Catégories
Varia sur la Passe #67

LES AE AU DÉBUT D’ECF2

par Sophie Bialek

 

Alors que je m’apprêtais moi-même à faire écho au propos de Philippe Chanjou, je découvre, sous la plume de Nathalie Georges au sujet du même texte, référence à mon « faites-vous connaître des gens connus » qui, en son temps, marqua les esprits et précéda de peu, en effet, non pas tant ma nomination d’AE que mon entrée dans le dispositif de la passe.

Ce « faites-vous connaître… », dans le contexte où il fut énoncé (les prémisses de la « passe à l’entrée »), visait la réponse qui m’avait été faite, quelques temps auparavant, par un membre du Conseil auquel j’avais soumis une demande d’entrée à l’École : « Qui vous connaît, en dehors de votre analyste? », m’avait-il, en substance, demandé. Sur le coup, ma réponse avait été : personne. Réponse étrange, puisqu’à l’époque j’étais connue d’au moins deux membres de l’ECF, Guy Lérès et Geneviève Morel, qui avaient été plus-un de cartels auxquels j’avais participé. Quoiqu’il en soit, ma flèche, décochée d’une tribune organisée par Jacques-Alain Miller, eut ma foi l’avantage (et l’inconvénient), de me faire connaître, en un rien de temps, d’à peu près tout le monde. Problème réglé ? Il fallut le signal douloureux – la résurgence d’une névralgie à laquelle je pus donner, dans l’après-coup, le statut de PPS – sanctionnant dès le lendemain matin mon audace de la veille, pour me faire reconnaître dans ce trait, l’humour, non pas « un peu noir », mais carrément assassin dont mon père usait lui-même à l’endroit du sien, assassiné à Auschwitz. L’insupportable de cette transmission ainsi isolé précipita la fin de mon analyse vers son issue dans le dispositif de la passe. Une nomination d’AE s’ensuivit.

Toutefois, et j’en viens à présent au propos de Philippe Chanjou, il m’apparaît certain que si le cartel de la passe qui m’avait alors décerné le titre avait eu ce souci du « critère » (terme à discuter, bien sûr)) épistémique auquel P. Chanjou a eu affaire, il m’apparaît certain, que, comme lui, je n’aurais pas été nommée. Pour exemple, je n’avais alors pas plus que lui à faire valoir dans le champ des publications : à savoir, un texte dans la Lettre Mensuelle. Mais je m’étais retrouvée nommée en même temps que 6 ou 7 autres. Certains étaient comme moi nouveaux dans l’École. Les autres y étaient déjà bien installés, AME… Un colloque prévu à Strasbourg, sous le titre « La passe, fait ou fiction », s’annonçait, qui allait constituer, en somme, ma première épreuve. De la préparation de ce colloque, j’ai conservé à ce jour des souvenirs mémorables. Jacques-Alain Miller nous avait invités à nous constituer en cartel. Évidemment, j’étais sensible à l’opportunité que représentait pour moi le fait de pouvoir travailler auprès de collègues plus chevronnés. Je me rendis donc à la première réunion de mon cartel avec un premier jet de travail. Deux ou trois feuillets que je déposai sur la table. L’un des collègues chevronnés désignant mes feuilles, s’exclama à mon intention : « c’est quoi, ça ??? ». « Mon travail pour cette séance de cartel », lui répondis-je un peu surprise. « Comment ça ?? », insista-t-il. Je tentai de m’expliquer : « hé bien, il s’agit d’un cartel, alors j’ai fait ce petit écrit. Quand on travaille en cartel, on fait comme ça, non ?, enfin… ». « Quoi ??? Tu fais comme ça, toi ??? », m’interrompit ce chevronné. Puis, se tournant vers l’autre chevronnée du cartel et la prenant, tout rigolard, à témoin, : « Tu te rends compte ??? T’as vu ce qu’elle fait, elle ? ». L’interpellée ne pipa mot…

Bref, que dire de ce cartel, sinon qu’il fut, à n’en point douter, l’un des plus « fulgurants » de toute l’histoire de l’ECF : quelques réunions consacrées à des papotages, et puis plus rien. Mais la confrontation avec les chevronnés n’en resta pas là. C’est qu’il nous fallait aussi nous réunir afin d’élaborer le programme du colloque. Et rédiger l’argument. Ce fut épique. Les AE nouveaux observaient médusés les AE chevronnés. Mon premier ne pouvait pas encadrer ma seconde, ma seconde le lui rendait bien. Mon troisième, provincial, profitait de son avantage territorial pour se tenir prudemment à l’écart du tumulte tandis que ma quatrième ne déboulait que passé minuit pour dire non à tout ce qui avait été laborieusement avancé avant son arrivée… Une nuit (il était bien trois heures du matin) je proposai, pour sortir de l’impasse, de rédiger seule un argument qui serait ensuite soumis au collectif. Une chevronnée refusa net ma proposition, puis se répandit à 5 heures du matin dans un fax adressé à chacun d’entre nous : « c’est l’échec de l’école »… Ce énième avatar eut raison de ma bonne volonté. Je me retirai. Une « solitude peuplée de congénères », qu’ils disaient… Why not ? Seulement voilà : lesquels ?… Mieux ne valait-il pas encore la solitude « héroïque » façon Chanjou ?

Dans les suites du colloque de Strasbourg qui fut, paraît-il, un succès, les AE nouveaux, estimant en avoir suffisamment soupé, décidèrent d’organiser leur propre soirée des AE, distincte de celle des chevronnés. Quelques membres de l’ECF nous interrogèrent sur les raisons d’un tel dispositif, mais pas les instances qui se tinrent coites. Trois ans plus tard, mon exercice d’AE achevé, dans un contexte institutionnel annonciateur de crise, je pris rendez-vous dans un moment d’angoisse chez Jacques-Alain Miller. Il accueillit ma demande de la façon suivante : « en somme, vous voulez que je sois votre mentor ».

Épilogue : Guy Lérès quitta l’ECF en 92. Geneviève Morel, qui fut une AE de l’École Européenne en fit de même, quelques années plus tard. À cette même époque, les nouveaux membres entrés à l’ECF en étant nommés AE en démissionnèrent. Ou disparurent de son champ… « Reste symptomatique » de chacun d’entre eux, se dira-t-on,… Quid, en effet, de celui de chacun des autres ?