par Jacques-Alain Miller
L´Ecole de la Cause freudienne étrennera en novembre prochain un nouveau concept de ses Journées, qui seront les 38èmes. C´est une nouveauté, et c´est une expérience, au sens d´expérimentation. C´est dire qu´on ne saurait préjuger du résultat, réussite ou ratage. Il y a risque, il n´y a pas routine. Donc, à tout le moins, on ne risque pas l´ennui.
Cependant, ce n´est pas une tentative gratuite et capricieuse, mais un essai réfléchi, et qui articule plusieurs éléments inédits.
Premier élément : la surprise
L´École avait coutume de se livrer chaque année à une vaste et multiforme campagne de « préparation des Journées ». Partout, à Paris et dans les provinces, on voyait les ruches des ACF bourdonner d´une activité aussi enthousiaste que méthodique. D´innombrables abeilles allaient récolter leur nectar sur mille fleurs pour le rapporter à la communauté, sous l´impulsion d´une direction unique et vigilante. Des réunions dites préparatoires labouraient le thème en tous sens, creusant de profonds sillons dans la problématique. Une batterie de publications accompagnait cet effort grandiose d´apprentissage et de formation. Un comité dit scientifique encadrait, jaugeait, rectifiait à l´avance les productions. Lorsque le moment des Journées arrivait, tous étaient familiers du thème, et pouvaient suivre les exposés en toute connaissance de cause. Les Journées ont ainsi été depuis près de trente ans un puissant facteur d´unification pour l´École, ses membres, ses affiliés, et son public; un vecteur, comme nous disons, polarisant les enseignements; et l´occasion joyeuse de retrouvailles : « C´est toi, c´est moi, c´est nous, tous ensemble, et vive nous ! » L´École vérifiait chaque année qu´elle ressemblait à elle-même. Un seul élément manquait, était sacrifié : la surprise. Mais au regard des bénéfices qu´apportait l´entreprise, ce n´était rien, semblait-il.
Eh bien, le moment est venu de s´apercevoir que ce rien-là vaut tout le reste. Non, il ne s´agit pas de censurer ce passé honorable auquel l´ECF doit beaucoup, mais, au contraire, de prendre appui sur ce qui a été acquis pour restituer aux Journées le caractère d´un événement. Nos Journées étaient jusqu´à présent la conclusion logique, et le point de capiton, d´un long développement continu et ordonné. Et si elles étaient désormais un temps de rupture, le moment fécond d´une soudaine production aléatoire, la collision de dits de prime-saut, prenant au dépourvu, non seulement le public, mais les orateurs eux-mêmes ? Est-ce que ça ne serait pas plus proche de ce que la méthode psychanalytique met en oeuvre dans sa quête de vérité ?
Bien entendu, on perdra quelque chose dans l´opération, mais c´est ainsi, on ne gagne jamais sur tous les tableaux. Et quand on a longtemps gagné sur l´un, le taux de profit a tendance à baisser, et vient le moment où il s´annule, et où il faut spéculer sur un autre. Au moins, voilà le pari.
Second élément : la structure unique
Jadis, aux commencements de l´Ecole, en 1981, les Journées se déroulaient d´un bout à l´autre devant l´Ecole tout entière : il n´y avait que des « séances plénières », pas de « salles multiples ». Lors des 4èmes Journées, dont j´assurai la co-direction, je fixai le module qui est encore le nôtre pour les plénières : une heure, un président, deux interventions de 20 minutes, le dernier tiers pour la discussion. Peu après, il fallut se résoudre à introduire les salles multiples : l´Ecole avait grandi, ses membres désiraient intervenir devant leurs collègues, on ne pouvait pas discuter en plénière, on sacrifia l´unité au nombre. Mais on doit remarquer qu´aucun module ne fut jamais établi pour ces salles multiples : durées, présidences, discutants, nombre des interventions, tout fut toujours laissé aux circonstances.
De plus, comme les Journées se déroulaient invariablement au Palais des Congrès, et que l´on louait la » Salle Bleue » pour deux jours, quand c´était le moment des salles multiples, elle figurait comme l´une d´elles, alors qu´elle écrasait les autres par sa taille. Il en résultait régulièrement un joyeux désordre dans les multiples, souvent bourrées d´interventions, et parfois désertées par le public, occasion d´une certaine déception, vite tamponnée d´ailleurs par la vive affectio societatis qui reste le propre des associations du Champ freudien, et les singularise parmi les groupes psychanalytiques.
Enfin, dernier dysfonctionnement régulier, l´assistance des plénières devint si nombreuse qu´elle déborda ladite » Salle Bleue « , qui ne comptait pas 900 places. La première fois, on ajouta en toute hâte une salle de télévision, puis ce devint régulier, puis on en ajouta une seconde, tout aussi régulièrement, et ce, pour loger un public qui finit par atteindre, puis dépasser, le nombre de 1 500.
