I. L’enseigneur, son traducteur et le vide central – 19 janvier

Si j’ai placé ce que j’ai pu vous dire l’an dernier sous le titre Vie de Lacan, est-ce pour cette année vous entretenir de l’œuvre de Lacan? «La vie et l’œuvre», le binaire est connu. Mais à vrai dire, y a-t-il l’œuvre de Lacan? S’il y a un mot qui est absent chez Lacan, qu’il ne prononce et qu’il n’écrit jamais pour désigner le produit de son travail, c’est bien celui d’œuvre. Bien plutôt s’est-il attaché à ne jamais présenter ce qu’il donnait au public que comme des hors-d’œuvre, annonçant indéfiniment le plat de résistance. Des hors-d’œuvre destinés à mettre en appétit pour la suite. La suite au prochain numéro! Lacan n’a jamais proposé de menu que sous la forme d’un feuilleton, et ce feuilleton, c’est celui de son Séminaire.

Le grand œuvre du séminaire

S’il y a une œuvre de Lacan, c’est en tous les cas le Séminaire qui en donne l’axe. Le Séminaire est, si j’ose dire, le Grand Œuvre de Lacan, un interminable work in progress dont le corps est fait de pas moins de vingt-cinq livres, tels que je les ai appelés, qui vont des Écrits techniques de Freud à celui qu’il a intitulé « Le moment de conclure ».

Ce massif se trouve débordé à ses extrêmes:

Avant, on a les deux séminaires donnés dans l’intimité de sa maison, sur l’Homme aux rats et sur l’Homme aux loups. Ensuite on a le « Moment de conclure », encore trois séminaires : deux voués à la topologie des nœuds (« La Topologie et le temps » et « Objets et représentations »  – il n’en reste que peu dans la sténographie dont j’ai pu sauver quelques articulations) et enfin le séminaire ultime, contemporain de la Dissolution de l’EFP, avec la tentative de créer une nouvelle École, et dont les leçons écrites à l’avance subsistent intégralement

30 ans donc, de 1951 à 1981. Comme s’il avait fallu 30 de plus pour trouver une forme achevée. Nous y sommes, la somme est là, reste à la publier.

Publications à venir

J’ai évoqué les deux séminaires topologiques de Lacan, ce qu’il en reste sera publié en annexe du séminaire XXV, « Le Moment de conclure ».

Pour ce qui est des deux séminaires initiaux, on ne dispose d’indications que pour le 2ème, celui sur l’Homme aux loups dont des notes d’auditeurs ont circulé. J’en ai établi le texte, je compte les publier avec l’ultime, « Dissolution », dans un petit volume intitulé « Aux extrêmes du séminaire« .

Parmi les publications à venir encore: les séminaires XXI et XXII en un seul volume, « Les Non-dupes errent »et « RSI ». De même, un seul volume pour les séminaires XXIV et XXV, « L’insu que sait de l’Une-bévue » et « Le Moment de conclure ».

En plus, il y a 8 volumes à paraître. J’essaierai de convaincre l’éditeur de les faire sortir à raison de deux par an. Lui n’en veut qu’un seul.  Je compte sur la vox populi  pour accélérer cette production, pour disposer enfin de la suite des séminaires que Lacan laisse derrière lui.

L’enseigneur Lacan

Lacan n’a jamais dit « Mon œuvre. Ma théorie ». Il disait « Mon enseignement« . Ne s’est pas voulu, pensé, identifié à la position d’un auteur, mais à celle d’un enseignant. D’un enseigneur.

Ça ne veut pas dire seulement que son grand œuvre est oral. L’auteur a des lecteurs, il parle potentiellement pour tous. L’enseigneur a des élèves, parle pour quelques uns. Ces quelques uns qui ont formé l’adresse constante de Lacan. Cette adresse, c’était des psychanalystes. Lacan a choisi de limiter son adresse à des psychanalystes – à ceux qui se déplaçaient, qui apportaient leur corps, comme on l’apporte à une séance de psychanalyse.

