Ex vivo / In vitro, la dernière corde… (3) // l’ombilic, le signifiant et le fils de personne

Bonjour, 

C’est vraiment incroyable Véronique, cette vidéo que tu as trouvée résonne avec ce que me disait très récemment un père « d’intention » (je n’avais jamais entendu cette façon de dire jusqu’alors…) qui a eu recours, après le dépistage de sa stérilité, à un donneur pour devenir père. Je n’entre pas dans les détails, il y a bien-sûr la dimension du désir d’avoir un enfant avec sa compagne qui pouvait et voulait avoir un enfant. Au prise aujourd’hui avec sa difficulté à soutenir sa fonction de père, grevée du poids du secret du recours à la science et à un donneur, il disait que sa « seule trouille après tout ça » c’est que son fils soit « en fin de compte le fils de personne »…

A. Artaud, La révolte des Anges sortis des limbes, 1946

Ici, dans cette séquence que tu as trouvée Véronique,  le metteur en scène interroge l’idée que « quand t’as deux pères »,  les pères, le donneur, et celui d’intention, peuvent se dédouaner, et peuvent dire « je ne suis pas ton père ». Et de terminer sur le paradoxe de la pluralité de pères,  « au fond, t’as plus de père »… quelle chute! 

La seule corde qui reste, la dernière corde, une fois que toutes les autres sont tombées, lors de la scène finale de  Ex-vivo In-vitro, m’a évoquée aussi « l’ombilic de l’inconscient » à jamais inconnaissable, qui se rattache à cet amas, cet enchevêtrement, ce sac de nœuds, de liens, d’entraves, qui nous recouvrent déjà pendant la grossesse, et dont une longue, longue analyse nous permet de nous dégager peu à peu… pour arriver peut-être à cette corde là et à son au-delà? …

Il y a aussi tout au long de la pièce Ex-vivo, In-vitro, une mise en perspective « des mots » qui entourent l’arrivée au monde d’un enfant conçu « scientifiquement », « artificiellement », bain de signifiants totalement inédits et j’y reviendrai plus tard…

Ah, si nous pouvions nous procurer le texte de la pièce!

Amicalement.

Géraldine.

Ps: Véronique, patience pour Des Femmes, juste besoin d’un peu de temps pour reprendre mes esprits! 😉 Joyeuses fêtes! 
Envoyé de mon iPad

les inconscients hantés d’héroïnes grecques

Bonsoir Véronique O, 

Quel beau texte, merci Véronique, c’est un témoignage fidèle de ce que nous avons vu sur scène ce dimanche, pour notre plus grande joie! Un spectacle inoubliable et un hommage moderne et vivant en tryptique à ces figures de femmes tragiques; une épouse fidèle délaissée au désespoir funeste; une sœur et fille sacrifiée par devoir de piété; une fille et soeur égarée par la vengeance de la mort du père, dans le regard d’une mère ravage, qui, comme tant d’héroïnes de tragédies grecques ont tellement marqué notre culture, au point de hanter encore souvent nos inconscients…

Et le choeur de B. Cantat, quelle émotion, quel passeur du tragique devenu, tant dans sa composition musicale que dans sa voix…bouleversant.

Merci infiniment à toi Véronique de nous avoir, en nous faisant découvrir pour certains Wadji Mouawad, entrainés dans cette formidable expérience théâtrale de la représentation intégrale de plus de six heures, incontournable, je crois, pour vraiment entrer dans ce monde  Des Femmes, intemporel, onirique et étrange, qui pour ma part me laissera un souvenir ému et enchanté.

Je t’embrasse.

Géraldine.

 

Ps: Tu vois Vé ton appel n’est pas resté sans écho! Bises! 

Matisse, Cézanne, Picasso… L’aventure des Stein

Picasso, Nu assis
Picasso, Grand nu rose, 1906
Picasso, Pierreuses au bar
Paul Gauguin, Tournesols sur un fauteuil, 1901
La femme à l
Henri Matisse, La Gitane
Henri Matisse, La femme au chapeau, 1905

 

Balthus, Le spahi et son cheval, 1949

Cher tous,
Quelques clichés pris à la volée des tableaux exposés au Grand Palais actuellement: « Matisse, Cézanne, Picasso…L’aventure des Stein. » Très belle exposition. Bises et bonnes fêtes de fin d’année à vous! Géraldine.

Sabina Spielrein, ou l’éclat d’une première analyse

Les réflexions sur le film A dangerous method sont toutes aussi passionnantes les unes que les autres!

J’aime beaucoup ton idée formidable de « l’éthique de l’amour » Catherine, même si je ne partage pas totalement ton jugement un peu trop « moral » de l’attitude de Jung, l’amour pour sa femme, Emma, »son pilier », et leurs nombreux enfants dépassant, me semble-t-il, la logique de l’intérêt matérialiste et de la sauvegarde de ses privilèges petits-bourgeois. Le film se termine sur une scène d’adieux amères qui offre à Jung aux prises avec ses contradictions un peu plus de profondeur.

Mais nous sommes sans doute devenus trop savants et trop orientés pour regarder ce film sans parti pris dans ce conflit historique qui a opposé Freud et Jung. J’aimerais d’ailleurs si c’est possible avoir d’autres avis « non psy » sur le film, comme indiquait Dominique en témoignant de ce que lui disait le fils d’une amie. Tu as vu le film je crois Laurent? Et toi Malik, ton avis de critique de cinéma est très attendu.

