Lacan, « La chose freudienne », Extrait – Wo Es war’ soll Ich werden

Cette distinction de fait est la même qui se retrouve de l’a de l’inconscient freudien en tant qu’il est séparé par un abîme des fonctions préconscientes, à l’w du testament de Freud en la 31è de ses Neue Vorlesungen :  » Wo Es war’ soll Ich werden. »

Formule où la structuration signifiante montre assez sa prévalence.

Analysons-la. Contrairement à la forme que ne peut éviter la traduction anglaise : « Where the id was, there the ego shall be », Freud n’a pas dit : das Es, ni das Ich, comme il le fait habituellement pour désigner ces instances où il a ordonné alors depuis dix ans sa nouvelle topique, et ceci, vu la rigueur inflexible de son style, donne à leur emploi dans cette sentence un accent particulier. De toute façon, – sans même avoir à confirmer par la critique interne de l’œuvre de Freud qu’il a bien écrit Das Ich und das Es pour maintenir cette distinction fondamentale entre le sujet véritable de l’inconscient et le moi comme constitué en son noyau par une série d’identifications aliénantes, – il apparaît ici que c’est au lieu : Wo, où Es, sujet dépourvu d’aucun das ou autre article objectivant, war, était, c’est d’un lieu d’être qu’il s’agit, et qu’en ce lieu : soll, c’est un devoir au sens moral qui là s’annonce, comme le confirme l’unique phrase qui succède à celle-ci pour clore le chapitre, Ich, je, là dois-je (comme on annonçait : ce suis-je, avant qu’on dise : c’est moi), werden, devenir, c’est-à-dire non pas survenir, ni même advenir, mais venir au jour de ce lieu même en tant qu’il est lieu d’être.

C’est ainsi que nous consentirions, contre les principes d’économie significative qui doivent dominer une traduction, à forcer un peu en français les formes du signifiant pour les aligner au poids que l’allemand reçoit mieux ici d’une signification encore rebelle, et pour cela de nous servir de l’homophonie du es allemand avec l’initiale du mot : sujet. Du même pas en viendrons-nous à une indulgence au moins momentanée pour la traduction première qui fut donnée du mot es par le soi, le ça qui lui fut préféré non sans motif ne nous paraissant pas beaucoup plus adéquat, puisque c’est au das allemand de : was ist das ? qu’il répond dans das ist, c’est. Ainsi le c’ élidé qui va apparaître si nous nous en tenons à l’équivalence reçue, nous suggère-t-il la production d’un verbe : s’être, où s’exprimerait le mode de la subjectivité absolue, en tant que Freud l’a proprement découverte dans son excentricité radicale « Là où c’était, peut-on dire, là où s’était, voudrions-nous faire qu’on entendît, c’est mon devoir que je vienne à être. »

Jacques Lacan, Ecrits, « La chose freudienne », p. 416, 417, 418

1 réflexion sur « Lacan, « La chose freudienne », Extrait – Wo Es war’ soll Ich werden »

  1. Wo Es war, soll Ich werden (S.Freud, Nouvelles conférences, 1932).
    La cure analytique fait « advenir » le sujet à lui-même.
    Freud le formule dans l’aphorisme bien connu : « Wo Es war, soll Ich werden » que l’on peut traduire, bien que d’autres transcriptions aient été proposées dont la plus banale et rapide et approximative : « le moi doit déloger le ça », par :
    « Là où (chaque fois où ou bien au lieu où ) était (du )ça, (du) « je » doit advenir ». A noter que « doit » s’écrit avec un « t » à la troisième personne et non « je dois ». C’est bien du « je » du sujet qu’il s’agit. Cela se traduit donc bien par « du ça » et « du je » , car il n’y a pas l’article « das » devant. Je rappelle que Freud a écrit l’ouvrage Le Moi et le Ça traduction de Das Ich und das Es.
    Le but de la cure est de renforcer chez le sujet le Moi, d’ouvrir la perception du sujet à ses éléments refoulés (inconscients) de manière à ce qu’il se développe et de faire apparaître les éléments du Surmoi pour les dépasser (ce qui n’est pas dans l’énoncé de Freud).
    Quand au « Ich » : est-ce le Moi ? Est-ce le Soi ? Est-ce le Sujet ? en tout cas c’est du « je ».
    On pourrait imaginer qu’il s’agit d’une synthèse, (presque) l’ultime topique freudienne qui réunit Inconscient, Préconscient et Conscient et Ça, Moi, Surmoi et… Idéal du Moi.
    Autrement dit, une partie de ce qui est refoulé dans l’inconscient (pulsions, désirs issus du Ça) doit devenir conscient pour que le Moi (au sens de Sujet) se renforce, que le Sujet advienne (aille vers) en dépit ou grâce aux limites (Surmoi) et que …la tension psychique diminue.
    A la lettre, pour apparaître, les pulsions refoulées doivent se frayer un chemin à partir de l’inconscient. Et cet « advenir » (venir vers, littéralement) serait le passage, le préconscient, le moment de ce qui vient à l’être, qui précède la parole (symbolique), qui le fait sujet, après le stade du miroir (imaginaire) qui unifie et différencie. Ainsi, cette phrase de Freud pourrait même inclure l’IRS de Lacan. Je sais que c’est osé comme hypothèse.
    L’inconscient (révélé par le rêve, le lapsus etc.) et le symbolique (la parole) sont au centre de la cure. L’imaginaire n’est qu’un moyen de passage, un miroir et non un but en soi.
    Quant au réel, il est impossible à dire ou à imaginer, inconnaissable et attaché au manque. Lacan replace le sujet de l’inconscient au sein du Ça et traduit la première partie de la phrase de Freud par : « là où c’était (c’est à dire un lieu d’être) un manque-à-être, un vide. ». Cela veut dire que le vide pré-existe au sujet et que le sujet existe malgré ou à cause de ce vide. Le sujet (de l’inconscient) y était donc inscrit en creux, dans le manque originel.
    Par le symbolique, l’être parlant, le parlêtre accède à sa condition d’homme. En se situant par rapport au manque, à la castration qui menace sa jouissance, le sujet nommé désir ou sujet du désir (passant de l’Ics au PCs puis au Cs) s’inscrit dans la dette symbolique, celle qu’il doit à l’humanité. Ainsi, il doit « advenir » comme sujet pour poursuivre la course du temps. Par dette ou devoir, le sujet doit continuer à assurer (assumer) et permettre à l’enfant qui est en lui et à celui qu’il a créé et qui le suit de dépasser sa condition d’objet, lieu des pulsions, pour devenir à son tour sujet.
    Ce qui est au lieu du Ça (et non pas à la place), les pulsions refoulées qui ont créé l’Inconscient, doivent, dans le travail de la cure, passer de l’Ics au Pcs, ce qui explique l’imparfait war = était. Les pulsions sont en chemin pour que le sujet les assume (devoir) parce que et telles qu’elles sont révélées dans la cure : ceci va lui permettre d’être par la parole (parlêtre), en gardant en creux le lieu où c’était, c’est à dire le manque.
    Dans la cure (Freud et Lacan s’y rejoignent…) le Sujet va s’approprier les éléments refoulés et prendre conscience de l’absence, du manque originel, du réel impossible à connaître.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.