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Varia sur la Passe #70

LA PASSE, MÉTÉO DE L’ÉCOLE

par Jean-Daniel Matet

 

Est-ce la figure du capitaine, consultant la météo pour sortir du port, qui doit inspirer un futur président de l’ECF, son Directoire et son Conseil, ou celle d’Eole qui ferait la pluie et le beau temps ? S’il se prend pour Jupiter, la mégalomanie de son délire lui sera reprochée, et si il se prend pour un tigre, c’est sa nature de papier qui apparaîtra. Toutefois il est prié d’ordonner les saisons et qu’à défaut d’incarner l’horloger, il soit le jardinier qui permettront que « cent fleurs s’épanouissent »i et que les arbres produisent des fruits.

Depuis l’élection du nouveau Conseil (2010-2012) et de son Directoire dont l’élection sera officiellement entérinée le 5 janvier, l’heure est à la transition et au brain-storming. L’équipe sortante transmet à l’équipe entrante, dans la hâte, les informations, les dossiers, les raisons de ses actions. Déjà deux réunions du Conseil ont eu lieu, se préparant à établir dès la rentrée le rythme des comptes-rendus qui seront rendus publiques sur ECF-messager. L’ambiance est studieuse, mais joyeuse comme celle qui accompagne le mouvement issu des Journées de l’ECF 2009.

Rien ne sera plus comme avant. Ce qui apparaissait comme une gageure quand nous combattions les évolutionnistes et autres comportementalistes, a trouvé une réponse dans la succession des 120 exposés qui témoignent pour chacun du moment, de la conjoncture analytique qui le fit analyste. Nous poursuivrons à Rennes qui déjà se prépare. Nous imposons ainsi aux calculateurs de tous horizons qui ont envahit notre vie sociale et intellectuelle, une méthodologie et une raison qu’ils voulaient rejeter. Nous garderons de la statistique et du calcul ce que la rigueur d’une bonne gestion suppose (les instances de l’École ne peuvent pas le négliger), mais nous resterons fermes sur notre orientation de travail qui est avant tout transfert de travail.

Ainsi la Passe elle-même se trouve questionnée, dans son appréciation clinique, comme dans le dispositif que l’École se donne pour en juger. Nous remarquons que cette interrogation est née de ces dernières Journées et du Journal qui en animent le débat bien au-delà, et non pas du dispositif lui-même. Ni le secrétariat, ni le collège, ni les cartels (j’en assume ma part pour en être) n’ont été à l’initiative de ce questionnement et de la remise en question de ce qui apparaît depuis quelques années comme malaise et dysfonctionnement de la passe. L’initiative est venue des acteurs (passants, passeurs) jusqu’aux limites que le dispositif impose quant à la confidentialité de ce qui s’entend dans le témoignage. Mais jusqu’ici, nous pouvons saluer l’effort de bien dire qui tente d’arracher à la langue de bois ce qui fait l’enjeu du problème sans tomber dans les petites misères. Le collège de la passe a perdu du coup son objet, tant le débat s’est élargi avec profit au-delà des acteurs du dispositif lui-même.

Il y a un enjeu politique. Il a été souligné et comment ne pas se souvenir en cette date anniversaire du texte « Acier l’ouvert »ii (10-11 décembre 1989) de la ferraille que Jacques-Alain Miller avait dû sortir pour ouvrir ce ciel dont les nuages menaçaient l’École elle-même. Il fit valoir les lignes de lecture politique que la situation imposait et chacun y prit ses responsabilités. L’École n’est pas de toujours, elle est sans cesse en construction, et son mouvement ne peut s’interpréter sans la dimension du temps, pas celui de la météo, mais celui de la logique. Nous n’en sommes plus à l’École avec ou sans Lacan, mais à l’École avec ou sans son envers. Il est aujourd’hui inconcevable d’opposer une École des spécialistes, fussent-ils psychanalystes chevronnés, maîtres es-passe éventuellement, à celle des analysants militants d’une cause analytique qui se jouerait sur la scène publique tout autant que sur les divans. Les uns et les autres, alternativement si l’on veut bien donner tout son poids à une permutation vraie (pas celle qui ferait revenir les mêmes toujours à la même place), sont solidaires du destin de la psychanalyse qui se joue tout autant sur les divans, dans les fauteuils que dans les Forums, les Journées, les déclarations publiques et combats en tout genre. Il n’y a pas deux Écoles, la noble qui pratiquerait la psychanalyse et la vulgaire qui en parlerait, ce sont les deux faces d’une bande de Moebius, plus encore un nouage borroméen qui perd sa pertinence quand il se désolidarise. Quel sens aurait l’action de ceux qui s’activent pour l’École si elle était réduite à une tâche sociale, si elle n’était articulée à ce qui du symptôme vient pour chaque analysant, au titre d’un reste, instaurer un lien social nouveau ? Les CPCT, les commissions de l’ECF, les comités éditoriaux en ont montré l’exemple dans la capacité de leurs acteurs à engager les enjeux pour la psychanalyse, jusqu’à renoncer à ce qui pouvait s’apparenter à un succès professionnel dans le champ social.

Pour ces raisons, je ne souscrirais pas à l’analyse qu’a bien voulu en faire Patricia Johanson-Rosen dans le JJ 61 en opposant, si je l’ai bien lu, le combat pour la psychanalyse aux exigences de l’École. Le militant pour la psychanalyse doit trouver sa limite dans l’analysant, et l’analysant, si il ne veut pas idéaliser la pratique de la psychanalyse, a beaucoup à gagner à se frotter aux effets de ce discours dans la société. Il n’y a plus d’École-refuge, au sens du lieu bunker qui préserverait les analystes et les analysants de radiations hostiles, mais ils deviennent eux-mêmes dans leur mouvement le refuge du discours psychanalytique, par l’irradiation issue de l’expérience du divan qui va toucher la société dans laquelle ils vivent.