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Varia sur la Passe #71

CESSER D’ÊTRE PASSEUR


par Jean-Louis Woerlé

 

Si les dernières Journées de l’ECF ont été enthousiasmantes, la levée de l’interdit de parler de soi en constitue sans aucun doute un des éléments majeurs. Mais une petite déception se fit jour : le thème des Journées n’était pas toujours nettement évoqué. Rennes en sera la suite logique. Entre les deux se place la question de la procédure de la passe dans notre École.

J’ai hésité à écrire les quelques mots qui vont suivre dans la mesure où les textes provenaient presque tous d’ex : passeurs, passants ou AE. Or, je fonctionne encore comme passeur et j’ai encore « sur le feu » une passe à transmettre, car la question de la passe est toujours brûlante surtout lorsqu’il s’agit des passeurs. J’émets le souhait que ce débat n’amène pas à une conclusion du type « voici le passeur que souhaite l’École ». Cela entraînerait de fait le formatage mais également le professionnalisme. S’il est craint, à juste titre, chez les passeurs, le cartel n’en est pas non plus préservé.

La désignation des passeurs, ou plutôt la façon dont chacun l’apprend est diverse : soit l’analyste annonce qu’il a proposé l’analysant comme passeur, soit il l’apprend par un appel du Secrétariat de la passe : « X va vous téléphoner pour sa passe ». Cela vous tombe dessus. Une question m’était immédiatement venue : « Qu’est-ce qui dans mon parcours a fait prendre cette décision à mon analyste ? » C’est un acte de l’analyste. En tant que tel il a rapport à un moment de la cure et devrait, à mon avis, être énoncé par l’analyste.

Immédiatement après vient le « comment faire ? ». J’étais sans bagage, néanmoins accompagné d’une légère excitation. J’allais être au plus près de ce qui constituait pour moi l’incessante question de Lacan « comment devient-on psychanalyste ? », question sans laquelle il n’y a pas d’École.

Hélène Bonnaud (JJ n°62) a opposé deux passes, suivant en cela l’enseignement de Lacan et de jAM :

– celle de l’inconscient comme savoir, de l’inconscient transférentiel qui amèneraient immédiatement les questions du transfert, de la destitution subjective, de la chute du sujet supposé savoir, de la traversée du fantasme et de ses effets ;

– à celle de l’inconscient comme jouissance, de l’inconscient réel qui a avec lui aussi son lot de questions concernant le mode de jouir et le sinthome ;

– sans oublier la question cruciale du passage de l’analysant à l’analyste et du désir de l’analyste. Cette question, posée à chaque passant, les a souvent surpris. Les deux passes se conjoignent pour ce qu’il en est de l’AE actuel.

La première passe a systématiquement été évoquée par les passants. La seconde moins et c’est là qu’est intervenu un moment particulier pour moi : être passeur peut avoir des effets subjectifs. Il s’agit d’un passant récemment nommé AE. Le cartel avait demandé que les passeurs le revoient. Au moment où je fais part des réponses du passant, le plus-un insiste : « Mais il va mieux ». Les effets sur les symptômes sont manifestes chez tous les passants. Mais là je disais : « C’est indéniable, il va mieux mais. » C’était quoi ce « mais » ? Je bredouillais et je rattachais ce « mais » au passage de l’analysant à l’analyste, sans pouvoir sur le coup en dire davantage. Il m’est apparu rapidement par la suite que ce « mais » était un reste, « nouvelle alliance que le sujet peut faire avec sa jouissance », articulée, et pourtant non-articulable, avec le désir de l’analyste.

Je viens de recevoir de la dernière passante ces quelques mots : « J’ai rencontré un passeur questionnant ! Je vous en remercie. » A de nombreuses reprises a été évoquée l’importance de la prise de notes. A surgi alors « Que les passeurs fassent entendre une voix ! » d’Esthela Solano Suarez (JJ, n° 60) Il y a effectivement beaucoup de notes. Pour ma part, je notais avec une attention particulière les rêves de fin de cure et l’interprétation qui en était donnée par le passant. Mais c’est oublier les interventions du passeur lui-même, ses multiples questions sur des détails ou les questions cruciales, amenant parfois des « Je n’y avais pas pensé » ou mettant fin à un témoignage. Alors commence un immense travail de mise en ordre, je dirais plutôt d’articulation logique, ainsi que de réduction visant à faire saillir davantage les lignes de force du témoignage. Mais ce texte réduit est encore long. Je fais une proposition que pourrait faire d’emblée le cartel au passeur : « Dites-nous en cinq-dix minutes, sans notes, ce que vous avez saisi. » Cela suppose que le cartel n’interrompe pas par ses questions ce que le passeur tente de transmettre. Ce temps premier permettrait que le plus vif soit déposé. L’écrit pourrait servir uniquement pour les précieux détails que le cartel ne manquerait pas de vouloir cerner.

Et j’émets un souhait : que le temps entre le témoignage et la transmission soit réduit afin que le passeur ne se retrouve pas avec plusieurs passes en même temps. C’est ce qui m’a poussé à écrire au secrétariat de la passe afin de ne plus fonctionner comme passeur.

Cette expérience a, en tous les cas, suscité un nouvel élan.