Samedi 3 Décembre 2011 15:00 Master class avec Béla Tarr Pour la première fois en France, Béla Tarr retrace les différentes étapes de son parcours de cinéaste, depuis les tournages en 16 mm semi-improvisés des débuts jusqu’à la précision extrême des œuvres tardives. 18:30 Les Harmonies Werckmeister, Béla Tarr, 2000 noir et blanc Dans une petite ville glaciale de la plaine hongroise, un cirque s’installe pour exhiber son unique attraction, une gigantesque baleine empaillée.
Dimanche 4 Décembre 2011 14:30 Le Nid familial, Béla Tarr, 1977 noir et blanc (100 mn) Le premier film de Béla Tarr, emblématique du style de ses débuts, est précédé du court métrage Hotel Magnezit (1978, noir et blanc). 17:30 Damnation, Béla Tarr, 1987 noir et blanc Karrer, personnage amer et renfrogné, a pour seul lien avec le monde un bar-cabaret, le Titanik. La chanteuse qui s’y produit l’obsède tant elle semble posséder quelque chose qui lui est inaccessible : une forme d’espoir.
Lundi 5 Décembre 2011 19:30 Rapports préfabriqués, Béla Tarr, 1982 noir et blanc Dans un style qui est comme un pendant épuré de celui de Cassavetes, Béla Tarr poursuit avec ce troisième long métrage son portrait du prolétariat hongrois et des relations hommes-femmes qui s’y développent.
Vendredi 9 Décembre 2011 19:30 L’Outsider, Béla Tarr, 1979-1980 couleur L’outsider, c’est András, jeune homme qui semble flotter sur la vie sans jamais trouver sa place, avec, pour seul compagnon stable, un violon. Par un récit elliptique, le film nous fait partager quelques étapes de la vie de cet être en décalage permanent, incapable de se plier aux injonctions du monde qui l’entoure.
Samedi 10 Décembre 2011 14:00 Satantango, Béla Tarr, 1990-1994 noir et blanc Adapté du roman éponyme de László Krasznahorkai, Satantango expose les complots et les trahisons qui agitent une coopérative agricole en déliquescence, au cœur d’une campagne humide. Samedi 10 Décembre 2011
Dimanche 11 Décembre 2011 14:30 L’Homme de Londres, Béla Tarr, 2007 noir et blanc (132 mn) Le film, adapté d’un récit de Georges Simenon, est précédé du court métrage « Prologue » (2004, noir et blanc). 17:30 Almanach d’automne, Béla Tarr, 1983-1984 couleur Hédi, une dame âgée et argentée, partage une maison avec son fils, son infirmière et l’amant de celle-ci, bientôt rejoints par un quatrième locataire.
Lundi 12 Décembre 2011 19:30 Macbeth, Béla Tarr, 1982 couleur Fidèle adaptation du texte de Shakespeare, Macbeth a été réalisé pour la télévision hongroise. Radicalisant son usage du plan-séquence, Béla Tarr y livre une mise en scène vertigineuse et labyrinthique.
Jeudi 15 Décembre 2011 19:30 The Last Boat, Béla Tarr, 1990 couleur (32 mn) C’est sans doute avec « The Last Boat » que Béla Tarr s’est le plus éloigné d’une conception classique de la narration. On y découvre une Budapest désertée, théâtre de scènes énigmatiques et irréelles baignant dans un climat post-apocalyptique. Le film est suivi du court métrage « Voyage sur la plaine hongroise » (1995, coul.).
Vendredi 16 Décembre 2011 19:30 Les Harmonies Werckmeister, Béla Tarr, 2000 noir et blanc Dans une petite ville glaciale de la plaine hongroise, un cirque s’installe pour exhiber son unique attraction, une gigantesque baleine empaillée.
Samedi 17 Décembre 2011 14:30 Macbeth, Béla Tarr, 1982 couleur Fidèle adaptation du texte de Shakespeare, Macbeth a été réalisé pour la télévision hongroise. Radicalisant son usage du plan-séquence, Béla Tarr y livre une mise en scène vertigineuse et labyrinthique.
Samedi 17 Décembre 2011 16:00 Table ronde Table ronde autour de l’oeuvre du maître hongrois, avec Kristian Feigelson, András Kovács, Sylvie Rollet et Jarmo Valkola 18:00 Rapports préfabriqués, Béla Tarr, 1982 noir et blanc Dans un style qui est comme un pendant épuré de celui de Cassavetes, Béla Tarr poursuit avec ce troisième long métrage son portrait du prolétariat hongrois et des relations hommes-femmes qui s’y développent. Ici, chaque nouvelle scène semble amener le couple plus loin dans l’impasse. 20:00 L’Outsider, Béla Tarr, 1979-1980 couleur L’outsider, c’est András, jeune homme qui semble flotter sur la vie sans jamais trouver sa place, avec, pour seul compagnon stable, un violon. Par un récit elliptique, le film nous fait partager quelques étapes de la vie de cet être en décalage permanent, incapable de se plier aux injonctions du monde qui l’entoure.
Dimanche 18 Décembre 2011 14:00 Satantango, Béla Tarr, 1990-1994 noir et blanc Adapté du roman éponyme de László Krasznahorkai, Satantango expose les complots et les trahisons qui agitent une coopérative agricole en déliquescence, au cœur d’une campagne humide.
Lundi 19 Décembre 2011 19:30 Tarr Béla, cinéaste et au-delà, Jean-Marc Lamoure, 2011 couleur Accompagnant la réalisation du Cheval de Turin entre 2008 et 2011, ce film présenté à l’état de work in progress propose une immersion auprès de Béla Tarr. Il est précédé du court métrage « Le jour où le fils de Raïner s’est noyé » (2011, coul.), d’A. Vernhes-Lermusiaux.
Jeudi 22 Décembre 2011 19:30 Almanach d’automne, Béla Tarr, 1983-1984 couleur Hédi, une dame âgée et argentée, partage une maison avec son fils, son infirmière et l’amant de celle-ci, bientôt rejoints par un quatrième locataire.
Vendredi 23 Décembre 2011 19:30 Le Nid familial, Béla Tarr, 1977 noir et blanc (100 mn) Le premier film de Béla Tarr, emblématique du style de ses débuts, est précédé du court métrage « Hotel Magnezit » (1978, coul.)
Vendredi 30 Décembre 2011 19:30 L’Homme de Londres, Béla Tarr, 2007 noir et blanc (132 mn) Le film, adapté d’un récit de Georges Simenon, est précédé du court métrage « Prologue » (2004, coul.).
Samedi 31 Décembre 2011 14:30 The Last Boat, Béla Tarr, 1990 couleur (32 mn) C’est sans doute avec « The Last Boat » que Béla Tarr s’est le plus éloigné d’une conception classique de la narration. On y découvre une Budapest désertée, théâtre de scènes énigmatiques et irréelles baignant dans un climat post-apocalyptique. Le film est suivi du court métrage « Voyage sur la plaine hongroise » (1995, coul.).
Lundi 2 Janvier 2012 19:30 Damnation, Béla Tarr, 1987 noir et blanc Karrer, personnage amer et renfrogné, a pour seul lien avec le monde un bar-cabaret, le Titanik. La chanteuse qui s’y produit l’obsède tant elle semble posséder quelque chose qui lui est inaccessible : une forme d’espoir.
Je vous conseille surtout son dernier film: Le cheval de Turin.
Un chef-d’œuvre, et comme vous ne me connaissez pas, vous ne pouvez pas savoir qu’entre autres je suis critique de cinéma, que je ne suis pas forcément difficile à cause de cette activité mais par contre que je fais attention aux mots que j’emploie dans ce domaine et là, il n’y en a pas d’autres! Ce film (le dernier de sa carrière de réalisateur si j’en crois ce qu’il m’a dit à la Berlinale) est la somme épurée de toute son œuvre. J’en ai des frissons rien que de penser aux images de ce film.
Par contre, histoire que vous ne me fassiez pas de procès dès la sortie du cinéma, je vous avertis que le film est très exigeant et très inhabituel dans sa structure: c’est une sorte de boléro de Ravel cinématographique. Cela veut donc dire que soit on se laisse aller et arrive à entrer dans le rythme soit on reste à l’extérieur…et comme le film est long, si on reste à l’extérieur, là, cela peut être éprouvant!
Malik
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30.11.11 02:23
Merci, Malik, pour votre conseil : surtout ne pas rater Le cheval de Turin de Béla Tarr, film exigeant, le clou de sa carrière – et peut-être le dernier qu’il fera (j’espère quand même que non…) Contrairement à ce que je pensais, il ne fait pas partie de la rétrospective qui sera consacrée à Béla Tarr au centre Pompidou du 3 décembre au 2 janvier. Il faudra donc guetter sa sortie en salles, qui sera sans doute concomitante à cet événement.
Quelle chance d’avoir un critique de cinéma parmi nous ! J’espère que vous nous suggérerez beaucoup d’escapades cinématographiques et que vous y participerez de temps en temps.
A bientôt donc.
Dominique.
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30.11.2011 17:50
Malheureusement Dominique, pour avoir rencontré le « maître », je n’ai pas l’impression qu’il soit du genre à changer d’avis. Il a dit qu’avec le Cheval de Turin, il avait fermé une boucle et tout ce qui pourrait venir après ne serait que recommencement, répétition. Il n’exclut cependant pas de continuer dans le cinéma, comme producteur par exemple. Mais effectivement, comme on dit en allemand, l’espoir meurt en dernier…alors espérons qu’il trouve une autre boucle à ouvrir…
Le film sort chez vous en France aujourd’hui (30 novembre).
> Je m’y suis tout de suite précipitée ! Il est vrai qu’on peut concevoir que Béla Tarr n’ait plus rien à dire après ce film. Il est vrai qu’il est superbe mais tout à fait désespéré.
> « Le film illustre la mortalité à laquelle nous sommes condamnés, avec cette profonde douleur que nous ressentons tous » (B. Tarr).
> Ma première impression était que « Le cheval de Turin » raconte comment le monde se défait en six jours, jusqu’à ce que la lumière elle-même ne soit plus… Ce qui n’est pas incompatible ! Et puis, il y a le cheval, ah, le cheval, que l’on voit marcher interminablement, au début, et puis qui s’arrête, qui ne veut plus ni bouger ni manger…
Le 01/12/2011 09:44, Malik Berkati a écrit :
> C’est exact, alors que Dieu fait le monde en 6 jours, Béla Tarr le défait dans le même laps de temps. Mais quand je suis sorti du film, je n’ai pas senti de désespoir au contraire, car cette litanie du vent, cette immensité désolée, cette obscurité qui laisse saillir quelques ombres n’appelle à mon avis qu’une chose: un renouveau au 7ème jour…
> La dernière image est un tableau, une nature morte fait d’être humain: ils sont figés et leur monde avec. Mais comme la nature a horreur du vide…
> Bon à ma décharge de cette vision optimiste: je l’ai vu à la fin de la Berlinale avec déjà plus de 60 films dans les yeux, à la fin d’une journée avec 5 films derrière moi: j’étais à la fois épuisé et désespéré des 3/4 des films déjà vus et ce film m’a redonné une énergie et un coup d’adrénaline improbable dans l’état ou j’étais…cela a peut-être influé! Faudrait que le revois avec cette idée de désespoir pour confronté mon impression à celle qui semble se dégager si j’en crois également l’article envoyé par Géraldine.
Géraldine et moi venons de revoir « Le cheval de Turin » et j’ai constaté, de ma part, une erreur très étrange, qu’elle m’avait d’ailleurs signalée. J’avais vu – et écrit – que, dans le dernier plan, le père et la fille se regardaient enfin. Or ils ont tous deux les yeux baissés et ne se regardent pas un instant ! Chacun est au contraire laissé à sa solitude, il n’y a même plus la lampe entre eux pour les séparer ou les unir, avant que les deux figures se dissolvent progressivement dans le noir – image magnifique et bouleversante, sur le mode discret et complètement dépourvu de pathos propre à Béla Tarr. Pourquoi cette erreur ? Peut-être parce que, pour la première fois, l’œil de la caméra les prend assis à cette table ensemble. Le père, dont la violence contenue s’était manifestée pendant tout le film, rend les armes. Pour moi, il s’humanise enfin.
Un détail qui m’a beaucoup touchée lors des deux projections est la longueur des cils du cheval, quand on le voit de face, juste avant que la porte de la grange se referme définitivement sur lui. Dirais-tu que c’est le « punctum » selon Barthes, Alain ? Il y manque sans doute l’élément de « hasard », car Béla Tarr laisse peu de choses au hasard, et sûrement pas ça. Ce détail fait du cheval un être féminin, et une sorte de figure maternelle pour la jeune fille. Du moins, c’est ainsi que je le vois.