Si du vivant de Lacan la publication du séminaire a tant tardé – jusqu’à ce que je vienne-, ce n’est pas seulement dû à l’incapacité de ses élèves à le faire ou à des exigences ou à des réticences que Lacan aurait marquées.  C’est aussi que la matière-même de ce discours répugnait à être offerte au tout venant, en librairie. Lacan s’accommodait parfaitement de ce que ses séminaires s’accumulent dans un petit placard de la rue de Lille, qu’il a ouvert un jour devant moi. Sans doute était-il travaillé du vœu que cela n’en reste point là. Mais il aura  fallu l’occasion, qui ne vint que plus tard, le truchement d’un autre qui prenne sur lui cette transformation, s’en fasse l’agent, pour faire passer ce qui fut audible –  plus ou moins -, au lisible. Et c’est aussi une transformation qui universalise ce discours.

Lacan auteur

Certes Lacan a été auteur.

On a les Écrits en 1966, les Autres écrits depuis 10 ans. Mais, ses écrits – ce sont autant de dépôts et de cristallisations, de chutes et de rebuts du séminaire. Ce sont, a-t-il dit, des témoignages, des moments où il aurait senti des résistances à le suivre.  Ça participe du mouvement de boucler par écrit son articulation. Et ça se passe le plus souvent sous le coup d’une demande. C’est également adressé à quelques uns, mais c’est adressé à ceux qui lui demandaient d’écrire. Comme moi-même lui demandant une préface pour le séminaire XI. Comme pour Télévision, où les prises successives n’étaient jamais raccord au montage et qu’il a finalement écrit avant de dire. Ses écrits l’étaient tous à la demande. D’un encyclopédie, d’un congrès, d’un colloque, d’un passage la radio ou à la télévision. Des occasions.

Rédaction de ses écrits marquée de contingence là où le séminaire répond à une nécessité, à une nécessité interne.

En même temps, chaque écrit est à situer comme scandant un moment, cristallisant une articulation, précisant une approximation.

Donc, on pourra désormais lire Lacan dans une dialectique entre les écrits et le séminaire. L’ensemble complété, à mon regard à moi, change après-coup la nature des éléments. Cet effet va se produire sous peu pour tous. Loin de moi l’idée de dévaloriser les écrits de Lacan. Certains déplorent un style écrit qu’ils jugent illisible, maladroit et torturé : ce n’est pas mon point de vue. Il a distingué la fonction de l’écrit avant que ce ne soit à l’ordre du jour de la philosophie contemporaine. Il suffit de s’en rapporter au séminaire IX,  « L’identification » –> consacré à l’écriture / évoquant la primauté de l’écriture dans les termes les plus précis. C’est par l’écrit que Lacan fixe sa doctrine, fixe l’usage propre de ses termes, sépare le bon grain de l’ivraie, sélectionne ce qui mérite celui d’être isolé, préservé.

Une tâche merveilleuse

Ce sont ses écrits qui m’ont amené à Lacan, j’en ai été happé en 63-64 après que Louis Althusser y ait attiré mon attention. Mais ils se détachent sur le fond du séminaire, lequel est le lieu d’invention, de l’invention d’un savoir

On a la lettre que Lacan adresse à Althusser – novembre 1963 (pour obtenir une salle):

« Le séminaire où j’essayais depuis 10 ans de tracer les voies d’une dialectique dont l’invention fut pour moi une tâche merveilleuse »

Ce dernier adjectif donne un petit aperçu de ce qu’a été pour Lacan la joie, la jouissance de donner ses séminaires. Dont il faut bien que quelque chose ait passé pour que ce séminaire, de plus d’un demi-siècle, témoigne au présent en indiquant des voies d’avenir

Ma tâche à moi, c’est aussi pour moi une tâche merveilleuse – ça va me manquer… Je dirai tout à l’heure précisément comment je la vois cette tâche-là, comment je la vis, cette tâche.

Lire le Séminaire, c’est assister à l’invention d’un savoir à l’état naissant. Et on ne peut pas dire que ça naisse dans le dialogue – encore que Lacan ici et là donne la parole à certains -, mais c’est une invention qui suppose, je l’ai dit, une adresse à l’autre, une adresse à des psychanalystes. Et sans que leur qualification soit nécessairement validée par Lacan, et au contraire c’est un thème récurrent du Séminaire qui s’invente que la mise en question de la qualification de cet autre-là, la mise en question de la qualification des psychanalystes.

