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Varia sur la Passe #70

« MAPASSE » ET LA PASSE

par Jean-François Cottes

Je tenterai de contribuer au débat en cours sur la passe à partir de mon expérience de la passe.

mapasse

Plusieurs années avant de conclure l’analyse, j’avais décidé que je ferai la passe. C’était au moment où, répondant à des demandes d’analyse que j’avais d’abord orientées vers des membres de l’École, j’avais commencé à recevoir ceux qui me demandaient de s’analyser avec moi. La perspective de faire la passe s’était alors imposée à moi comme allant de soi. La passe à l’entrée battait son plein, mais je ne me sentais pas concerné. La passe c’était pour moi la passe finale, je n’en voyais pas d’autre.

Un an plus tard, au printemps 1998, alors qu’une crise majeure dans l’École était engagée, j’entrais à l’École après l’avoir demandé.

L’analyse se poursuivit jusqu’à son terme, elle se conclut sur une formation de l’inconscient et son interprétation lors de la dernière séance.

Cette certitude d’avoir terminé monanalyse a été plusieurs fois confirmée et jamais remise en doute.

S’ouvrit alors une période d’intense élaboration pendant laquelle je me mis à écrire sur mon analyse, les formations de l’inconscient et leur interprétation prenant une place importante au cours de ce processus-même. Au bout d’un an le processus arriva à son terme. J’en conclus que j’étais prêt à faire la passe. Or, c’est à ce moment que la passe fut suspendue. Malgré la suspension de la procédure et après avoir pris l’avis de celui qui avait été mon analyste, j’écrivis à la présidente de l’École ma demande de faire la passe à l’ECF. Quelques jours après je fis un rêve qui se passait rue Huysmans : la présidente de l’École me dit qu’elle a reçu une lettre et me demande si elle doit la faire suivre, je lui réponds oui. Quelques semaines plus tard je rencontre effectivement Lilia Mahjoub à l’École, elle me dit qu’elle a reçu ma lettre et que ma demande est sérieuse.

Je reprends alors quelques notes sur mon carnet.

Plus d’un an après, Francesca Biagi, membre du secrétariat de la passe, me reçoit, m’indique que ma demande va être examinée par le secrétariat et que je serai contacté.

Quelques semaines plus tard je me rends à Paris pour tirer le nom de mes passeurs. Une fois le tirage au sort fait, elle me dit en substance : maintenant c’est votre passe, c’est à vous de jouer.

Je contacte aussitôt le premier passeur dont j’avais tiré le nom. Nous nous verrons deux fois. Lors de ces rencontres, je ne lis pas mes notes, je savais ce que j’avais à dire. Je répondis aux demandes de précisions du passeur. Lors de la deuxième rencontre, le passeur me posa quelques questions pertinentes. Il me remercia de la confiance que je lui avais faite et me dit avoir été enseigné par mon témoignage.

Le lendemain, j’appelai le deuxième passeur qui me dit qu’il avait déjà une passe en cours et qu’il ne pouvait recueillir mon témoignage. J’appelais aussitôt Francesca Biagi et me rendis chez elle pour tirer le nom d’un autre passeur que j’appelais aussitôt et qui me dit ne pouvoir recevoir mon témoignage car elle allait elle-même s’engager dans la procédure. Je dus donc tirer au sort un quatrième passeur qui me reçut très rapidement dans sa ville de province, deux fois aussi pour à peu près la même durée. Ce second passeur me dit qu’il était convaincu par mon témoignage et que, lui aussi, en avait été enseigné.

Le cartel reçut les passeurs plusieurs mois plus tard.

Il me fallut attendre encore plusieurs mois supplémentaires pour que la réponse du cartel me soit dite par Francesca Biagi au mois de septembre suivant. La réponse était : non. Le cartel me faisait savoir que le témoignage était riche, les effets thérapeutiques certains, mais qu’il restait une ombre. Cette ombre, non précisée, m’évoqua la phrase de Lacan dans sa Proposition… sur la passe : Cette ombre épaisse à recouvrir ce raccord dont ici je m’occupe, celui où le psychanalysant passe au psychanalyste, voilà ce que notre École peut s’employer à dissiper.

Ainsi du début de la procédure de passe à la réponse, il s’écoula plus d’un an, alors que je n’avais pas attendu un jour à chaque étape pour accomplir ce qu’il me revenait de faire.

Je ne fus pas satisfait de la réponse du cartel. D’abord parce qu’elle était négative quant à la nomination comme AE, mais aussi parce que je voulais savoir sur quoi portait cette ombre.

J’appelais donc le plus-un du cartel qui finalement me proposa de me rencontrer lors d’une manifestation de l’École à Paris. Au cours de la journée un des membres du cartel me parla spontanément de ma passe et me dit que c’est à cause d’un « tout petit point » que je n’avais pas été nommé.

