lettre ouverte

Il y a comme deux courants qui s’opposent, celui de l’Un, celui de l’Autre. Il y a comme si Miller nous disait allons vers l’Un, il n’y a pas le choix, et qu’il lui soit répondu : mais pas sans l’Autre. Car  l’Un est partout, l’Un est partout, l’Un nous embarrasse de toutes parts, quel autre recours que l’Autre? A quoi Miller, répondrait, impassible, nous n’avons pas encore suffisamment exploré les extrémités de l’Un. Il nous faut encore aller vers cette réduction, nous en rapprocher, tant que possible sans l’Autre. Cela, probablement, dans le cadre de la cure analytique, dont le terme trouverait son terme en ce terme : l’Un. 

Avec les analyses que nous, membres d’Escapcult, avons conduites des films ShameSaya Zamurai et Cosmopolis, nous avons découvert des personnages que l’Un semblait avoir perdus, et qui tentaient de retourner vers l’Autre, du moins est-ce ainsi que nous l’avons interprété. Cela comme à rebours de ce que propose Miller (nous enjoint-il). 

Faut-il dès lors prendre ces films comme des fables réussies de ce qu’il vous arrive quand on va jusqu’au bout de l’Un, l’artiste se montrant une fois de plus précurseur de l’analyste ?

Ou ces territoires de l’Un ne s’avèrent-ils explorables qu’à l’intérieur du cadre de l’analyse ? Et n’aurions-nous qu’à regretter qu’aussi bien Brandon (de Shame), que Nomi (de Saya Samurai), qu’Eric (de Cosmopolis) n’aient, plutôt que de mourir, rencontré un analyste?

La proposition de Miller alors deviendrait : c’est à nous analystes qu’il revient d’aller vers l’Un en ne ramenant l’Autre que prudemment (que l’Autre apprivoise l’Un) – puisqu’aussi bien, c’est cette intervention de l’Autre dans chacun des 3 films qui s’est avérée invivable, mortifère (Brandon n’est pas mort  à la fin du film, mais sa situation est plus qu’inquiétante). 

Je ne pense pas qu’aucun de ces films nous offrent de découvrir la particularité de l’Un, la marque particulière de l’Un auquel chacun a affaire. Ce Kern des Wesens, noyau de l’être qui ferait l’Un de l’existence. C’est d’un Un non identifié qu’il s’agit dans ces films (en quoi il serait juste, puisque le Un se situe hors identification signifiante (n’aurait d’issue que d’identification au sinthome?)), identifié uniquement à sa marque universelle : Un. 1, qui est la singularité même, que rien cependant ne distingue de n’importe quel autre 1. Dont la singularité n’a pas trouvé son écriture, le territoire de sa lettre (en quoi consiste cependant le choix de Benno Levin (Cosmopolis) : écrire, des milliards de pages, écrire, dit-il, son symptôme). C’est de l’envisager, ou de vouloir l’envisager dans un discours pour tous, un discours universel, que la tentative d’Eric Packer (Cosmopolis) faillit. L’Un résiste violemment à son inscription dans un discours universel (résistance du discours capitaliste?), il ne peut consister que d’un témoignage au cas par cas, d’un témoignage individuel. Et ne se passe probablement pas de la chair humaine, du corps. C’est probablement d’une lettre écrite sur le corps qu’il s’agit de répercuter. L’Un n’est que d’Un seul, aussi seul que le corps. Répété par et pour un seul et qui peut trouver à s’entendre (par l’Autre) dans l’écriture, par la réduction qu’elle opère. L’écriture au sens large, dont procède la science, aussi bien que l’œuvre de Joyce, que notre addictions aux écrans et aux dits « réseaux sociaux ». Notre monde nous invite perpétuellement à la re-présentation et nous en offre les outils : appareils photos, caméras, autopublication. Posons que ce désir de re-présentation soit toujours fondamentalement humain, toujours fondamentalement éthique, toujours de l’Autre, toujours signifiant.  Un signifiant de l’ère numérique, qui ne manque jamais de se souvenir que sa matière première est une succession de 1 et de 0. Dans l’espace numérique, tout s’écrit. C’est en cette écriture que nous sommes liés (on en jouit), en ce tout que nous sommes damnés (condamnés, puisque l’Un du corps est in-signifiant). 

L’écriture (cybernétique) est un des noms de la maladie de l’Un contemporain. Elle est ce qui le cause, ce qui l’entretient, ce qui le cure. C’est en tout cas, ce que m’enseigne Miller. Et c’est une assez belle chose que de voir ses élèves toujours ramener cet enseignement au désir, qui n’est au fond qu’une prise au sérieux, une mise en série de ce qui insiste dans ce qui nous dépasse (et crée notre ennui). Une tentative d’affabulation, d’apprivoisement.

V. Müller

lettre d’escapade

La Table Chaïm SOUTINE (1893 – 1943) vers 1919 huile sur toile
La Table
Chaïm SOUTINE (1893 – 1943)
vers 1919
huile sur toile

Beaucoup à dire en écho à votre lettre d’escapade, à quoi s’agirait-il d’échapper, la littérature est-elle escapade ou confrontation, rencontre avec ce qui ne pourrait se présenter qu’en écrit puisque pas spontanément « représentable », il faudrait donc présenter à nouveau et sans fin ce qui refuse d’être su, parce que pas visible et non transposable en images ?

L’inconscient comme réel, bien sûr dirais-je. Et du coup, renversement radical et redistribution des cartes.

Il s’avère – dans mon expérience littéraire – que la mise en évidence du réel, constatable en principe par tous, confronte à des résistances psychiques effroyables (serait-ce, en partie, parce que je suis femme ?).

