Cher Guy,
Comme je tombais sur ce site de Guillaume Désange, critique d’art et commissaire d’exposition, et en particulier sur cette page, intitulée « Soft Office : Fétichisme – Capitalisme – Art Contemporain« , où il est question de « tertiarisation » de l’art contemporain, je n’ai pu m’empêcher de penser à Mike Kelley, à propos de qui nous avions envoyés quelques mails sur la liste au moment de sa mort, que j’ai enfin, finalement, publiés à cette adresse : https://disparates.org/escapades/ennuyeux-mike-kelley-has-died/
N’hésite pas veux-tu à intervenir dans cette page si tu le souhaites,
Gros bisous,
Véronique
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« Rassemblez votre courage pour quitter le domaine de l’art et du fétichisme. Avancez vers le réel, puis vers l’extase » (Mike Kelley)
« – Figure 1 : le récit d’un rêve
Cette nuit.
Victime d’une envie pressante, je cherche désespérément les toilettes en déambulant à l’intérieur du siège social d’une grande entreprise. Luxe, douceur & froideur du design. Dans un immense hall gris foncé, des hauts parleurs diffusent des annonces en langue étrangère tandis que des informations (des slogans ?) défilent sur des panneaux électroniques. Au bout d’un long couloir, j’aperçois la silhouette d’une femme en tailleur qui remet son escarpin. Lorsque je l’approche, elle a disparu. Je suis alors dans une salle d’attente : tout est en noir et blanc sauf les plantes vertes et un chameau vivant. Au mur, de grandes photographies redoublent par l’image les chaises installées dans l’espace. Il y a aussi des affiches publicitaires et touristiques, et deux horloges identiques qui tournent exactement au même rythme. Au plafond, les néons composent d’étranges formes contre lesquelles viennent se coller des porte-chapeaux volants. Je veux sortir. Trébuche contre un cube de métal au sol sur lequel est inscrit : “ Veuillez ne pas vous asseoir ici ”. Je traverse une large vitre fêlée qui suinte de condensation pour me retrouver dans un grand bureau vide : les machines à écrire sont dans leur housse, la photocopieuse est en carton, des milliers de post-its couvrent les murs jusqu’au plafond. Des cartes postales sont épinglées un peu partout : des images de mer déchaînée avec, au dos, des plaisanteries classiques de collègues en vacances (« Aujourd’hui je me suis réveillé à… 14h00 ! » ). Un téléphone par terre sonne dans le vide. Passant devant une baie vitrée teintée en orange, j’aperçois sur un grand parking des commerciaux en costume transportant des mallettes vertes. Je crie mais ils ne m’entendent pas. Ils montent en riant dans leurs BMW. Plus loin, une porte capitonnée donne sur une grande salle de réunion très sombre. La lumière apparaît soudain : autour d’une immense table sont assis des hommes en cravate qui ont tous le même visage. Ils se mettent à fredonner des chansons enfantines. Puis deux d’entre eux grimpent sur la table et chantent en play-back. Plus tard, je suis dans une pièce blanche où trônent trois hauts meubles à tiroirs qui contiennent des croquis de design. Les murs sont recouverts de codes-barre géants. Sur un haut tas de grandes feuilles blanches bien disposées en parallélépipède, quelqu’un a laissé des traces de pas. Je m’approche et lis : “ Index 1913 ”. Le long des murs, des grandes caisses en bois et en métal attendent vraisemblablement d’être emportées. J’essaie d’en soulever une : elle est vide. Derrière, une minuscule porte en plexiglas m’indique les toilettes. J’y pénètre. Il n’y a qu’une cuvette, mais elle est à l’envers. Au moment où je l’atteins, je suis soudain dans un bureau de direction, avec fauteuil en cuir, cactus et lampe allogène. Sur le mur du fond est écrit : “ Bienvenue au XXIe siècle ”. J’avance lentement en faisant attention de ne pas trébucher, car la moquette est trouée et s’éparpille en confettis. » Guillaume Désange, « Soft Office : Fétichisme – Capitalisme – Art Contemporain »
« 6.2. Étude de cas : Michel François, Le Salon intermédiaire (1992-2002).
Prolongeant les Bureaux augmentés, une série d’aménagements de bureaux discrètement aberrants comme «territoires en expansion ou en dilapidation», Le Salon intermédiaire de Michel François propose une série de signes éclairants quant aux enjeux de la nouvelle économie. L’installation rassemble différentes pièces de l’artiste en un lieu d’activité à l’identité incertaine. Entre exposition, vitrine, bureau, espace de déambulation et de travail. […] Les éléments clés de l’esthétique tertiaire y subsistent, mais métamorphosés, comme saisis au cours d’un lent mais irrésistible mouvement d’évaporation. Le planning sur verre est rendu nébuleux par l’adjonction d’une troisième dimension, la moquette est morcelée, le divan éphémère se creuse au fur et à mesure de son utilisation, le cactus se pare de boules de polystyrène. Virtualité maximale, fusion de l’organique et du tertiaire. La logique de service portée à son comble : disparaissant avant même d’être offert (Cf 1.1). Pas de pourrissement mais plutôt éclatement léger, comme une bulle : destin fatal de la start-up. » Ibid.
« 3.4. Étude de cas : le verre, matériau tertiaire.
3.4.1. En architecture et design, le verre matérialise de manière emblématique le cadre idéologique et idéaliste de l’explosion des services. […] Le bâtiment devient vitrine. On voit tout, on ne cache rien : la production de service se fait sous nos yeux. La pureté du verre, c’est l’opposé des tâches de l’atelier, de l’opaque brique industrielle. Libération des relations humaines mais aussi hygiène, qui s’accompagne, encore, d’une tension désirante non négligeable. La vitrine, le store : instruments du voyeur. Hygiaphone tendance peep-show. Plus tard, le plexiglas prendra le relais.
3.4.2. L’art ? D’abord, évidemment, le Grand verre, œuvre emblématique de Marcel Duchamp. Le verre transparent agissant, pour l’artiste, comme « refroidisseur » pour le désir masculin. […] Puis Donald Judd et ses sculptures minimales en verre, en plexigas. Ou encore : le Condensation cube de Hans Haacke (1965), un simple cube de plexiglas transparent, dont les parois suintent sous l’effet de la condensation. Haacke explique : « something which experiences, reacts to its environment, is nonstable […] something which the spectator handles, with which he plays and thus animate. ». Instabilité, interactivité, appropriation par le destinataire : une rhétorique de services. Le plexiglas, substance tertiaire : fascination, transparence, érotisme. » Ibid.