Chers amis, Cher José,
Après le dernier café psychanalyse, si réussi, au cours duquel Lacadée vous a fait Walser, je brûle d’envie de vous inviter retrospectivement sur notre « Colline aux livres », dans la cité de Cyrano, qui a eu lieu le 17 septembre 2011.
En voici quelques mots, succulents de contingence.
Bien à tous
Alain
Unerwartet !
«La Colline aux Livres», charmante petite librairie, de Bergerac, délicieusement éclairée.
Coline, sa libraire, a bien voulu nous abriter en cette fin d’après-midi de septembre, pour parler d’un livre qui parle d’autres livres.
Ça tombe pas si mal que cela, en cette rentrée qui est là aussi lacanienne, dans ce petit coin de Dordogne où prospère L’ACF-Aquitania.
Lacanienne ? Assis entre les livres, nous en rappelons la raison : le trentième anniversaire de la mort de Jacques Lacan. Beaucoup de rififi autour de lui, de sa pratique, de son séminaire, de sa vie : émissions, articles, livres. J’en recommande un, celui de Jacques-Alain Miller, son gendre, que Lacan a choisi pour établir le texte de ses séminaires. Vie de Lacan, que je présente, en est son titre. Ce n’est pas une biographie, mais une vue sur un Lacan vivant, dégageant ce avec quoi il n’a cessé de batailler au fil de son enseignement, de sa pratique : le réel, à côté du symbolique et de l’imaginaire.
Qu’on le sache ou pas, d’une manière ou d’une autre, on est tous aux prises avec le réel. Et Robert Walser, avec ses livres, en est un bel exemple. Ce que témoigne la manière dont il nomme lui-même son écriture « le roman du réel ».
Je disais donc : un livre, pour parler d’autres livres, ceux précisément de Robert Walser : Les enfants de Tanner, L’institut Benjamenta, L’homme à tout faire, La promenade, Le brigand…
Et cet Un livre, celui, bien sûr, de Philippe Lacadée, avec son titre attirant : « Robert Walser, le promeneur ironique » 1. Le sous-titre, « Enseignements psychanalytiques de l’écriture d’un roman du réel », indique déjà ce dont il s’agit : que nous enseigne l’écriture de Walser ?
Le maître est Walser, et Lacadée son élève ! Un élève spécial quand même, puisqu’il apprend de Walser, avec Lacan, et même, avec Jacques-Alain Miller. Ce que son livre doit à l’enseignement de Lacan, au cours de Miller – Clinique ironique, Psychose ordinaire notamment – en structure sa confection, en oriente la trame.
On pourrait dire un livre, un auteur (Lacadée), passeur d’autres livres, d’un autre auteur (Walser).
Dans cette conversation qui s’annonce, Éric Dignac, homme de théâtre, nous accompagne. Il prêtera sa voix à quelques écrits de Walser, au fil de notre promenade de parole parmi les livres. «La promenade», justement sans laquelle Robert Walser, comme il le dit, «serait mort». Philippe Lacadée, jouant du son et du sens, nous « passe » ses romans comme «une promenade du corps dans lalangue». À l’école de Walser, il extrait de la miniaturisation de son écriture une opération essentielle : «être un ravissant zéro tout rond» à partir duquel deviennent possibles des semblants d’être, la servante de l’Autre, « le feuilletoniste exécutant ». L’ironie s’invite dans le rapport à la langue et la production de nombreux néologismes. La traduction de ceux-ci en français est des plus délicates. Il mettra en valeur celle de Walter Weideli, en prenant deux exemples : « L’homme à tout faire » plutôt que « Le commis », comme titre de roman, et « bourrauder » plutôt que « maltraiter » pour un néologisme de Walser.
Surprise d’après-coup : Walter Weideli, le traducteur, était avec nous sur la Colline, et nous ne le savions même pas. Ce n’est qu’à la fin, dans un bar, à deux pas de la librairie, que nous invitions à notre table le vieil homme, seul avec sa bière, qui venait de nous écouter. Nous ne savions pas encore qui il était.
Je ne vous raconte guère la suite, prise dans un ravissement qui ne vaut qu’à se vivre. De un sortait deux, deux passeurs : l’un de lalangue, l’autre de la langue ! Nul doute qu’une telle unerwartete Begegnung aurait précipité Walser dans l’écriture, mais n’est pas Walser qui veut !
Alain Gentes
1 Lacadée Philippe, Walser, le promeneur ironique – enseignements psychanalytiques d’un roman du réel, éd. Cécile Defaut.
[Illustration: Sources of Art (1967), Bailey Films ]