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Varia sur la Passe #65

J’AI ÉTÉ PASSEUR


par Catherine Lazarus-Matet

Avoir été passeur a été pour moi une expérience passionnante, et riche dans sa variété, quelle qu’en soit l’issue, quel que soit le candidat. Tout au long de la procédure vibrait, pour tous les protagonistes, ou presque, cette mise en acte de ce que c’est que croire à l’inconscient pour se recruter.

Sur une période courte j’ai été passeur auprès de sept passants. Deux d’entre eux furent nommés AE, deux furent nommés membres de l’École. Un témoignage, pourtant convaincant (mais le passeur est témoin, pas juge) fut pris dans la tourmente d’oppositions dans l’École, certains membres du cartel décidant plus tard de quitter l’École. Pour deux autres passants, il s’agissait de chercher une garantie quant à un parcours analytique, pour l’un encore pris dans l’ordre des significations, pour l’autre dans le désordre de trop de significations.

Les deux cartels étaient bien différents. L’un très ouvert et curieux devant chaque témoignage : c’est lui qui nomma les deux AE. Est-ce seulement le fait du hasard de la répartition entre les deux cartels ? L’autre cartel était plutôt froid et sceptique, certains de ses membres allant jusqu’à dénigrer d’entrée de jeu une interprétation faite à l’un des passants par son analyste, laquelle ne permettait pourtant pas de douter de l’effet de vérité et de relance qu’elle avait eu pour le sujet. Cette position rendait la tache du passeur encore plus acérée. A la suite de ce mauvais accueil du témoignage, j’avais demandé à me représenter devant le cartel. Mais ce fut inutile, les dés étaient pipés.

Il se trouve que, pour les deux passants nommés AE, et ce n’est qu’à la suite de leur nomination que ce constat fut possible, il fut plus simple de faire part oralement, sans notes, de ce qu’ils avaient pu dire. Pour l’un les notes étaient très abondantes, pour l’autre ce fut bref, le passant ayant délibérément fait d’un pan très circonscrit de son analyse l’objet de sa passe. Il avait d’ailleurs fallu faire valoir devant le cartel la vigueur de ce choix du passant. L’effet du récit de leur parcours aboutit au même résultat, les notes étaient un support devenu encombrant, quelque chose étant devenu lisible et transmissible sans l’écrit. Sans doute était-ce lié aussi à l’énonciation des passants. Et ce n’est pas toujours ainsi. Peut-on en déduire que si cela ne cesse pas de ne pas s’écrire, alors il faut écrire pour tenter d’attraper ce que l’on veut transmettre ? Et que lorsque cela cesse de ne pas s’écrire, on peut alors se passer de l’écrit.

Il y a, comme l’ont noté certains, un effet étrange à se retrouver seul après avoir parlé devant le cartel. Agent indispensable de la procédure, le passeur n’est soudain plus grand-chose, privé de la réflexion qui s’ensuivra dans le cartel. Mais il garde sa place. Si la personne physique repart, légère ou alourdie, continue à penser, ou à commettre quelque lapsus ou acte manqué, la dritte Person reste. Pour ma part, je fus nommée passeur à la suite d’un énoncé essentiel qui explique sûrement pourquoi je n’ai jamais trouvé problématique que les passeurs restent sur la brèche, dans leur fonction de dritte Person, de passeur du mot d’esprit. D’autant que les cartels de la passe lui sont accessibles s’il veut, plus tard, en être. C’est un autre place.