A revenir aux origines de la psychanalyse et aux cheminements, aux tâtonnements de ses pères fondateurs, dans la société germanique très conservatrice , entre-deux siècles, (Kinder, Küche, Kirche?), nous replongeons aussi dans un contexte historique inédit, qui a permis que la psychanalyse voie le jour, et cette histoire d’alcôve, très humaine, n’y aura pas été étrangère. Cette femme exceptionnelle, Sabina Spielrein, première analysante de l’analyste autorisé de lui-même (et de sa femme!) qu’était Jung, (sur la seule lecture de Freud, avant de le rencontrer, donc pas encore analysant), y aura pris sa part de façon étonnante, désirante et décidée dans son mouvement ascendant. Et ce malgré, (ou grâce à?) l’histoire d’amour passionnée et parfois cruelle qu’elle a vécu avec Jung…

Otto Gross, ce personnage énigmatique, rebelle, libertaire,trop vite éclipsé, m’a laissé un goût d’y revenir et de rechercher ses écrits, s’il en a laissés? C’est une des thèses du film,c’est aussi après avoir fait sa rencontre que Jung cède à son amour pour Sabina. Je me souviens d’un bon mot de Jacques-Alain Miller, qui en 2009, interrogé par l’actrice Barbara Schulz, qui interprétait Sabina sur scène, dans la pièce « Parole et guérison« (assez décevante au regard du film et de ses possibilités pour l’interprétation du rôle), et qui lui demandait si cela arrivait souvent qu’analyste et analysant tombent amoureux, il avait répondu par «C’est très rare, mais ce sont les risques du métier!»…

La transgression, l’amour et ses murs, les effets du transfert, étaient à ce moment-là des risques méconnus, qui justement seront précisés par la suite dans le dispositif de la cure, et de ses règles fondamentales, avec d’autres conséquences si elles sont appliquées comme des standards…

Les clivages théoriques du fait des appartenances religieuses, dans un moment de déclin du religieux, m’a aussi beaucoup touchée Véronique. C’est avec une certaine tristesse, voire un découragement, que j’ai pris la mesure de cet énoncé Freudien, à Sabina « Je crains fort que votre volonté d’union mystique avec le blond Siegfried n’ait été dés les origines voués à l’échec, N’accordez aucune confiance aux Aryens, nous sommes des juifs chère Mademoiselle Spielrein, et juifs nous le resteront toujours.» C’est précisément cette phrase qui m’avait déjà tourmentée dans la pièce «Paroles et guérison» de Didier Long, en 2009. Mon « identification » pendant le film repérée à la position de Sabina Spielrein, qui a tenté à plusieurs reprises de réconcilier les deux hommes : «si vous ne trouvez aucun moyen de coexister, les progrès de la psychanalyse s’en trouveront freinés.», m’interroge sur mon fantasme de vouloir réconcilier ceux qui se sont fâchés, ratés, manqués et qui s’épuisent dans des combats fratricides et des guerres de chapelles ravageants pour la cause analytique… Peut-être que c’est Christopher Hampton, l’auteur de ces mots attribués à Freud qui pourrait nous éclairer sur ce qu’il a voulu transmettre là? Sans doute était-ce dans l’air du temps et ce qui s’annonçait en terme d’horreur absolue avec la montée du nazisme, a contribué à ce repli communautaire et à ce terrible constat né d’attentes déçues pour le mouvement psychanalytique, qui vivra ses heures les plus sombres et encore peu travaillées avec les questions laissées par l’existence des camps d’extermination. Le livre d’Anne-Lise Stern, « Le savoir déporté » m’a beaucoup aidée et enseignée sur ces questions.

Ce que je retiendrai de ce film est donc cette « petite histoire » dans la grande histoire, passée inaperçue et pourtant essentielle, de la place d’une femme, entre deux hommes, analysée par l’un puis ensuite par l’autre, qui a provoqué leur rencontre en devenant un cas en partage, comme un go-between, un trait d’union, une passante, amante de l’un, élève de l’autre, entre ces deux hommes fondateurs et pionniers d’une découverte et d’une réflexion tout à fait inédite de la pensée, avec une façon d’aborder la souffrance psychique vraiment novatrice en donnant la parole au sujet, « tu peux savoir« , parole que Sabina Spielrein a choisi de prendre pour ne plus la lâcher. Sa mort prématurée, assassinée par les nazis avec ses enfants,en 1942, emporte ce que cette psychanalyste aurait pu découvrir et travailler par temps de paix. On peut d’ailleurs mettre en rapport ce film avec ce que Dominique indique du film Augustine, de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat , qui montre comment avec Charcot et le manque d’écoute des médecins moins intéressés à déchiffrer l’énigme des hystériques qu’à les observer et à les expérimenter comme des rats de laboratoire, l’invention freudienne et la talking cure ont aussi ouvert une voie unique d’écoute, de compréhension et d’émancipation des femmes.

Je reste sur la question du titre ambivalent du film de Cronenberg, A dangerous method, qui n’est pas sans rappeler la phrase de Freud à son arrivée à New-York avec Jung qui aurait dit : « Je vous apporte la peste« …Qu’en est-il aujourd’hui?

Vous l’aurez compris, c’est un film qui m’a beaucoup touchée, m’a fait travailler, et me fera travailler encore. Merci à Alain et Dominique pour leurs liens très intéressants sur le sujet.

A vous lire,

Amitiés,

Géraldine.

 

Derniers Jours : Gisèle Freund

James Joyce, Paris, 1939 Tirage photographique couleurs (dye-transfer) © Gisèle Freund / Collection de la famille Freund

 

Derniers jours de l’exposition Gisèle Freund à la fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, proposition escapade via Brigitte Lehmann.
Je pense y aller demain, qui m’accompagne? Brigitte? Vé?
Géraldine.

http://www.fondation-pb-ysl.net/fr/Accueil-Gisele-Freund-564.html

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Fondation Pierre Bergé – Yve Saint Laurent 5 avenue Marceau, 75116 Paris
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Musée d’art et d’histoire du Judaïsme Exposition Walter Benjamin Archives

Proposition d’escapade via Brigitte Lehmann, exposition jusqu’au 5 février. Je suis très intéressée, qui se joindrait à nous?
Géraldine.