Tout ce schéma d´organisation était évidemment à repenser depuis longtemps, mais la permutation des instances directives de l´Ecole, comme celle, encore plus rapide, des instances propres aux Journées, à quoi s´ajoutait la nécessité de réserver les salles plus d´un an à l´avance, fit que l´organisation resta intouchée au cours du temps – un petit quart de siècle. Et puis, reconnaissons que ça ne gênait personne : le temps écoulé avait rendu augustes ces dysfonctionnements mêmes, et le léger malaise qui pouvait néanmoins percer, le sentiment diffus d´un certain inconfort, tout cela faisait partie de l´atmosphère, de la Stimmung de ces Journées, que l´on aimait retrouver pareille à elle-même à chaque rentrée.
Directeur des 38èmes Journées, je n´imaginais pas de reconduire à l´identique ce schéma depuis longtemps obsolète. Le Directoire présidé par F.H. Freda entérina la reconfiguration que je lui présentai en novembre dernier ; la trésorière, D. Miller, sut obtenir de l´administration du Palais des Congrès l´annulation des réservations dès longtemps effectuées ; et, au prix d´un changement de date, cette administration dégagea les locaux qui permettaient de mettre en œuvre le nouveau dispositif.
En voici les trois composantes majeures :
- le module unique: le même module vaudra pour toutes les interventions, qu´elles se déroulent en séances multiples ou plénières. C´est à savoir, je l´ai dit : 1 heure, 1 président, 2 interventions, 1 discussion ; et pas de discutant : c´est le président qui présente les deux interventions, qui les commente ensuite, et qui, en salle multiple, lance la discussion – en salle plénière, dialogue avec les intervenants. Cette découpe horaire s´impose, la même, à l´ensemble du programme, indépendamment du lieu finalement assigné à tel ou tel exposé : il y a découplage des coordonnées temporelles et spatiales, ce qui permet aux lieux de trouver leur identité propre, et quasi-tautologique, à savoir :
- une salle plénière vraiment plénière : s´il doit y avoir des séances plénières, alors que la salle contienne tout le monde. Fini, la » Salle Bleue « . Louons une salle capable de contenir au moins 1 500 personnes ;
- des salles multiples vraiment multiples : c´est à dire, aussi nombreuses que possible, et de tailles comparables. Donc, là encore, pas de » Salle Bleue « .
Il est heureux que le Palais des Congrès ait pu satisfaire, et sans surcoût, ces demandes inédites. Pas moins de huit (8) salles multiples similaires fonctionneront simultanément. Quant à la salle plénière, ce sera le Grand Auditorium situé au rez-de-chaussée, qui avait déjà accueilli la dernière grand Rencontre internationale du Champ freudien à se tenir à Paris, avant que cette série ne se divise en deux, pour donner naissance aux Rencontre latino-américaines, d´une part, et à PIPOL, d´autre part.
Les multiples seront louées pour une journée entière, et il en sera de même pour l´Auditorium. Donc, au lieu que le samedi comme le dimanche comportent plénières et multiples, pour les 38èmes Journées les choses seront tranchées : le samedi sera Le Jour des Huit Salles, le dimanche Le Jour de l´Auditorium.
Les horaires prévus étant de 10h à 13h, et de 15h à 18h, on remarquera l´énorme capacité d´absorption et de production de cette machine nouvelle : 108 interventions, et 54 présidents, formant 54 séquences formellement semblables. On voudrait un Charles Fourier pour célébrer dignement l´impeccable de cet ordre invariable, vraiment alvéolaire, qui demeure par là conforme à l´esprit » Ruche bourdonnante » de l´ECF.
Mais ce qu´il faut bien voir, c´est que, comme on le sait par le fonctionnement même d´une analyse, par le mathème du discours analytique, le maillage serré d´une structure est précisément la condition de toute surprise.
Elément 3
J´ai maintenant à vous parler du thème – que vous connaissez, Comment on devient analyste au début du XXIème siècle. Comment l´attraper, ce Comment ? Comment fabriquer avec tout ce bataclan quelque chose qui fasse, pour nous, événement ? Comme il se fait tard, et que j´ai déjà été bien plus long que je ne croyais en commençant, je laisse ça pour demain, ou pour le 3. Après quoi, j´attendrai de recevoir des contributions, que je publierai volontiers dans ce nouveau Journal des Journées. Il paraîtra apériodiquement jusqu´au samedi 7 novembre prochain. Des contributions sur quoi ? Sur le fameux Comment, bien sûr, mais conçu de façon extensive : rien de psychanalytique ne nous est étranger, et rien de ce XXIème machin, qui est nommé dans le titre.
La suite au prochain numéro
publié 1 rue huysmans paris VIè par le directeur des Journées 38