Qu’avez-vous pensé du film ? Je l’ai beaucoup aimé, à cause des acteurs, de la mise en scène. J’avoue que je ne me suis même pas posé la question de l’image que ça donne de la psychanalyse. Freud était sans doute le moins convaincant, on connaît trop sa tête. J’ai pris ça comme une fiction.
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De : vé
J’ai également beaucoup aimé ce film. Je l’ai trouvé très intéressant, et j’ai de mon côté beaucoup aimé l’interprétation de Spielrein (son prénom m’échappe), psychanalyste que je ne connaissais pas. Sur quoi penses-tu que l’actrice a basé son jeu, au début du film, quand elle est en crise ? Pour ce qui est de Freud, je l’ai beaucoup aimé. Et étonnée de le «découvrir juif ». Non, que je ne le savais, mais. Étonnée, tu sais, de cette réplique «Nous sommes juifs, quittez cet aryen ». Son interprétation, ce film, l’ancrent mieux pour moi dans la réalité de son temps. Mais, il est vrai que j’ai un gros problème avec l’histoire, que j’ai du mal à percevoir, à ressentir. Il manque la durée à ma notion du temps. Ce qui revient probablement à dire qu’il me manque le temps tout court. Cela dit, aurait-il pu dire ce genre de chose ? Alors, vraiment, je ne l’aurais pas deviné à lire ses écrits théoriques. Je n’ai pas lu toute son œuvre, mais beaucoup. Je suis maintenant très tentée de lire sa correspondance avec Jung. Et je n’avais pas noté que ses disciples de l’époque étaient tous juifs. Comment cela se fait-il ? Que cela m’aie échappé ? Peut-être n’est-ce pas très important. Peut-être Freud a-t-il écrit son œuvre en dehors de cette réalité-là, que le film, sa biographie révèlent justement. D’après l’article lu cette nuit dans LQ, l’article paru hier, il aurait été tenté « d’aryaniser » justement la psychanalyse, dans un souci d’en étendre la portée au plus grand nombre. Quel homme tout de même ! Et quelle époque ! Ce moment de la découverte ! Et que cette découverte il eut eu le talent de la communiquer, d’en faire mouvement ! Vraiment ce film est pour moi d’une grande intelligence, et confirme pour moi Croenenberg comme l’un des grands. A tout à l’heure ! Véronique
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De : do
Chère Véronique-eoik,
Merci pour ta réponse et pour ton commentaire ! Du coup, j’ai été lire celui de Clotilde Leguil, très juste, dans LQ 123. Il faudrait que je revoie le film. Comme je te le disais hier, j’ai été tellement prise au premier degré par le jeu des acteurs et l’intelligence de la mise en scène que, dans un premier temps, je ne me suis même pas posé de questions. Je ne sais pas sur quoi Keira Knightley s’est appuyée pour jouer ainsi (les critiques en disent peut-être quelque chose ?) Elle est magnifique.
Témoignage d’un jeune homme de mes amis, qui passait son bac l’an dernier. Sa mère, soucieuse de l’impact du film sur les jeunes, lui a demandé si ça lui donnait envie de lire Freud ou Jung. Réponse : « Ni l’un ni l’autre. Je l’ai juste pris comme un film et je le trouve excellent. »
Entre parenthèses, il se donne aussi en ce moment, et certainement pas pour longtemps, Augustine de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat, sur les leçons de Charcot à la Salpétrière. C’est un film en noir et blanc, dont le propos est moins ambitieux (quoique…), plus confidentienl en tout cas. Passé inaperçu à sa sortie en 2003. Il y a également une étonnante performance d’actrice (Maud Forget). Et ça fait assez froid dans le dos.
J’avais lu dans le temps Sabina Spielrein, une femme entre Freud et Jung, paru il y a 30 ans et réédité en 2004, sous le titre simplifié Sabina Spielrein entre Freud et Jung.
Si on en croit ce lien, la partie commentaires est un peu datée. Mais le livre reste intéressant pour les extraits du journal de Sabina, pour sa correspondance avec Freud et Jung, et pour des textes d’elle, en particulier un sur le langage enfantin. Autant qu’il m’en souvienne, c’est écrit avec beaucoup de fraîcheur – comme on écrivait à l’époque.
Alain nous a parlé aussi d’un texte récemment traduit, sur un cas de phobie, qu’il nous enverrait.
« Une patiente que j’ai tirée autrefois d’une très grave névrose avec un immense dévouement a déçu mon amitié et ma confiance de la manière la plus blessante que l’on puisse imaginer parce que je lui ai refusé le plaisir de concevoir un enfant avec elle » écrit Jung à Freud en ce printemps 1909. Deux jours plus tard il ajoute dans une autre lettre : « Je n’ai vraiment jamais eu de maitresse, je suis vraiment le mari le plus inoffensif que l’on puisse imaginer ». Freud rassure de son amitié son jeune confrère en qui il voit, lui écrit-il, en se comparant lui-même à Moïse, « le Josué destiné à explorer la terre promise ». Il est vrai que Jung est un jeune poulain — en fait un grand gaillard d’1 m 85 — trentenaire, qui bénéficie du prestige pour Freud d’être psychiatre dans la plus célèbre clinique de soins mentaux de l’époque, la clinique Burghölzli de Zürich, médecin adjoint du grand Bleuler, qui n’aime pas la psychanalyse naissante, mais dont les travaux sur la schizophrénie font autorité, et en plus, de n’être pas juif, comme la plupart des « gueux » passionnés qui entourent alors Freud.
Leur passion à eux deux remonte à 1907, et Freud rêve d’aryaniser sa nouvelle science et de déplacer son centre de Vienne à Zürich. Dès 1908, Jung est en place au premier congrès de psychanalyse à Salzbourg. À l’été 1909 il fait partie de la petite troupe qui part à la conquête du Nouveau monde faire une série de conférences à la Clarke University. Un premier nuage apparaît entre eux pendant le voyage après que Jung un peu éméché, s’étant mis à disserter sans fin sur des corps momifiés retrouvés dans une tourbière en Allemagne du Nord, se soit fait couper par Freud par un sec « Pourquoi vous préoccupez–vous tant de cadavres ? », et une seconde fois quand Freud refusa, pour « ne pas risquer son autorité » d’en dire trop sur un rêve qu’il avait fait où il était question de sa belle-soeur.
Malgré cela, Jung sera le premier président de l’IPA. Il en démissionnera le 20 avril 1914. Entre temps leur idylle aura tourné au vinaigre. Jung sera responsable de deux évanouissements de Freud aux instants où celui-ci s’aperçoit que ce fils rêvé est un Brutus, et le ton de leur correspondance aura considérablement changé : « Vous voulez aider, ce qui empiète sur la volonté des autres. Votre attitude devrait être plutôt celle de celui qui offre une occasion que l’on peut saisir ou rejeter ». Et à un autre collègue, il écrit : « Jung est un personnage incapable de supporter l’autorité d’un autre, encore plus incapable d’imposer son autorité et dont l’énergie consiste en une poursuite sans scrupules de ses intérêts personnels ». Dont acte !
Mais revenons au printemps 1909. Le 30 mai, la jeune femme incriminée écrit à Freud. Elle veut le rencontrer. Elle s’appelle Sabina Spielrein, c’est une jeune juive russe de 23 ans, elle est étudiante en médecine et a été soignée depuis 1904 par Jung, d’abord au Burghölzli puis ensuite en consultations, pour une « psychose hystérique » — diagnostic reprenant l’ancienne « folie hystérique », délicieux oxymore en somme sur la fonction paternelle, entre Bejahung et Verwerfung, diagnostic différentiel de la schizophrénie joliment épinglé ainsi dans les années soixante par Chazaud et Follin : « Le schizophrène vit le drame de l’existence de sa personne ; le psychotique hystérique vit le drame de son personnage ». Oui mais si le plus vrai de la personne c’est le personnage ? Quoiqu’il en soit, notre jeune russe fit l’objet de la part de Jung de sa première expérience d’application du « traitement psycho-analytique » de Freud, avant même qu’il l’ait rencontré, sur sa seule lecture enthousiaste de L’interprétation des rêves.
Cette talking cure, comme l’appelait une autre pionnière analysante, eut un succès thérapeutique indéniable, les violents symptômes liés à un refoulement vis-à-vis d’une motion incestueuse et présentant des caractéristiques sexuelles sadiques-anales cédèrent et se transférèrent comme il se doit sur la personne du thérapeute. Et l’on se découvre bientôt les mêmes goûts — la musique, Wagner —, les mêmes intuitions ; l’analyste fait part à l’analysante de toutes ses qualités — d’intelligence bien sûr — qu’il lui trouve : « Des esprits comme le vôtre font avancer la science. Vous devriez absolument devenir psychiatre ». Finalement on passe du divan au lit, mais ce n’est pas de cela dont Sabina veut s’entretenir avec Freud mais de la déconfiture de son amant qui, se sentant repoussé dans ses retranchements de mari et d’amant, a écrit à la mère de sa maîtresse… pour qu’elle l’en débarrasse ! Il se défend de sa propre faiblesse avec une belle goujaterie (« Une muflerie », écrira-t-il) arguant que la différence entre un médecin et un amant tourne autour de la question du paiement (Avec quoi est-ce qu’on paie ?) et réclamant donc in fine le montant de ses honoraires non perçus à la mère de Sabina ! Le paiement — mérité — qu’il recevra de la donzelle en retour, furieuse quand elle apprend cette lettre, ce sera une gifle et l’esquisse d’un coup de couteau signant in vivo le coup de canif dans le contrat.
Finalement l’amour entre eux deux, contrairement à celui entre Freud et Jung, survivra à cette scène violente. Ils redeviendront amants, Jung dirigera même le Mémoire de psychiatrie de Sabina. Elle l’aime, il l’aime. On n’est vraiment pas dans la cartographie d’une érotomanie. Mais bien dans celle du doute qui sied aux amants : « Il est pourtant certain qu’il m’aime. Mais il y a un ‘Mais’, c’est que mon ami est déjà marié », écrit Sabina dans son Journal.
Entre-temps elle aura effectivement rencontré Freud. En 1911, elle lui fournira même un article sur « La destruction comme cause de devenir » qui sera une des matrices, celle-ci inconsciente ou cachée, de la future pulsion de mort que Freud développera après la guerre de 14/18. En 1913, il lui écrit : «Mon rapport à votre héros germanique est définitivement rompu. Son comportement a été trop détestable. Mon jugement sur lui s’est beaucoup transformé depuis votre première lettre ».
En 1912, elle se marie avec un Russe et part en Russie — devenue l’URSS — en 1923, où vient de se créer une association psychanalytique. En 1936, cette association sera dissoute et Sabina, après la disparition de ses frères dans les purges staliniennes, meurt assassinée au début de la guerre là où elle est née, à l’entrée des nazis – les SS – dans sa ville. Seule trace qui reste d’elle, une note en bas de page dans «Au-delà du principe du plaisir », avant la découverte en 1977 à Genève, dans les caves de l’ancien Institut de Psychologie, d’une correspondance copieuse et oubliée entre Jung, Freud et Sabina Spielrein, et de son Journal.
Ce retour du refoulé fit évidemment du bruit dans le landerneau psychanalytique et même au delà. D.-M. Thomas dans L’hôtel blanc s’est-il inspiré de cette histoire ? L’effacement d’un nom propre fait aussi écho à notre actualité lacanienne la plus brûlante.
Et cette vérité éternelle que l’amour ne se laisse pas aisément gouverner par la raison, que la jouissance et la pulsion dominent les idéaux, que dans la psychanalyse « le transfert est à la fois le moteur le plus puissant de la cure et le principal facteur de résistance », que les hommes sont des lâches — ou des malheureux — partagés par l’aphorisme de Freud : « Là où ils aiment ils ne désirent pas, là où ils désirent ils n’aiment pas », que les femmes sont folles, même si Lacan ajoute « pas folles du tout », mais plutôt au-delà des limites dont l’angoisse de castration guinde les messieurs, que l’histoire du mouvement psychanalytique est plein de rumeurs et de chuchotements, de rivalités rassies et de haines intangibles, à l’époque au moins où elle croyait qu’elle allait dominer le monde, que nos histoires sont subsumées quand elles croisent l’Histoire avec un grand H, devaient évidemment attirer un cinéaste comme David Cronenberg.
