format standard

La chapelle de la merveille

Elle avançait.

A l’instant te revient à la mémoire ce marron arrivé entre tes doigts, dans une cour d’école aux pavés gris et aux murs jaunes, ce marron que tu as frotté à ta cuisse, sur le pantalon ou la jupe, tu ne savais ce que tu faisais, tu étais dans cela qui est appelé intuition, tu as découvert le mystère de la couleur et de la matière et l’implication étrange où tu te trouvais par rapport à elles.

Tu aurais fermé les yeux, tout est blanc. Que s’ajoutent au lointain les carillons d’une chapelle que tu sais gothique, il s’agit peut-être de parler d’émerveillement, de stupeur.

Fillette es-tu restée longtemps fidèle à la chapelle de la merveille. Y retournes-tu, cette lumière. Tes souvenirs se teintent de pigments inconnus mêlés de poussières. Tu crois aimer cette particulière suspension de l’air, les volumes translucides qu’ici il reçoit et dont ton regard caresse au passage les diagonales, pour se poser sur l’autel. Tu remercies le ciel, rien ne s’arrête. Tu es assise très proche du sol, les chaises sont basses. Tu rêves d’un amour. Bien sûr le long des murs, des confessionnaux. Et cette chapelle est pleine du dehors. Tu renonces au repos, malgré cela tu t’agenouilles, tu pries l’humilité. Ces derniers instants qu’enfantine tu t’accordes. Tu sais la vie vaste, comme tu sais au dehors toujours le château sur la colline, et aussi le serein cimetière qu’à plaisir tu prévois de traverser, tout à l’heure, une dernière fois.

Y avais-tu joué autrefois. Te réapparaît la figure d’un homme. Au cimetière, la figure et d’un homme. Un mausolée si étrange. Un homme naguère très riche, très noble, très fou, avait-il été répondu. Etonnant aussi de rencontrer l’importance au cimetière. L’importance, la richesse, la noblesse. Un mausolée, une croix, des femmes en pleurs, des joueurs, tout ça de pierre, au grand soleil, parfumé de nos rires moqueurs. Les rires enfantins. A ton insu tu t’es inscrite dans une nouvelle filiation. Tu as donné une autre figure à ton père, et tu as ris avec les enfants, sous le grand silence.

De ta basse chaise empaillée, relèves-tu les yeux, ton corps soudain s’étonne de se voir pris par l’humidité qui sourdant des dalles t’a pénétrée par les genoux, complice de l’air qui s’épand sous tes yeux avec l’impudence d’un maître absolu, où la poussière est prisonnière de la lumière qui la trahit. Tu as relevé les yeux, l’humilité est perdue avec son sens, entraînée dans la dérive d’une perte qui pourrait bien être la tienne, dont tu ignores tout encore, une coupe est posée sur l’autel, ton regard s’y arrête, y est arrêté.

La coupe de sang. Déborderait-elle, le volcan surgirait, où donc? mais surgirait. Et la lave enflammerait, qui donc? mais enflammerait. Du débordement aucune goutte jamais n’est vue, son poids de sang, eh certes le plus lourd, exténuant étreignant tant d’espaces, nous laissant dans l’ignorance de ce qu’il adviendra, ne nous laissant aller qu’en le nommable qui avance. Tandis que tu te terres dans l’invisible poids. Retenue, rivée à une chaise de chapelle.

Elle est à boire quand elle est pleine la coupe, aussi pour la lie dont se garde en la mémoire le goût et surtout la texture. La bouche retiendra les scories, c’est tout, n’en pourra dire plus.

Alors tu la vois, elle est à l’autel, la femme au sang qui sait mieux qu’elle, elle avale et tu enfermes un cri. Bat son sang, son pouls, doucettement et précisément au cou au poignet et à la hanche; la saurais-tu toute, depuis elle tu sauras, depuis seule elle, auras à savoir, savoir elle. Ses doigts fins à la coupe pour la bouche, vers l’inverse d’elle, les yeux oublient les yeux. C’est qu’elle est à l’autel blanc. Tu as faim.

Je sors. Dans les landes, j’aurai cherché à crier un nom.

Les murs d’une cour d’école ne se sont pas refermés sur toi. La cloche pourrait avoir sonné. Pourquoi pas à cet instant. Le marron dans ta main, tu ne sais plus qu’en faire, tu voudrais oser le déposer à terre. Mais ce geste risquerait de te trahir. Tu n’as d’autre recours que celui de le glisser dans ta poche. Tu vois les fillettes, tes compagnes, tu rejoins un de leurs rangs. Celui de ta classe.

Elle avançait. Les dangers sont inconnus.

16 mars 1991 - 15:58 / écrit /