freud°spielrein°jung ~SOURCES

De : do
 
Qu’avez-vous pensé du film ? Je l’ai beaucoup aimé, à cause des acteurs, de la mise en scène. J’avoue que je ne me suis même pas posé la question de l’image que ça donne de la psychanalyse. Freud était sans doute le moins convaincant, on connaît trop sa tête. J’ai pris ça comme une fiction.

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De : vé

J’ai également beaucoup aimé ce film. Je l’ai trouvé très intéressant, et j’ai de mon côté beaucoup aimé l’interprétation de Spielrein (son prénom m’échappe), psychanalyste que je ne connaissais pas. Sur quoi penses-tu que l’actrice a basé son jeu, au début du film, quand elle est en crise ? Pour ce qui est de Freud, je l’ai  beaucoup aimé. Et étonnée de le «découvrir juif ». Non, que je ne le savais, mais. Étonnée, tu sais, de cette réplique «Nous sommes juifs, quittez cet aryen ». Son interprétation, ce film, l’ancrent mieux pour moi dans la réalité de son temps. Mais, il est vrai que j’ai un gros problème avec l’histoire, que j’ai du mal à percevoir, à ressentir. Il manque la durée à ma notion du temps. Ce qui revient probablement à dire qu’il me manque le temps tout court. Cela dit, aurait-il pu dire ce genre de chose ? Alors, vraiment, je ne l’aurais pas deviné à lire ses écrits théoriques. Je n’ai pas lu toute son œuvre, mais beaucoup. Je suis maintenant très tentée de lire sa correspondance avec Jung. Et je n’avais pas noté que ses disciples de l’époque étaient tous juifs. Comment cela se fait-il ? Que cela m’aie échappé ? Peut-être n’est-ce pas très important. Peut-être Freud a-t-il écrit son œuvre en dehors de cette réalité-là, que le film, sa biographie révèlent justement. D’après l’article lu cette nuit dans LQ, l’article paru hier, il aurait été tenté « d’aryaniser » justement la psychanalyse, dans un souci d’en étendre la portée au plus grand nombre. Quel homme tout de même ! Et quelle époque ! Ce moment de la découverte ! Et que cette découverte il eut eu le talent de la communiquer, d’en faire mouvement ! Vraiment ce film est pour moi d’une grande intelligence, et confirme pour moi Croenenberg comme l’un des grands.
A tout à l’heure !
Véronique

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De : do

Chère Véronique-eoik,
 
Merci pour ta réponse et pour ton commentaire ! Du coup, j’ai été lire celui de Clotilde Leguil, très juste, dans LQ 123. Il faudrait que je revoie le film. Comme je te le disais hier, j’ai été tellement prise au premier degré par le jeu des acteurs et l’intelligence de la mise en scène que, dans un premier temps, je ne me suis même pas posé de questions. Je ne sais pas sur quoi Keira Knightley s’est appuyée pour jouer ainsi (les critiques en disent peut-être quelque chose ?) Elle est magnifique.
 
Témoignage d’un jeune homme de mes amis, qui passait son bac l’an dernier. Sa mère, soucieuse de l’impact du film sur les jeunes, lui a demandé si ça lui donnait envie de lire Freud ou Jung. Réponse : « Ni l’un ni l’autre. Je l’ai juste pris comme un film et je le trouve excellent. »
 
Entre parenthèses, il se donne aussi en ce moment, et certainement pas pour longtemps, Augustine de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat, sur les leçons de Charcot à la Salpétrière. C’est un film en noir et blanc, dont le propos est moins ambitieux (quoique…), plus confidentienl en tout cas. Passé inaperçu à sa sortie en 2003. Il y a également une étonnante performance d’actrice (Maud Forget). Et ça fait assez froid dans le dos.
 
J’avais lu dans le temps Sabina Spielrein, une femme entre Freud et Jung, paru il y a 30 ans et réédité en 2004, sous le titre simplifié Sabina Spielrein entre Freud et Jung.
 
http://www.cgjung.net/publications/sabina-spielrein/lettres-journal.htm
 
Si on en croit ce lien, la partie commentaires est un peu datée. Mais le livre reste intéressant pour les extraits du journal de Sabina, pour sa correspondance avec Freud et Jung, et pour des textes d’elle, en particulier un sur le langage enfantin. Autant qu’il m’en souvienne, c’est écrit avec beaucoup de fraîcheur – comme on écrivait à l’époque.
 
Alain nous a parlé aussi d’un texte récemment traduit, sur un cas de phobie, qu’il nous enverrait.
 
A très bientôt, oui !
 