C’est chose faite avec A Dangerous Method, chronique fidèle de cet épisode de l’histoire de la psychanalyse, présenté cet automne à la Mostra de Venise. Adaptation de la pièce A talking cure de Christopher Hampton — qui est aussi le scénariste du film —, l’accueil du film fut mitigé. « Un film passionnant » pour A. Romanazzi, « Un film à la limite de l’ennui » pour tel autre critique ; Lorenzo Bianchi réclame « la statuette d’un Oscar » pour Keira Knightley (qui joue Sabina Spielrein dans le film), tandis que d’autres au contraire trouvent son jeu « poussif » ; « Un dialogue brillant », « Un film académique », etc. C’est encore Libération lors de la sortie du film en France qui trouvera le titre le plus drôle : « Méninges à trois ».
En tout cas, à Venise, pas de Lion d’or pour Cronenberg. Il est vrai qu’avec Aronofski (Requiem for a dream, Black swan) comme président du jury, ce film à l’esthétique froide avait peu de chances d’être primé. Finalement, tout le monde s’accordait pour dire que, avec A Dangerous method, Cronenberg n’était plus Cronenberg. Le cinéaste sombre voire underground de ses premiers films propose ici une image claire et ambigüe comme la surface de l’eau sur le lac de Zürich que contemple Jung à la fin du film et qu’un rêve qu’il pense prémonitoire lui fait voir transformée en une étendue sanglante.
Mais non, c’est toujours la même question des rapports de la pulsion et de la parole (de l’histoire) qu’explore le cinéaste canadien. Seulement là où il montrait la densité des chairs, il montre ici la réalité de la lettre. Il faut saisir ici l’importance du générique qui s’attarde sur un gros plan d’une écriture, d’une lettre, de qui à qui ? On ne sait.
Et le formidable Fassbender qui joue ici Jung en protestant guindé n’est pas différent du Fassbender qui joue le héros hypermoderne de Shame. (Mais Fassbender aura le prix d’interprétation à Venise pour Shame). Ils sont aux antipodes mais c’est le même personnage aux prises avec la jouissance. Ici elle est encore liée aux idéaux, là elle est déliée de tout, pur « morceau de réel ».
Et Sabina est la soeur de toutes les femmes qui proposent, avec Marie-Hélène Brousse, un « éloge de l’hystérie ». Elle est le double réel d’une autre analysante, l’héroïne de D.-M. Thomas, Lisa Erdmann, qui dit : « Si je ne pense pas au sexe, je pense à la mort. Parfois les deux ensembles ». Thomas ajoute qu’elle dit cela « d’un ton amer ». Sabina Spielrein est conforme à ce que Lacan dit des femmes analystes, quelquefois plus à l’aise que leurs homologues masculins avec le réel. Analysant un de ses rêves, elle écrit (en 1913) : « L’expérience nous a prouvé que le transfert, portant aussi bien sur les sentiments de haine que d’amour, constitue toujours une arme à double tranchant ». Et Freud lui rend hommage, lui écrivant : « Vous avez en tant que femme ce privilège sur les autres d’observer avec plus de finesse, et de ressentir avec plus d’intensité les affects dont vous prenez la mesure ».
Viggo Mortensen enfin, l’acteur fétiche de Cronenberg, est un Freud convaincant à l’ironie un peu distante. C’est sans doute un visage de Cronenberg lui-même qui se joue là, ce pourquoi nous préférions le Freud de Benoist Jacquot qui était plus vivant parce qu’il croyait, lui, à quelque chose, à la psychanalyse peut-être.
Après avoir vu le film, une spectatrice me dit, mine pincée : « Ce n’est pas très intéressant. Ce sont de petites histoires ». En effet, mais ces petites histoires sont aussi le cœur de nos vies et aussi le cœur de notre chère psychanalyse. Lacan enseignait que le style c’est l’objet, remercions Cronenberg de nous montrer que les facettes d’un même objet peuvent réfracter les variations inversées d’un même sujet. Finalement avançons que A Dangerous Method sera à Cronenberg ce que Barry Lindon fut à Kubrick : une œuvre dont la violence s’exprime dans un ciel d’un bleu glacé
Super la bande annonce Augustine sur Twitter, Mariana, merci. J’ai vu ce moyen métrage avec Dom et c’est très complémentaire avec l’éclairage historique de A dangerous method.
C’est une vraie plongée dans les origines de la psychanalyse en ce moment, et du traitement des hystériques…
Cela fait un petit moment que j’ai sur le cœur un commentaire sur le film « A Dangerous Method », que nous avons vus, ensemble ou séparément :
Il me semble que le point nodal de ce film est l’Ethique de la Psychanalyse, avec un parti pris décidé pour Freud. Ce point nodal d’Ethique se manifeste en particulier dans cette scène, qui attrape le tout, au moment où Freud confie qu’il n’aime plus Jung, son élève, qu’il en est déçu, de par ses recherches ésotériques, certes, qui sont pour lui un menace discréditante à une époque où la psychanalyse est fragile (il parlera plus tard de « la boue de l’occultisme »), et, surtout, qu’il s’en est aperçu lorsque Jung lui a écrit cette lettre mensongère a propos de Sabina, niant qu’il a été son amant.
Celui-ci a préféré sacrifier la dignité de sa maîtresse, qu’il aimait, connaissant de surcroit la fragilité de cette femme qu’il a soignée, à ses intérêts petits-bourgeois, à son économie personnelle et égotique, voire un peu sadique d’obsessionnel insuffisamment analysé. Cela fait penser à l’homme aux rats.
Mais ce n’est pas le fait que Jung ai couché avec une patiente que Freud a jugé inacceptable, c’est le fait qu’il l’ait démenti. C’est pour cela que sur ce bateau où Jung voyageait en première classe, grâce aux finances de son épouse qu’il n’a pu quitter pour Sabina, Freud, lui en deuxième classe, mais allant apporter la psychanalyse comme « la peste » en Amérique, refuse de lui confier son rêve, qui portait sur l’amour aussi, …qu’il éprouvait pour sa « belle »-soeur.
Ainsi, on se trouve face à une Éthique de la psychanalyse, de « ne pas céder sur son désir« , de ne pas recouvrir le Désir de l’Analyste concernant la « Cause Sexuelle », qu’il nomme la libido, par des religiosités, …ni de recouvrir son désir sexuel pour Sabina Speilrein par des enjeux de réussite financière ou socio-professionnelle.
Sabina s’en sortira dignement cependant, en exigeant de son ex-amant qu’il écrive à Freud pour réhabiliter la vérité, et devenir ainsi sa patiente, puis analyste.
Jung n’a sans doute pas exploré la dimension de rivalité avec Freud, le père de la psychanalyse, mais il a souffert ensuite une double perte: celle de son amour et de la confiance de Freud.
Ainsi la présentation de ce film, surtout dans cette scène, qui éclaire le tout, me paraît défendre l’Éthique de la psychanalyse et, en même temps, ce que je proposerai comme « une Éthique de l’amour »: On ne trahit ni l’une ni l’autre!
J’attendais impatiemment ton opinion sur A dangerous method et… rien du tout ! Tu rappellerais-tu du nom d’un film assez récent traitant du même thème ? Et du nom du réalisateur ? Recommandes-tu quelque chose en ce moment ? Bon, il ne sort pas un chef-d’oeuvre tous les jours, mais à défaut ?
J’ai beaucoup aimé Tous au Larzac. Une affaire de génération, sans doute un peu, ou beaucoup ? Mais j’ai aussi été touchée par Sweetgrass: encore une affaire de moutons, bien plus récente, en même temps qu’un document ethnographique, puisque c’était la dernière transhumance de ces bergers et de leurs troupeaux (Montana, 2003).
oui effectivement, rien du tout de mon côté: mais cela va venir! En attendant, je suis avec attention les échanges sur le sujet.
Quant à des recommandations, je suis un peu emprunté: je vois les films en général assez longtemps à l’avance et je suis au fait des sorties en Suisse et en Allemagne, mais pas en France. Je vais me tenir plus au courant des films qui sortent en France pour pouvoir être plus en phase avec le groupe. Mais pour info: je vois beaucoup de films qui ne sortent jamais en salle dans nos pays formatés multiplex et art & essai intello-centrés, c’est un peu malheureusement ma spécialité.
Les réflexions sur le film A dangerous method sont toutes aussi passionnantes les unes que les autres!
J’aime beaucoup ton idée formidable de « l’éthique de l’amour » Catherine, même si je ne partage pas totalement ton jugement un peu trop « moral » de l’attitude de Jung, l’amour pour sa femme, Emma, »son pilier », et leurs nombreux enfants dépassant, me semble-t-il, la logique de l’intérêt matérialiste et de la sauvegarde de ses privilèges petits-bourgeois. Le film se termine sur une scène d’adieux amères qui offre à Jung aux prises avec ses contradictions un peu plus de profondeur.
Mais nous sommes sans doute devenus trop savants et trop orientés pour regarder ce film sans parti pris dans ce conflit historique qui a opposé Freud et Jung. J’aimerais d’ailleurs si c’est possible avoir d’autres avis « non psy » sur le film, comme indiquait Dominique en témoignant de ce que lui disait le fils d’une amie. Tu as vu le film je crois Laurent? Et toi Malik, ton avis de critique de cinéma est très attendu.
A revenir aux origines de la psychanalyse et aux cheminements, aux tâtonnements de ses pères fondateurs, dans la société germanique très conservatrice , entre-deux siècles, (Kinder, Küche, Kirche?), nous replongeons aussi dans un contexte historique inédit, qui a permis que la psychanalyse voie le jour, et cette histoire d’alcôve, très humaine, n’y aura pas été étrangère. Cette femme exceptionnelle, Sabina Spielrein, première analysante de l’analyste autorisé de lui-même (et de sa femme!) qu’était Jung, (sur la seule lecture de Freud, avant de le rencontrer, donc pas encore analysant), y aura pris sa part de façon étonnante, désirante et décidée dans son mouvement ascendant. Et ce malgré, (ou grâce à?) l’histoire d’amour passionnée et parfois cruelle qu’elle a vécu avec Jung…
Otto Gross, ce personnage énigmatique, rebelle, libertaire,trop vite éclipsé, m’a laissé un goût d’y revenir et de rechercher ses écrits, s’il en a laissés? C’est une des thèses du film,c’est aussi après avoir fait sa rencontre que Jung cède à son amour pour Sabina. Je me souviens d’un bon mot de Jacques-Alain Miller, qui en 2009, interrogé par l’actrice Barbara Schulz, qui interprétait Sabina sur scène, dans la pièce « Parole et guérison« (assez décevante au regard du film et de ses possibilités pour l’interprétation du rôle), et qui lui demandait si cela arrivait souvent qu’analyste et analysant tombent amoureux, il avait répondu par «C’est très rare, mais ce sont les risques du métier!»…
La transgression, l’amour et ses murs, les effets du transfert, étaient à ce moment-là des risques méconnus, qui justement seront précisés par la suite dans le dispositif de la cure, et de ses règles fondamentales, avec d’autres conséquences si elles sont appliquées comme des standards…
Les clivages théoriques du fait des appartenances religieuses, dans un moment de déclin du religieux, m’a aussi beaucoup touchée Véronique. C’est avec une certaine tristesse, voire un découragement, que j’ai pris la mesure de cet énoncé Freudien, à Sabina « Je crains fort que votre volonté d’union mystique avec le blond Siegfried n’ait été dés les origines voués à l’échec, N’accordez aucune confiance aux Aryens, nous sommes des juifs chère Mademoiselle Spielrein, et juifs nous le resteront toujours.» C’est précisément cette phrase qui m’avait déjà tourmentée dans la pièce «Paroles et guérison» de Didier Long, en 2009. Mon « identification » pendant le film repérée à la position de Sabina Spielrein, qui a tenté à plusieurs reprises de réconcilier les deux hommes : «si vous ne trouvez aucun moyen de coexister, les progrès de la psychanalyse s’en trouveront freinés.», m’interroge sur mon fantasme de vouloir réconcilier ceux qui se sont fâchés, ratés, manqués et qui s’épuisent dans des combats fratricides et des guerres de chapelles ravageants pour la cause analytique… Peut-être que c’est Christopher Hampton, l’auteur de ces mots attribués à Freud qui pourrait nous éclairer sur ce qu’il a voulu transmettre là? Sans doute était-ce dans l’air du temps et ce qui s’annonçait en terme d’horreur absolue avec la montée du nazisme, a contribué à ce repli communautaire et à ce terrible constat né d’attentes déçues pour le mouvement psychanalytique, qui vivra ses heures les plus sombres et encore peu travaillées avec les questions laissées par l’existence des camps d’extermination. Le livre d’Anne-Lise Stern, « Le savoir déporté » m’a beaucoup aidée et enseignée sur ces questions.
