par Yves Depelsenaire
Je suis membre de l’ECF depuis ses débuts. J’y ai été accueilli par le charmant Robert Lefort, un des quelques anciens de l’Ecole Freudienne de Paris resté fidèle à Lacan après sa dissolution. Je garde de notre entretien un souvenir ému. J’avais trente ans. Je n’étais ni médecin ni psychologue. Bref, je sortais de nulle part.
Je suis resté viscéralement attaché à l’existence de cette Ecole. Dans un sens, elle représente toujours pour moi ce qu’elle fut à ses débuts : le lieu sur lequel Lacan pariait qu’elle préserverait son enseignement. Jeune et mouvante encore,….
Mais le jour où j’aurai le sentiment qu’il n’en est plus rien, elle ne m’intéressera plus.
A présent, j’ai à peu près l’âge de Robert Lefort à cette époque. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui pareil accueil me serait encore réservé. C’est ce qui me motive à écrire ces lignes.
Rien de plus énervant que le jeunisme. Je ne pense pas qu’il suffise d’ouvrir la porte de l’Ecole à des bataillons de « moins de x années » pour la ranimer. Mais il est clair que son malthusianisme invétéré est consternant. Ce n’est pas neuf. Je connais d’excellents collègues, plus complètement jeunes et pour cause, qui se sont lassés de frapper à la porte de l’Ecole. Certains ont le grand malheur de n’être ni médecin ni psychologue. L’Ecole, sensée attachée au principe de la psychanalyse laïque, semble, à ma grande surprise, avoir intégré cette condition dans la sélection de ses membres. Mais j’en connais qui ont fait l’effort de fastidieuses années en faculté de psycho, et qu’on ne traite pas mieux pour autant.
Même dans la conjoncture qui suit les récentes Journées, je n’oserais pas les encourager à représenter leur candidature, de crainte de les exposer à une nouvelle déception cruelle. Beaucoup sont pourtant actifs depuis bien longtemps dans les divers réseaux du Champ freudien. J’admire leur persévérance. Je les plains quand je les découvre taillables et corvéables à merci.
Deux cas précis, mais significatifs, m’ont frappé. Il s’agit de deux personnes, que je connais fort bien, pour les avoir proposées comme passeurs voici une dizaine d’années. Selon les échos qui m’en sont parvenus, elles ont rempli leur tâche à la plus grande satisfaction des cartels de l’époque.
Elles n’ont toujours pas été admises à l’Ecole depuis. Comme je m’en étonnais un peu auprès d’un membre du Conseil il n’y a pas très longtemps, il me fut répondu qu’elles étaient décidément animées d’un trop grand désir de reconnaissance. La bonne blague ! Comme si d’un tel désir impur, chacun dans l’Ecole était nettoyé ! Connaissant la modestie trop grande des intéressées, et l’authenticité de leur rapport à la psychanalyse, les bras m’en sont tombés.
L’Ecole souffre d’un autre mal, qui s’est révélé mieux que jamais à l’occasion des dernières Journées, et que mon ami Hellebois a fort bien défini : l’unanimisme. C’est ce qui me fait redouter qu’en dépit des espoirs soulevés par ces Journées où l’analysant prit la parole, et où la singularité de l’énonciation fut éminemment sensible, l’aile du désir trop tôt retombe.
Pour ma part, les enthousiasmes de commande ont toujours eu cet effet sur moi. Hellebois, lui, arrive à s’en amuser. C’est le bon remède. Je vais tâcher de me régler là-dessus.
Ces dernières années, l’unanimisme s’est manifesté dans deux directions opposées. Il y eut d’abord la période « Tous au CPCT ». Période sympathique à maints égards, qui, ne l’oublions pas, Jacques-Alain Miller l’a heureusement rappelé en un hommage mérité à Hugo Freda, a ramené de nombreux jeunes collègues vers l’Ecole comme lieu privilégié de formation clinique. Puis, suite aux objections, certes fondées, exprimées par Jam, ce fut la période, ô combien moins sympathique, du « Horreur CPCT ».
On avait connu le même mouvement avec « Vive la passe à l’entrée » !, suivi du « Que nul n’entre ici s’il n’y est déjà ». Ouverture-fermeture de l’inconscient, imparable battement dialectique. Inéluctable ?
Quel cri jaillira dans quelques mois ? Je ne jouerai pas au non-dupe et à l’oiseau de mauvaise augure. Je n’en présume donc pas. Mais comment faire pour que ce qui fait promesse ne soit pas mangé sous couvert d’applaudissements ? That’s the question, et il n’y a naturellement pas de réponse toute cuite. Sachons au moins ce qui nous pend au nez.