Catégories
Varia sur la Passe #72

UN SÉSAME

par Patrick Monribot

 

Après un bref écho d’une expérience de passeur, les récentes contributions au présent débat sur la passe – notamment celle de Pierre-Gilles Guéguen (JJ, n° 69) – m’invitent à livrer un vignette sur l’angoisse du passant passé.

Il s’agit d’une difficulté rencontrée au moment de ma nomination d’AE.

Quand celle-ci fut annoncée, je n’ai pas plus dégringolé de ma chaise que je ne suis monté au lustre : j’ai été inquiet. Je m’attendais pourtant à ce verdict. Avant même le résultat de la procédure qui fit certitude, une sorte d’intuition s’était imposée. Sans doute avais-je été étonné et convaincu par ma propre démonstration, non par suffisance ni par auto suggestion. Cette intime conviction n’était pas le fruit du logocentrisme ayant permis d’organiser la fiction et la logique du témoignage mais le résultat inattendu d’un événement de corps survenu pendant une rencontre avec l’un des passeurs. Bref, à cause d’un réel du corps qui m’a surpris et ne m’a pas trompé – j’en ai témoigné en temps voulu.

Pourtant, une fois confirmée la nomination, j’ai été rattrapé par un « manque-à-savoir » : pourquoi m’avaient-ils nommé ? Certains collègues ont voulu savoir pourquoi ils n’avaient pas été nommés. Paradoxalement, l’inverse s’est produit en ce qui me concerne : j’ai consulté soigneusement, un par un, les cinq membres du cartel pour obtenir raison de la nomination. Et j’ai obtenu cinq explications différentes, mais complémentaires… Cinq raisons qui m’ont permis d’éclairer la décision collective du cartel.

Cela n’a pas suffit à résorber l’inquiétude. J’ai rencontré un psychanalyste – « le meilleur d’entre nous », comme dit Esthela Solano (JJ n° 69) – à trois ou quatre reprises afin de m’aider à trouver le fil doctrinal qui me permettrait d’embrayer sur les trois années d’enseignement attendues d’un nouvel AE, au-delà de la simple fiction du témoignage – trois années redoutées. J’avais la clinique de ma cure dans la poche mais je cherchais anxieusement un fil rouge épistémique.

L’analyste sollicité n’était mon analyste ; il n’était pas davantage membre du cartel qui m’avait nommé, mais il était par moi supposé savoir éclairer ma lanterne, et ce pour diverses raisons qui n’étaient pas étrangères à la fin de ma cure. De fait, il n’a rien déduit mais, à la façon de Socrate, il a créé les conditions de ma propre trouvaille. Je me souviens d’une parole extrêmement rassurante : « L’AE soutient son École, et l’École soutient ses AE. » J’ai pu apaiser une folle inquiétude et me lancer dans l’arène mensuelle de ce qui, à l’époque, s’appelait le « laboratoire des AE » avant de devenir la « soirée des AE ».

J’ai ainsi trouvé une solution à la difficulté théorique qui excitait mon surmoi sur le mode « Vais-je y arriver ? »

Épilogue. S’appuyer sur les membres du cartel qui nomme et sur un analyste (à la façon du « contrôle ») sont des pistes possibles pour ceux qui, fraîchement débarqués dans notre communauté de travail, hésiteraient à franchir le pas de la procédure au motif de n’être pas « savant assez ». Il s’agit de trouver un coup de pouce analytique qui soit un sésame. Question de pichenette. Le reste suit comme effet de nomination. C’est une autre façon de s’autoriser de soi-même et « de quelques autres ».