Dominique.

Chers Alain et Véronique,

Je suis très intéressée par vos échanges sur A Dangerous Method, film qui nous sollicite beaucoup décidément!  Peut-être parce qu’il appelle les origines de la psychanalyse, et la question des origines… Je me sens à la fois de l’Un et de l’Autre: Merci Véronique pour ton développement sur l’Un et l’hénologie, cette piqûre de rappel du cours 2011 de JAM. Les patients psychotiques nous en apprennent quelque chose de ces « Uns tout seuls », non-branchés sur l’Autre… Et puis  je suis assez d’accord avec Alain aussi: Pas d’Un sans l’Autre, dans les circuits de la demande et du désir. En toute fin d’analyse seulement, il devient possible de cultiver un peu son « autisme » (après la découverte de cette jouissance et  que Yad’lun)… pour le repos de chacun et afin de mieux s’en éveiller et en sortir! Comment dire cela? c’est un repos, un retrait vivant, à l’envers de la pulsion de mort, et qui permet d’être éveillé.

Bise à tous

Catherine Decaudin

Spielrein, Jung, Freud et le Néophyte

ou de l’intérêt d’une méthode dangereuse…

Tout le monde s’accorde, et je m’accorde avec le monde, pour dire que ce Cronenberg n’est pas du Cronenberg. Il n’y aurait aucun problème à cela, après tout qui en veut à Kubrick de n’avoir jamais fait du Kubrick, si cet entre biopic sur fond historique (mais biopic de qui? Jung, Spielrein, Freud) et historique (mais lequel? la tragédie austro-helvétique entre un père et un fils spirituel, la naissance d’une méthode de psychanalyse, la relation défendue et très originale depuis Adam et Eve entre un homme et une femme) sur fond de biopic, n’était poli, léché, presque récuré de tout ce qui fait le grain d’un cinéma qui n’a pas besoin d’être auteur pour donner un point de vue, une perspective. Entre le « Festin nu » et « CRash », il y aurait eu de la place pour faire un film avec un peu d’aspérité, quelques angles saillants, rentrants, aigus, pourquoi pas obtus ou nuls au lieu de ces angles plats et droits… pellicule immaculée remplie de libido.

Pour le néophyte, et nous étions plusieurs dans la salle, les premières scènes de Keira Knightley sont pénibles à regarder. Freud et Jung sont sans expressions ni émotions. Contraste encore plus frappant et marqué au regard du jeu de Keira Knightley. Le seul qui ait du corps, de l’esprit et une âme, c’est Otto Gross, avec un Vincent Cassel magnifiant l’état non pas seulement d’un être mais d’une époque, celle de la Mitteleuropa du début du siècle passé.

Jung a-t-il vraiment fait ce rêve à la fin du film? Quoi qu’il en soit, si oui, il aurait été préférable de ne pas le mettre et de ne pas mêler une intuition historique (déjà assez présente, mais ici avec un objectif de raison, par les multiples répétitions de Freud sur le danger d’être juif) à la chute du film, et si ce rêve fait partie de la licence artistique, Cronenberg devrait demander un renouvellement de son permis d’être considéré comme un réalisateur majeur de notre époque… Et je passe sur la musique qui accompagne par l’oreille le spectateur un peu endormi sans doute par cette soupe sans saveur pour lui faire remarquer que Frau Sabina Spielrein est en crise. Et je repasse, sur cet improbable plan d’une longueur exceptionnelle pour ce qu’il a dire, qui avait déjà été abondamment annoncé dans un plan viennois sur la virginité supposée de Frau Spielrein… et si nous n’avions pas compris, le doute n’étant pas tout à fait levé, nous avons pu contempler à loisir avec la dame toute à son émoi la preuve de cette rupture d’hymen… Alléluia, on est vraiment heureux pour eux! Peut-être que d’autres choses à passer m’ont échappée…il faut dire que je me suis assoupi plusieurs fois… Ce ménage à trois, quatre je suppose avec Cronenberg,  doit certainement être un des meilleurs succès commerciaux du réalisateur canadien… au moins tout ceci n’aura pas servi à rien.

