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Tous les JJ #72

UN BON USAGE DU NOM-DU-PÈRE


par Laure Naveau

 

Je n’ai pas un maniement facile du signifiant-maître. Et il est heureux pour notre communauté que d’autres aient ce maniement, car aucun groupe ne peut subsister entre parlêtres sans référence à ce signifiant.

J’ai, pour ma part, le désir, comme beaucoup d’entre nous, que notre communauté, qui porte en elle la psychanalyse lacanienne de demain, subsiste. Que la psychanalyse survive. Or, l’École, qui est au centre de cette communauté, est une association, qui distribue des fonctions, des responsabilités, des pouvoirs.

Seulement, entre hommes de pouvoir, entre femmes de pouvoir, des conflits apparaissent nécessairement. Ils mettent en évidence, en différents points, un défaut, une faiblesse, de régulation par le Nom-du-Père. Dans l’École, quand de tels conflits se produisent, j’ai pu constater qu’ils ne se dénouent qu’à la condition que J.A. Miller y mette son désir, qui humanise.

C’est ce qui vient de se passer avec les Journées, qui ont remis chacun, ancien, ou nouveau venu, en position de responsable de son inconscient, de sa jouissance, de son rapport au réel, et face à son désir de franchir une passe. Ce fut une nouvelle naissance du désir de l’analyste, qui prend en compte le réel, et inaugure une suite où la surprise et la fraîcheur seront encore de la partie.

C’est ce qui vient de se passer aussi avec le Collège de la passe. Le blocage du Collège de la passe tenait à un conflit de pouvoir, imaginaire.

Ce conflit existait d’emblée. Je pense même qu’il datait de bien avant son ouverture. Qu’il repose sur de « vieilles querelles », dont on ne sait ni l’origine, ni la raison véritables, cristallisées ou pas au sein des « instances ». Ce sont parfois des effets de prestige, ou des rivalités « entre femmes », ou bien une rivalité à l’endroit du rapport au « plus-un » que représente J.A. Miller (ça, c’était avant Barcelone, dirions-nous). D’où des jeux d’alliances et d’intrigues qui noircissent les relations les plus authentiquement amicales, en introduisant une sorte de suspicion diffuse, angoissante, et finalement démobilisante.

Au bout du compte, ce qui est en jeu – l’avenir de la passe, sa promotion, la politique de la psychanalyse, sa défense, les « propositions », au sens noble du terme, les inventions attendues d’un tel Collège, pour la passe, pour le psychanalyste de l’École et du 21ème siècle, pour lui permettre de sortir de ses inévitables impasses liées aux effets de l’automaton –, tout cela disparaît au profit d‘enjeux de pouvoir.

Résultat : la tension monte. Et nous ne pouvons plus travailler. Par exemple, nous ne nous sommes pas interrogés sur la politique de nomination ou de non nomination, la question des passeurs, de leur désignation, de leur « qualité ». Exprimer nos hésitations, nos éventuelles divergences de points de vue, devient tout simplement impensable.

L’intervention de J.A. Miller, offrant aux membres du Collège la tribune du Journal des Journées, a déplacé ce conflit, lui a permis de s’exprimer publiquement à mots plus ou moins couverts, et quelque chose s’en est trouvé apaisé. C’est un bon usage du Nom-du-Père.