Ce que je retiendrai de ce film est donc cette « petite histoire » dans la grande histoire, passée inaperçue et pourtant essentielle, de la place d’une femme, entre deux hommes, analysée par l’un puis ensuite par l’autre, qui a provoqué leur rencontre en devenant un cas en partage, comme un go-between, un trait d’union, une passante, amante de l’un, élève de l’autre, entre ces deux hommes fondateurs et pionniers d’une découverte et d’une réflexion tout à fait inédite de la pensée, avec une façon d’aborder la souffrance psychique vraiment novatrice en donnant la parole au sujet, « tu peux savoir« , parole que Sabina Spielrein a choisi de prendre pour ne plus la lâcher. Sa mort prématurée, assassinée par les nazis avec ses enfants,en 1942, emporte ce que cette psychanalyste aurait pu découvrir et travailler par temps de paix. On peut d’ailleurs mettre en rapport ce film avec ce que Dominique indique du film Augustine, de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat , qui montre comment avec Charcot et le manque d’écoute des médecins moins intéressés à déchiffrer l’énigme des hystériques qu’à les observer et à les expérimenter comme des rats de laboratoire, l’invention freudienne et la talking cure ont aussi ouvert une voie unique d’écoute, de compréhension et d’émancipation des femmes.
Je reste sur la question du titre ambivalent du film de Cronenberg, A dangerous method, qui n’est pas sans rappeler la phrase de Freud à son arrivée à New-York avec Jung qui aurait dit : « Je vous apporte la peste« …Qu’en est-il aujourd’hui?
Vous l’aurez compris, c’est un film qui m’a beaucoup touchée, m’a fait travailler, et me fera travailler encore. Merci à Alain et Dominique pour leurs liens très intéressants sur le sujet.
Et voilà, Géraldine, avec l’éclat de son commentaire. Il est saisissant de constater que dès les débuts de la psychanalyse, il y a un partage des eaux entre les tenants du corps ( la jouissance) et les servants du dire ( le désir ), entre Jung et Freud ici. Je ne crois pas que cela relève d’un manque d’expérience, d’une technique naissante, mais plutôt d’un choix éthique hors pédagogie.
En attendant le non psy que tu appelles, Géraldine, si nécessaire pour nous, je brûle d’envie quand même de vous transmettre quelques mots du cours d’Alain Merlet à la section clinique de Bordeaux sur A Dangerous Method, ce vendredi 13, mots recueillis auprès d’une collègue qui y a assisté.
Alain Merlet indique que le réalisateur prend le parti de Freud parce que celui-ci a préféré le corps au psychique, comme lui, au cinéma: c’est la bouche qui doit déterminer le jeu de l’acteur, aussi ne faut-il pas visser les acteurs à la story. Il laisse d’abord parler les acteurs pour que puisse se dessiner dans leur jeu quelque chose de l’invention. On a l’impression que Jung s’intéresse au corps autrement.
A. Merlet nous dit que ce qui compte pour Freud ne sont pas tant les aveux que le cheminement, forcément signifiant, par lequel on les obtient. Ce que Freud critique c’est la photographie du corps, donc ce qui est. Ce qui compte, c’est le dit. Jung obtient des éléments par la pire des psychanalyses appliquées. Il va droit au but en court-circuitant la défense du sujet. La catharsis néglige le symptôme. Qu’est-ce qui reste alors, sinon le passage à l’acte.
Pour Freud, nous rappelle Alain Merlet, c’est la chaîne des signifiants qui mène à la remémoration, plus que la scène elle-même, qui compte.
Céder sur le bien-dire vous destine inévitablement au mal faire. C’est ce qui arrive à Jung et Gross, à l’envers de Freud et, osons le dire, de Sabina Spielrein. Son activité d’analyste, brillante, fut trop courte, fauchée par la barbarie nazie.
Si les mandalas peuvent être regardés comme des œuvres d’art, pour le bouddhiste, ce sont avant tout des représentations symboliques ayant une valeur sacrée extrêmement puissante. Dix moines tibétains de l’Université tantrique de Gyütö ont réalisé un mandala de sables colorés à Saint-Merry du 14 au 16 juin 2011. Cette expérience à la fois spirituelle et artistique s’est terminée par une cérémonie de prière spécifique, puisque les moines ont chanté selon un mode diphonique, mêlant à nouveau culture et spiritualité. Le photoreporter Xavier de Torres a été invité et a réalisé une œuvre photographique.
Pour poursuivre dans l’esprit de Jung dont on sait la passion pour les mandalas et à partir desquels il a construit une théorie pour le moins farfelue. En revanche le travail photographique de Xavier ne l’est pas.
Ah transfert, quand tu nous tiens ! C’est je crois la question de Cronenberg dans A Dangerous Method. Interviewé par un journaliste, il dit avoir fait ce film sans penser aux précédents… Et disant cela, oh surprise, il se rappelle son 1er film, un court métrage de 7 mn ! Et devinez son titre: Transfer !!!
Trouvons-le, et visualisons-le !
Bises à tous.
Alain
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ha ha, super, alain, cette découverte !!!
« Son premier film, Transfer (1966, un court métrage de 7 mn), traitait déjà de la relation ambiguë entre un psychiatre et son patient : on y voyait un patient suivre son analyste de manière compulsive. Et le duel Freud/Jung dans A Dangerous Method n’est pas sans rappeler l’aventure troublante des médecins jumeaux de son chef-d’œuvre Faux Semblants. Mais, devant son dernier opus, le film de l’auteur auquel on pense le plus (on reste frappé par la monstration de l’hystérie chez Sabina Spielrein/ Keira Knightley qui crée un corps crispé à la beauté convulsive), c’est Spider. » http://mobile.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/a-dangerous-method-par-le-docteur-106654
1h31mn – Drame – VO st Fr- Distribution: Rutger Hauer, Charlotte Rampling, Michael York, Oskar Huliczka, Joanna Litwin
Année 1564, alors que les Flandres subissent l’occupation brutale des Espagnols, Pieter Bruegel l’Ancien achève son chef-d’œuvre « Le Portement de la croix ». Derrière la Passion du Christ, on peut lire en filigrane la souffrance d’un pays en plein chaos. Le film plonge littéralement le spectateur dans le tableau et suit le parcours d’une douzaine de personnages au temps des guerres de Religion. Leurs histoires s’entrelacent dans de vastes paysages peuplés de villageois et de cavaliers rouges. Parmi eux Bruegel lui-même, son ami le collectionneur Nicholas Jonghelinck et la Vierge Marie
Vendredi 20 janvier à 17h 55 aux 7parnassiens. On entre dès qu’on peut et on se retrouve directement dans la salle ? Je devrai filer vite après. On échangera nos impressions sur Escapades… Dominique.
Cinéma Les parnassiens 98 boulevard Montparnasse 75014 Paris M° Vavin / Notre-Dames des Champs / Montparnasse / Edgar Quinet
Lundi 23 janvier à 21h, au théâtre de la Madeleine, soirée commémorative en l’honneur de Pierre Chabert, comédien et metteur en scène, qui a travaillé avec Beckett pendant vingt ans. Projection de « Compagnie ». Entrée libre. C’est à 21h et il ne semble pas nécessaire de venir trop longtemps à l’avance. Vers 20h 45 ? Nous devons cette information à Jo Attié. Qu’en dites-vous ? eoik ?
Concernant le film A Dangerous Method, tu écrivais : « Il est saisissant de constater que dès les débuts de la psychanalyse, il y a un partage des eaux entre les tenants du corps ( la jouissance) et les servants du dire ( le désir ), entre Jung et Freud ici. »
Jung, tenant du corps, jouissance, et Freud, servant du dire, le désir. Cette opposition, au moins dite de cette façon, tient-elle ? Est-ce vraiment ce dont il s’agit ? Je pose la question. On a vu, l’année dernière encore, à son cours sur Yad’lun, Jacques-Alain Miller soutenir que le désir, l’ontologie, c’étaient du vent, que seul ce qui tenait, c’était ce qui existait, le un, le corps, la jouissance. Par ailleurs, il est vrai que le dire (à l’autre) ira à mettre au jour, à cerner le réel en jeu dans la souffrance du sujet. (je ne dis évidemment pas que Jung aurait été en avance sur son temps, aurait tout compris, et que c’est sa voie qu’il s’agit de reprendre !!!!), je questionne ta formule.
Ce que j’essaie d’interroger, c’est qu’il y a un endroit où Miller semble indiquer qu’il y a à détrôner quelque peu le désir, dans la mesure où il ne s’agit d’un semblant, et que le semblant seul ne peut que mentir, contourner la jouissance. Il me semble qu’il indiquait qu’il y avait presque de nouvelles manières de faire, de nouvelles écoutes à inventer pour le psychanalyste, et surtout pour le psychanalyste du XXIème siècle.
« Lacan enseignait le primat de l’Autre dans l’ordre de la vérité et celui du désir. Il enseigne ici le primat de l’Un dans la dimension du réel. Il récuse le Deux du rapport sexuel comme celui de l’articulation signifiante. Il récuse le grand Autre, pivot de la dialectique du sujet, il lui dénie l’existence, et le renvoie à la fiction. Il dévalorise le désir, et promeut la jouissance. Il récuse l’Être, qui n’est que semblant. L’hénologie, doctrine de l’Un, surclasse ici l’ontologie, théorie de l’Être. L’ordre symbolique ? Ce n’est rien d’autre dans le réel que l’itération du Un. Doù l’abandon des graphes et des surfaces topologiques au profit des nœuds, faits de ronds de ficelle qui sont des Uns enchaînés.
Souvenez-vous : le Séminaire XVIII soupirait après un discours qui ne serait pas du semblant. Eh bien, avec le Séminaire XIX, voici l’essai d’un discours qui prendrait son départ du réel. Pensée radicale d’l’Un-dividualisme moderne. »
Jacques-Alain Miller, Quatrième de couverture du Séminaire …ou pire
« Alain Merlet, écris-tu, indique que le réalisateur prend le parti de Freud parce que celui-ci a préféré le corps au psychique, comme lui, au cinéma: c’est la bouche qui doit déterminer le jeu de l’acteur, aussi ne faut-il pas visser les acteurs à la story. Il laisse d’abord parler les acteurs pour que puisse se dessiner dans leur jeu quelque chose de l’invention. »
Donc, Merlet, ici, indique bien, de façon très intéressante, le corps comme « cela dont ‘ça’ part » – aussi bien pour Freud que pour Croenenberg. C’est à faire jouer la bouche, la jouissance orale, que la jouissance pulsionnelle se voit tirée, halée dans le dire, au moins pour partie. Et la pulsion, silencieuse, trouvant ses mots verra « advenir un nouveau sujet » pour reprendre les mots de Freud. Un nouveau sujet vient à naître, ce qui procure au parlêtre un apaisement. Il n’est plus seulement jouet de l’étrange. Il peut s’inventer un histoire, construire son fantasme. Le problème, plus tard, c’est qu’une fois ce fantasme traversé, quand cela va jusque là, ainsi qu’en parlait Miller l’année dernière, il y a du reste, les fameux « restes inalysables ». Et l’on assiste, chez ces sujets, à une déflation du désir. Il y a alors un quelque chose de nouveau à inventer. S’agit-il d’un savoir-faire, comme tu l’as quelquefois laissé entendre. Savoir manier désir et jouissance, réajuster toujours la répression de l’un par l’autre. Consentir au semblant, en connaissance de cause, consentir, agir son désir en « sinthome », sans faire la passe sur son mode de jouissance, et ce qu’il comporte d’inanalysable. Bien sûr, ce n’est pas cela dont il est question dans le film. Le film, comme tu le disais récemment, c’est le temps de la découverte, de la découverte du transfert.
« On a l’impression, ajoutes-tu, que Jung s’intéresse au corps autrement.«
Mais comment ?
« A. Merlet nous dit que ce qui compte pour Freud ne sont pas tant les aveux que le cheminement, forcément signifiant, par lequel on les obtient. »
Oui, les aveux, le pire. Mais nous montre-t-on un Jung qui pousse aux aveux? Il ne me semble pas. Il me paraît honnêtement tenter d’appliquer ce qu’il a lu dans Freud, avant même de l’avoir rencontré, et sans savoir s’il n’est pas le premier à le faire.