Le néophyte, qui cherche quand même à comprendre quelque chose à cette naissance de la talking cure en regardant le film se demande à la fin qui cure qui? Le générique passé, le néophyte se dit, et je le cite: « heureusement que Frau Spielrein lui a fait effectuer une ‘body cure‘… Dr. Jung semble s’être enfin découvert à travers elle… »

Malik Berkati, le Néophyte

[source de l’illustration : http://anarchietotale.free.fr/neophytenouvellesperspectives.html ]

A dangerous method, débat au cinéma du Panthéon, réponses à quelques questions

DISCUSSION AUTOUR DU FILM : A DANGEROUS METHOD, David Cronenberg (2011)
Mercredi 1er février à 20h, Cinéma du Panthéon, 13 rue Victor Cousin, Paris V
Projection suivie d’un débat animé par Geneviève Morel (psychanalyste). En partenariat avec l’ALEPH (Association pour l’Etude de la Psychanalyse et de son Histoire).

Débat intéressant, très sérieusement préparé. L’intervenante avait lu tout ce qu’on pouvait lire sur la question, ou presque. Je crois avoir obtenu quelques éclaircissements sur des points qui nous étaient restés obscurs.

1- Réponse à ta question, Véronique, sur le jeu de la comédienne :
Il y a là un certain anachronisme. Son interprétation est fondée, en effet, sur les documents que l’on a sur les leçons de Charcot – lesquelles avaient eu lieu quelques vingt ans avant. Déjà, à l’époque, les hystériques avaient évolué et ne faisaient plus de « grandes crises » comme celle qui nous est montrée. En revoyant le film, j’ai trouvé moi-même que cette scène passait moins bien. Réalisateur et comédienne en font un peu trop…

2- Quant à la scène finale qui, pour Malik, ne passe vraiment pas :
La pièce originale de Christopher Hampton, dont la construction est assez différente, est coupée en deux par la scène extrêmement violente de la mort de Sabina, fusillée par les nazis. Le scénariste aurait choisi de reporter cette violence à la fin et lui aurait cherché un équivalent dans le rêve de Jung, ce qui produit une sorte de télescopage temporel. Rêve authentique mais pas vraiment prémonitoire, puisqu’il l’a fait pendant la première guerre mondiale et qu’il semble ici se rapporter aux événements de la deuxième.

3- Géraldine, à propos de cette phrase qui t’a tellement frappée (nous resterons toujours des juifs, gardons-nous des aryens) : elle se trouve dans une lettre de Freud à Sabina, dont les termes seraient encore plus violents. Pour G. Morel, et ça ma paraît assez convainquant, ce ne serait pas la position personnelle de Freud mais une interprétation analytique qu’il lui fait : il serait temps qu’elle arrête de délirer sur son blond Siegfried et qu’elle s’aperçoive que cette histoire est vouée à l’échec. Siegfried, c’était aussi le thème de son mémoire, dont on la voit discuter avec Jung, et qui est bien sûr très intriqué avec ce qu’elle vit alors : Wagner, « L’or du Rhin », le génie qui ne pourrait naître que d’une transgression, la pulsion de destruction annonçant la pulsion de mort (ce dont Freud lui rend hommage).

4- Les scènes sado-masochistes ne sont attestées par aucun document. Elles peuvent être liées à la problématique de Cronenberg lui-même. Mais n’en sont pas moins vraies, car elles montrent par un procédé fictionnel comment Jung entre dans le fantasme de Sabina (« Un enfant est battu »), comme il était entré dans celui d’Otto Gross, personnage en effet très réussi. En somme, il se laisse toujours faire par ses patients.

5- Je persiste à trouver Freud un peu caricaturé, même si, comme vous l’avez tous souligné, le film rend parfaitement justice à sa position éthique. Il est très pontifiant, où est passé son humour ? Michael Fassbender me paraît bien meilleur, surtout si on a présente à l’esprit sa prestation récente et si différente dans « Shame ». Alors j’avoue que, surtout la première fois, je me suis laissée emporter par le personnage de Jung, si bien rendu, si conforme à l’archétype du jeune psychiatre aryen – même si on sait à quel point l’homme était fou (cf. son autobiographie, « Ma vie ».) Les subtilités de ses conversations avec Freud, qui synthétisent leurs divergences, m’apparaissent mieux maintenant.

6- Quant à tes autres remarques, Malik, sur le côté trop lisse du film, etc., je suis hélas bien incompétente. Quelqu’un dans la salle a remarqué qu’il fumait beaucoup de cigares mais qu’il n’y avait pas trace de fumée ! Est-ce que ça rejoint ta critique ? C’est compliqué, le cinéma. Beaucoup plus que le théâtre, je trouve. Pour une fois que je me montrais bon public… Les critiques exigeants nous font avancer. Merci à toi.
PS. Je suis affreusement déçue par le film de Chantal Akerman, « La folie Almayer« . Tu as quelque chose à en dire ?

Dominique.

