sur la question du négationnisme

Chers escapadeurs,

Je vous envoie un texte que j’avais écrit à Louise Lambrichs sur Facebook, en commentaire d’un article d’elle publié dans Le Monde qui dénonce le rejet par le Conseil Constitutionnel d’une loi pénalisant la négation des génocides reconnus par la loi et s’inquiète de l’abrogation possible dès lors de la loi Gayssot (condamnant le négationnisme du génocide juif). 

J’aurais pour ma part l’idée que chacun doit pouvoir exprimer son opinion que de toutes façons rien ne l’empêchera d’avoir, mais je m’intéresse aux causes de Louise. Sa lecture m’a une fois de plus ramenée à un article de Rivka Warshawski lu en 1996 (et qui décidément me poursuit)

S’il n’est pas évident, le lien de ce texte au négationnisme, existe. Et il s’appuie entre-autres sur le livre de JF Lyotard, Le différend,  accusé d’ailleurs par certains de servir la cause du négationnisme. 

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Chère Louise, je suis bien mal placée pour penser ces questions qui malheureusement m’échappent ayant bien des difficultés avec l’histoire, avec le temps.

Je crois que je suis phénoménalement trop inconsciente. Je n’arrive pas à intégrer les coups de hache de l’histoire, le temps dans sa durée ne cesse de m’échapper, malgré mes efforts répétés pour l’étudier. Ma mémoire s’acharne à contracter la ligne du temps en quelques points, voire à un seul. Je vivrais hors temps, hors lieu, pourtant toujours bien là, présente. // ceci n’a rien à voir avec le négationnisme mais interroge au moins la nature de l’histoire.

 Ces difficultés de mémoire que je suis tentée de traiter en symptôme (plutôt qu’en manque d’intellignece, j’ai ma fierté….) me conduisent en tout cas à avoir la plus grande difficulté à croire à une quelconque objectivité possible des faits, à une vérité historique (à moins que cette  vérité n’assume tout ce que Lacan peut en dire : qu’elle ne soit que mi-dite, qu’elle soit fiction (mais qu’elle attienne au réel (du sujet qui l’élabore)), et qu’elle soit soeur de l’impuissance).

 Ce qui m’avait rendue très sensible au texte de Rivka Warshawsky dont je vous ai déjà parlé : « Israël et l’holocauste – Du zéro au septième million »

 RW y parle d’une jeune femme en analyse chez elle et de son accès, son accession à l’histoire (c’est ma lecture). Elle y parle de ce qu’elle repère comme un phénomène d’identification à un signifiant unique « survivant de l’holocauste », un S1, un signifiant-maître, signifiant m’être, qui domine la vie de cette analysante et lui impose une vie « toute d’inhibitions et de souffrances inexpliquées » sur laquelle elle tient à rester mutique. Mutisme du sujet qui tient à préserver son (m)’être (« holocauste »). // on nage donc ici en pleine (h)ontologie (voire même avec la honte d’être survivant)

 L’holocauste lui, est silencieux. 

 Les chambres à gaz sont silencieuses, souligne RW, se rapportant à ce livre de Lyotard,  « Le différend »,  qui souligne qu’aucune chambre à gaz n’apportera jamais la preuve de son œuvre de mort puisque qu’aucun n’en n’est sorti, ne peut en témoigner. Peut-être à cet endroit me direz-vous que c’est tiré par les cheveux, que l’on sait, que l’on connaît la vérité des faits, que l’on ne peut les ignorer. C’est là l’intérêt de cet article (enfin l’un des intérêts), c’est qu’il souligne qu’il est très important de reconnaître ce silence, ce trou dans le symbolique que constitue les chambres à gaz, ce réel. 

(D’un côté il y a le mutisme du sujet, mutisme qui signe aussi la présence même du sujet, de l’autre il y a le silence du réel. Entre les deux : pas de rapport.)

C’est ce réel qui est l’œuvre dans le symptôme qui s’élabore de cette analysante. Il y a un trou, un impensable, un impensé. Lui, est antérieur. 

 Le signifiant qui vient le barrer, le marquer, l’indicer, c’est cet un-signifiant « survivant de l’holocauste » avec lequel l’analysante cherche à faire corps (dans le déni du sien // on n’est pas un signifiant, on a un corps). Cet Un est sans mémoire. et ne peut que se répéter, hors sens (le sens est celui du temps, de l’histoire). « Répétition et mémoire s’excluent », insiste RW. Cet Un auquel cette analysante cherche à s’identifier fait barre sur le trou. Son être se réduit à cette barre qu’elle doit faire sur le trou. 

 Cette identification ne peut être qu’inhibitoire, puisqu’elle ne permet, n’autorise que la répétition. Itérer. Faire marque. Faire barre (aussi bien barre à soi-même, puisqu’on est dans l’obligation de la redresser encore et toujours cette barre, cette marque cette croix, dirais-je suivant là mes origines chrétiennes. Obligé de retracer cet Un qui disparaît dans les limbes aussitôt aussitôt tracé.) C’est là un autre apport de ce texte que de souligner le lien de l’inhibition et de la nécessaire répétition du Un.

 Et c’est quand l’analysante comprend, lors d’une interprétation de l’analyste, qu’elle a son histoire et que cette histoire ne va pas sans dire, qu’elle vient poser ce que RW appelle la question du zéro : « Si je suis de la deuxième génération mes parents de la première (les survivants), qu’est-ce qu’il y avait avant. Est-ce que c’était la génération zéro? Et qu’est-ce qu’il y avait avant le zéro? »(citation de mémoire)

Voilà donc que le zéro (un nombre) vient se poser sur le réel de l’origine, de l’holocauste, le faisant exister. Le conte, le compte devient possible. A la place de ce zéro, c’est l’analysante bien-sûr qui va devoir venir se positionner comme sujet, sujet du verbe. Mais, au départ de ce zéro-nombre, on quitte le domaine de la cardinalité du Un et sa simple répétition pour rentrer dans l’ordinalité, le compte, la succession. Accession donc à l’histoire.

 Voilà ce que je peux vous dire pour le moment.  C’est que de toute façon, au départ, c’est pas les faits, c’est le réel. Après-coup, les faits ne seront jamais ce qu’on peut en dire. // En regard au négationnisme, la question est alors de savoir si on peut dire tout ce qu’on veut ou s’il y a un interdire. 

 Bien cordialement à vous,

 Véronique 

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