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Varia sur la Passe #68

PASSEUR/PASSANT

par Elisabeth Leclerc-Razavet

 

J’ai été frappée de lire de façon répétée, chez les passeurs, combien cette désignation avait pu avoir d’effets pour eux. C’est bien la première fois qu’on entend parler de cela, avec cette mise en série.

La façon dont Philippe La Sagna décline si précisément les signifiants introduits par Lacan dans son texte sur la passe, dans le JJ n°64, me fait intervenir dans le débat actuel. Il parle, et du passeur, et du passant, en faisant une mise en perspective très intéressante. Car au fond, pour qu’il y ait rencontre, il est nécessaire que chacun soit à sa place : le passeur « est » la passe (« moment originel qu’il incarne », dit PLS, actif mais clos), ce qui signifie qu’il n’a rien à en dire car il ne peut rien en dire. C’est uniquement à cette condition qu’il peut « recevoir » le témoignage du passant, qui, lui, a quelque chose à en dire.

« Le passeur est celui en qui est présent le désêtre qui a frappé l’analyste dans la cure » (PLS). Ça veut dire quoi ? (Beaucoup de passeurs dans le JJ parlent de désorientation.) Cette formulation mérite vraiment qu’on s’y arrête.

Le passant, lui, est censé être au-delà. Il a fait un franchissement : il a choisi d’endosser lui-même la fonction du désêtre (passage à l’analyste). De ce franchissement, quelque chose le pousse à transmettre. Est-ce que les Cartels de la Passe recueillent de tels témoignages ?

Voici maintenant quelques réflexions, en tant qu’ex passante et analyste, à partir du texte de Ph. La Sagna :

– Si le passeur est passeur trop longtemps, il y a tous les risques qu’il soit « au-delà » d’être la passe… et qu’il ait, lui aussi, envie de témoigner (peut-être même « mieux » – imaginairement – que le passant qu’il écoute).

– Concernant l’analysant, ce qui est en jeu, c’est le moment où il va s’engager dans le dispositif. Est-ce toujours si simple de dégager le franchissement, juste avant le franchissement, trop près du franchissement… et j’en passe. « Désêtre », « destitution », « surcroît d’être », sont des signifiants que Lacan nous donne pour nous repérer.

Car la question qui reste bien énigmatique, c’est : qu’est-ce qui pousse un analysant à faire la passe, c’est-à-dire à aller témoigner, au-dehors de la cure ? Ma question porte sur le « pousse ». « Être la passe » ne protège pas forcément du « pousse à témoigner ».

Le passeur, quand il est désigné, est « protégé » de cette démarche d’aller, trop tôt, comme passant dans le dispositif (certes, il n’est pas à l’abri de ce qui va lui tomber dessus ! cf. les JJ).

Alors, les analystes (des passeurs et des passants) dans cette affaire ? Ce serait bien de les entendre aussi :

– Sur leur témoignage du repérage clinique, dans la cure, entre le temps du passeur et le moment où le passant s’engage dans la procédure.

– L’analyste doit-il toujours rester silencieux quand un analysant lui dit qu’il veut faire la passe ?

– Visiblement une désignation comme passeur a des effets dans une cure (elle circonscrit ce temps « d’être la passe »). Ne pourrait-elle pas pondérer une précipitation dans le dispositif ?