Né à Berlin en 1892, dans une famille juive assimilée, Walter Benjamin s’est suicidé à la frontière franco-espagnole le 26 septembre 1940, devant la menace d’être livré aux nazis et envoyé à la mort. C’est à l’un des philosophes et critiques les plus importants du XXe siècle que l’exposition Walter Benjamin Archives est consacrée ; son ambition est de montrer la manière dont le penseur allemand organisait, préservait et inventait ses propres archives, à mesure de ses recherches.

L’exposition rassemble des matériaux, des supports, des objets ou des écrits (manuscrits, tapuscrits, cartes postales, carnets de notes, enveloppes, tickets, photographies, coupures de presse, registres, fichiers, répertoires, carnet d’adresses, paperolles, etc.), qui témoignent tous d’une exigence constante chez Walter Benjamin : arracher à l’oubli une pensée en devenir et en organiser le sauvetage, qu’il s’agisse de sa propre pensée, de celle de ses proches ou de pans entiers de l’histoire négligés. L’exposition est divisée en treize sections auxquelles s’adjoignent neuf sections conçues spécialement pour la présentation au MAHJ.

Sa vie durant, Walter Benjamin a pris soin de confier ses textes, notes ou manuscrits à différents amis (dont Gershom Scholem et Gretel Karplus). À la diversité des matériaux s’ajoute donc le caractère fragmentaire de ces « dépôts ». Ainsi émerge une constellation mouvante d’archives dispersées qui vient former un paysage de pensée d’une rare intensité. Voulue et organisée, cette dispersion fut amplifiée par les aléas de l’histoire : l’exil en France de Walter Benjamin à partir de 1933, ses périodes de refuge aux Baléares ou au Danemark, la disparition de sa bibliothèque, puis la partition de l’Allemagne après-guerre.

Collectionneur passionné (de livres pour enfants notamment), Walter Benjamin a adapté l’objet et la méthode de la collecte au travail de la pensée. L’extraction, le découpage, la citation, le montage, l’association, la juxtaposition, ou encore la mise en regard furent autant de gestes qui lui permirent de déconstruire des logiques de représentation dominantes et de faire apparaître des configurations inédites à l’origine de lectures radicalement nouvelles de l’histoire, de la littérature, du rapport de l’art au politique.

En nous conviant à découvrir ses micrographies et ses propres inventaires, en nous ouvrant ses correspondances, fichiers ou carnets de notes, en montrant son travail de recherche bibliographique ou la constitution de ses collections, cette exposition révèle un mode de pensée et une vision du monde réfléchis dans chacun des actes de Walter Benjamin.

Le livre Walter Benjamin Archives sera publié aux éditions Klincksieck à l’occasion de l’exposition.

http://www.mahj.org/fr/3_expositions/expo-Walter-Benjamin-Archives.php?niv=2&ssniv=

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PARTENARIAT
Tous les visiteurs de l’exposition Gisèle Freund bénéficient d’un tarif réduit pour l’exposition Walter Benjamin, sur simple présentation de leur billet d’entrée à la Fondation, et vice versa.

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Pourquoi « Platonov mais… »?

J’aime ta question Vé! 

Les mystères des choix d’escapades!!! Pourquoi « Platonov mais…« ?

C’est à partir de ce que nous indiquait Marion lors de la soirée Fineggans au théâtre de l’aquarium que j’ai retenu le titre de la pièce, que je ne connaissais pas. J’ai fait quelques recherches sur le net et, le sujet, l’histoire m’ont intéressée. C’est donc à Marion, à son enthousiasme contagieux et à ses yeux pétillants de passion pour cette œuvre que nous devons cette proposition! (le détail du mémoire donné par Dom m’avait échappé.)

Voilà chère Vé, les escapades les plus riches pour moi naissent de ces moments indéfinissables, qui surgissent tout à trac, qui nous animent du désir d’un(e) autre, d’un désir à l’autre, au croisement d’une transmission souvent inconsciente de ce qui nous touche et nous tient à coeur, que nous souhaitons partager et qui fait écho…C’est d’une certaine manière le fruit d’une mise en commun des désirs qui nous tiennent!

Bises

Géraldine. 

Rencontre avec Francis Warin, artiste peintre et sculpteur

Chers amies, chers amis, ès cap pas d’heures,

Groupe ouvert et à géométrie variable, j’aime la liberté offerte par nos escapades qui laissent une place de choix à l’improvisation, à la surprise, à la contingence! C’est par le biais d’un ami Lithuanien, intéressé par l’art et auquel je parlais récemment de notre aventure nouvelle en terre d’escapades, que le nom de Francis Warin a surgi en associant librement… »Ah, tiens, je voudrais te présenter un ami… ».

Jeudi dernier, avec Nidas donc, d’un ami à l’autre, le temps d’un délicieux déjeuner improvisé au Café de la pie à Saint-Maur des Fossés, chez Solange, lieu insolite où le temps n’a pas de prise, j’ai fait la rencontre incroyable de cet artiste peintre sculpteur de 81 ans, Francis Warin, dont la vie est un roman tout à fait passionnant, traversé par tant d’événements historiques marquants et de rencontres d’artistes majeurs, tant dans sa vie personnelle que dans sa vie artistique et dont il témoigne avec beaucoup de générosité, en conteur libre et spontané. La rencontre a été un grand moment d’échange sur l’art, la vie, la psychanalyse…

Après que Francis Warin ait évoqué un projet de réunir un jour, dans son atelier au milieu de ses œuvres, des musiciens de jazz, je lui ai parlé de la rencontre de Miro et Duke Ellington, et lui ai fait parvenir ce lien:

http://www.dailymotion.com/video/x35lvc_duke-ellington-blues-for-miro-1966_music

Francis Warin m’a confié après avoir écouté le lien que c’est en écoutant Duke Ellington, qu’il connait par coeur, qu’il crée… Je suis revenue le rencontrer, seule, aujourd’hui, dans son très bel atelier, qui nous ouvre toutes grandes ses portes. Je vous joins quelques photos d’un très bon moment passé en une fort agréable et enseignante compagnie.

