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Vivre à l'Ecole de la Cause freudienne #57

Pierre Naveau : Échos d’une soirée à l’École

Mardi soir, à l’École. Éric Laurent, actuel président de l’AMP, anime les débats. L’invité : Leonardo Gorostiza, futur président de l’AMP. Il a proposé comme titre de son exposé : « Le gnomon du psychanalyste ».

Voilà un homme qui ose poser le problème de ce que c’est que devenir un analyste quand on est un homme ! Comment faire, quand on est un homme, pour devenir une femme, puisque l’analyste a une position de femme ?

Lacan utilise le terme de gnomon p. 877 des Écrits. Je rappelle dans quel contexte. La division du sujet est un point-nœud, dit Lacan. Elle se noue à un manque – le manque du pénis de la mère. D’où le mathème que Lacan propose : (-φ) / $. Le pas-de-savoir $ est articulé au pas-de-pénis (-φ). Pas-de, Leonardo l’a fait remarquer, c’est non seulement le manque, mais aussi le pas que l’on fait. Ainsi le sujet, poursuit Lacan, érige-t-il la barre de la division qui désigne le point de manque que le phallus négativé indique. Exemple : le sujet, fait remarquer Lacan, se divise entre l’objet de la phobie et le fétiche. La barre de la division est l’axe du gnomon, représentable sous la forme de la diagonale le long de laquelle glisse, par exemple, une série de carrés de différentes tailles. De ce point de vue, le gnomon est le support de la mesure, de la proportion, de l’homothétie. J’ai appris de Leonardo que la chaussure, qui habille le pied, est un vecteur de la commune mesure et que le chausse-pied est ainsi mis au service de cette mesure partagée par les êtres (bien ou mal) chaussés.

(L’actrice américaine Robin Wright Penn, qui vient de se séparer de Sean, a confié à un journaliste que le point d’appui (le gnomon, pourrait-on dire) dont elle se sert pour composer les personnages variés qu’elle joue, ce sont les chaussures. Qu’ils soient bien ou mal chaussés est quelque chose de très important pour elle. « Faire chaussure », selon l’expression de Lacan, elle s’y emploie, donc, car c’est ce qu’elle prend particulièrement à cœur.)

Dire, comme le fait Leonardo, « le gnomon du psychanalyste », c’est, me semble-t-il, un mot d’esprit. Il y a là, en effet, une contradiction dans les termes. Car, dès lors qu’il y a de l’analyste, chaque analyste, c’est le principe de la position féminine, est à nul autre pareil. Chacun d’entre eux désigne l’incommensurable de la faille entre (a) et (-φ). Si l’on reprend la métaphore géométrique, le gnomon du psychanalyste serait alors l’axe le long duquel s’articulerait une série de points qui seraient autant de points de discontinuité, de faille, de rupture. En ce sens, le gnomon est, en même temps, un non-gnomon. Une femme, dans l’auditoire, l’a souligné : « Trouver chaussure à son pied, c’est impossible. Il n’y a pas d’accord possible entre la chaussure et le pied. » Une faille, de lui, la sépare, elle. Le chausse-pied, aussi habile soit-il, n’en peut mais.

Leonardo, cependant, l’a précisé – c’est une femme qui lui a permis de faire le saut par dessus la faille, c’est-à-dire de quitter le fantasme de continuité de la commune mesure, dans lequel le chausse-pied est captif.