Cosmopolis, film cauchemar

Voici un petit commentaire sur le film « Cosmopolis » de Cronenberg, vu avec Dominique qui l’a qualifié de « cauchemar ».

Je pense aussi que c’est ainsi qu’il faut le lire, comme un rêve qui vire au cauchemar et qui en dit long sur le masculin mené a son terme ( le pouvoir, le sexe) quand aucune « femme » n’intervient vraiment, sauf les prostituées ou la « bourgeoise » ( milliardaire) seulement intéressée par l’argent.

D’une façon assez onirique, cette figure de femme éphémère et idéalisée est rencontrée à chaque carrefour par cet homme jeune, beau, intelligent, milliardaire qui a tout pour lui et se déplace en limousine mais ne veut qu’une chose : aller chez son coiffeur.

Cosmopolis
réalisateur: David Cronenberg
avec :
Robert Pattinson, Juliette Binoche, Sarah Gadon

Il est froid, invincible, fait des calculs sur l’avenir sans se préoccuper de ce qui se passe au présent, tandis que sa limousine – dans laquelle il vit, dort, baise et se fait faire des « shake up » quotidiens – se déplace lentement dans une Amérique en crise : l’assassinat du président est prévu, ainsi que d’autres désordres, dont la montée du « Yuan » sur laquelle il n’avait pas parié malgré toutes ses analyses de computer.

Le coiffeur est une vague figure de père, qui ne le ratera pas, et lui fera une coupe «à la 6, 4, 2» : très mortifère. Quant à la jeune femme si belle et inaccessible, elle le quitte lorsqu’il perd sa fortune, et c’est la déréliction.

Ce film laisse donc à penser qu’heureusement, il y a des hommes et des femmes et la question de l’amour entre eux, même si c’est un leurre, pour éviter une chute aussi funèbre! Il me semble que cela ré-interroge le « il n’y a pas de rapport sexuel » ou son équivalent « Ya de l’Un » autrement, comme un danger pour le vivant lorsque cet aphorisme est poussé jusqu’à son terme.

Enfin, il y a aussi pendant tout le film cette question cruciale du temps et de l’endettement, sur le futur qui empiète le présent et l’annihile, ce qui provoquera la fin des fins, dans une relation en miroir, sans altérité. Cela remet au métier la question du temps dans sa durée, si précieuse!

Je n’en dirai pas plus pour ceux qui n’ont pas encore vu ce film hyper-contemporain!

Bises à tous les escapadeurs

Catherine

doutes / notes (cosmopolis à la recherche du temps perdu)

Qu’est-ce qui lie le doute cartésien, méthodique, et le doute obsessionnel ?

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Catherine, tu parlais de notre futur hypothéqué, dont nous étions dépossédés, en raison de dettes, des contrats de toutes sortes que nous lions, parfois même à notre insu (les petits caractères)… que c’était de cela que t’avait parlé le film Cosmopolis ; dans la voiture, alors, nous avions parlé de l’endettement (de l’endettement volontaire) et de l’obsessionnellisation du monde contemporain.

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Serait-il intéressant de revenir sur la fonction de la dette chez l’obsessionnel? (( je dis ça, et je ne cesse de buter, en pensée, sur une pierre, une pierre, un caillou, non, sur le chemin de l’homme aux rats, un détour, auquel il s’oblige ???))

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Cosmopolis: Éric et son « double ».  Dans le livre, Éric appelle, dans sa tête, dans ses pensées :  « le sujet ». Comme s’il avait été vers lui-même comme sujet, sujet du doute cartésien, dans le fantasme. Mais alors d’où vient-il ? De quoi émarge-t-il quand il quitte son territoire de la certitude du chiffre, pour aller vers le doute du sujet.

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« … la science est ‘une idéologie de suppression du sujet’ »

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dans l’écriture du scenario, Cronenberg a scrupuleusement repris tous les dialogues du livre. Dans le livre, nous avons toutes les pensées d’Éric.