De quoi « comprendre » que la plupart en tombent à Je-Nous – en prière (ce n’est pas mon cas, mais au point où j’en suis, cela peut s’entendre).

Mystère, tout de même, de cette articulation du singulier à l’universel, qui reste le propre de l’artiste.

Vous pouvez, si cela vous intéresse, consulter la liste de mes travaux publiés sur le site de la MEL. (Maison des écrivains et de la littérature)

Louise L. Lambrichs

 

~~

Chère Louise,

Je vous remercie beaucoup pour cet écho (si singulier). Je vais prendre le temps pour vous répondre et  d’ici là transmets votre message à l’ensemble du groupe Escapades Culturelles,

Bien cordialement,

 Véronique

 

Ce serait bien de parler, un jour.

Merci, chère Véronique, de cet écho.

Le mien, singulier, bien sûr – comme chacun, non ?
Disons, à partir de ce postulat (hérité de Freud et de l’expérience analytique), comment fait-on pour faire lien ?
Sur quelle base que nous accepterions de considérer comme “commune”, et est-ce possible.

Comique irrésistible du politique vaudevillesque actuel, non ?
Le Président “normal” qui soutient son ancienne compagne, la nouvelle qui soutient le candidat qui s’y oppose. Très normal, tout ça, en effet.
Ségolène proposant ensuite d’ “élever le débat”, ce qui serait le minimum.
Mais j’ai pu constater pour ma part que ce minimum était déjà une sorte de maximum…

Alors, où en est-on ?

Ce serait bien de parler, un jour.

Car il y a des questions fortes, aujourd’hui, qui sont occultées par ces jeux vaudevillesques. 
De ce point de vue, mon expérience pourrait être intéressante, peut-être, pour votre groupe. 
En tout cas, je serais contente d’en débattre et de vous la faire partager – pour autant qu’on puisse partager une expérience tout en considérant qu’en effet, chacun est singulier et entièrement responsable de ce qu’il fait (mais que signifie responsable, et devant qui répondre, sinon devant les hommes ?).

Bien à vous,
Louise

je vous écris pour vous lire

louise,

à moi, d’abord, la littérature me demande de lire. et
je sais que je ne lis jamais
assez bien. à chaque fois, je pense que
je relirai une deuxième fois, puis, non, je ne
le fais simplement pas. je passe à
autre chose.

écrire, me permet de lire, de lire mieux. plus longuement, plus lentement.
je vous écris pour vous lire.

je lis partout. je m’en rends compte quand j’écris.

je lis dans les musées, aux concerts,
je lis mes amis,
je lis mon fils, mon amant,
je lis. je veux toujours lire.

mais je ne l’entends, que je lis, qu’à partir du moment
où j’écris.
c’est comme ça, je crois.
et je ne sais jamais ce que je vais écrire, et puis j’oublie ce que
j’ai écrit. oui ?

le réel, non, n’est pas constatable par tous. n’est-ce pas, non. c’est quelque chose, ça, constater.

‘skapad,

v

Lire/écrire // ce qui pousse à écrire

Depuis quelques années, je fais une petite enquête sur ce qui pousse les gens à écrire (ou pas, d’ailleurs). Je collectionne les citations et, quand l’occasion s’en présente, je pose directement la question. Les réponses sont très très variées, certains écrivent pour se souvenir, d’autres pour oublier…, chaque écrivain a évidemment la sienne. 

Mais c’est la première fois que je tombe sur une réponse comme celle de Véronique : écrire pour mieux lire. C’est peut-être parce qu’ elle n’est pas un écrivain (dit-elle)… A méditer.

Dominique.

Lire/écrire 6

« Écrire pour lire« …

 les deux Inséparables.. comme un envers, un enchevêtrement infini de l’écrire et du lire, bande de Möbius face à l’éternel.

 Lire-écrire (pour ma part), Art-Psychanalyse, mais y a t-il coupure entre les deux ?

 Ça ouvre aussi pour moi sur une équivoque : Écris-tu, Vé,  pour « te » lire, comme dirait l’autre, allant vers un « lis tes ratures » ou/et pour « mieux lire les autres », « autres » au sens large …? 

 Brigitte

Lire/écrire 7

Oui, je suis d’accord avec toi, Alain et j’y travaille d’ailleurs ces temps-ci, pour le Forum sur l’autisme à Metz, sous le titre un peu aventureux que j’ai choisi de  « L’autisme du symptôme »; ….peut-être pour que cela cesse de ne pas s’écrire, c’est à dire pour essayer d’en écrire quelque chose. Même quelque chose de furtif!

Bises
Catherine

 

Lire/écrire 7

j’ai beaucoup apprécié ce qui s’est dit ici autour de lire/écrire (cette lettre/symptôme qui ne se lit qu’à condition de l’écrire).

dans une lecture de soi ou de l’autre ? me demandais-tu Brigitte.

rapidement je répondrais, qu’une certaine dimension du « se faire », « se faire » lire, « se faire » écrire, implique d’avoir à en passer par l’Autre, offrant donc à l’objet, la lettre – hors-sens – de circuler ( fût-ce sous des atours qui ne soient pas les siens…) aussi, probablement, une lecture attentive implique-t-elle de reprendre dans sa langue la langue de l’autre – même si l’acte analytique entend justement rompre avec ces « sympathies de langue » pour isoler plus proprement, chirurgicalement, un objet ou une lettre dont la nature est d’être absolument étrange, sans Autre.) (autrefois je pensais l’objet a comme un diamant à multiples facettes et la rencontre amoureuse, l’énamoration, comme à un moment où deux facettes de deux objets se rencontraient qui se croyaient « mêmes », quand il ne s’agit que d’une facette… évidemment, suffit-il que l’objet bouge un peu ou qu’une autre facette vienne à être mise en lumière et les difficultés peuvent commencer…)