnant sans doute est la posture de l’artiste, Bruegel lui-même, qui tantôt explique son dessein, tantôt semble être le dessin, position d’acteur et de figure… fascinant.

Les trois acteurs principaux, Rutger Hauer, Bruegel, Michaël York son ami banquier et Charlotte Rampling, Marie shakespearienne, loin de la Vierge éplorée sont merveilleux. Petit bémol: on peut regretter que la plupart des autres acteurs soient polonais et les trois protagonistes ayant une voix dans le tableau soient les acteurs internationalement reconnus. Certes, ils sont excellents, mais un acteur de cet envergure doit bien se trouver en Pologne.

L’image fixée inspire souvent l’animation, comme l’image animée d’ailleurs (parmi d’autres La Rose pourpre du Caire), rêve d’enfant et de cinéaste qui s’allient merveilleusement bien, par exemple mon préféré non intellectualisant a contrario de ce film, Mary Poppins, même si je la soupçonne d’être un peu raciste… mais là je m’égare.

Le réalisateur brosse un tableau du tableau et en fait un film d’images animées, fixées dans un intemporel qui n’est pas figé. La passion du Christ inscrite dans le temps des hommes qui se répète à l’infini du temps du monde.

La difficulté pour le spectateur réside dans le fait qu’il ne suit pas une histoire, ni même des histoires, mais des séquences, sans logique apparante. Cependant, c’est ce qui fait aussi sa force, cette liberté laissée au spectateur, comme lorsqu’il regarde un tableau, de comprendre ou pas, d’imaginer ou pas une suite à la scène représentée.
La lumière (Majewski a été jusqu’à tourner les images du ciel et des paysages en Nouvelle-Zélande) est sublime, chaque plan un chef-d’oeuvre de composition.

Le making off du film

Malik Berkati

[illustration : Bruegel l’Ancien – Portement de croix – 1564 – détail du moulin / clic sur l’image pour une vue plus grande]

RE: Bruegel, le Moulin, la Croix et l’image

Cher Malik,

Merci beaucoup pour ce texte ! J’ai vu le film hier, avec Mariana, j’en ai été assez heureuse. Je ne suis pas cinéphile, mais j’aime que ce film m’ait donné envie de revoir cette peinture, m’ait donné une nouvelle porte d’entrée dans cette œuvre. Je me suis trouvée un peu honteuse de ne même pas me souvenir du Musée où se trouve cette toile, est-elle à Bruxelles ? Il m’a semblé reconnaître les murs du Musée d’Art Ancien, mais je n’en suis pas sûre. (( Mais non, elle se trouve au musée de Vienne, et je ne l’ai jamais vue. ))  Je n’ai pas pu résister à l’envie de mettre, en illustration de ton texte, une très grande, très belle image du moulin, si impressionnant dans le film, que nous pénétrons, où nous nous réveillons au petit matin avec le meunier, sa femme, et leur commis… immense ! Ces interminables escaliers dans la roche !! ((je ne sais ce qu’il m’évoquent, mais j’ai eu une impression de déjà-vu, et toi ? une référence cinématographique t’est-elle venue à l’esprit?)) Très touchante également cette explication que donne Bruegel à son ami, le collectionneur Nicolas Jonghelinck (Michael York !) : là haut, si haut, dans les nuages, le moulin mis la à la place où l’on trouve Dieu normalement, avec son meunier qui de haut tristement assiste aux …. égarements des hommes.    J’ai été très sensible à cette explication, ce pointage,  peut-être aussi parce que je m’appelle Muller, qui veut dire meunier. « Meunier, meunier,  tu dors ton moulin va trop vite… » La roue du temps (ranimée le temps du film, figée dans le  cadre de la peinture et le temps d’un instant figée dans le film même), la roue du supplice (juste avant que n’arrivent les mercenaires espagnols, Mariana me glissait qq chose comme « C’est le paradis » alors que ce si joli couple petit-déjeunait sur l’herbe, avec leur jeune veau)…

J’ai réfléchi courtement à la logique du film, apparemment sans logique, dont tu parles. Je crois qu’elle est nécessaire, cette lente présentation des faits… inouïs d’horreur, d’horreur et de beauté, puis, venant s’y loger, la Passion du Christ.

Et les dernières images, de la sarabande, cette danse, ces corps dans un poids, un rythme si différent du nôtre aujourd’hui…

Quant au silence des protagonistes, du jeune couple, des meuniers, de la famille de Bruegel (si je ne me trompe pas) (et ce silence, en dehors des cris des enfants) (mais, son épouse, si silencieuse au point que je me suis demandée si elle était muette) (et les pensées entendues de la mère du Christ, dans une langue et un texte anglais  superbes) (puis, quelques mots, cependant, entendus en vieux flamand, et l’espagnol des mercenaires), c’est vrai, comme le rappelait Mariana ce matin,  que je me suis interrogée à son sujet, me demandant d’abord s’il s’agissait du silence d’un peuple paysan (mythique ou réel, je ne sais, appartenant à cette époque ou vraie encore aujourd’hui ?), n’accordant pas encore à la parole la haute importance que nous lui accordons aujourd’hui, pour m’accorder ensuite à penser qu’il  s’agissait du silence de la toile.

Enfin voilà. J’ai très envie de publier sur le blog quelques grandes images de la toile,

Très amicalement,

Véronique

(je suis d’accord avec toi concernant le choix des acteurs, des stars, comme aurait dit Godard, et je n’aurais pas détesté les entendre parler polonais…)