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Varia sur la Passe #71

DU « JAMAIS DIT »


par Catherine Bonningue

 

À quelques heures de la date limite du 10 décembre 20 h, vais-je enfin aller jusqu’au bout d’envoyer pour le JJ ce texte cent fois remanié sur la passe ? Réponse à 20 h ce soir.

La décision de dire enfin ce que je n’ai jamais dit à personne sur la fin (ou terme) de mon analyse va peut-être l’emporter sur la valse-hésitation précédente, qui ne fut pourtant pas sans apporter ses fruits d’élaborations/réélaborations à un texte pas envoyé.

C’est qu’il y a eu jusqu’à aujourd’hui quelque chose d’indicible, en tout cas pour moi, dans la fin de mon analyse. Jamais dit à mon analyste, jamais dit aux passeurs, pas dit non plus dans les deux textes qui concernent la fin de mon analyse, et jamais dit à qui que ce soit.

J’en ai dit des bouts, des bribes, oui. Mais les réponses m’ont tellement agacée que je me suis tue très vite.

Que dire donc maintenant de cet indicible ?

J’ai changé d’analyste contrainte et forcée, après une interruption de presque trois ans. Je n’avais pas l’idée dans ma première analyse que j’aurais à congédier mon analyste (pour cause d’infidélité à Lacan), dans la mesure où, entre autres, j’avais l’idée que je ferai, moi, une analyse fulgurante. Cela ira vite pour moi, c’est sûr, me disais-je à l’époque. J’avais vingt ans !

Quand j’en repris une autre, avec le fidèle des fidèles à Lacan – voulais-je –, ça serait cette fois pour aller jusqu’au bout. Cet analyste militait pour la fin de l’analyse.

Eh bien, j’interrompis sur tout sauf un « aller jusqu’au bout », en tout cas tel que je me le représentais.

Je congédiais mon analyste, après l’avoir supporté si longtemps. Ce fut un acte irréversible. Il le contesta et l’approuva en même temps. Ne lui avais-je pas dit d’ailleurs que je le trouvais parfois incohérent dans son enseignement. Il était d’accord ! Cohérent pour l’auditrice, mais incohérent pour l’analysante.

Pendant quelques années (ou peut-être quelques mois), au début, je vécus une lune de miel. J’eus le grand tort de le lui signaler (il devait dormir un peu à l’époque et être pris aussi lui-même dans cet « on s’entend tellement bien » que je vivais). Il rectifia immédiatement le tir, et ce fut désormais un chemin de croix où, si ce n’est à chaque séance, au moins souvent, je devais traîner derrière moi le lourd boulet qui me retenait lorsque je marchais vers lui. J’y allais tout de même. Puis, un jour, alors qu’il n’arrêtait plus depuis peu de quitter son fauteuil d’analyste (alors que j’avais quitté la précédente analyste justement à cause de ça), je ne revins plus. Il avait fait un acting out absolu, me semblait-il, en introduisant un élément hétérogène inassimilable symboliquement, qui me renvoyait à un impossible-à-dire. J’étais éjectée à tout jamais de ma place d’analysante, de façon radicale. Ni lui, ni aucun autre analyste ne put pour moi réoccuper cette place.

Il eut le culot de me dire que je m’identifiais à lui (dans sa propre fin d’analyse, je suppose). Mais non ! Et il s’en rendit bien compte. Quelque chose de plus complexe lui échappait. Il essaya ensuite dans nos diverses rencontres quelques interprétations imaginaires. Toujours ratées, je me disais, même si je m’efforçais d’en faire quelque chose. Une contre-analyse, sans doute. Pour une des dernières, je lui envoyais même un mail pour le remercier : merci pour ce que vous m’avez dit mercredi. Fumisterie de ma part, oui !

Il n’y eut qu’une seule interprétation de lui qui vaille dans toute mon analyse, ce fut la coupure de la séance. Quand il n’y avait pas eu quelque scansion, ponctuation signifiante, apportant sa satisfaction symbolique, chaque fin de séance était une déchirure, un abîme ouvert vers le désespoir, la déréliction. Jusqu’au jour où j’eus la force, le cran, sans préméditation aucune – ce fut soudain, je lâchais tout, tout d’un coup –, de faire de cette coupure-là un final. Ce qui me précipitait du côté du désir. La psychanalyse über alles.

Depuis, je me suis souvent posé la question de reprendre. Avec lui ? Impossible ! Avec un(e) autre ? Je ne pourrai pas.

Cette fin-là, c’est un diamant. Un ininterprétable autour duquel un travail psychanalytique peut se poursuivre, autrement. Ce qui m’a fait sans doute rater la passe.

Je continue à traîner le poids de ce que je suis, de ma misère. Pas de gloire d’être AE, pas de « renommée ». Je ne suis que ce que je suis.

Il m’a fallu quinze ans pour faire quelque chose de l’élément hétérogène inassimilable introduit par mon deuxième analyste, et qui est tout simplement de le dissoudre dans un mathème de Lacan. (Cf. mon intervention aux Journées.)

Voilà. Eh bien, je n’ai rien retenu de tout ce que j’avais écrit auparavant et je mets ce texte dans ma boîte d’envoi. Je n’aurais donc rien apporté sur la question de la passe pour le débat.