C’est une visite et une rencontre que je vous propose de faire à votre tour, seul(e) ou à plusieurs, à la découverte de ses œuvres et à l’écoute de ses nombreuses anecdotes, Francis Warin étant un hôte tout à fait remarquable, accueillant et pétillant. Quelle émotion de parler avec l’artiste, dans son univers, dans ses murs, de le voir s’animer devant ses tableaux, de l’écouter témoigner de l’insaisissabilité de l’acte de création, son mystère, son évanescence, de toucher les sculptures, de poser ses questions, de photographier librement, de jouer avec la lumière naturelle sur une toile, de laisser se dérouler une visite impromptue, intemporelle, laissant les œuvres se dévoiler, se découvrir, se retrouver, se parler, au hasard de la conversation, de fil en aiguille, sans suivre un circuit, un sens, un guide…

A vous de faire votre rencontre, Francis Warin vous accueillera pour une visite de son atelier à Saint Maur des Fossés. Vos visites sont attendues. Peut-être même que Francis Warin rejoindra notre groupe d’escapadeurs à l’occasion? L’invitation est lancée pour l’exposition à la Pinacothèque:

http://www.pinacotheque.com/index.php?id=732

A propos, si vous connaissez des artistes, des ateliers, des galeries, des endroits insolites d’expressions artistiques, des lieux de création inconnus, des expositions qui sortent des sentiers battus et tout bitumés de l’art en marché,  je suis très intéressée par de nouvelles découvertes, et souhaite qu’Escapade s’oriente aussi dans ces voies là. Et vous? 🙂

Bises.

Géraldine.

« Je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire. »

Chers amis,

 Je vous adresse à la faveur des récentes escapades Baselitz et de la fin de l’exposition, la réflexion qui m’était venue au moment de la découverte de l’exposition avec Véronique en décembre et que j’ai complétée tout dernièrement dans l’après-coup.

Merci Véronique pour ce témoignage et ces recherches passionnantes autour de l’oeuvre de Baselitz, artiste peintre, dessinateur et sculpteur contemporain allemand, qui nous introduit à une réflexion de plus en plus poussée sur ce qui pourrait définir l’art moderne, et merci surtout pour cette escapade improvisée ensemble ce mardi de novembre pluvieux au musée des arts modernes, à la rencontre de ses sculptures insolites et colossales.

J’ai pour ma part d’emblée été saisie par un certain malaise, tu le sais, en découvrant en tout premier le monumental Modell für eine Skulptur (1979-1980), la sculpture inaugurale, présentée à la Biennale de Venise en 1980 et qui fit scandale. Est-ce le bras tendu, assimilable au salut hitlérien, est-ce le profil ambigu de cette grossière tête humaine sortie du tronc, rampante et cherchant à se dresser, quelque chose là, dans ce buste menaçant, d’une étrangeté inquiétante m’a renvoyée à cette sombre période de l’histoire.

Suivant le fil de ce malaise en m’intéressant ici uniquement aux sculptures exposées et en faisant quelques recherches biographiques sur l’artiste, je trouve son témoignage d’une enfance prise dans la tourmente de la dictature du troisième Reich: « mon père était nazi, mais comment peut-on m’attribuer une part de responsabilité alors que j’avais 7 ans en 1945. » 

Cette formulation en dit long et m’évoque une phrase de Victor Klemperer, philologue juif allemand vivant également à Dresde et qui a écrit pendant les douze années du nazisme, en tenant un journal clandestin, au péril de sa vie, afin de résister et de dénoncer l’effet progressif d’empoisonnement de la langue comme mode de propagation de la « LTI, la langue du III Reich », que je cite de mémoire, à propos des jeunesses hitlériennes : « combien de générations avant que ces immondices nazies ne s’effacent de ces chères têtes blondes?« .

Comment ne pas y songer en voyant certaines de ces statues géantes…comme le retour du refoulé, de ce que l’enfant Baselitz a perçu des figures effrayantes, monstrueuses du nazisme, du discours totalitaire qui ont marqué ses premières années et des mots qu’il a entendu alors? 

Mais son expérience de la dictature ne s’arrêta pas avec la fin de la guerre, Baselitz, dont le nom d’artiste est un hommage à sa ville de naissance en Saxe, à Deutschbaselitz, a vécu  également l’horreur du Stalinisme depuis l’Allemagne de l’Est et ne passera à l’ouest qu’en 1957, après avoir été renvoyé de l’École des arts plastiques de Berlin-est pour « manque de maturité socio-politique. « …

Les sculptures de Baselitz, artiste viscéralement travaillé par les questions laissées par l’Histoire allemande: « je ne commente pas l’histoire, je suis une partie de l’histoire », charcutent les corps, comme autant de représentations possibles de corps percutés par les signifiants du nazisme, du stalinisme, du totalitarisme, et de sa variante moderne de l’hyper-capitalisme?

