« Des femmes » de Wajdi Mouawad

Bonsoir à tous,

Un petit résumé (qui n’engage que moi) des trois pièces « Des femmes » vues en intégrale dimanche, qui méritent analyse mais que je vous livre tel quel pour le moment.

Wajdi Mouawad est auteur, comédien, metteur en scène d’origine libanaise. C’est la lecture, dans sa jeunesse, des auteurs tragiques grecs dit-il, qui l’ont conduit à l’écriture. Son appétit pour le théâtre épique s’enracine là à travers ces textes et donnera lieu à un intense voyage à travers «Littoral, Incendies et Forêts» présentés à Avignon en 2009.

Autre moment fleuve : «Le projet Sophocle» et quel projet ! Mettre en scène sept tragédies dans leur intégralité : Ajax, Antigone, Œdipe Roi, Electre, les Trachiniennes, Philoctète, Oedipe à Colonne. Le point de départ de l’aventure est une trilogie. «Des femmes » ce sont Les trachiniennes avec Déjanire trahie par Héraclès, amoureuse éplorée, Antigone victime de la loi, résistante au pouvoir, celle qui ne cède pas sur son désir (Lacan l’Éthique) et Electre, la vengeresse, privée de son père Agamemnon par Clytemnestre sa mère et son amant Egisthe.

Electre et Clytemnestre (photo @nouage)

 

Trois femmes, simples mortelles, bafouées et conduites à poser un acte transgressif, criminel qui leur coutera la vie pour les unes, la plongera dans le chaos pour l’autre. On entend la vulnérabilité, le courage, la force d’opposition à l’ordre établi. Femmes en lutte contre le pouvoir des hommes, aveugles et belliqueux.

La qualité de la traduction des textes que Wajdi Mouawad a eu la bonne idée de confier à Robert Davreu, libre, vivante offre une lecture limpide entre le respect de la langue originelle et la familiarité du « quotidien ». Les puristes pourront s’en trouver quelque peu chagrinés….

Un extrait d’une interview de Robert Davreu que je découvre d’ailleurs….

« parler ici du traduire, du traduire dans sa relation essentielle à la poésie, c’est assurément avec davantage de questions que d’affirmations. Et ce ne sera en aucune manière pour avancer une thèse argumentée comme pourrait le faire un enseignant, un critique littéraire ou un véritable penseur de la traduction. Ce sera plutôt sous la forme d’un témoignage, le témoignage quelque peu balbutiant sur son propre parcours d’un poète-traducteur, ou d’un poète-et-traducteur, qui, malgré son manque de propension et d’aptitude au raisonnement suivi, essaie tout de même de transformer son expérience en conscience, dans la seule intention du partage et de l’échange.(…) »

La vengeance d'Oreste (photo nouage)

 

Les tableaux sont d’une grande beauté. La continuité entre les trois pièces est entretenue par un espace unique autour duquel court un rail, un gros cube qui servira tour à tour de tombeau, de tribune. Au centre du plateau un bric à brac d’objets, une atmosphère humide de fin du monde. Le décor et l’ambiance d’Electre rappelle les bidonvilles voire les bas-fonds victoriens. L’eau est omniprésente, trop peut-être, si je peux me permettre cette critique cependant ne vient-elle pas dire symboliquement une impossible purification ? L’eau, la terre devenue boue aspergent et maculent les corps, les vêtements des comédiens que W.M. met à rude épreuve….. Saluons la performance des acteurs intense, physique souvent dénudés. Le style de jeu et la déclamation quasi-robotique parfois de certains personnages peuvent dérouter. De même Déjanire poétique par son style évanescent ne (me) convainc guère lorsque pointe le drame.

Mais des images belles et fortes, la pose gracieuse et lascive de Déjanire purifiée par sa servante, le délire d’Antigone, les retrouvailles entre Oreste et Electre, sensuelles, sauvages.

D’autres moins convaincantes : Le « come back » somme toute risible d’Heraklès entouré de bandelettes, momifié par exemple, ou les fiançailles d’Antigone et Hémon…….

Mais, mais surtout l’autre bonne idée de W.M. Est d’avoir confié la partition musicale du chœur à Bertrand Cantat métamorphosant cette tragédie en un brûlant et sauvage opéra rock. Deux guitaristes, un batteur et B. Cantat au chant. Qui connait feu-Noir Désir peut imaginer un instant…. Le premier titre démarre a capella (dithyrambe au soleil) explose en déflagration rock a de quoi surprendre et filer le frisson. Et la voix justement, déchirée, cassée, écorchée, hurlant à la mort nous étreint. Tout l’hybris tragique est là dans cette voix.

Vous aurez compris que j’ai été conquise par ce spectacle. !

Ceux qui n’ont pu assister aux représentations pourront se consoler en se procurant les 3 textes traduits par Robert Davreu et le CD de la partition musicale intitulé « Chœur »* accompagné d’un album photo du spectacle parus à Actes sud en librairie.

Bises à bientôt

Véro O

*L’album « Choeurs » est disponible intégralement à l’écoute sur Deezer.

 

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