Au fond, ça ne prend pas la forme de l’éloge, c’est le moins qu’on puisse dire.

Il y a un hommage, un hommage constant, à savoir que ce discours se fait pour eux. Je me suis aperçu, spécialement dans le dernier Séminaire auquel je me suis attaché, que j’avais réservé pour la bonne bouche, étant données les difficultés spéciales qu’il présente, Séminaire que j’ai déjà mentionné de « L’identification », j’ai été saisi par le nombre de fois où Lacan dit: pour vous. – Et voilà ce que j’ai construit pour vous, – et voilà pour vous, et pour vous, et pour vous…, j’ai dû en enlever certains dans le texte parce que ça commençait à faire bouchon, ces pour vous. Mais: pour vous. Donc il y a à cet égard un hommage constant, le Séminaire est lui-même un hommage aux psychanalystes.

Mais, à  l’intérieur de l’hommage, qu’est-ce qu’il les traite mal… « Ils oublient… » « Faut insister… » En même temps, ce sont eux sont les témoins de l’invention. Eux peuvent témoigner de l’adéquation de Lacan avec l’expérience, l’expérience analytique. Le séminaire se tient sur un fond de communauté d’expérience. Qu’ils n’y comprennent rien, peu importe, ils sont en contact avec la chose.

« Établir »

Mon travail, je l’ai commencé en disant que j’établissais un texte.

Je l’ai dit avec un certain humour puisqu’il s’agit d’établir un texte qui n’existe pasici l’original n’existe pas. Il y a la sténographie d’un discours oral. Le problème n’est pas seulement celui des erreurs de sténo, mais tient à la nature même de ce qu’est un discours authentiquement oral. Un tel discours oral n’est pas miroir de l’écrit. La sténographie garde la trace de ce qui différencie profondément le cours oral de son cours écrit.

Il ne s’agit pas, dans ce qui fait mon travail, de ce que Lacan a dit et de simplement le restituer – il s’agit de retrouver ce que Lacan a voulu dire et qu’il n’a pas dit ou dit de façon imparfaite, obscure. C’est risqué. Évaluer ce qu’il a voulu dire et qu’il n’a pas dit – parce que le signifiant résiste. C’est spécialement valable dans le séminaire sur l’Identification, où il y a de multiples figures topologiques dont Lacan faisait l’apprentissage en même temps qu’il les enseignait. Une partie de ce qu’il dit est dit pendant qu’il dessine. Seule vaut là l’intention, en tant que reconstituable, qui domine.

traduire la langue de Lacan, faire apparaître l’architecture autour d’un vide

Autrement dit, si j’avais à qualifier ce que j’ai fait, je dirais, c’est traduire.

Lacan s’exprimait dans une langue qui n’était parlée que par un seul, et qu’il s’efforçait d’enseigner aux autres. Cette langue, il s’agit de la comprendre et je me suis aperçu ces dernières années, qu’en définitive, je ne la comprenais vraiment qu’après l’avoir traduite.

Avant, sans doute, à parcourir à de nombreuses reprises ses Séminaires, je sentais de quoi il s’agissait, et suffisamment pour y prélever les théorèmes qui pouvaient moi-même m’inspirer dans ce cours. Mais, en définitive, c’est seulement une fois que j’ai établi, écrit le texte dans le mouvement de le faire définitivement, que pour moi-même apparaissent les linéaments, la trame si serrée de l’invention de Lacan.

En effet, quand je dis: traduire, je dis: faire apparaître l’architecture. Quand Lacan dit qu’il s’est voué à l’invention d’une dialectique, un philosophe, comme j’étais jadis, aurait parlé par exemple de ce qui est chez lui l’autodétermination architectonique du Séminaire. C’est-à-dire de cette succession de choix qui détermine l’unité interne, organique, articulée du discours. C’est ça qui est l’architectonique au sens de Kant. Et je pourrais à ce propos, puisque architectonique n’est pas sans rapport avec architecture, évoquer la doctrine de l’architecture que Lacan propose dans son Séminaire de L’identification, et où il s’agit pour lui d’arracher l’architecture au volume pour la rapprocher de la surface dont Lacan fait la topologie.