« Ce que Freud critique c’est la photographie du corps, donc ce qui est. »
« La photographie du corps ? » Que veux-tu dire ? L’expression me paraît heureuse, mais je ne vois pas ce que le film nous en dirait. Entends-tu le corps dans sa représentation, et donc signifiant, et donc de l’être ». Au revers du corps pulsionnel ? Qui lui ne passe pas, jamais, à la représentation, au signifiant ? En quoi Jung a-t-il fait « photographie du corps » ?
« Ce qui compte, c’est le dit. Jung obtient des éléments par la pire des psychanalyses appliquées. Il va droit au but en court-circuitant la défense du sujet. La catharsis néglige le symptôme. Qu’est-ce qui reste alors, sinon le passage à l’acte. »
Donc, pour toi, ce dont il s’agit c’est de catharsis? Mais les névrosé(e)s n’étaient autrefois pas les mêmes qu’aujourd’hui. Je me demande d’ailleurs ce qui les a fait tant changer. Les hystériques. Elles arrivaient à l’analyste avec un corps autrement plus parlant qu’aujourd’hui, se démenant comme un beau diable.
Il me semble, quant à moi, que le premier travail de Jung avec Spielrein est psychanalytique (le travail sur la chaise), et obtient d’ailleurs des résultats remarquables, du moins est-ce ce que le film laisse entendre. Ce n’est que dans un deuxième temps, effectivement, comme le souligne Géraldine, dans la méconnaissance, dans l’ignorance des effets de transfert etc., sous l’influence de la rencontre avec Gross, qu’il y a passage à l’acte.
« Pour Freud, nous rappelle Alain Merlet, c’est la chaîne des signifiants qui mène à la remémoration, plus que la scène elle-même, qui compte.«
Oui, c’est très juste, il s’agit d’extraire de la scène le signifiant, et c’est le moment de l’invention, et de l’apaisement, et c’est la voie qui ouvre au désir, qui est d’abord désir de dire, encore. A l’autre, dire encore, et c’est le transfert, l’amour. Et ça, il va falloir l’épuiser, jusqu’à aller à ce qui ne passe pas, ne passe pas dans le transfert, n’appelle plus l’amour (vers une nouvelle solitude, « la différence absolue »).
« Céder sur le bien-dire vous destine inévitablement au mal faire. C’est ce qui arrive à Jung et Gross, à l’envers de Freud et, osons le dire, de Sabina Spielrein. Son activité d’analyste, brillante, fut trop courte, fauchée par la barbarie nazie.«
Oui, tu as raison, de cela au moins, bien-dire, nous pouvons être responsables.
J’y réponds, avec délice, mais, comme tu vas le voir, pas sans contradiction que j’abhorre d’éliminer.
Tout d’abord, je maintiens ma formule « tenant du corps/ servant du désir » à ceci près, d’en inverser les termes: plutôt servant du corps (évocation de la perversion) et tenant du dire (ne pas céder sur le désir ). Elle n’est pas tout-à-fait exacte mais tellement opératoire dans la clinique.
Ensuite, s’il y a lieu de distinguer l’hénologie de l’ontologie, la jouissance du désir, Yad’lun de l’Être, il ne s’agit pas pour autant de les OPPOSER, ni de retenir les Uns, en jetant les Autres à la corbeille. L’Un ne va sans l’Autre qu’APRES S’EN ÊTRE SERVI. Le Yad’lun ne se découvre qu’après avoir épuisé le circuit du Dire, du Désir. Ce qui prend un certain temps. À négliger le circuit du semblant, vital, on fait un court-circuit de jouissance, comme Jung.
Si ce dernier se sert du semblant pulsionnel de Sabina pour faire jouir son corps, Freud, à la différence, est intéressé par la façon dont une structure langagière vient coincer de la jouissance de corps. Ce qui existe ne tient pas sans le vent du désir. Ou bien alors ça tient holophrasé, comme dans l’expérience autistique.
Jung, dans le film, fait exister la jouissance de l’Autre, en étant son instrument, son serviteur. Freud est plutôt intrigué dès le début par ce que Lacan découvrira tardivement, à savoir le signifiant comme moyen premier de jouissance. La lalangue épingle cela.
Je vous trouve, Géraldine et toi, bien gentille à l’égard de Jung. Sa position ne me semble pas résulter d’un manque de savoir sur le transfert, qui était vrai pour Freud aussi, mais d’un parti pris sur la jouissance, prélude à ce que sera sa position conciliante à l’égard des nazis.
Tes deux dernières remarques me siéent.
Je souscris aussi à cette conception du symbolique à partir du dernier cours de JAM: » ce n’est rien d’autre dans le réel que l’itération du Un. » Son destin va dépendre de la présence ou pas de l’orienteur phallique.
Voilà, chère Véronique, quelques étincelles de plus pour entretenir le feu de nos échanges.
On trouvera à cette adresse des extraits de l’article de Sabina Spielrein « La destruction comme cause du devenir» (Revue française de psychanalyse 4/2002 (Vol. 66), p. 1295-1317) :
Je suis très intéressée par vos échanges sur A Dangerous Method, film qui nous sollicite beaucoup décidément! Peut-être parce qu’il appelle les origines de la psychanalyse, et la question des origines… Je me sens à la fois de l’Un et de l’Autre: Merci Véronique pour ton développement sur l’Un et l’hénologie, cette piqûre de rappel du cours 2011 de JAM. Les patients psychotiques nous en apprennent quelque chose de ces « Uns tout seuls », non-branchés sur l’Autre… Et puis je suis assez d’accord avec Alain aussi: Pas d’Un sans l’Autre, dans les circuits de la demande et du désir. En toute fin d’analyse seulement, il devient possible de cultiver un peu son « autisme » (après la découverte de cette jouissance et que Yad’lun)… pour le repos de chacun et afin de mieux s’en éveiller et en sortir! Comment dire cela? c’est un repos, un retrait vivant, à l’envers de la pulsion de mort, et qui permet d’être éveillé.
Tout le monde s’accorde, et je m’accorde avec le monde, pour dire que ce Cronenberg n’est pas du Cronenberg. Il n’y aurait aucun problème à cela, après tout qui en veut à Kubrick de n’avoir jamais fait du Kubrick, si cet entre biopic sur fond historique (mais biopic de qui? Jung, Spielrein, Freud) et historique (mais lequel? la tragédie austro-helvétique entre un père et un fils spirituel, la naissance d’une méthode de psychanalyse, la relation défendue et très originale depuis Adam et Eve entre un homme et une femme) sur fond de biopic, n’était poli, léché, presque récuré de tout ce qui fait le grain d’un cinéma qui n’a pas besoin d’être auteur pour donner un point de vue, une perspective. Entre le « Festin nu » et « CRash », il y aurait eu de la place pour faire un film avec un peu d’aspérité, quelques angles saillants, rentrants, aigus, pourquoi pas obtus ou nuls au lieu de ces angles plats et droits… pellicule immaculée remplie de libido.
Pour le néophyte, et nous étions plusieurs dans la salle, les premières scènes de Keira Knightley sont pénibles à regarder. Freud et Jung sont sans expressions ni émotions. Contraste encore plus frappant et marqué au regard du jeu de Keira Knightley. Le seul qui ait du corps, de l’esprit et une âme, c’est Otto Gross, avec un Vincent Cassel magnifiant l’état non pas seulement d’un être mais d’une époque, celle de la Mitteleuropa du début du siècle passé.
Jung a-t-il vraiment fait ce rêve à la fin du film? Quoi qu’il en soit, si oui, il aurait été préférable de ne pas le mettre et de ne pas mêler une intuition historique (déjà assez présente, mais ici avec un objectif de raison, par les multiples répétitions de Freud sur le danger d’être juif) à la chute du film, et si ce rêve fait partie de la licence artistique, Cronenberg devrait demander un renouvellement de son permis d’être considéré comme un réalisateur majeur de notre époque… Et je passe sur la musique qui accompagne par l’oreille le spectateur un peu endormi sans doute par cette soupe sans saveur pour lui faire remarquer que Frau Sabina Spielrein est en crise. Et je repasse, sur cet improbable plan d’une longueur exceptionnelle pour ce qu’il a dire, qui avait déjà été abondamment annoncé dans un plan viennois sur la virginité supposée de Frau Spielrein… et si nous n’avions pas compris, le doute n’étant pas tout à fait levé, nous avons pu contempler à loisir avec la dame toute à son émoi la preuve de cette rupture d’hymen… Alléluia, on est vraiment heureux pour eux! Peut-être que d’autres choses à passer m’ont échappée…il faut dire que je me suis assoupi plusieurs fois… Ce ménage à trois, quatre je suppose avec Cronenberg, doit certainement être un des meilleurs succès commerciaux du réalisateur canadien… au moins tout ceci n’aura pas servi à rien.
Le néophyte, qui cherche quand même à comprendre quelque chose à cette naissance de la talking cure en regardant le film se demande à la fin qui cure qui? Le générique passé, le néophyte se dit, et je le cite: « heureusement que Frau Spielrein lui a fait effectuer une ‘body cure‘… Dr. Jung semble s’être enfin découvert à travers elle… »
Psychanalyse et Cinéma Vendredi 27 janvier 2012 Séance de 20 h 30 ECF 1, rue Huysmans, Paris 6e
TIME de Kim Ki-Duk
Le partenaire transformable Damien Guyonnet
En Corée, un couple contemporain, comme il en existe tant d’autres. Ils s’aiment tendrement, mais un jour la jalousie entre en scène. Puisque Ji-Woo regarde les autres femmes, See-Hee en conclut qu’il se lasse d’elle. Elle se doit de réagir. Prête à tout, elle s’adresse au médecin et au bistouri pour changer de visage…
La démonstration de Kim Ki-Duk est radicale. Il dépeint un monde où la logique capitaliste dénature la logique amoureuse : où chacun se vit à la fois comme objet interchangeable, d’où la jalousie, et comme objet consommable (c’est-à-dire jetable), d’où la hantise de ne plus être aimé. Il rend compte également du sans limites qui sévit dans une modernité où la science rend possible les actes les plus fous.
Nous essayerons de dégager la vérité du lien qui unit ces deux êtres qui, par amour, sont amenés, l’un après l’autre, à perdre la face, pénétrant dès lors dans une zone où la jouissance côtoie la mort. Et puisque c’est See-Hee (devenue Say-Hee) qui a enclenché cette folle spirale, la logique de son acte devra être interrogée au regard de la question du double certes, mais surtout de l’altérité et de la féminité.
Pour notre prochaine soirée, nous vous proposons une nouvelle formule. Afin de laisser plus de temps à la discussion, nous vous adressons à l’avance les textes des intervenants. Nous en débattrons directement à la suite de la projection du film.
Kenji Misumi (1921-1975) et Tai Katô (1916-1985) doivent à une reconnaissance tardive voire posthume leur statut de « maître du cinéma de genre ». Par cette appellation, il faut entendre une aptitude commune à ces réalisateurs de studios des années 1960 à préserver la qualité héritée de leurs prestigieux aînés (Ozu, Mizoguchi, Kinugasa, Itô, Itami) dans un contexte de cinéma d’exploitation de plus en plus contraignant en raison de la crise de l’industrie du cinéma. Cette nouvelle série inaugurée avec Misumi et Katô présentera de nombreux exemples de ce travail de « maître » – d’auteur derrière le faiseur – qui pourrait se définir ainsi : un metteur en scène porteur d’un message personnel et inventeur de formes dans le respectde la tradition et de la conception du septième art propre à sa compagnie. (La Daiei pour Misumi et la Tôei pour Katô.)
L’exercice était périlleux. Le résultat remarquable. Encore un film à ne pas mettre sous tous les yeux, car exigeant. Du cinéma qui offre un espace d’expression au spectateur et lui laisse la latitude d’aller au-delà de l’image montrée. Du grand art généreux, d’autant plus noble que le travail, l’énergie, la réflexion et la créativité mis dans ce film de Lech Majewski crèvent l’écran.
Invité dans le tableau de Pieter Bruegel l’Ancien, Le Portement de Croix, le spectateur suit la journée de quelques personnages du tableau choisis parmis les 500 figurants qui entourent le protagoniste principal: le Christ portant sa croix. Les petites histoires des hommes, dans leur quotidien se mêlent à la grande histoire de l’humanité, à travers les travers de ceux qui la compose, les petites et grandes lâchetés, les petites et grandes joies, les petites et grandes misères, les petites et grandes cruautés sur fond de grande histoire, l’invasion de la Flandre par les Espagnols au XVIème siècle, l’Inquisition vs. le Protestantisme.
Le plus impressionnant sans doute est la posture de l’artiste, Bruegel lui-même, qui tantôt explique son dessein, tantôt semble être le dessin, position d’acteur et de figure… fascinant.
