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Varia sur la Passe #72

MOLIÈRE ET KAFKA

par Rose-Marie Bognar

 

Non dignus sum intrare, me disais-je, reprenant le Malade imaginaire, dans une idéalisation en effet imaginaire, et fantasmatique de la passe, ignorantus, ignoranta, ignorantum je suis. La passe m’apparaissait comme inaccessible, réservée à quelques élus, ce qui faisait pour moi exister l’Autre, même si c’était sans rapport avec la réalité de cette démarche. Ver de terre, étoile… Cela me mettait dans la position d’attendre que quelque chose vienne de cet Autre, sans y mettre du mien, comme le personnage de Kafka, évoqué par Dominique Chauvin. Celui-ci attend, assis sur son tabouret, jusqu’à ce que mort s’en suive, que le gardien de la grande porte, d’ailleurs ouverte, lui donne la permission d’entrer. Au moment où il va mourir le gardien lui dit : « Personne d’autre n’avait le droit d’entrer par ici, car cette porte t’était destinée, à toi seul. » Trop tard. C’est cette inertie que le vent des Journées est venu balayer. Ce ne sont pas seulement les états-majors qui ont été court-circuités, c’est la dimension de l’espace, avec la diffusion mondialisée du Journal, et celle du temps grâce à sa réception instantanée. Recevoir ainsi tous les jours une parole vivante produit des effets : nombreux sont ceux qui veulent maintenant reprendre leur bâton de pèlerin, témoigner. L’ampleur de ce mouvement évoque pour moi la phrase de Télévision : « ce qui ne constituera pas un progrès, si c’est seulement pour certains ».