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Lettres & messages #80

Sarah Abitbol, En lisant le Journal des Journées

La première chose qui m’a fait sourire en lisant le Journal, c’est l’annonce que votre séminaire aura lieu au centre Rashi. Dans un lieu dédié à celui qui a  passé sa vie durant à commenter et déchiffrer des textes, c’est là que vous  allez commenter les textes de Freud et Lacan. Ayant eu une éducation israélienne, Rashi était au programme du bac. Vous savez sûrement que  Rashi a commenté toute la Bible, les cinq livres de la Torah, les Prophètes  et les Ecrits, verset après verset, ainsi que tout le Talmud. Deux points, à  mon sens, le rendent particulier en tant que commentateur.

Rashi

Le premier, c’est  qu’il a un style très concis, qu’il aime la clarté, et qu’il a une démarche de linguiste dans son interprétation : il s’intéresse au mot. Aussi, chaque  verset a deux types d’interprétations, le « pshat » et le « drash ». Le simple, c’est à dire le sens premier du verset, et le sens complexe, figuré.

La seconde particularité, c’est qu’il était français, et sa langue était donc le français. Ceci a comme effet que, dans ses commentaires,  on retrouve des mots en français du 11ème siècle. Lorsqu’il ne trouvait pas  de mot en hébreu pour expliquer quelque chose, il utilisait le français. Il  précisait alors : « comme on dit en laaz» (langues des gentils).

Afin  de distinguer son commentaire du texte même, il l’a écrit dans une écriture  à caractères petits, que l’on appelle l’écriture Rashi. Cette écriture  est enseignée, car elle se différencie tout de même de l’hébreu. Les  commentaires de Rashi ont été utilisés par des linguistes qui étudiaient  l’étymologie du français au Moyen âge. Ce mouvement de l’hébreu au français  pour interpréter des textes écrits en hébreu m’a semblé amusant replacé dans  le contexte de votre enseignement au centre Rashi. La structure de la langue  hébraïque, comme vous le savez, se prête facilement à l’équivoque à partir  de son système de racines. Et Lacan, nous montre sans cesse dans la langue  française la possibilité de l’équivoque.

Contre l’unanimité

La deuxième chose dont je  voulais vous faire part, et qui est plus personnelle, est liée à votre  échange avec YD sur l’unanimité et le « suivisme ». Je suis moi aussi  toujours  réticente face  aux phénomènes  d’identifications et de masse inhérents à tout groupe.  Je crains l’unanimité, et j’ai d’ailleurs été réticente dans un premier temps  face à l’engouement pour les Journées de l’ECF. J’avais l’idée que, malgré la  nouveauté, la démocratie,  que vous avez permises, une nouvelle vague de  masse, d’identifications, allait se produire. Deux moments m’ont fait changer  d’avis.

Le premier a eu lieu lors du tirage au sort des salles, au local de  l’ECF, en vous écoutant commenter chaque témoignage, et nous transmettre  les raisons ayant présidé à la constitution des binômes. J’étais alors  témoin du désir qui vous anime, et qui a eu comme effet votre implication et  engagement vis-à-vis de chaque analyste qui a témoigné.

Le second a eu lieu  lors de la clôture de ces Journées, lorsque vous nous avez rappelé que Freud  a dû payer de sa personne pour transmettre, et permettre que la psychanalyse  existe, et que, si l’on veut que la psychanalyse survive, il faut également payer  de sa personne.

Ces  deux points sont pour moi essentiels, car ils me permettent d’accepter le  reste. Et en effet, mis à part l’importance dans une association de modifier  une politique, une organisation,  et d’inventer des choses pour s’adapter à l’air du  temps, cela permet aussi de limiter les phénomènes d’identifications et de  démocratiser la structure, cela permet un débat, même si c’est a  minima.

[Vous vous décomptez. Mais à l’ECF, chez les névrosés, chacun se décompte aussi bien.]