Les trois acteurs principaux, Rutger Hauer, Bruegel, Michaël York son ami banquier et Charlotte Rampling, Marie shakespearienne, loin de la Vierge éplorée sont merveilleux. Petit bémol: on peut regretter que la plupart des autres acteurs soient polonais et les trois protagonistes ayant une voix dans le tableau soient les acteurs internationalement reconnus. Certes, ils sont excellents, mais un acteur de cet envergure doit bien se trouver en Pologne.
L’image fixée inspire souvent l’animation, comme l’image animée d’ailleurs (parmi d’autres La Rose pourpre du Caire), rêve d’enfant et de cinéaste qui s’allient merveilleusement bien, par exemple mon préféré non intellectualisant a contrario de ce film, Mary Poppins, même si je la soupçonne d’être un peu raciste… mais là je m’égare.
Le réalisateur brosse un tableau du tableau et en fait un film d’images animées, fixées dans un intemporel qui n’est pas figé. La passion du Christ inscrite dans le temps des hommes qui se répète à l’infini du temps du monde.
La difficulté pour le spectateur réside dans le fait qu’il ne suit pas une histoire, ni même des histoires, mais des séquences, sans logique apparante. Cependant, c’est ce qui fait aussi sa force, cette liberté laissée au spectateur, comme lorsqu’il regarde un tableau, de comprendre ou pas, d’imaginer ou pas une suite à la scène représentée. La lumière (Majewski a été jusqu’à tourner les images du ciel et des paysages en Nouvelle-Zélande) est sublime, chaque plan un chef-d’oeuvre de composition.
Le making off du film
Malik Berkati
[illustration : Bruegel l’Ancien – Portement de croix – 1564 – détail du moulin / clic sur l’image pour une vue plus grande]
Merci beaucoup pour ce texte ! J’ai vu le film hier, avec Mariana, j’en ai été assez heureuse. Je ne suis pas cinéphile, mais j’aime que ce film m’ait donné envie de revoir cette peinture, m’ait donné une nouvelle porte d’entrée dans cette œuvre. Je me suis trouvée un peu honteuse de ne même pas me souvenir du Musée où se trouve cette toile, est-elle à Bruxelles ? Il m’a semblé reconnaître les murs du Musée d’Art Ancien, mais je n’en suis pas sûre. (( Mais non, elle se trouve au musée de Vienne, et je ne l’ai jamais vue. )) Je n’ai pas pu résister à l’envie de mettre, en illustration de ton texte, une très grande, très belle image du moulin, si impressionnant dans le film, que nous pénétrons, où nous nous réveillons au petit matin avec le meunier, sa femme, et leur commis… immense ! Ces interminables escaliers dans la roche !! ((je ne sais ce qu’il m’évoquent, mais j’ai eu une impression de déjà-vu, et toi ? une référence cinématographique t’est-elle venue à l’esprit?)) Très touchante également cette explication que donne Bruegel à son ami, le collectionneur Nicolas Jonghelinck (Michael York !) : là haut, si haut, dans les nuages, le moulin mis la à la place où l’on trouve Dieu normalement, avec son meunier qui de haut tristement assiste aux …. égarements des hommes. J’ai été très sensible à cette explication, ce pointage, peut-être aussi parce que je m’appelle Muller, qui veut dire meunier. « Meunier, meunier, tu dors ton moulin va trop vite… »La roue du temps (ranimée le temps du film, figée dans le cadre de la peinture et le temps d’un instant figée dans le film même), la roue du supplice (juste avant que n’arrivent les mercenaires espagnols, Mariana me glissait qq chose comme « C’est le paradis » alors que ce si joli couple petit-déjeunait sur l’herbe, avec leur jeune veau)…
J’ai réfléchi courtement à la logique du film, apparemment sans logique, dont tu parles. Je crois qu’elle est nécessaire, cette lente présentation des faits… inouïs d’horreur, d’horreur et de beauté, puis, venant s’y loger, la Passion du Christ.
Et les dernières images, de la sarabande, cette danse, ces corps dans un poids, un rythme si différent du nôtre aujourd’hui…
Quant au silence des protagonistes, du jeune couple, des meuniers, de la famille de Bruegel (si je ne me trompe pas) (et ce silence, en dehors des cris des enfants) (mais, son épouse, si silencieuse au point que je me suis demandée si elle était muette) (et les pensées entendues de la mère du Christ, dans une langue et un texte anglais superbes) (puis, quelques mots, cependant, entendus en vieux flamand, et l’espagnol des mercenaires), c’est vrai, comme le rappelait Mariana ce matin, que je me suis interrogée à son sujet, me demandant d’abord s’il s’agissait du silence d’un peuple paysan (mythique ou réel, je ne sais, appartenant à cette époque ou vraie encore aujourd’hui ?), n’accordant pas encore à la parole la haute importance que nous lui accordons aujourd’hui, pour m’accorder ensuite à penser qu’il s’agissait du silence de la toile.
Enfin voilà. J’ai très envie de publier sur le blog quelques grandes images de la toile,
Très amicalement,
Véronique
(je suis d’accord avec toi concernant le choix des acteurs, des stars, comme aurait dit Godard, et je n’aurais pas détesté les entendre parler polonais…)
Mon commentaire va être bref. Il va se centrer autour d’un signifiant que ce film m’a tout de suite évoqué : l’altérité. Ce film pose au spectateur la question suivante : quelles sont les voies pour atteindre (ou pas) une altérité dans le rapport entre les sexes ? Quel type de partenaire est le personnage féminin dans ce film ?
Une réponse inédite
Le film commence par le ratage du couple, aussi nous ne savons pas grand chose sur les deux ans qu’ils ont passés ensemble. Plus précisément, le réalisateur place notre regard au moment de vacillement du couple : où il commence à regarder d’autres femmes, où ce regard toujours là devient, à un moment donné, un insupportable pour elle. En tout cas, See-Hee produit, au sein du couple qu’elle forme avec Ji-Woo, une réponse jusqu’alors inédite.
See-Hee construit une réponse face au désir qu’elle devine chez son partenaire : « Il veut du nouveau. » Elle va donc décider d’incarner, dans le réel, cet objet « corps nouveau » qui comblerait, à ses yeux, le désir de cet homme. Dès la première scène d’intimité entre eux, nous assistons aux prolégomènes de ce qui sera son passage à l’acte chirurgical. Face à la détumescence de l’organe masculin chez son partenaire, elle lui demande de penser qu’il couche avec une autre femme. Ça le fait jouir. Ainsi : il regarde des femmes, elle les met au lit.
L’homme relais, la femme Autre
See-Hee voudra désormais être une Autre pour lui. Devenir une Autre nous rapproche de la problématique de l’être dans la position féminine et évoque cette célèbre citation de Lacan : « L’altérité du sexe se dénature de cette aliénation. [Aliénation à l’Autre, explique Lacan quelques lignes auparavant.] L’homme sert ici de relais pour que la femme devienne cet Autre pour elle-même, comme elle l’est pour lui. » (( Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 732. )) Phrase assez curieuse où l’homme est qualifié de relais et la femme d’Autre pour lui et pour elle-même. Par le biais de l’homme, la femme retrouve une duplicité en elle-même : d’une part, une jouissance phallique, et d’autre part, elle rencontre une jouissance qui relève d’une autre dimension. À partir de là, quelle est la variante que le sujet hystérique introduit ? Au lieu d’interroger l’Autre, l’altérité comme telle, en prenant l’homme comme relais, elle va convoquer, dans ce point, une Autre femme.
Une économie de la parole
Arrivée à ce stade de la réflexion, je ne suis pas sûre que le personnage féminin du film mette en place une solution hystérique. Certes, elle va interroger l’altérité en sacrifiant ce qui lui est le plus cher : son compagnon. Elle va tout risquer, elle est prête à tout, elle disparaît pendant six mois afin d’être tout pour lui. Mais être une Autre femme passera par une transformation, dans le réel, de son visage. See-Hee le paie très cher par la suite : elle se sent trahie par l’Autre qu’elle est devenue. Elle devient son propre piège dans une course à l’infini, course qui est évoquée par cet escalier qui accueille les amants mais qui monte au ciel vers l’infini.
La réponse de See-Hee est d’une modernité absolue, car nous voyons bien que, dans son cas, le recours à la science fait une totale économie de la parole. Elle pense qu’elle n’aura plus à se demander : Que veut-il ? Qu’est-ce qu’il veut quand il regarde une Autre ? Où est son désir ? Que suis-je pour lui ? Qu’est-ce que l’Autre aurait de si agalmatique ? C’est une solution qui vise l’altérité, mais qui court-circuite les avatars propres au questionnement sur le désir de l’Autre.
Est-ce peut-être celui-ci le trait absolument contemporain du film ? Je le pense. Il est présent à plus d’un titre. À cette incapacité de communiquer s’ajoute l’immersion du spectateur dans un monde impersonnel : appartements ultra-minimalistes, où la seule trace singulière ce sont les quelques photos exposées, des personnages sans métier, sans histoire, sans passé et sans famille. Définitivement, dans ce film le spectateur est immergé dans un monde où le symbolique fait défaut : les lieux et les liens y sont touchés.
Avec le temps, See-Hee considère que Ji-Woo montre des signes de désamour. Deux ans après leur première rencontre, tout dans le comportement de Ji-Woo lui indique qu’il se lasse. Le temps donne le la à l’amour. Il s’agit moins de la routine du quotidien, ils ne partagent d’ailleurs pas le même appartement, que de la mise à l’épreuve du désir par le temps qui passe. Le temps sonne le glas du désir. Pour See-Hee l’objet qu’elle incarne, se doit d’être renouvelé pour combler le désir de l’Autre. « Désolée d’avoir toujours la même tête. » s’excuse-t-elle en se voilant la face d’un drap. Érodé par le temps, l’objet perd de sa brillance phallique. Ceci est partagé par les amis de Ji-Woo. Du corps d’une femme, avoue l’un d’entre eux, « On en a marre. Ça n’veut pas dire qu’il n’y a plus d’amour. Ça veut dire qu’on a envie d’autre chose. »
Le temps ne fait plus symptôme
Les photographies et les sculptures, omniprésentes dans la vie des personnages, rappellent le temps qui s’écoule tout en suspendant son vol. Les oeuvres figent ce que l’inéluctable de la course du temps affecte. Elles sont là pour répéter à l’infini les scènes d’un amour immobile que le temps ne saurait que corrompre.
Le temps est aussi bien comptable de la perte de l’aimé, qu’un test pour éprouver l’amant au cours de la disparition de See-Hee. Le reconquérir constamment au risque de le perdre signifie pour See-Hee se faire Autre en devenant Say-Hee. Transmutation de celle qui voit [see] en celle qui dit [say].
Quant à Ji-Woo, c’est le temps du lent travail de deuil qui le plonge dans une grande solitude intérieure faite de nostalgie, de désolation et de désespoir. Il rencontre ensuite un réel inassimilable, l’insoutenable transformation de See-Hee. Et enfin, après sa propre opération, le temps de l’impossible retour s’enkyste. La présence dans l’absence, sa (( Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, 2005, Paris, NLS, n° 15, p. 19. )) présence impossible, le précipite vers la mort.
Le temps responsable de l’usure d’un couple, le temps qui émousse l’amour, c’est là une thématique on ne peut plus classique. Mais ici, le temps prend un autre rythme. Il est entraîné par la cadence effrénée de notre société contemporaine scandée par le discours du maître moderne. Le discours capitaliste instaure un rapport à l’objet qui ne peut que se consumer afin d’être sans cesse renouvelé. Seul l’attrait de la nouveauté marque cette série d’objets métonymiques. Ce renouvellement infini permet de tenir en éveil le désir.
L’idéal féminin de See-Hee est du côté de la nouveauté, collant ainsi au discours capitalise qui enjoint le consommateur à la répétition. Elle se fait elle-même objet de consommation.
Modelant son corps dans une course folle contre le temps, elle devient pur produit de consommation. On voit ici combien les modes du lien social et la régulation des jouissances sont subvertis. Il ne s’agit plus de faire consister le non-rapport entre les sexes par les voies de l’insatisfaction mais par le labyrinthe de l’impossible. Le temps ne fait plus symptôme.