Massifs, les géants de bois, dont la matière première m’évoque le pantin ou le jouet et tamponne le gigantisme et la figure de puissance, tantôt totémiques, en pieds, assis, couchés, en bustes, en morceaux, démembrés,  bruts, peints, maquillés outrageusement, naïfs, primitifs, découpés, scarifiés, tronçonnés, morcelés, asexués, bi-sexués, parfois recouverts de tissus comme une tentative d’habillage, de voile mis sur l’horreur, parfois accoutrés à la manière d’ouvriers stalino-communistes, en uniforme, en culotte courte, bottés, perchés sur des escarpins grossiers, avec des grosses montres, ou colorés, ensanglantés, cramoisis, jaunis, bleuis, ne cessent d’interpeler sur les restes des signifiants du nazisme, du fanatisme, du fascisme, du culte et de ses offrandes à des dieux obscurs, hérités depuis la nuit des temps, qui tiennent au corps ou pire.

Cela m’évoque un passage du séminaire livre XI de Lacan, cité par Anne-Lise Stern, dans « …Et Lacan:  un courageux regard », p 158 In Le Savoir-déporté, Seuil, 2004.

« Il est quelque chose de profondément masqué dans la critique de l’histoire que nous avons vécue. C’est présentifiant les formes les plus monstrueuses et prétendues dépassées de l’holocauste, le drame du nazisme. Je tiens qu’aucun sens de l’histoire, fondé sur les prémisses hégéliano-marxistes n’est capable de rendre compte de cette résurgence, par quoi il s’avère que l’offrande à des dieux obscurs d’un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une monstrueuse capture.

L’ignorance, l’indifférence, le détournement du regard, peut expliquer sous quel voile reste encore caché ce mystère. 

Mais pour quiconque est capable, vers ce phénomène, de diriger un courageux regard – et encore une fois, il y en a peu assurément pour ne pas succomber à la fascination du sacrifice en lui-même – , le sacrifice signifie que dans l’objet de nos désirs, nous essayons de trouver le témoignage de la présence du désir de cet Autre que j’appelle ici le Dieu obscur. C’est le sens éternel du sacrifice, auquel nul ne peut résister, sauf à être animé de cette foi si difficile à soutenir, et que seul, peut-être, un homme a su formuler d’une façon plausible – à savoir Spinoza, avec l’Amor intellectualis. »

Les femmes de Dresde, tableau émouvant de têtes nues de femmes aux couleurs de flammes et aux regards vides, creux, hommage aux survivantes hagardes des bombardements et de l’incendie qui a ravagé Dresde à la fin de la guerre, se laissaient approcher de loin, pour mieux entendre leurs plaintes lancinantes qui se faisaient écho dans le labyrinthe de colonnes qui les soutenaient. Te souviens-tu Vé? Tu t’y es arrêtée et t’es retournée… As-tu entendu comme moi les pleurs inconsolables de ces femmes chargées de re-donner vie et de re-construire après le chaos et l’enfer?

Le portrait mélancolique de Volk Ding Zero, que tu as formidablement commenté Véronique, à partir de l’inspiration indiquée de la figure du martyr du Christ s’impose à la fin de l’exposition, par son énigmatique douleur… Volk Ding Zero. 

Une exposition dont je ne suis pas sortie indemne, qui a produit son effet plus dans l’après-coup et qui m’a interrogée sur la fonction de l’art moderne au sein du malaise contemporain aux prises avec les questions de notre époque, tout autant traversées par ‘les restes’? 

A vous lire,

 Géraldine.

Ai Weiwei : « Entrelacs » au Jeu de Paume

Bonsoir Vanessa et Isabelle,
Un rapide retour donc sur cette exposition nouvelle, intéressante pour ceux que la transformation de la Chine actuelle et ses dérives inquiétantes dans l’œil de cet artiste engagé et cynique accrochent. De l’humour contestataire corrosif au drame de la mondialisation qui rase la culture traditionnelle au nom du profit, des entrelacs de l’effet du malaise contemporain ‘pour tous’.
Géraldine.

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‘Title One, The Tasks of the community’

Oui, oui, Mariana, à bien vite pour ton anniversaire à la mexicaine, caramba! J’ai bien noté pour le 24. 

Pour l’heure je me trouve dans une ambiance enneigée mais chaleureuse à Vilnius, en Lituanie! C’est très dépaysant, le centre historique est préservé, et il y a beaucoup d’endroits à visiter qui témoignent des différents moments de l’histoire tourmentée de ce pays de l’est peu connu.

Je suis allée au Contemporary Art Centre où plusieurs artistes étaient exposés.

Une installation dans un grand espace quasiment vide pour laisser toute la place à un film projeté sur un mur et à quelques photos en boucle sur un autre mur, sur un reportage sur Tchernobyl, a retenu mon attention, et traitait de ce drame majeur du nucléaire dans un état tout proche d’ici dont on ne parle plus guère aujourd’hui, à travers une reconstitution minutieuse et fournie à partir de témoignages, dont ceux de reporters morts depuis, dont les films ont été censurés ou ont ‘disparu’. Un rappel à l’ordre du réel qui n’est pas sans rappeler les événements tragiques de Fukushima et les faits de censure qui touchent ceux qui cherchent à en parler.

« Rossella Biscotti is an italian artist based in Amstedam whose artistic oeuvre encompasses performances, videos, photographs and sculptures. Her work is based on a process of layered narratives that involve long periods of research on-site, interviews, and archival findings. In Biscotti’s art, the starting point of a work is always a social or political event that has been removed from the collective memory and she transpose in a subtle interplay within the present and contemporary society. »

L’art comme engagement politique, après Ai Weiwei et la Chine, Rossella Biscotti et son exposition en Lituanie: ‘Title One, The Tasks of the community’, a des choses à dire sur les conséquences de l’usage de l’énergie nucléaire, 26 ans après Tchernobyl. 

 http://www.cac.lt/en/exhibitions/current/5611

A bien vite à Paris.

Bises. 

Géraldine.

