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Lettres & messages #80

Philippe Hellebois, La question ni… ni…

J’ai lu avec attention, mais sans effort, votre réponse détaillée aux voeux circonstanciés de mon ami Depelsenaire, et le paragraphe intitulé « Ni… ni » m’a beaucoup retenu. Je ne saurais dire si je suis d’accord ou pas, mais je voudrais y ajouter le témoignage de ma mince expérience personnelle.

Je suis de ceux que l’Ecole a bien traité depuis longtemps, même si ce n’est pas depuis toujours. Il ne faut bien sûr pas trop en demander et les années 80 pendant lesquelles je fis antichambre m’apparaissent aujourd’hui comme un temps de formation bien nécessaire pour le blanc-bec que j’étais. Autrement dit, j’ai souffert un peu, pas trop, la belle a fini par se rendre et ne cesse de me récompenser depuis. En outre, en me faisant attendre, elle m’a appris à jouer du violon ! Merci ma chérie ! Je ne cesse de m’en réjouir, même les mauvais jours parce que je me dis souvent que sur le plan qui compte vraiment « l’amour, le désir, la jouissance, etc.  » je n’habite nulle part ailleurs depuis plus de vingt ans (j’en ai cinquante-trois) que dans le champ freudien. Ce qui m’inquiète un peu, à la lecture de votre réponse, c’est la légère impression d’appartenir à une espèce en voie d’extinction, les ni… ni. Cela ne me fait pas plaisir parce que c’est la mienne et que je n’en veux pas d’autre. S’il m’était donné de tout recommencer, je ne serais bien évidemment plus historien, sans doute philosophe mais jamais au grand jamais psychologue ou psychiatre. C’est mon bovarysme à moi. Loin de moi un quelconque mépris pour ceux qui le sont parmi nous « des amis et plus encore… » mais moi je ne veux pas, ni dans cette vie ni dans l’autre et je ne veux pas que cela devienne une condition pour vivre où je vis. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime cette Ecole, c’est de m’avoir aidé à vivre comme je vis.

J’ai adoré la guerre Accoyer, ce mouvement de révolte qui ne nous laissait aucune chance et où l’heure était trop grave pour passer des compromis. « Cela ne se passera pas dans les bureaux des ministères mais sur la place publique. Nous sommes des va-nu-pieds mais nous gagnerons » disiez-vous. Vous ne doutiez de rien, du coup nous non plus et cela a sans doute sauvé l’Ecole, pas seulement des griffes de nos adversaires mais de nous-même. Comme vous le notiez, les jeunes l’ont rejointe ensuite, avant ils faisaient défaut.

« Se faire psychologue, ce n’est pas le bout du monde » écrivez-vous. Oui et non.

Non, à comparer cette perspective avec le sort du malheureux Laplanche enjoint par Lacan de se faire médecin et même à ne la comparer avec rien du tout. C’est seulement ennuyeux mais peut-être, hélas, dans certains cas, nécessaire, un conseil pragmatique à donner aux jeunes. Une espèce de recul stratégique ou comme vous dites de compromis révolutionnaire. Ce n’est pas le bout du monde mais c’est dangereux quand même. Du compromis révolutionnaire au compromis réaliste et à la résignation, je crains de voir se dessiner demain une route rectiligne. Une espèce d’espoir à l’envers.

Oui, et je crains que les inconvénients ne l’emportent alors sur les avantages.

En effet, aujourd’hui, qui est l’ennemi, sinon le psychologue (le corps universitaire, non pas les psychologues un par un), qu’il soit comportementaliste, humaniste ou quoi que ce soit d’autre en -iste? La question de l’analyse profane ne devrait-elle être actualisée tant ce n’est plus contre le médecin que nous devons conquérir notre indépendance mais contre le psychologue?

Le médecin a évidemment une conception pyramidale du monde « rien de ce qu’il voit du sommet ne lui est étranger » mais qui les prend encore au sérieux aujourd’hui? En Belgique, où je me suis occupé naguère de ces questions de très près, les médecins ne se sentaient pas vraiment concernés sinon certaines franges extrémistes qui se voyaient traiter les psychologues comme des paramédicaux et envoyer les ni… ni dans les limbes. J’en ris encore parce que je pense que ça n’a aucune chance de passer, c’est le mérite de ce genre d’outrances, de plus les psychologues universitaires sont puissants et ne se laisseront pas faire.

Par contre, le péril pour nous me semble beaucoup plus grand avec les psychologues, qui, doucereux, sont prêts à nous faire croire que nous sommes du même côté, des compagnons de route ! Rien n’est plus faux ! Ils partagent ou veulent patager la même pyramide que les médecins et n’hésiteront jamais à s’entendre avec eux sur notre dos.
Ne faut-il pas défendre la catégorie ni… ni  comme Freud l’a fait dans son texte pour les non-médecins (qu’il appelle psychologues ! ) et vous dans la guerre Accoyer ?

Cela dit, les ni… ni les meilleurs ne sont certainement pas ceux que l’on pense si l’on s’avise qu’ils se répartissent en deux groupes qu’il ne faut pas confondre: les universitaires et les analystes. Les premiers ne sont pas le sel de la terre et encore moins des analystes nés. Les seconds, c’est évidemment autre chose puisqu’il n’y a d’analyste que ni… ni !

[Le décrêt à venir de l’amendement Accoyer pourrait permettre d’ouvrir une autre voie que le « devenir psychologue », qui ne m’enthousiasme pas plus que vous.]