Le temps est un réel
Le temps est un réel auquel See-Hee se cogne. Un impossible. Le désir n’est mesurable qu’à l’aune du temps 1 de la première rencontre. See-Hee se fait objet du désir d’un homme mais l’Autre ne lui répond plus, plus comme avant. Angoisse proustienne, s’il en est, où le sens de leur rapport est prisonnier de la première fois. Ça a marché mais ça ne tourne plus rond. La voilà confrontée à une bascule, un ratage particulier qui n’est autre que le ratage généralisé, propre à tous les êtres parlants et c’est pour elle insupportable. Il lui suffit alors de réinventer cette première rencontre pour devenir Autre, pour ranimer le désir de l’Autre afin qu’il soit tout à elle. Cette Autre elle-même est accessible par la chirurgie. Elle s’y emploie comme un coréen sur dix. Véritable «psychothérapie chirurgicale» (( www.chirurgien-esthetique-plastique-paris.fr )) prônée par le corps médical.
Dans un premier temps, See-Hee confectionne elle-même son image à l’aide d’éléments hétéroclites à la Frankenstein découpés dans les magazines. Le choix du nouveau visage qu’elle veut incarner colle aux canons contemporains de la beauté. Et c’est, presque sans mot, qu’elle accède au billard de la salle d’opération. Le chirurgien sans mot dire, lui aussi, projette sur écran le réel insoutenable de l’opération, mais See-Hee ne cèdera pas. « Pour avoir un nouveau visage, je suis prête à tout ! » lance-t-elle.
Ce que femme veut, le maître contemporain le veut. Le chirurgien esthétique lui offre sur un plateau d’argent le rêve d’une beauté artificielle modelable à merci. Véritable deus ex machina, il ira avec elle jusqu’au bout. Aucune limite ne les arrête. Le client est roi. Il lui demande in fine : « Vous voulez que personne ne vous reconnaisse ? » Qu’à cela ne tienne, à chaque problème, nous dit le maître moderne, il y a une solution. C’est le miracle du bistouri ! Au frontispice de la clinique on peut d’ailleurs lire : « Vivez une autre vie. » Ici, la chirurgie est le moyen de changer d’identité, voire de disparaître. La marque du discours capitaliste rend anonyme.
Le temps du scalpel
See-Hee s’évertue à répondre au plus près à l’injonction du monde contemporain. Si Ji-Woo est en quête d’un nouvel objet de désir, alors, elle sera cette nouvelle femme. « La dictature du plus-de-jouir dévaste la nature, elle […] remanie le corps [ouvrant les portes à] une posthumanité. » constate Jacques-Alain Miller. (( Miller J.-A., Une fantaisie, Mental, 2005, Paris, NLS, n° 15, p. 19. )) Say-Hee offre à Ji-Woo un fauxsemblant de nouveauté. Elle se fait objet métonymique. Elle incarne la nouveauté renouvelable à l’envi. Et ça marche, puisque Ji-Woo peut en jouir. Mieux, ce qu’il éprouve lors de leur première relation sexuelle après la chirurgie est de l’ordre de la nouveauté. Il confie naïvement à Say-Hee : « C’était très différent, je n’avais jamais ressenti ça avant. »
Ce qui fait exister le rapport sexuel, c’est donc le bistouri. Ici, le symptôme ne pallie pas au rapport qu’il n’y a pas entre un homme et une femme. Le symptôme comme évènement de corps dans ce qu’il a de plus radical, ce que Lacan nomme sinthome (( Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005. )), scelle de manière indélébile la rencontre du langage sur le corps. Il supplée à l’impossible de formaliser dans un discours le rapport entre les sexes. Impossible écriture. Ce n’est qu’au titre du signifiant que l’être parlant se dit homme ou femme. Il n’y a donc ni harmonie, ni recette, ni même complémentarité. Le symptôme est la réponse signifiante dans le corps à la castration symbolique. Il est un mode de jouir du parlêtre avec son inconscient (( Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « RSI », leçon du 18 février 1975, inédit. )).
Ici, l’incidence indélébile sur le corps passe par le bistouri. On y traite le corps réel afin de suppléer au non rapport. La chirurgie plastique suture toute marque de castration. Elle la forclot à l’instar du discours capitaliste. Dans la modernité, le versant réel du corps occupe les devants de la scène. Le corps est traité comme un « meuble », (( Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, op. cit., p. 154. )) sans âme et sans limite.
L’imaginaire va alors coller à ce réel.
Peut-on dire que le visage est élevé au rang de mascarade ? See-Hee fait-elle usage de semblants ? Elle est le semblant, pourrait-on dire. Il n’y a rien à chercher derrière le masque. Elle fait de son visage un objet fétiche. Elle s’identifie à la cause du désir d’un homme jusqu’à se faire marchandise malléable. L’objet en soi ne compte pas, c’est sa qualité qui importe, nommée ici nouveauté. See-Hee se transforme en consommable.
Évidement, elle reste insatiable, jalouse de sa rivale qui n’est autre qu’elle-même. Elle entre en compétition avec son double. Elle joue double jeu en faisant revivre sa version antérieure. Joue-t-elle avec les semblants ? Non, les suites post-opératoires lui échappent.
Elle est confrontée à un impossible. Elle vacille au chevet de son amant endormi. Dans un moment de division subjective, elle s’avoue à elle-même : « Ça c’est déroulé comme je l’avais prévu. Et pourtant, est-ce que je suis heureuse ? La tristesse envahit mon coeur. J’ai l’impression qu’il va exploser. » Le temps poursuit sa course et, de fait, elle se trouve prise dans un engrenage sans fin.
Elle… Et lui ?
« Nous entrons dans la grande époque de la féminisation du monde » (( Miller J.-A., L’orientation lacanienne, «les us du laps» (1999-2000), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, leçon du 26 janvier 2000, inédit. )) note J.-A. Miller.
Elle est ici à l’oeuvre, entraînant avec elle sa part de ravage. Le passage à l’Autre jouissance libéré de la prégnance du signifiant phallique fait vaciller Ji-Hoo. D’un côté, l’incommensurable de la jouissance féminine pousse See-Hee vers le ravage. Elle l’emporte dans une volonté de jouissance débridée, sans fard, pour enfin faire sombrer Say-Hee dans l’anonymat. De l’autre, elle entraîne Ji-Hoo vers l’au-delà de ses limites.
L’homme ne peut pas suivre. Il s’y essaie, mais il en meurt, incapable de se représenter à elle. Il est allé trop loin.
Hé oui, « l’habitude de ces fugues était prise… Si une semaine s’écoulait sans escapade, on le voyait s’ennuyer, dépérir et fureter dans le logis pour trouver une issue ».
Ce week-end, ce fut une escapade autour des visages : Le film coréen présenté à la soirée « Cinéma et psychanalyse » ciblait une femme qui s’est « dévisagée » pour renouveler le désir de son homme. Voyant qu’il regardait d’autres femmes et que sa libido était un peu fatiguée (tu en as marre de moi? disait-t’elle), elle s’est « fait l’objet du désir de l’homme », non dans le semblant, mais dans le réel, en passant par la chirurgie esthétique. Pourtant, disait le chirurgien, vous ne pourrez pas être plus belle, vous l’êtes déjà. Elle croit réussir, en le séduisant incognito avec son nouveau visage, après six mois d’absence, mais ce succès s’avère un échec et elle est « triste à exploser »; il aime encore celle qu’il croit avoir perdue, ce qui ranime en elle une jalousie absurde. Devant l’impossible à supporter de ce réel qu’il finit par découvrir, il tente de la suivre dans cet au-delà, cet illimité féminin, et va voir le chirurgien, lui aussi. Cela se termine très mal, puisqu’il ne pourra jamais plus se présenter à elle et préférera mourir: Il ne peut être « Autre à lui-même ». Il devient méconnaissable, elle aussi d’ailleurs. « On ne pourra plus jamais vous reconnaître », dit le chirurgien qu’elle retourne voir une seconde fois, comme si cela pouvait effacer l’horreur de son premier acte. Voila un peu ce que j’en ai retenu.
Le lendemain, ce fut grâce l’exposition photo de Gisèle Freund, qu’il devenait possible de mettre des visages sous des noms, et reconnaître Gide, Malraux, Cocteau, Sartre, Marie Bonaparte, Zweig et…. Joyce. La démarche m’a parue inverse de la veille: retour au symbolique, reconnaissance qui s’opposait bien à la méconnaissance.
Notre discussion après, autour d’un verre, fut magique.
Enfin, aujourd’hui, petit « rattrapage » Baselitz, en solo, avec, du coup une émotion face aux visages jaunes et en creux des « femmes de Dresde », et la monumentale « femme outremer ».
Je te passe la plume pour l’escapade des deux semaines prochaines où je ne pourrais venir, Alain?
Bises à tous,
Catherine
Illus:
Une image de la fin du film de Kim Ki-Duc
André Gide sous le masque de Leopardi, Gisele Freund, Paris 1939
Georg Baselitz, Le labyrinthe des plaintes des femmes de Dresde
DISCUSSION AUTOUR DU FILM : A DANGEROUS METHOD, David Cronenberg (2011) Mercredi 1er février à 20h, Cinéma du Panthéon, 13 rue Victor Cousin, Paris V Projection suivie d’un débat animé par Geneviève Morel (psychanalyste). En partenariat avec l’ALEPH (Association pour l’Etude de la Psychanalyse et de son Histoire).
Débat intéressant, très sérieusement préparé. L’intervenante avait lu tout ce qu’on pouvait lire sur la question, ou presque. Je crois avoir obtenu quelques éclaircissements sur des points qui nous étaient restés obscurs.
1- Réponse à ta question, Véronique, sur le jeu de la comédienne : Il y a là un certain anachronisme. Son interprétation est fondée, en effet, sur les documents que l’on a sur les leçons de Charcot – lesquelles avaient eu lieu quelques vingt ans avant. Déjà, à l’époque, les hystériques avaient évolué et ne faisaient plus de « grandes crises » comme celle qui nous est montrée. En revoyant le film, j’ai trouvé moi-même que cette scène passait moins bien. Réalisateur et comédienne en font un peu trop…
2- Quant à la scène finale qui, pour Malik, ne passe vraiment pas : La pièce originale de Christopher Hampton, dont la construction est assez différente, est coupée en deux par la scène extrêmement violente de la mort de Sabina, fusillée par les nazis. Le scénariste aurait choisi de reporter cette violence à la fin et lui aurait cherché un équivalent dans le rêve de Jung, ce qui produit une sorte de télescopage temporel. Rêve authentique mais pas vraiment prémonitoire, puisqu’il l’a fait pendant la première guerre mondiale et qu’il semble ici se rapporter aux événements de la deuxième.
3- Géraldine, à propos de cette phrase qui t’a tellement frappée (nous resterons toujours des juifs, gardons-nous des aryens) : elle se trouve dans une lettre de Freud à Sabina, dont les termes seraient encore plus violents. Pour G. Morel, et ça ma paraît assez convainquant, ce ne serait pas la position personnelle de Freud mais une interprétation analytique qu’il lui fait : il serait temps qu’elle arrête de délirer sur son blond Siegfried et qu’elle s’aperçoive que cette histoire est vouée à l’échec. Siegfried, c’était aussi le thème de son mémoire, dont on la voit discuter avec Jung, et qui est bien sûr très intriqué avec ce qu’elle vit alors : Wagner, « L’or du Rhin », le génie qui ne pourrait naître que d’une transgression, la pulsion de destruction annonçant la pulsion de mort (ce dont Freud lui rend hommage).
4- Les scènes sado-masochistes ne sont attestées par aucun document. Elles peuvent être liées à la problématique de Cronenberg lui-même. Mais n’en sont pas moins vraies, car elles montrent par un procédé fictionnel comment Jung entre dans le fantasme de Sabina (« Un enfant est battu »), comme il était entré dans celui d’Otto Gross, personnage en effet très réussi. En somme, il se laisse toujours faire par ses patients.
5- Je persiste à trouver Freud un peu caricaturé, même si, comme vous l’avez tous souligné, le film rend parfaitement justice à sa position éthique. Il est très pontifiant, où est passé son humour ? Michael Fassbender me paraît bien meilleur, surtout si on a présente à l’esprit sa prestation récente et si différente dans « Shame ». Alors j’avoue que, surtout la première fois, je me suis laissée emporter par le personnage de Jung, si bien rendu, si conforme à l’archétype du jeune psychiatre aryen – même si on sait à quel point l’homme était fou (cf. son autobiographie, « Ma vie ».) Les subtilités de ses conversations avec Freud, qui synthétisent leurs divergences, m’apparaissent mieux maintenant.