Jean-Pierre Tanguy à la galerie oblique au Village Saint-Paul

Exposition de mon ami peintre Jean-Pierre Tanguy du 16 au 18 mars 2012

à la Galerie Oblique
Village Saint Paul
17, rue Saint-Paul 75004 Paris
Tel: 01 40 27 01 51

« Itinéraires: de Venise à Kuala Lumpur »

Vernissage le vendredi 16 mars 2012 à partir de 18 h en présence de l’artiste.

Qui veut venir? 

Villa Amalia (2009) – void and solitude (I. Huppert)

Oh merci Dominique! Ce que j’aime ce film, ….

Et je suis bien d’accord avec Lunita, cette interprétation de Purcell par Alfred Deller me donne des frissons!
Merci Vé pour ton lien sur @escapcult! Comme toujours, une correspondance rendue si poétiquement…
Je vous embrasse fort!
Géraldine.

Envoyé de mon iPad

Nus de Degas au musée d’Orsay

Je vous adresse ce texte écrit le jour de l’ouverture de l’exposition.

 

Chers amis et compagnons de contemplation,

Je viens de rentrer d’une escapade solitaire au musée d’Orsay où sont présentés des nus de Degas d’une grande beauté…


Degas et le nu
Musée d’Orsay
13 mars – 1 juillet 2012

Je vous livre ici quelques impressions sur le vif d’une émotion intense et durable: ravissement…

Des nus, des nus, des nus, partout des nus! Vous êtes prévenus!

Des corps dénudés de femmes et de quelques trop rares hommes (ceux-ci restant pudiquement habillés, même au bordel!), croqués, esquissés, estompés, huilés, au sang d’encres, de fusains, tout pastels, ou colorés à outrance.

Des silhouettes devinées, des baigneuses surprises, des tentatrices démystifiées, des séductrices lascives, des jeunes filles sages, des filles de joie, des vieilles femmes, le corps féminin est décliné en variantes souvent empreintes des clichés de l’époque, mais reste largement sublimé par la beauté de la peinture exceptionnelle de l’artiste.

Le bidet, le tub, le bain, la coiffeuse, le peigne, l’éponge, la serviette, la cheminée de la chambre, ou la fraîcheur du jardin, tout est bon pour créer l’atmosphère et pour rendre la toilette et ses gestes d’une intimité dérobée d’une sensualité diffuse, surannée. Une question surgit, les femmes au bain restent le thème de prédilection du peintre, et se répètent avec insistance, comme pris dans une obsession de purification ou d’un fantasme religieux qui contrastent avec la part belle faite aux scènes de bordel.

Les titres évocateurs au vocabulaire détaillé de la passe: Attente, En attendant le client, L’entremetteuse, Repos sur le lit, Conversation, Le client sérieux, etc… renvoient aux scènes troublantes mais racoleuses des maisons closes, réduisant les femmes à des objets, des marchandises à disposition du bon plaisir des hommes, laissant peu de place à la psychologie des femmes d’alors. Tout comme les scènes du petit déjeuner ou de la toilette dans des intérieurs bourgeois marquent et témoignent des styles de vie d’une époque pas si lointaine qui enfermaient les femmes mondaines dans des postures d’attente, comme chosifiées, les peintures des nus de Degas paradoxalement ne montrent rien de l’énigme de la féminité, et par cette absence, suscite-t-il peut-être le questionnement? Des nus qui dénudent les corps, mais laissent à l’âme son entier mystère, …les visages floutés, effacés, ne dévoilent rien…

D’autres nus de grands peintres viennent ponctuer et créer des surprenantes ruptures dans ce parcours répétitif dans la peinture de Degas: Renoir, Manet, Caillebotte, Matisse, Gauguin… et Picasso, avec son magnifique Nu sur fond rouge.

Une exposition à voir.

Bonne fin de soirée.

Géraldine.

« Le fils » de Jon Fosse au théâtre de la Madeleine

Chers compagnons d’escapades,

Le Fils
de Jon Fosse

Théâtre de la Madeleine

Texte français Terje Sinding

Avec
Michel Aumont
Catherine Hiegel
Stanislas Roquette
Jean-Marc Stehlé

Mise en scène
Jacques Lassalle

Décors
Jean-Marc Stehlé Catherine Rankl

Costumes Arielle Chanty

Lumières
Franck Thévenon

Son Julien Dauplais

Du 17 avril au dimanche 3 juin 2012

Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 16h

Certains d’entre nous ont assisté courageusement à la représentation du « Fils » de Jon Fosse dimanche dernier, journée pour mémoire copieusement ensoleillée qui n’incitait pas à aller s’enfermer dans un théâtre, surtout s’agissant d’aller y tenter une plongée dans les eaux troubles et glaciales d’une histoire de huis clos familial au cœur d’un petit bourg en voie d’extinction dans un fjord Norvégien au milieu de l’hiver. Noir, avais-je prévenu…

Une immense fresque peinte plante le décor et restitue de façon grandiose et inquiétante un paysage nordique de montagnes abruptes entourées de lacs noires, contre lesquelles est adossé un hameau quasi déserté. L’intérieur et l’extérieur se fondent dans une confusion d’espaces, suggérant que toute la vie ici s’articule au rythme de cette nature hostile et sauvage. 

