Gerhard Richter (sur le bruit de la peinture)

très beau documentaire sur Richter, oui Dominique, que j’ai pu moi aussi voir l’autre jour dans ce merveilleux petit cinéma (MK2 Beaubourg) ( où se jouent en ce moment, entre autres, Saya Zamuraï, Cosmopolis, Avé et Il n’y a pas de rapport sexuel). 

on y assiste à la genèse très physique, sensorielle, de deux, trois grands tableaux abstraits. sont très étonnants les bruits, en forme de musique,  que fait la grande racle de peinture quand elle glisse sur la toile, conférant à son avancée aveugle un caractère épique, les longues traces, sillons, stries qu’elle tire lentement sur la toile encore vierge ou au travers des couches de peintures déjà posées, qu’elle balaie, détruit.

je n’ai pu m’empêcher de songer aux longues chevelures de Degas (voir l’exposition Degas et le nu au Musée d’Orsay, du 13 mars au 1er juillet 2012) où le peigne passe, ainsi qu’à ces peignes que dans un jeu de mot Duchamp rapportait à la peinture : « que ça peigne », à une époque où certaines avancées techniques, futiles pour le profane, d’importance pour les peintres, comme l’industrialisation de la fabrication de la peinture, amenée dorénavant à sortir de tubes, « readymade », « déjà faites, toutes faites », mais aussi les avancées de la photographie et de la reproduction mécanique, conduisaient les peintres à reconsidérer leur medium : la peinture même, avec lequel il perdait, non sans nostalgie,  un certain rapport physique, artisanal. perte qui conduira des Kandinsky à tout laisser pour ne garder qu’elle : la peinture, la couleur, lui ouvrant les territoires de l’abstraction où elle puisse s’épanouir, jouir, jouer. c’est au moment donc où se perd un rapport physique à la peinture, que les peintres, au moins pour certains d’autres eux, trouvent à nouer avec elle de nouveaux liens. c’est comme ils la perdent, qu’ils la découvrent, en découvrent la physicalité, la font passer au concept. d’où, chez des Degas, par exemple, ces toiles, comme des corps, comme des corps de femme, que le pinceau, le peigne, du peintre vient mettre au monde. c’est particulièrement visible, dans l’exposition des Degas et le nu  avec ses très beaux monotypes : de  l’encre posée sur une plaque, la recouvrant complètement, est travaillée au doigt, à la brosse, au peigne, la plaque étant ensuite retournée sur une feuille de papier, pour une impression unique.

L’un des choix de Richter se situe là : un choix de la peinture (des peintures primaires, simples, dit l’un de ses assistants) dans ce qu’elle comporte de physique, dans ce qu’elle apporte de plaisir, « c’est si amusant de faire ça ». la peinture finalement devenue inutile n’ayant (enfin) laissé d’elle que sa jouissance (« inutilité de la jouissance »), une jouissance à portée de main, à prendre à bras le corps (c’est Jules qui faisait remarquer qu’il devait être costaud, cet homme, Gerhard Richter).

véronique

nb : je ne suis pas sûre du mot racle.

« Le fait que les peintres ne broient plus leurs couleurs paraît de prime abord n’être que la conséquence évidente de la disponibilité des tubes de couleur produits industriellement. En réalité ce fait est d’une importance extrême quand on cherche à comprendre les changements culturels qui bouleversèrent la tradition de la peinture et firent du modernisme une sorte d’anti-tradition, conduisant au déclin de la peinture comme métier et à sa renaissance instantanée comme idée. Aux vieux jours de la peinture ancienne, le broyage des couleurs, comme la confection des châssis, l’apprêt de la toile et d’autres pratiques préparatoires, était loin d’être considéré comme une activité subalterne. Cennino Cennini le prescrit comme un processus important presque amoureux, dans lequel s’entendent déjà les échos de la masturbation olfactive de Duchamp […] » Thierry de Duve, Résonnances du Readymade, Duchamp entre avant-garde et tradition, p. 166.

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