«L’architecture, dit-il, présente une singulière ambigüité en ceci que cet art qui apparaît pouvoir de sa nature se rattacher aux pleins et aux volumes, à je ne sais quelle complétude, se révèle en fait toujours soumis au jeu des plans et des surfaces. Il n’est pas moins intéressant de voir aussi ce qui en est absent, à savoir toutes sortes de choses que l’usage concret de l’étendue nous offre, par exemple les nœuds.»

Là, on voit comme en raccourci apparaître ce à quoi Lacan va vouer tout son intérêt par la suite. Et il dit: «Avant d’être volume, l’architecture s’est faite à mobiliser, à arranger des surfaces autour d’un vide.»

Et c’est ainsi que je me représente l’architectonique lacanienne : organisée comme des surfaces autour d’un vide. Et je pourrais même donner comme emblème à ce Séminaire, chemin de l’invention d’un savoir, je pourrais lui donner comme emblème cet objet topologique qui est le premier dont Lacan ait traité et qu’il a introduit dans la psychanalyse. C’est cet objet qui s’appelle le tore et qui se représente au mieux par l’image d’une chambre à air, d’un anneau, c’est-à-dire d’un cylindre recourbé dont les deux bouts viennent s’accoler. C’est le premier objet que Lacan met en scène, met en scène dans son Séminaire L’identification, et auquel on trouve déjà une allusion dans son écrit « Fonction et champ de la parole et du langage », en passant –  il y a une allusion à la forme de l’anneau.

C’est par là que Lacan introduit la topologie dans la psychanalyse et il y oppose avec force précautions deux dimensions, deux formes d’existence du trou, à savoir, le trou interne, celui qui est déjà présent dans le cylindre, autour de quoi on enroule une surface, qui se trouve comme ça creuse, donc premier trou, ce trou interne, et  second trou, le trou central du tore, c’est-à-dire celui par lequel il communique avec l’espace environnant. Ce qui fait que c’est un objet percé, le trou perce le tore ici verticalement, et puis il y a le trou qui est pris dans le cylindre.

Lacan développe longuement l’opposition de ces deux trous et ensuite aussitôt en propose un usage métaphorique, en illustrant par ce moyen le rapport de la demande et du désir. Il invite à tracer autour du corps cylindrique du tore des cercles, des cercles en spirale et il propose métaphoriquement que ces cercles en spirale, donc qui tournent autour de la chambre à air, représentent la répétition, l’insistance de la demande, la demande qui se réitère – première représentation -, et autour du trou interne, les tours multiples de la demande qui finissent par se boucler au terme du circuit.

Il fait alors remarquer que du seul fait de s’être bouclés autour du corps cylindrique, se trouve invisiblement entouré le trou central et que c’est ce trou central qu’alors, métaphoriquement toujours, il identifie à l’objet du désir, celui que les tours de la demande, chacun, aucun de ces tours n’enveloppe cet objet, mais le corps complet, si je puis dire, des tours de la demande finissent par dessiner le trou central.

Eh bien, nous y reviendrons éventuellement cette année, je ne l’évoque que pour dire que je me représente le Séminaire de Lacan aujourd’hui sur ce modèle. C’est que ces Séminaires qui se poursuivent s’enroulent comme les tours de la demande, se réitérant année après année-et il faut bien dire jusqu’au bout, tant qu’il a eu voix-, et en même temps, ils entourent, ils forment comme l’entour d’un vide central et c’est en direction de ce vide que le Séminaire progresse, c’est en quelque sorte ce vide qui est le ressort de sa réitération, le ressort de ce work in progress. Et il nous faudra mettre un nom, peut-être, sur ce vide

pas-à-pas de la démonstration

Séminaire procède par argumentations – par là qu’il m’a capté, moi. Pour certains Lacan profère, déclame – en prophète romantique. Des fois, on sent un peu ça, les violons, etc. Mais dès que ça part comme ça Lacan s’arrête aussitôt.