La pièce s’ouvre sur une scène quotidienne, réunissant un couple vieillissant dans un salon d’une banalité à pleurer, monsieur tout à son journal, madame au tricot, et pourtant sans qu’on sache très bien pourquoi, leurs échanges lacunaires, succession mécanique de lieux communs et de formules toutes faites, amènent d’emblée une certaine tension. Monsieur se lève et se poste à la fenêtre, scrutant au loin l’obscurité. «Il fait sombre, très sombre, de plus en plus sombre, … comme de la terre» sera sa petite ritournelle, sentencieuse, invariablement déclamée au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, ponctuant les vides, les blancs, les trous qui s’étirent au-delà du supportable. Seule la lumière de l’unique voisin, survivant, plus pour très longtemps, et les faisceaux des phares du bus quotidien qui mène à la ville, scintillent dans cette nuit polaire où rien ne bouge. Mais ce jour/nuit là, le fils, mystérieusement parti 6 mois auparavant, fait son retour…

Vos paupières sont lourdes… très lourdes… la note monocorde qui accompagne les premiers temps de la pièce diffusant son effet hypnotique irrésistible, nous met à rude épreuve et ajoute à une envie irrépressible de dormir, interprétée audacieusement comme une défense contre un réel inassimilable, sans exclure toutefois les manifestations de l’ennui profond face à la pauvreté de l’histoire. Pourtant quelque chose nous tient à peu près éveillés et nous pousse à attendre comme le Messie, le fils du titre bien nommé. C’est à lui qu’on s’accroche, qui est-il? Comment a-t-il grandi dans ce no-man’s land? Fils unique du couple, inconsolable depuis son départ, quel a été son parcours? Comment est-il parti? Là d’ailleurs se situe le noeud du drame, sans en dévoiler davantage. Mais surtout, constate-t-on avec effroi, qu’est-ce qui a bien pu le faire revenir? …

C’est à une véritable performance d’acteurs (remarquables) et de spectateurs que nous convie cette étrange pièce, nous soumettant le temps d’une représentation hyper-réaliste à un temps figé, mort, gelé, qui ralentit les mots, les pensées, les respirations, les pouls et nous entraîne inexorablement vers une expérience de l’attente, du vide, du rien, dont on ne sort pas indemnes. Un temps qui contraste follement avec notre mode de vie contemporain, qui sature le vide à outrance. Libre à vous de vouloir tenter l’expérience. Je pense pour ma part qu’elle en vaut la peine.

Je laisse le (bon) mot de la fin à Vanessa lorsque nous sommes sortis du théâtre, « Oh, il fait jour dehors! », nous poussant joyeusement vers le quartier Madeleine en quête d’un café pour nous remettre de nos émotions, avec un gain de vie intensément ressenti. 

 Amicalement,

Géraldine.

 { 18/05/2012 18:44:39 }

 
Extrait de l’article de Wikipedia sur Jon Fosse:
« L’œuvre théâtrale de Jon Fosse se caractérise par une écriture très épurée, minimale, répétitive avec d’infimes variations. La langue est banale, l’intrigue est pauvre, quasiment absente, l’ensemble paraît très simple. Mais l’auteur arrive à créer une tension extrême entre les personnages, dans un univers souvent très sombre.
« Le langage signifie tour à tour une chose et son contraire et autre chose encore » dit l’auteur. L’écriture ne comporte pas de ponctuation, et on remarque notamment l’absence de points d’interrogation, alors que les personnages sont perpétuellement en recherche, en attente, en tension (jalousie, exaspération, angoisse, vide existentiel…). Le plus souvent, ils sont confrontés à leur propre solitude. On ignore à peu près tout des personnages, de leur passé. Ils sont stylisés et ne portent pas de nom : ils sont désignés par un terme générique (luiellele filsle père, etc.) Seul importe le moment présent et les tensions qui s’exaspèrent entre eux. Et l’intrigue est elle-même épurée au point qu’elle en devient presque abstraite ou conceptuelle (la rencontre, la séparation, l’abandon, la solitude, etc.), elle donne souvent l’impression d’être inachevée. Il en résulte, pour le comédien et le spectateur, une sorte de frustration qui excite sa curiosité et éveille son imaginaire. »

Le cauchemar voie royale de l’inconscient contemporain?

J’ai vu Cosmopolis hier soir, en vo.

Quel film étrange, dérangeant, angoissant! C’est un film résolument politique, sur la fin par l’absurde du monde capitaliste, système qui s’auto-détruit, et qui m’a renvoyée à Metropolis de Fritz Lang, à Pink floyd, Money et Shine on you crazy diamond. La référence au cauchemar – voie royale vers l’inconscient contemporain? – est signalée par un détail furtif qui a attiré mon attention : l’affiche de Jung dans A dangerous Method, placardée au beau milieu d’une rue de New-York dévastée par les soulèvements populaires…

Ça chute de tous les côtés à l’ombre des tours mortes, sans faire semblant… Difficile de s’en remettre en si peu de temps, ça bouscule trop! Le jeune public venu pour l’acteur ( halluciné ?) était très décontenancé.

Et ce commentaire de Dominique ce matin sur la fonction du rire est venu éclairer de mots de Lacan les rires (défensifs?) de la salle qui m’ont surprise lors de la scène finale, scène qui me semble être tout sauf drôle! 

Je prends un peu de temps pour vous en dire plus.

En attendant, je ne résiste pas à vous adresser cette photo anecdote prise en rentrant chez Auguste juste après la fin du film, Boulevard Grenelle, comme un dernier clin d’oeil de Cronenberg…

À bien vite,
Géraldine. 

 

Saya Zamuraï : Le roi est nu

Que se passe-t-il quand un samouraï, confronté à la mort de sa femme emportée par une épidémie, perd le goût de vivre, et renonce à son épée ?