Le soir je rencontrai le plus-un qui me dit que le cartel avait beaucoup discuté de ma passe, qu’il avait été envisagé de recevoir à nouveau les passeurs pour préciser un point, mais que finalement ce n’avait pas été le cas, que le cartel avait considéré avoir assez d’éléments pour pouvoir décider. Il me dit aussi que je n’avais pas eu de chance, car d’une part un autre cartel m’aurait sans doute nommé AE, et que d’autre part ils venaient de nommer un AE. Enfin, il me précisa le point essentiel qui avait fait la décision : le passage au psychanalyste, la mise en fonction du désir du psychanalyste étaient restés voilés.

Et pourtant cette question avait été présente dans mon témoignage auprès des passeurs de façon très précise et mise en relation à la fois à mon hystoire et à mon analyse. En effet, au moment où j’ai commencé à recevoir des demandes d’analyse, une référence du séminaire de Lacan me servit comme point d’appui à mon élaboration dans ce moment de passe. J’en fis part aux deux passeurs en mettant l’émergence du désir de l’analyste en lien avec un versant de détermination lié à la névrose infantile et un versant de cause liée à la rencontre avec la psychanalyse à l’adolescence.

Quelque chose n’a donc pas passé du passant au cartel.

Cela ne tient pas à la conviction des passeurs qui l’un comme l’autre au cours de ma passe et par la suite, m’ont dit que mon témoignage les avait convaincus.

À partir de là, que puis-je dire du débat en cours sur la passe ?

La passe

La passe est une expérience à nulle autre pareille que je recommande à tous ceux qui ont conclu leur analyse. C’est un moment d’élaboration d’une grande intensité, qui a été pour moi très productif pour les vues nouvelles que cette élaboration m’a donnée sur mon analyse et sur la psychanalyse. Ce processus se poursuit depuis, il est le point d’appui de l’acte analytique.

J’avais parlé à mes deux passeurs de la contingence de la passe. Mon expérience de la passe m’a confirmé ce point de vue. La passe n’a rien de nécessaire, à chaque étape la contingence entre en jeu.

On débat sur le point de savoir si et comment permettre aux passants qui n’ont pas été nommés AE de témoigner de leur analyse, de leur passe. Faut-il créer un dispositif à cet effet ? Je crois surtout que la réponse revient à chaque passant. En ce qui me concerne, j’ai tenu compte de la réponse du cartel en consacrant l’essentiel de mes contributions dans notre champ à la question du désir de l’analyste. C’est ce que je continue de faire.

L’offre des Journées 38 et de celles de Rennes apporte une réponse audacieuse et qui a démontré son opérativité à la question posée.

Mais il demeure les problèmes posés par le faible nombre d’AE nommés et le peu de demandes de passe. Gageons que sur ce dernier point l’élan donné par les Journées produira un effet bénéfique.

La passe sélectionne une élite. Elle choisit ceux qui seront en charge de témoigner des points cruciaux de la psychanalyse là où elle en est et d’analyser l’expérience de l’École. C’est pourquoi la sélection est rigoureuse. Cette rigueur est nécessaire mais elle inhibe sans doute la dimension du pari de la nomination. Une nomination est un acte, elle s’appuie sur une certitude, mais participe aussi de l’acte de foi. La prudence est requise, mais elle ne doit pas faire place à la frilosité.

Prenons une autre question pour essayer d’éviter cet écueil. On débat, depuis longtemps, sur le fait de savoir s’il ne faudrait pas faire de la nomination d’AE un titre permanent. Les uns en tiennent pour le maintien de la nomination temporaire, d’autres pour l’extension de la nomination sans limite de temps, les uns comme les autres avançant d’excellentes raisons pour motiver leurs points de vue.

Je considère que les deux positions se tiennent. Comme tout un chacun, j’ai constaté et constate encore que, passés les trois ans d’enseignement, certains AE ne contribuent plus ni aux points vifs de la psychanalyse ni à l’analyse de l’expérience de l’École. J’ai aussi le souvenir d’AE qui ont trahi l’École et l’ont quittée, après et même pendant leur mandat. Mais a contrario j’ai constaté aussi que d’autres AE contribuent de façon éminente à la doctrine lacanienne de la psychanalyse et aussi à la vie de l’École et à l’analyse de son expérience, parfois très longtemps, des décennies, après leur période d’AE en exercice – comme nous l’avons vu de façon éclatante lors des Journées 38.

Faut-il opposer AE temporaire et AE non-temporaire ? Pourquoi au contraire ne pas dépasser la contradiction en les articulant et en faisant cohabiter les deux catégories dans l’École ? Cela ne suppose pas de subdiviser la catégorie d’AE. Il suffirait qu’un jury se prononce au bout des trois ans d’enseignement sur le fait de savoir si un AE est prolongé dans son titre ou non. L’unité de la passe comme celle du titre d’AE seraient préservées, il n’y aurait qu’un seul type de nomination.

Cela ne serait-il pas de nature à permettre aux cartels de nommer sans une retenue excessive ?