Catégories
Varia sur la Passe #70

NOMMER a ?

par Dominique Laurent

L’évaluation, les exigences de formation universitaire protocolisée, les reconnaissances professionnelles encadrées, surveillées, par le grand panopticon bureaucratique, visent à nommer à une place et assurer chacun de son utilité sociale. Comment éviter que dans la psychanalyse « le nommer à » vienne occulter la réflexion sur ce qu’est le nom de psychanalyste. Ce serait permettre le retour, actualisé par les exigences du maître, de l’accréditation bureaucratique de l’analyste. C’est exactement ce point que J.A. Miller interroge depuis plusieurs semaines. Le désir, nouveau et massif, de témoignage d’analysants lors de nos journées interroge le dispositif de la passe. Avec cette procédure, Lacan a combattu la réduction du devenir analyste à l’identification de critères de l’être et au fonctionnement d’institutions qui masquent la fonction analyste en tant que série de positions singulières.

La passe doit continuer à vérifier sur quelle jouissance obscure le nom de psychanalyste est posé. L’analyste a rencontré dans son analyse le « délire » qui fait sa vie, soit son fantasme, et il sait de quelle jouissance il se paie. L’analyste « délire » avec chacun de ses analysants, mais pas avec le « tous » de l’évaluation. Il permet ainsi à chacun de produire ses signifiants-maîtres, son monde, son inconscient et d’obtenir de la bonne manière le seul « essentiel » qui soit, l’extraction de l’objet a, ou le « savoir y faire avec le symptôme ». Le nom de psychanalyste vient désigner non pas un être, mais un symptôme. La psychanalyse ne promeut pas d’identifications stables, collectives, pour mettre tout le monde au travail sous une discipline commune. Loin de rêver à un nouvel humanisme disciplinaire pour garantir le fonctionnement d’une École de psychanalyse, Lacan a pris comme référence l’Autre jouissance, féminine, qui n’exclut ni le souci des semblants ni le lien de l’amour. Il a conçu une École comme un ensemble sans universel où ne vaut pas le « pour tout x », comme l’indique la « Théorie de Turin ».

Notre pari est celui d’une particularité subjective soutenue par le rapport le plus étroit au savoir dans l’acte analytique même. De ce point l’analysant peut être convoqué dans un lien épistémique à la psychanalyse et à un lien social qui en passe par une École.

Ce transfert de travail se vérifie dans la procédure de la passe et les travaux exposés. Dans cette perspective, L’École a mis en place, à côté de la nomination de ses AE, deux modalités d’admission de ses nouveaux membres. L’une s’est appuyée sur les titres et travaux, l’autre sur la passe à l’entrée – perspective introduite par Jacques-Alain Miller. La première continue de fonctionner, la seconde a été une expérience limitée dans le temps. Au Congrès de Rome en 2006, j’interrogeais la façon de rendre compte, à l’heure de la tyrannie de l’expertise, de la spécificité de la psychanalyse lacanienne dans ses procédures d’accréditation. C’était un moment où la passe conclusive suscitait peu de « vocations » et où la procédure d’admission ne prenait pas en compte ou pas assez l’analysé. Au sens où Lacan formulait « il y a de l’analyste » quand « il y a de l’analysé » . « Il y a de l’analyste » inscrit quelque chose, un quod, qui n’est pas encore défini. Le jugement d’attribution porte sur « il y a de l’analysé ». Le jugement d’existence porte sur « il y a de l’analyste ». L’analyste est une existence, un quelque chose en fonction. Le corrélat de cette formulation est que l’analyste se réduit à sa fonction dans une pratique. C’est une autre perspective que celle qui vient nommer analyste celui qui atteint le terme d’un cursus.

Le succès de ces Journées révèle le caractère obsolète de toute perspective d’une liste d’analysants nommés seulement « sur travaux ». La procédure d’admission est, dès lors, à penser à partir du savoir inédit obtenu de l’analyse et des travaux effectifs. Ce serait confirmer notre pari du sujet.