Ce film japonais inclassable, étrange explore cette idée originale en s’attachant et en nous attachant à son personnage énigmatique : Nomi Kanjuro, « Saya zamuraï », dont le titre est traduit par « le samouraï sans épée », est un anti-héros, et dénote avec la figure mythique que l’on peut se faire traditionnellement d’un samouraï, en la décomplétant par le biais de l’humour noir. Et c’est bien de la destitution phallique, de la chute du nom du père, de l’assomption de la castration, traités par l’absurde et le burlesque dont il est d’emblée question dés les premières images de ce film de samouraïs détourné, qui débute dans une forêt, en suivant ce curieux guerrier fatigué, boiteux, en fuite, essoufflé, à terre, ( Takaaki Nomi, acteur amateur à qui l’idée du long métrage avait été cachée), à la bonhomie saisissante, le visage défait, la chevelure hirsute, édenté, portant des lunettes rudimentaires: rien ne lui est épargné.

Recherché, malmené et blessé par des chasseurs de prime déjantés, sorte de personnages loufoques à la croisée du western et du dessin animé japonais, qui font gicler le sang provoquant son long cri de douleur inimitable et irrésistible, Nomi réussit encore à leur échapper. (Ce n’est pas s’en rappeler l’humour saignant de cette scène du sacré Graal des Monty python, que je vous glisse ici:
  http://www.youtube.com/watch?v=3g-g2yYR6Jk&feature=youtube_gdata_player )

Dans sa descente aux enfers, il est suivi et soigné fidèlement par sa jeune fille, sorte de bâton de vieillesse au caractère bien trempé (Sea Kumada). Au moment où elle s’impatiente, ne supportant pas de voir que « le roi est nu« , ce qui en dit long sur son admiration passionnée, lui suggérant le suicide plutôt que cette longue agonie, Nomi finit par être rattrapé puis arrêté par un clan mystérieux et tentaculaire, du nom de Clan de la seiche, et condamné aux « travaux des 30 jours » dont nul n’est ressorti vivant… condamné à tenter l’impossible, selon le prononcé du verdict, pourtant désarmant de simplicité, « faire rire le prince ou se faire seppuku », (décidément beaucoup veulent le « suicider »… ). Il se trouve que le prince est un enfant emmuré dans son chagrin, inconsolable depuis la mort de sa mère, emportée elle aussi par l’épidémie. Autant dire que Nomi Kanjuro est condamné à se faire rire lui-même pour sortir du drame qui les frappe. Une thérapie par le rire à laquelle personne ne croit vraiment, conduite par un endeuillé pour un autre endeuillé et dont l’enjeu serait de retrouver le souffle de la vie? Contre toute attente, du fond de sa mélancolie, Nomi relève le défi…

Cette histoire hors du commun d’un homme vieillissant, d’un veuf en errance, d’un père déchu, à l’heure de la chute des semblants touchant la fonction paternelle, en fait un film bouleversant, qui, en gardant le cap de la fiction, restaure la dignité du samouraï de façon inattendue: en le sortant des clichés de combats victorieux contre des ennemis féroces, pour l’humaniser dans des épreuves qui vont le réarrimer au vivant dans un ultime sursaut du désir pour retrouver sa brillance phallique de samouraï avec son épée.

C’est aussi un film très poétique qui fait appel à la fonction cathartique du rire, ou des larmes. La première tentative ressemble à un tableau de Giuseppe Arcimboldo, le visage grotesque où tous les orifices sont bouchés par un fruit ou légume est filmé selon plusieurs angles de vue. Pas un son, pas un mot, un silence de plomb règne sur cette scène, le rire ou le sourire auxquels le prince n’a plus accès sont laissés aux spectateurs, mi-amusés, mi-médusés par ce courageux numéro inaugural.

C’est en effet un film sur le courage, sur l’acte qui engage la livre de chair, sur le réel d’un corps qui malgré les épreuves ploie mais ne rompt pas, et qui pris dans l’adversité se redresse au fil des jours. Même la scène sacrificielle, redonne prestige et superbe à cet homme, dépouillé de ses guenilles et paré pour la circonstance de beaux vêtements blancs, dans son kimono, reprenant en cet instant la main sur son destin. Le suicide rituel par éventration, le Seppuku reste prononcé, et il veut payer de sa vie cette dette, consentir au sacrifice pour retrouver l’épée, le phallus, et au-delà permettre le triomphe de deux pères, un dans la mort pour l’honneur retrouvé, l’autre pour avoir sorti son fils de son autisme. C’est au fond une réflexion sur les épreuves qui permettent d’expier, de s’affranchir, de lutter et de retrouver la dignité, la voie du désir, y compris en choisissant de mourir, dans un ultime sursaut de vie, plutôt que d’être gracié, sauvé, par pitié, compassion, ou mansuétude, ouvrant sur la question de la honte. C’est aussi un film sur l’amour filial, sur la transmission, qui mettent à contribution les pères, pour que les générations d’après trouvent leur place dans le cycle de la vie, afin que les enfants restent des enfants, délestés du poids de la faute, de la honte, de l’humiliation, de la mélancolie de leurs parents. La culture japonaise très imprégnée par le sens des responsabilités, le sens du devoir, qui passionne tant de jeunes et moins jeunes occidentaux (mangas, dessins animés, jeux, films) parle de ces valeurs ancestrales, en mutation dans notre monde hyper-moderne.

Le passeur, l’homme spirituel, en retrait et figé, s’animera le temps de cette chanson élégiaque mémorable, pour relancer du côté de la vie, dans la marche du monde, comme son chapeau emporté par le cours d’eau. « Megouri, megouri…« 

La scène finale où le spectre du père surgit avec son gag, très drôle, de la tête qui tombe, et qui se redresse, (comme dans une sorte de jeu du fort-da), peut alors nous faire vraiment rire, d’un rire libérateur, du rire retrouvé par le prince, un éclat de rires d’enfants, un éclat de rire de vie.

Nomi au bout de son parcours dantesque de saya zamuraï, fait de renoncements et d’épreuves devient un samouraï pour la postérité, et par un joli retournement, reste de nos jours toujours honoré.

Géraldine.