par Paz Corona
J‘ai aimé l’entre-deux confortable qui permet de ne pas prendre de décision, de remettre à demain ce qui de toute évidence ne souffre pas de délais lorsque l’on est prêt à faire un pari pour l’avenir. Larguer la voix silencieuse comporte le risque de s’exposer en première personne et de se confronter à un écart où l’entre-deux n’est plus de mise.
C’est ce que parler aux Journées de novembre a produit chez moi, et dont je ne cesse de tirer les conséquences efficientes dans mon analyse et dans ma pratique d’analyste. Mais pour que cela soit possible, il a fallu que ce mouvement soit noué à un désir autre, le vôtre tout d’abord, et celui d’une École curieuse de savoir qui sont les analysants qu’elle forme et comment le désir d’assumer leur « devenir analyste » leur vient.
« Jamais dans un entretien de candidature d’entrée à l’École on avait obtenu des résultats comparable à celui des Journées », avez-vous pu me dire. Le fait que vous ayez lié ces deux éléments m’a permis de vous faire part de l’idée que je me fais du dispositif de cet entretien, et qui n’est pas en adéquation avec ce qui se fait en ce moment à l’École. J’en avais déjà parlé à Bernard Seynhaeve lorsqu’il m’avait reçue, et j’ai pu en vérifier le bien-fondé dans l’après-coup des Journées. La mise n’est pas la même et je souligne que, par conséquent, le résultat n’est pas comparable non plus pour qui se soumet à ces deux moments de passage. Pour moi, ils se sont articulés comme les deux temps d’une même démarche ; j’y noue personnellement un autre élément: le contrôle que j’ai initié avec vous.
Le témoignage que j’aimerais apporter, est le suivant : l’entretien d’évaluation de ma candidature d’entrée à l’École que j’ai eu, avec un AE pourtant, ne correspondait pas à l’idée que je me fais du critère de choix par l’École des analystes qui s’autorisent d’eux-mêmes, c’est-à-dire de leur analyse. Ils s’adressent à l’École afin qu’elle soit garante de leur formation. J’ai pu dire durant cet entretien qu’il m’avait toujours semblé évident que l’entrée à l’École devait se faire par la passe, tel que Lacan l’avait proposé dans sa « Note aux italiens ». B. Seynhaeve m’avait répondu simplement : la passe à l’entrée n’a plus cours à l’École. Je le savais, mais dire de quoi est fait le rapport à son propre inconscient ainsi que son rapport à la cause analytique a des effets incommensurables au fait de dire comment s’est déroulé sa carrière ou ce que l’on à pu écrire et pourquoi on est intervenu dans tel colloque, etc. Bien sûr, B. Seynhaeve le savait lui aussi et sans doute beaucoup mieux que moi. Il m’a dit : « c’est sur l’énonciation que je donnerai mon avis sur les candidats et que je ferai entendre auprès du conseil leurs demandes ». « Reusement » que B. Seynhaeve sait lire, car il a su trouver dans mon CV 3 signifiants déterminants pour moi qui étaient enchâssés entre les lignes de noms et de dates.
- Comment avais-je rencontré la psychanalyse ? Le réel de la folie de ma sœur m’avais heurtée très jeune et je voulais savoir ; la psychanalyse était donc une évidence.
- Pourquoi avais-je à travailler principalement dans des institutions de psychiatrie militaire ? Pour la psychiatrie, c’était clair, je voulais croire à l’impossible : réveiller le fou de sa folie. Mais pourquoi militaire ? En parlant de mes patients en contrôle, ce signifiant avait résonné d’une manière très particulière. Graciela Brodsky, dans le Journal des Journées, évoquait sa surprise quant à son hystérie asymptomatique, puis la névrose obsessionnelle qu’elle ne pouvait pas voir dans son cas, et qui se révéla à elle comme une évidence : « Que suis-je là en train de faire avec ce capitaine féroce ? » Sa question m’a frappée d’autant que je me l’étais moi-même posée, quelques mois auparavant. J’avais la réponse, bien entendu, il fallait en tirer les conclusions, j’en faisais part à l’AE qui gentiment m’écoutait.
- J’écrivais sur l’art. Pourquoi ce choix ? J’avais voulu être peintre, je pensais que c’était là mon véritable désir et que par la force des choses, je m’étais rabattue sur le « devoir devenir psychologue pour gagner ma vie ». Devenir psychanalyste, il fallait le désirer et non pas le vouloir. C’est là où j’avais buté jusque-là. En effet, je n’étais inscrite dans aucune institution. J’étais entre deux. Voilà pourquoi je demandais à entrer à l’École. Je n’y ai pas été admise et n’en ai pas été surprise. Vous m’avez dit que cette année-là les candidatures avaient été rejetées en bloc, plus de 60 refus pour 3 admissions, et que maintenant, après les Journées, il fallait redemander. Après les Journées, rien n’était pareil. J’avais saisi ce point de l’entre-deux où je me « situais ».
Cet entretien m’a permis d’entendre en quoi ma demande posait la question de cet écart ; le temps deux, celui des Journées, fut pour moi celui qui me permit d’articuler clairement le point où j’en étais. Demander l’entrée à l’École, même si la passe à l’entrée n’existe plus, fut un moment de passe pour moi. Avoir eu la chance d’avoir pu parler lors des 38e Journées de l’École de la Cause freudienne, alors que je n’en suis pas membre, aussi. J’ai le sentiment d’avoir pu ordonner et réduire un certain nombre de choses afin de pouvoir les transmettre du point où j’en suis, bien que la passe à l’entrée n’existe pas. Je persiste à dire qu’il est nécessaire pour qu’un désir inédit puisse être transmis, qu’un dispositif tout aussi inédit voie le jour. Cela n’a rien à voir avec le bonheur d’être admis dans une institution, comme chaque un le sait, mais avec le fait d’avoir cerné une cause de son horreur, de son erreur, de son ratage, c’est selon. Ce dispositif en deux temps, c’est celui que j’ai expérimenté par hasard. Il a eu bien des effets, entre autre celui de me décider à entrer dans ce débat pour la refondation de l’École de la passe et de ses autres institutions, à partir d’un retour à son principe vital, tel que Aurelie Pfauwardel a su l’orienter, en interprétant avec Machiavel votre désir . Cela m’a ouvert une brèche par laquelle y prendre part m’a semblé enfin possible.
Je ne souhaitais pas y entrer avant, même si tout ce qui a pu se dire par le biais du Journal des Journées m’a grandement éclairée ; le ton polémique, propre au débat certes, ne me semblait pas le plus à propos pour soutenir ce qui m’apparaît comme l’un des plus importants combats pour la psychanalyse de demain : que l’École et la psychanalyse puissent nous survivre.