Il procède par argumentations comme par déductions / procède selon pas-à-pas de la démonstration. Argumentation d’avocat, il  plaide la cause de qu’il veut démontrer – argumentation de rhéteur – fixe une direction – pour valider son orientation, peut faire feu de tout bois. en accumulant les preuves à l’appui –> effet de sidération  (Un client sérieux – Courteline)

Ma traduction de Lacan s’oriente de la mise à jour d’une argumentation

– maintenant je débrouille davantage le texte que par le passé

Fichte, élève de Kant : « on dit qu’on doit compter avec l’activité autonome de l’autre et lui donner non pas cette pensée déterminée, mais seulement les indications pour la penser lui-même. » / Lacan : « Nous voulons du parcours dont ces écrits sont les jalons et du style que leur adresse commande, amener le lecteur à une conséquence où il lui faille mettre du sien.« 

Même idée, Schelling, petit traité explication de l’idéalisme en science:  « .. qu’est-ce qui à la fin est réel dans nos représentations ? » qu’est-ce qui est réel à la fin – non pas par rapport à la représentation mais dans la dimension des paroles – dans tout ce qui se charrie dans une analyse… qu’est-ce qui dans tout ça, à la fin, est le réel. qu’est-ce qui à la fin est das Real.

Qu’est-ce qui est réel à la fin?

Pour Lacan, du séminaire 1 au 6, le réel, c’est le symbolique, dans son opposition à l’imaginaire, le symbolique est le réel de l’imaginaire – il faut la rupture de l’Ethique pour que le réel repousse le symbolique et l’imaginaire dans leur statut de semblants. Réel alors indexé par mot allemand, das Ding –> mot allemand par lequel Lacan indiquait la pulsion.

Pour Freud, pour le dire vite, ce qui est réel, à la fin, c’est la biologie. À la fin des fins.

Et si je veux encore rester dans le court-circuit, pour Lacan, à la fin des fins, ce qui est réel, c’est la topologie.

C’est-à-dire ce qui n’est nulle matière, qui n’est que pure relation d’espace ou même ce qui est un espace qu’on doit par rapport au nôtre marquer de négation, un n’espace, avec un n apostrophe qui indique ici qu’il ne s’agit de rien de sensible.

Oui, si dans L’identification Lacan utilise encore ces figures comme des illustrations ou comme des métaphores, s’il a, au-delà même de son Moment de conclure traqué, continué de traquer la topologie, c’est qu’il y a vu, qu’il y a situé dans son non-sens le réel.

Dans tout ce qu’énonce Lacan, les guillemets sont constants. Il ne s’exprime jamais à son Séminaire sans dire: « Si je puis dire…  Pour ainsi dire… Ce qu’on appelle… » Il prend tout avec des pincettes. C’est-à-dire qu’il prend tout justement comme des signifiants avec lesquels on essaie maladroitement de capter ce qu’il en est du réel. C’est d’ailleurs pourquoi je suis obligé quand je le mets en forme, d’en enlever sinon on ne peut plus lire la phrase. Enfin, entre « Ce qu’on appelle ceci » et »Ce que j’appelle ceci », on doublerait le volume. Mais j’en laisse suffisamment pour qu’on saisisse que c’est l’atmosphère même de son discours, l’essence même de son énonciation que de prendre les choses, prendre les mots, entre guillemets. C’est des façons de parler, et les façons de parler sont aussi des façons d’effacer ce dont il s’agit.

Mais parfois cette attitude, cette attitude propositionnelle, comme disait Bertrand Russell, cette attitude propositionnelle qui était celle de Lacan depuis toujours –  il a dit: « Je me faisais connaître, quand j’étais étudiant, j’étais celui qui disait: ce n’est pas tout à fait ça » – mais parfois – précisément, quand on se tient à cette discipline -, parfois c’est tout à fait ça. En particulier, c’est quand on trouve le mot juste et parfois, pour trouver le mot juste, il faut le déformer, il faut qu’il arrive à passer le mur du signifiant et du signifié, donc on ne passe pas le mur du signifiant et du signifié sans le déformer quelque peu, et parfois c’est tout à fait ça.Eh bien, en particulier, quand je dis, au nom de Lacan – il l’a dit une fois, deux fois -, quand je dis, au nom de Lacan: la topologie, c’est le réel, je le dis sans guillemets, au sens où pour Lacan, c’était tout à fait ça.

À la semaine prochaine.