Cosmopolis, film cauchemar

Voici un petit commentaire sur le film « Cosmopolis » de Cronenberg, vu avec Dominique qui l’a qualifié de « cauchemar ».

Je pense aussi que c’est ainsi qu’il faut le lire, comme un rêve qui vire au cauchemar et qui en dit long sur le masculin mené a son terme ( le pouvoir, le sexe) quand aucune « femme » n’intervient vraiment, sauf les prostituées ou la « bourgeoise » ( milliardaire) seulement intéressée par l’argent.

D’une façon assez onirique, cette figure de femme éphémère et idéalisée est rencontrée à chaque carrefour par cet homme jeune, beau, intelligent, milliardaire qui a tout pour lui et se déplace en limousine mais ne veut qu’une chose : aller chez son coiffeur.

Cosmopolis
réalisateur: David Cronenberg
avec :
Robert Pattinson, Juliette Binoche, Sarah Gadon

Il est froid, invincible, fait des calculs sur l’avenir sans se préoccuper de ce qui se passe au présent, tandis que sa limousine – dans laquelle il vit, dort, baise et se fait faire des « shake up » quotidiens – se déplace lentement dans une Amérique en crise : l’assassinat du président est prévu, ainsi que d’autres désordres, dont la montée du « Yuan » sur laquelle il n’avait pas parié malgré toutes ses analyses de computer.

Le coiffeur est une vague figure de père, qui ne le ratera pas, et lui fera une coupe «à la 6, 4, 2» : très mortifère. Quant à la jeune femme si belle et inaccessible, elle le quitte lorsqu’il perd sa fortune, et c’est la déréliction.

Ce film laisse donc à penser qu’heureusement, il y a des hommes et des femmes et la question de l’amour entre eux, même si c’est un leurre, pour éviter une chute aussi funèbre! Il me semble que cela ré-interroge le « il n’y a pas de rapport sexuel » ou son équivalent « Ya de l’Un » autrement, comme un danger pour le vivant lorsque cet aphorisme est poussé jusqu’à son terme.

Enfin, il y a aussi pendant tout le film cette question cruciale du temps et de l’endettement, sur le futur qui empiète le présent et l’annihile, ce qui provoquera la fin des fins, dans une relation en miroir, sans altérité. Cela remet au métier la question du temps dans sa durée, si précieuse!

Je n’en dirai pas plus pour ceux qui n’ont pas encore vu ce film hyper-contemporain!

Bises à tous les escapadeurs

Catherine

Le cauchemar voie royale de l’inconscient contemporain?

J’ai vu Cosmopolis hier soir, en vo.

Quel film étrange, dérangeant, angoissant! C’est un film résolument politique, sur la fin par l’absurde du monde capitaliste, système qui s’auto-détruit, et qui m’a renvoyée à Metropolis de Fritz Lang, à Pink floyd, Money et Shine on you crazy diamond. La référence au cauchemar – voie royale vers l’inconscient contemporain? – est signalée par un détail furtif qui a attiré mon attention : l’affiche de Jung dans A dangerous Method, placardée au beau milieu d’une rue de New-York dévastée par les soulèvements populaires…

Ça chute de tous les côtés à l’ombre des tours mortes, sans faire semblant… Difficile de s’en remettre en si peu de temps, ça bouscule trop! Le jeune public venu pour l’acteur ( halluciné ?) était très décontenancé.

Et ce commentaire de Dominique ce matin sur la fonction du rire est venu éclairer de mots de Lacan les rires (défensifs?) de la salle qui m’ont surprise lors de la scène finale, scène qui me semble être tout sauf drôle! 

Je prends un peu de temps pour vous en dire plus.

En attendant, je ne résiste pas à vous adresser cette photo anecdote prise en rentrant chez Auguste juste après la fin du film, Boulevard Grenelle, comme un dernier clin d’oeil de Cronenberg…

À bien vite,
Géraldine. 

 

Cosmopolis – un rat à la mesure de toute chose

Cosmopolis, le film. Je ne l’ai pas aimé, trouvé trop bavard et…. trop peu cauchemardesque ( déçue ( vos « avertissements » avaient sonné comme des promesses pour moi ;)) ).  Mais j’ai acheté le livre de Don DeLillo, que j’ai commencé à lire ,sachant que Cronenberg avait repris très fidèlement tous les dialogues du livre.

