par Solenne Albert
Je ne savais pas, il y a encore quelques heures, que j’allais m’autoriser à parler de la passe. Depuis que le débat est lancé dans le Journal des Journées, je constate pourtant que j’étais friande de chaque nouveau texte publié. Ces échanges vivants et sincères me donnaient envie de dire quelque chose moi aussi, de ce que l’analyse m’avait jusqu’alors permis de traverser. Mais les quelques lignes que je tentais d’écrire depuis que le débat est lancé furent décevantes. Comment rendre compte de ce qui fait le tranchant d’une cure lorsque la vue d’ensemble nous échappe encore ? Lorsque tous ces signifiants égrenés au fil des années ne sont que morceaux isolés, éléments disparates voir contradictoires ? Ces questions nouvelles pour moi me donnèrent envie de lire un ancien numéro de la Cause freudienne, « La passe, fait ou fiction » (n°27). Parmi les textes passionnants qu’il contient, quelques phrases d’Esthela Solano-Suarez ont particulièrement retenu mon attention : « Le passant, poussé par cette nouvelle envie de parler de son analyse, s’avance pour transmettre aux passeurs ce qu’il sait. Aussitôt qu’il veut le dire, il se trouve amené à se demander où diable est passé ce savoir qu’il avait su. Car l’ensemble de ce savoir élaboré par l’analyse s’avère avoir été imaginé ensuite comme étant à la disposition du sujet. (…) Que reste-t-il alors d’une analyse ? Des chutes, de petits rêves, de petites séquences de l’expérience, des interprétations, bref des restes. »
Peut-être qu’une passe pourrait être un moment où s’entrevoit la structure qui articule chacun de ces morceaux. Un instant où, grâce à un divin détail, la lumière s’allume, le fil conducteur, la structure qui unissait chacun des éléments patiemment dépliés au fil du temps se laisse apercevoir. Un moment où les éclats de rêves, égrenés au cour des années de cure, s’articulent autour d’un savoir nouveau.
Tous ces indices éparpillés conduisent alors à une découverte, aussi souvent recherchée qu’évitée. Assumer cette découverte qui dérange et en déplier chacune des coordonnées émergeantes est le point de départ d’un nouveau travail. Si j’avais à travailler sur cette question de la passe, ce que je mettrais en avant serait donc son accent d’ouverture vers de nouvelles perspectives. L’aspect conclusif que je pensais jusque-là être prédominant dans la passe deviendrait alors secondaire. Le précieux de la passe serait qu’elle consisterait en un instant de comprendre qui permettrait de voir l’envers du parcours. Envisager ainsi la passe permettrait de l’associer à un devenir. Elle constituerait le point à partir duquel l’analysant, assumant la responsabilité de sa découverte, accepte de s’engager dans un devenir. Il n’y a plus de « je suis ça » ou « ça ». Pas de réponse, mais une question qui suscite un nouveau désir de savoir. Il y a sans doute un deuil mais il y a surtout une naissance. C’est-ce moment où quelque chose d’un désir nouveau peut commencer à éclore qui est précieux.
La question de la passe s’articulerait alors à celle d’un devenir. Devenir femme, homme, analyste, suppose d’explorer cette zone jusque-là inconnue.
À la fin de son article « Des semblants entre les sexes » (cf. n°36), Jacques-Alain Miller aborde justement la question de la passe à partir de la différence des sexes : « Ce que la passe, vue du côté du jury, enseigne – c’est du moins ma conclusion, très transitoire – c’est qu’il y a une incidence de la différence sexuelle quand au fantasme. »
Je partage, avec Pierre Stréliski (JJ n°68), le souhait que les Journées de Rennes aient à cœur de dire quelque chose de cet inconnu. Qu’elles soient marquées par la différence des sexes, par la surprise et l’énigme, que la rencontre avec cette différence implique à chaque fois de manière particulière.