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Varia sur la Passe #71

INTERPRÉTER UN SILENCE


par Jacqueline Dhéret

 

Le pari de la psychanalyse implique qu’une silencieuse réitération vibre au-delà de la mortification introduite par le signifiant. C’est ce que l’analyste accueille en s’y apparentant. L’analysant s’en instruit, mais le symbolique inclut une limite qui ne traite pas de la béance que la morsure du signifiant a introduite et de la pulsion qui y insiste. De fait, l’analyse, dans son parcours, ébranle ce qui dans la langue a fait injonction, ce qui n’est jamais entré dans le langage. La passe vérifie la proposition si simple de Lacan : l’analyste est le résultat d’une psychanalyse.

Elle dit à l’analysant de ce qu’il en a fait ; elle l’avertit aussi de ce qu’il y a d’originales façons de faire avec ces marques, ces dépôts, que la langue a déposés en elle ou en lui. Usages propres à un sujet de la langue, capables de drainer une satisfaction et qui ouvrent paradoxalement à des effets d’équivoques qui peuvent se partager. Avec Lacan, nous nous éloignons de la métaphore freudienne des traces qui décident de la répétition dont jouit le symptôme.

Ce n’est pas un mince sacrifice de se séparer de la croyance en l’inconscient ! Et l’affect qui en répond, plutôt dépressif, est au rendez-vous. Pourtant, on obtient alors, non pas une imitation sans vie, mais une imperceptible mutation qui rend possible la jouissance.

La passe est un effort d’adhésion à cette simplicité qui ne porte pas sur un énoncé, mais sur ce qui a fait trace indélébile pour un sujet. En prendre acte, permet de participer de façon vivante à ce qui a lieu dans la communauté.

L’École aime bien ses AE, mais le premier enthousiasme nous masque qu’il est le résultat d’un rejet, celui du savoir. Plutôt sicut palea, qu’agalma. La passe comme l’analyse est un symptôme qui génère une façon inédite de faire avec un point d’impossible.

Cela implique pour l’AE de passer rapidement du temps un de la passe, celui du témoignage, à la passe deux et trois ; de s’adresser aux analysants, nombreux dans l’École et au-delà pour que se transmette le discours analytique de la seule façon qui vaille : chacune, chacun, avec son style propre.

Nous sortons, grâce aux Journées, d’un discours silencieux, qui chuchotait : la passe c’est dépassé, ou c’est du passé.

Transmettre la psychanalyse ne signifie pas dire des choses extraordinaires quoique toujours inhabituelles, mais de soutenir une énonciation qui fait passer l’incongru du discours analytique. On n’en a jamais fini avec ça. Réjouissons-nous de ce que cela vienne au jour dans l’École et du rude travail qui nous attend encore !