par Carole Dewambrechies-La Sagna
Il est étonnant de voir à quel point la logique des choses tend à nous échapper. Mais à certains moments, au cours de certaines lectures, un élément mis en avant, un binaire sous-jacent, une opposition permet de conceptualiser, au moins en partie, quelque chose qui jusque-là s’appréhendait difficilement.
Ainsi la lecture du texte de Patricia Johansson-Rosen dans le n°63 du JJ a-t-elle eu pour moi cette fonction : me faire saisir les effets d’une difficulté dans l’École. La cause signifiante de cette difficulté me paraît pouvoir se résumer dans cette affirmation, que je lis dans son texte, dite en passant : « Sa libido (de l’École) a été mise au service de grands combats qu’il fallait mener, mais qui l’ont éloignée de ce qui fonde notre communauté d’École à savoir la passe. »
L’idée d’opposer la lutte politique et l’École, l’extérieur et l’intérieur, comme les mains sales du combat et la noblesse de la passe me semble une idée biaisée. En même temps, il m’apparaît que cette idée doit être là depuis longtemps (depuis le début des combats ?), sous-jacente à un certain nombre de réticences que j’ai pu entendre concernant, non le bien fondé des combats eux-mêmes auquel on condescendait volontiers, mais le sacrifice que cela comportait en termes de temps, d’énergie (de libido), de goût pour la vérité, la transcendance ou la chose en soi à quoi il faudrait renoncer.
Cette opposition correspond à une topologie inexacte, mais elle a cours dans l’École, et je dois à ce texte de Patricia de me l’avoir fait comprendre aussi simplement.
Je me dis aussi : heureusement que nous ne nous sommes pas laissés décourager à l’époque par ce type d’argument qui existait déjà. L’idée de « Nous avons fait… groupe uni pour, front solidaire contre, mais pas École » est une idée faite pour inhiber le combat, l’empêcher ou au moins le dévaluer, frapper du soupçon ceux qui le menaient en première ligne.
Pourtant Patricia a été de ceux-là. Je me souviens de réunions à une petite terrasse de café, rue du Four, avec Agnès aussi, pour régler certains détails du prochain Forum, des discussions sur la librairie qui aurait tant de succès pendant ces manifestations.
Alors pourquoi laisser passer cette idée des « grands combats » qui feraient que l’École soit négligée ? Les Forums ont été organisés par Jacques Alain Miller à partir d’un point extérieur à l’École : de ce point de vue ils ne sont pas de l’École. Mais ils ont été un formidable levier et ont donné naissance à une nouvelle génération, la « Génération Forum » qui s’est fait entendre lors des Journées-Événement de l’ECF que nous venons de vivre. Il n’y a pas de doute qu’elle forme le futur de l’École. Ces grands combats, ce n’est pas seulement qu’il « fallait les mener », comme on dit qu’il fallait bien faire quelque chose (on sous-entend que c’était déplaisant ou qu’on l’a fait à regret, on soupire ), mais bien davantage, que nous leur devons la survie de la psychanalyse car, comme le dit Lacan dans Le triomphe de la religion : « La psychanalyse ne triomphera pas, elle survivra ou pas ». Les nouvelles générations doivent savoir qu’elles auront à se battre pour cela. Encore faut-il ne pas leur enseigner que ces combats sont méprisables ou qu’avant de les mener il faut surtout bien réfléchir en termes de bénéfices/risques, comme on le fait pour les prescriptions médicamenteuses, et que les risques seraient situables au niveau de l’École. Les risques ont été et sont pour ceux qui, ces combats, les ont menés.
Le blocage de la passe vient d’ailleurs que de l’économie de la libido. Il relève d’une autre logique. Il est antérieur et se repère dès 2002, soit un an avant l’affaire Accoyer.