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parmi ces pensées : si (à vérifier) la honte ne lui vient pas, à Éric, dans le livre nous apprenons que la culpabilité, oui, elle lui vient :

« Éric pressa le canon de son revolver contre la paume de sa main gauche. Il essayait de penser avec clarté. Il pensa à son chef de la sécurité étalé sur l’asphalte, avec encore un seconde à vivre. Il pensa à d’autres, au fil des ans, brumeux et anonymes. Il fut envahi par une énorme prise de conscience, toute pétrie de remords. Il en fut transpercé, la culpabilité, c’est son nom, et comme elle était étrange, la douceur de la détente contre son doigt. » Cosmopolis, Babel, p. 208-209

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honte vs culpabilité dans le texte de Miller

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il y a deux nuits, j’ai rêvé de Lacan. au réveil, je dis à Jules : « J’ai rêvé de Lacan ! » Lui : « Quoi ? Non ! C’est incroyable ! » « Tu l’as connu ? » Moi : « Non, » Il était, je crois, vieux, gris, triste, Lacan, mais vivant. (j’étais heureuse, surprise, heureuse, d’avoir rêvé lui, et je savais que c’était parce que je m’étais demandé, la veille, s’il n’était pas temps que je me remette à lire Lacan (que je ne cite plus que de mémoire.)

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 « La science, le sujet et la psychanalyse », par Pierre Skriabine, là : http://www.causefreudienne.net/etudier/essential/la-science-le-sujet-et-la-psychanalyse-pierre-skriabine-membre-de-l-ecole-de-la-cause-freudienne.html

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Ce jour-là, Éric avance à rebours de ce qu’il essaie d’inscrire dans un discours au départ de son mode de vie ( ironique mais sans humour). Par cette tentative, son désir d’une invention conceptuelle, il quitte le temps ( perdu) d’où il vient, retourne à l’histoire ( « nous avons besoin d’une nouvelle théorie du temps », « ces mots sont obsolètes… ordinateur, walkie-talkie, etc. »), dans sa voiture qui n’avance pas, sa limo « prousted », vers ce coiffeur de son enfance « avec toutes les associations » et les « vrais miroirs » ( à la place des caméras de surveillance).

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« On pourrait aussi essayer ceci que la culpabilité est un rapport au désir tandis que la honte est un rapport à la jouissance qui touche à ce que Lacan appelle, dans son ‘Kant avec Sade’, ‘ le plus intime du sujet’. »

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la honte, ce serait Benno Levin qui l’incarne – lui qui sent si mauvais qu’on ne peut travailler avec lui, comme le corps d’Éric va se mettre à sentir, de + en +, au fur et à mesure que va le film : « Excuse-moi de te le dire, mais tu pues le sexe » (sa femme, citée de mémoire).

« Chaque jour j’ai honte, et chaque jour davantage. Mais je vais passer le reste de ma vie dans ce lieu de vie à écrire ces notes, ce journal, à enregistrer mes actes et mes réflexions, à trouver un peu d’honneur, un peu de valeur au fond des choses. Je veux dix mille pages qui arrêteront le monde. […] Cet ouvrage inclura des descriptions de mes symptômes. » ( Benno Levin – Ibid., p. 164)

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Benno Levin –>  Benny Lévy (de Mao à Moïse…) –>  le MAO II de Don Delillo.

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« L’argent, c’est du temps » – Don DeLillo dans une interview à propos du film (http://www.slate.fr/story/56689/don-delillo-cosmopolis )

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« L’essentiel, c’est la limousine, qui elle-même est moins une voiture qu’un espace mental: être dans la limo, c’est être dans le tête d’ Éric Packer. Voilà ce qui compte.

Dans la limousine «proustée». Le mot ne figure pas dans la traduction française…

Non? Elle est dans le livre, c’est un néologisme créé par DeLillo, en référence au liège dont Marcel Proust avait fait tapisser sa chambre. DeLillo a inventé le verbe «prouster». Je ne sais pas combien de gens comprendront l’allusion, mais je ne voulais pas l’expliquer, je crois que de toute  façon le mot crée une interrogation, une distorsion.

C’est aussi bien comme ça. « source :  http://www.slate.fr/story/56743/cronenberg-entretien-cosmopolis-pattinson-dialogues-don-delillo

Enfin, du coup, vous voyez, moi, je ne sais plus. J’ai des doutes, moi aussi. Et aussi sur ce que nous faisons.

Mais je vous embrasse,

A demain !

Véronique

PS : je me demande si nous n’aurions pas besoin d’une sorte de +1 du blog, ou de quelqu’un qui parvienne à …