par Bernard Seynhaeve
Cher Jacques-Alain Miller,
Je connais un moment subjectif difficile. Inhibition. Je voudrais articuler mon inhibition à la solitude.
Circonscrivons ce point.
Premièrement. Je distingue deux formes de solitude dont je fais l’expérience en ce moment. La première concerne le fait que je suis seul AE depuis près de deux ans à l’ECF.
Le Jury de l’ECF a nommé deux AE en avril 2008, Antoni Vicens et moi-même ; Antoni est membre de l’ELP. Quatre autres AE viennent d’être nommés. Aucun francophone.
J’ai par ailleurs souligné un acte manqué de l’École au moment de présenter son rapport d’activité puisque parmi toutes les activités organisées par l’École, rien n’avait été dit sur la passe et la nomination de ces deux AE.
J’en conclus donc que la production actuellement d’AE ne fait pas partie du désir de l’École ; de l’École-sujet, comme vous le définissez dans la théorie de Turin. Je reste logique.
Il ne s’agit pas, dans cette solitude, de la solitude de l’AE. Certes, cette solitude subjective dont je témoigne est imaginaire, je l’admets. Elle me permet néanmoins d’en conclure que l’École ne désire pas produire d’AE actuellement. J’ai remarqué, comme je le souligne plus loin, que ce n’est pas le désir de passe qui manque, mais bien le désir de nommer des AE. Retenons ce premier point.
Deuxièmement. La seconde forme de solitude dont je voudrais témoigner est celle que je vécus dans ma chair, dans mon être pendant mon parcours analytique et que je retrouve aujourd’hui. C’est cette solitude qui fut le point d’Archimède de la fin de la cure. Cette solitude-là constitua le grain signifiant que j’ai tenté de moudre depuis ma nomination.
Au fond, je n’ai fait que cela, évoquer ce moment de passe que constituait dans ma cure ce que j’ai nommé ma traversée du désert, parler de cette interprétation déterminante de mon analyse qui stoppa l’association libre et fit chuter la supposition d’un savoir.
C’est en effet de cette solitude radicale là, celle de l’Un laissé en plan sans le recours de l’Autre, de cette solitude spéciale, corrélée à un réel rendu tangible et à ma jouissance singulière, de la fascination du sens, c’est de tout cela dont j’ai parlé. Il fallait ouvrir la bouche, je l’ai ouverte pendant plus d’un an, depuis que j’ai été nommé AE.
Mais aujourd’hui, à la veille de commencer cette année, il faut bien que je vous fasse part d’un symptôme qui m’envahit. Celui de l’inhibition. Je suis inhibé.
Mon troisièmement est un paradoxe. Cette inhibition, ce « ne pas parvenir à l’ouvrir », fait tache dans le tableau. Le tableau, c’est celui des dernières Journées de l’ECF et de l’acte génial que vous avez posé. Cet acte est un acte analytique visant le sujet supposé savoir qu’est l’ECF.
En effet, ces Journées et le Journal m’ont appris plusieurs choses. D’abord la dimension du « collectif des Uns », le « tous singuliers », le « tous analysants ». Chacun témoignant avec pudeur de sa singularité. C’est ce que cet à ciel ouvert des Journées a rendu possible.
Dans la perspective de ces Journées, je suis allé lire la « Théorie de Turin », formidable formation de l’inconscient de son auteur. Bien qu’elle fût prononcée il y a presque 10 ans, elle est également une incroyable interprétation du discours actuel de l’École, de l’École-sujet. L’acte que vous avez posé interprète le silence de notre École sur la formation de l’analyste, sur le comment ces Uns qui constituent l’École et toute la communauté des analysants, dans leur intime singularité, sont avant tout des analysants.
La réponse a surgit tel un claquement sur ce fond de silence, saisissant tout le monde. Des dizaines et des dizaines de Uns, « tous analysants », l’ont ouverte, la bouche.
Alors que notre École connaît soudain ce moment subjectif de passe, je me retrouve moi-même dans un moment de sidération, bouche bée.
Quatrièmement. Un autre point m’est apparu lors de ces Journées de l’École et dans le Journal des Journées. Ce point me semble déterminant : le désir de passe dans le collectif est très vivant. Peut-être, comme nous l’avons entendu, n’y a-t-il pas eu beaucoup de demandes de passe ces derniers temps. Néanmoins, il me paraît clair comme de l’eau de roche que désir de passe est bien vivant.
Un point de conclusion. Plus question pour moi maintenant de m’appuyer sur mon cas clinique pour avancer. C’est assez. Je prends donc l’initiative, après la soirée que j’ai organisée à l’École mardi dernier avec Antoni Vicens et Éric Laurent, d’organiser d’autres soirées cette année. Je vais inverser la vapeur. Je ferai ces soirées avec ces personnes qui ont ouvert la bouche lors de ces Journées et dans le Journal. Ces analysants qui ont formulé ces fines aspérités de leur analyse et qui nous éclaire sur la formation de l’analyste. Je voudrais m’orienter vers le Congrès de l’AMP. Je vais les inviter et j’apporterai mon grain de sel pour engager une conversation. Je vous en reparlerai certainement.
J’ai retenu le local de l’ECF. Voici les dates : les mardis 12 janvier, 9 février, 9 mars et 13 avril.
Je suis rentré tard à la maison. S’il n’est pas trop tard, j’aimerais que ces lignes soient publiées dans le Journal.
Je vous en remercie. Cordialement.