Catherine, il ne me semble pas qu’il n’y ait pas de femmes dans ce film, pas de voix de femmes, ou qu’elles soient uniquement intéressées par l’argent… Certes, ses interlocutrices travaillent pour lui, Eric Packer (de même que chacun de ses interlocuteurs), en dehors de sa femme, qui, par ailleurs, ne veut pas coucher avec lui… Mais, est-ce que ça en fait des prostituées pour autant ? Ils se parlent, il les écoutent, elles lui parlent. Elles sont séduites, peut-être par son argent, peut-être par cette forme de savoir qu’il détient sur le fonctionnement du monde, du capital, de la finance, du chiffre, cette forme de savoir proche de la certitude où le doute prend peu de place : rien ne vaut rien, tout vaut tout, un rat est la mesure de toute chose, seul compte le chiffre. 

C’est à et endroit-là que le film se situe dans la problématique de « l’Un sans l’Autre ». C’est le chiffre qui apporte la valeur, valeur que lui, Packer, tente ramener à un système, de rapporter à un discours – au risque finalement de sa vie. Il n’est pas complètement blasé, il ne cesse de parler et d’entraîner les autres à parler. Il y a d’un côté l’Un qui l’a mis dans la position où il est, et il y a l’Autre encore auquel il aimerait incorporer la logique réduite mais implacable de l’Un. Sa certitude d’un côté, le doute auquel il cherche à s’initier de l’Autre.

« Tu vis dans une tour qui monte jusqu’au ciel sans que Dieu la punisse. »

Si je me réfère à la « Note sur la honte» de Jacques-Alain Miller, je dirais : il est sans vergogne, il n’a pas de honte et personne qui veuille lui faire honte. Éventuellement, va-t-il vers sa honte, vers cette figure de double inversé ( ainsi que le remarquait finement un ami), qui essaiera de lui faire honte, sans y parvenir ( – Ne me faites pas rire. – Je ne dois pas le faire rire.) Plus personne n’y croit. La machine capitaliste est implacable. L’Un va sans l’Autre.

Véronique

Sur le doute, sur la montée du doute :

« Il y a un ordre quelque part, à un niveau profond, dit-il. Un schéma qui veut apparaître.

– Alors regarde-le. »

Il entendait des voix dans le lointain.

« Je l’ai toujours fait. mais dans ce cas particulier, il est évasif. Mes experts se sont donné un mal fou mais ils ont pratiquement renoncé. J’ai travaillé là-dessus, dormi là-dessus, et pas dormi là-dessus aussi. Il y a une surface commune, une affinité entre les mouvements de marché et le monde naturel. *

– Une esthétique d’interaction.

– Oui. Mais dans ce cas je commence à douter de la trouver un jour.

– Douter. Qu’est-ce que le doute? Tu ne crois pas au doute. Tu me l’as dit. La puissance de l’ordinateur élimine le doute. Tout doute provient d’expériences passées. Nous connaissons le passé mais pas le futur. C’est en train de changer, dit-elle. Il nous faut une nouvelle théorie du temps.

Dialogue entre Vija Kinski, sa conseillère en matière de pensée, et Eric Packer dans Cosmopolis le films et Cosmopolis, le livre de Don DeLillo, Babel, p. 98

sur le prix, sur le chiffre :

« Le concept de propriété se modifie de jour en jour, d’heure en heure. Les dépenses énormes que font les gens […] Ça n’a rien à voir avec la confiance en soi à l’ancienne, d’accord. La propriété n’est plus une affaire de pouvoir, de personnalité et d’autorité. Elle n’est plus une affaire d’étalage de vulgarité ou de goût. Parce qu’elle n’a plus ni poids ni forme. La seule chose qui compte c’est le prix que vous payez. Toi-même, Éric, réfléchis. Qu’est-ce que tu as acheté pour cent quatre millions de dollars? Pas des dizaines de pièces, des vues incomparables, des ascenseurs privés. Pas la chambre à coucher rotative ni le lit informatisé. Pas la piscine ni le requin. Les droits aériens peut-être? Les capteurs à régulation et l’informatique? Pas les miroirs qui te disent comment tu te sens quand tu te regardes le matin. Tu as payé pour le chiffre lui-même. Cent quatre millions. Voilà ce que tu as acheté. Et ça les vaut. Le chiffre est sa propre justification.« 
 Ibid., p. 89

 

NOTES

* A ce propos, pour un prolongement de l’analyse de ce film, j’invite à se rapporter à ce que dit Jacques-Alain Miller du « monde naturel » dans sa présentation du thèmes des prochaines journées du Congrès de l’AMP. Eric Packer croit à une nature qui n’existe plus, n’a pas eu l’idée du « désordre dans le réel » – son aymétrique prostate. Ou n’a pas réussi à l’incorporer dans son système : un élément de la nature –> un chiffre.