6- Quant à tes autres remarques, Malik, sur le côté trop lisse du film, etc., je suis hélas bien incompétente. Quelqu’un dans la salle a remarqué qu’il fumait beaucoup de cigares mais qu’il n’y avait pas trace de fumée ! Est-ce que ça rejoint ta critique ? C’est compliqué, le cinéma. Beaucoup plus que le théâtre, je trouve. Pour une fois que je me montrais bon public… Les critiques exigeants nous font avancer. Merci à toi. PS. Je suis affreusement déçue par le film de Chantal Akerman, « La folie Almayer« . Tu as quelque chose à en dire ?
Tim Burton, à la Cinemathèque, rue de Bercy, c’est extra!
Ne ratez pas son Burtonarium: toutes sortes de créatures, qui sont des monstres qui s’ignorent, qui n’ont nulle conscience de leur étrangeté.
En écho à nos questions de cartel ( magistralement déclaré par notre v ), c’est étrangement – mais pas inquiétant du tout – ni beau, ni laid, c’est !
C’est le dessin de la monstruosité comme voile de la monstruosité : il en ressort une certaine humanité. Le crime est toujours au premier plan, celui de la dévoration, maternelle bien sûr chez TB.
Quant à l’acte dans l’art, qui me préoccupe, peut-être y en a t-il une trace chez TB,dans ce qu’il dit: je dessine parce que j’aime ça, sans me soucier si c’est beau ou pas, si on aimera ou pas. Il y a, chez l’artiste, un instant d’acte qui ne se soutient d’aucune référence, sinon son petit a chéri !
Je questionnerai JL là-dessus samedi!
Bises
a.
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12 mars 2012, 00:10
Merci, Alain!
Trop belle cette image sur le couple, au sens de la monstruosité, que nous aurons aussi à travailler dans notre cartel, en en serrant les bords, les bords de la jouissance, pour passer de l’horreur à la beauté -ou moins… et bien nous porter, allégés de cet objet innommable ( je rejoins là mon point: séparation de l’objet).
J’ai vu l’expo sur Matisse aujourd’hui. Un point m’a intéressée, c’est justement le point qu’il repérait dans sa peinture comme faille, comme ce qui ne va pas, à partir duquel il se réintroduisait et reprenait tout son tableau. J’en ai parlé avec Géraldine, lorsque plus tard nous visitions au Jeu de Paume l’œuvre de Ai Wei Wei, et on a repensé à ce point de réel, du tableau de « Ambassadeurs« .
Y a t’il, dans chaque œuvre un point de réel, qui ouvre sur l’horreur ou sur la beauté?
Voici un petit commentaire sur le film « Cosmopolis » de Cronenberg, vu avec Dominique qui l’a qualifié de « cauchemar ».
Je pense aussi que c’est ainsi qu’il faut le lire, comme un rêve qui vire au cauchemar et qui en dit long sur le masculin mené a son terme ( le pouvoir, le sexe) quand aucune « femme » n’intervient vraiment, sauf les prostituées ou la « bourgeoise » ( milliardaire) seulement intéressée par l’argent.
D’une façon assez onirique, cette figure de femme éphémère et idéalisée est rencontrée à chaque carrefour par cet homme jeune, beau, intelligent, milliardaire qui a tout pour lui et se déplace en limousine mais ne veut qu’une chose : aller chez son coiffeur.
Cosmopolis réalisateur: David Cronenberg avec : Robert Pattinson, Juliette Binoche, Sarah Gadon
Il est froid, invincible, fait des calculs sur l’avenir sans se préoccuper de ce qui se passe au présent, tandis que sa limousine – dans laquelle il vit, dort, baise et se fait faire des « shake up » quotidiens – se déplace lentement dans une Amérique en crise : l’assassinat du président est prévu, ainsi que d’autres désordres, dont la montée du « Yuan » sur laquelle il n’avait pas parié malgré toutes ses analyses de computer.
Le coiffeur est une vague figure de père, qui ne le ratera pas, et lui fera une coupe «à la 6, 4, 2» : très mortifère. Quant à la jeune femme si belle et inaccessible, elle le quitte lorsqu’il perd sa fortune, et c’est la déréliction.
Ce film laisse donc à penser qu’heureusement, il y a des hommes et des femmes et la question de l’amour entre eux, même si c’est un leurre, pour éviter une chute aussi funèbre! Il me semble que cela ré-interroge le « il n’y a pas de rapport sexuel » ou son équivalent « Ya de l’Un » autrement, comme un danger pour le vivant lorsque cet aphorisme est poussé jusqu’à son terme.
Enfin, il y a aussi pendant tout le film cette question cruciale du temps et de l’endettement, sur le futur qui empiète le présent et l’annihile, ce qui provoquera la fin des fins, dans une relation en miroir, sans altérité. Cela remet au métier la question du temps dans sa durée, si précieuse!
Je n’en dirai pas plus pour ceux qui n’ont pas encore vu ce film hyper-contemporain!
« Ce film laisse donc à penser qu’heureusement, il y a des hommes et des femmes et la question de l’amour entre eux, même si c’est un leurre, pour éviter une chute aussi funèbre! Il me semble que cela ré-interroge le « il n’y a pas de rapport sexuel » ou son équivalent« Ya de l’Un » autrement, comme un danger pour le vivantlorsque cet aphorisme est poussé jusqu’à son terme. »
« Malgré son hyperactivité sexuelle, c’est un homme seul, malheureux dont la vie va être chamboulée par l’intrusion dans son intimité d’une femme, sa sœur Sissy, qui le surprend dans son activité autoérotique et déclenche l’affect de la honte, entraînant Brandon dans une souffrance subjective qui le submerge et lui révèle progressivement la face mortifère de la jouissance de l’Un sans l’Autre (2).
(2) Lacan J., « De l’un et l’autre sexes », Le Séminaire, livre XIX, …Ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 9 & sq. »
Malheureusement, je n’arrive plus à mettre la main sur mon exemplaire d’… Ou pire…
Je suis très touchée par ton message et la réouverture de ton blog. Je prépare deux autres textes, un sur Shame et l’autre sur cet étrange film japonais dont nous avait parlé Vanessa via Alexis, Saya Zamuraï,http://t.co/DOYZS1hX, qui m’a émue aux larmes (des vraies, pas de crocodile!)
Vive l’écriture dans l’après-coup de nos escapades!
Quel ravissant petit surmoi a ce samuraï en la personne de sa fille d’une dizaine d’années, qui lui conseille avec insistance de se suicider, puisqu’il n’est plus capable de combattre ! Ceci dit, les épreuves auxquelles le malheureux doit se soumettre pour retarder son seppuku sont moins drôles les unes que les autres et plutôt répétitives ( il y en a trente…) La fin est très jolie. Je n’avais vu aucun film japonais de ce genre.
… « moins drôles les unes que les autres », je ne sais pas si je dirais ça. Étranges, certainement. Certaines cependant drôles. Je ne pense pas qu’elles se ressemblent toutes, je pense au contraire qu’elles supporteraient une analyse de leur progression. M’a frappée tout d’abord l’engagement physique du protagoniste. Il y va d’abord de son corps.
Et je suis sûre d’avoir rêvé cette nuit du passage où il s’envoie en l’air dans un canon, quand sa fille reprend en main les mises en scène : au lieu de lui, c’était Miller !!! Cet homme, Nomi Kanjuro, dont sa fille nous demande de l’admirer, qui va s’envoler dans les airs, et qui, si vite, retombe dans l’eau… c’est touchant, lamentable – drôle, oui. Marquantes également, les remarques des spectateurs autour de cet évènement, l’un d’entre eux :« Il est tombé trop vite, j’aurais espéré qu’il aille plus haut… » et ce mot d’esprit fait malgré lui par le gardien un peu simplet qui, pour la première fois, les fait rire, eux : « J’ai mis le feu au canon et c’est moi qui me suis enflammé (ou qui ai explosé ) »…
L’épisode, magnifique à mes yeux (à cause de mon nom, Müller, « meunière »), du moulin qu’il doit faire tourner de son pauvre souffle, avec ce moment où quand il porte la main à son fourreau vide les pales du moulin se mettent enfin à tourner, jusqu’à bientôt déclencher une tempête…
Cet épisode nous parle bien du vent de la parole, du signifiant, du nom-du-père, ici déchu, vidé de son sens, après ce deuil de la mère, mais qui en retrouve un au fur et à mesure des 30 jours par le biais du comique, du rire de soi, parce qu’il s’agit de sauver sa vie, et que c’est cette vie, plus forte que sa déchéance, qui l’entraîne, l’amène, les amènent tous, villageois, prince compris, à redonner un sens nouveau à ce qui a été perdu, à ce qui s’est vidé, sans avoir à dénier les valeurs passées ( héroïsme, courage, honneur, fierté, valeurs aristocratiques s’il en est, qui appartiennent également à la psychanalyse) (mais sans plus s’y identifier). Ce passer-outre, outre ce deuil du sens, ce deuil du vent, ne se passant pas d’en passer par du vent ( le symbolique) et par le don et l’engagement « physique » de son souffle, de sa parole… Le moulin qui finit par tomber, le drame qui se (re) joue alors, la petite fille qui le supporte à la façon un peu du Christ qui porte la croix…
Le fourreau s’est vidé (l’épée n’était que d’air), mais vide, ce qu’il représente, rend son souffle à la vie.
Je crois donc, quant à moi, que chacune des 30 épreuves mériterait de s’y attarder plus longuement
« ni tragique ni… mais comique »
« dès que le phallus apparaît… comique »
J’ai appris hier que le cinéaste avait longtemps, lui-même, fait le clown à la télévision
C’est me semble-t-il d’un deuil, de la traversée d’un deuil qu’il s’agit, rendu possible par la menace ( réelle) de la mort et les extraordinaires inventions, interventions de la petite fille.
C’est bien un film qui nous parle du monde contemporain, de la fin du père, de la chute du nom-du-père et du père qu’il faut sauver… « s’en passer à la condition de s’en servir »
C’est intéressant de savoir que le réalisateur a éprouvé lui-même ce qu’il en est quand on doit s’efforcer de faire rire envers et contre tout. Ton commentaire est très convaincant, chère Véronique, tu vois dans ce film beaucoup de belles choses – et il t’en inspire aussi de drôles ! Je pense que cette fois je rirais si je revoyais la scène, mais je crains de ne pas en avoir le courage. Malgré cette merveilleuse petite fille, j’ai en effet éprouvé un léger, très léger… ennui. Pas désagréable au demeurant. Mais je ne suis pas bon public au cinéma. J’y suis venue trop tard, je crois ( la trentaine bien sonnée), et j’ai toujours du mal avec les images.
je n’ai pas vraiment beaucoup ou souvent ri, et je ne sais pas si le rire est véritablement recherché. nous sommes, je crois, aussi interloqués que la petite fille et les autres spectateurs. c’est un sentiment d’étrangeté, d’intrigue – ou de pitié, cette pitié qui le conduira à finalement… ( ne dévoilons pas la fin) et c’est très vite un sentiment de sympathie et une forme d’admiration.
c’est ce qui en fait je trouve un vrai personnage : on n’y comprend rien… on n’y voit que dalle.
qu’est-ce qui ainsi pousse cet homme déchu, samurai sans épée, ne se remettant pas de la mort de son épouse, en fuite depuis deux ans et demi sans oser affronter ses adversaires, devenu lâche, condamné et poursuivi pour avoir déserté, abandonné sa place de guerrier, qui ne se résout cependant pas à faire seppuku, alors que l’honneur est perdu, et qui, pour sauver sa vie, se met à jouer au clown triste, à se ridiculiser (le pire au dire du film pour un samurai).
et qu’est-ce qui, dans cette solution qu’il trouve, qui s’impose à lui, le métamorphose et passionne les spectateurs ( dans le film), qui s’identifient à lui, s’avérant donc exacte, juste.
( un lien peut-il être fait au « père humilié » de claudel, commenté par Lacan – à vérifier)
mort de sa femme ( mort de sa mère pour l’enfant qu’il doit faire rire) → ébranlement de tous les semblants → perte de son épée dont il ne lui reste que le fourreau, auquel il s’accroche encore, vide → sous la menace de mort ( la condamnation au seppuku s’il n’arrive pas à faire sourire le prince) – le combat où il se lance, à s’humilier pour faire rire, s’avère ce qu’il avait à faire pour retrouver une dignité – et probablement pour rendre leur dignité à tous ses spectateurs ( ce qu’il a perdu, le deuil où il est, s’avérant être de tous – s’agit-il du japon ? perte de la tradition, d’une culture ancestrale extrêmement forte, avancée invasive/trop rapide de la modernité ; s’agit-il du monde ?)
Encore une question : quelle place donnes-tu à ces espèces de « démons » ( la joueuse de shamisen, le tireur de pistolets, le chiropracteur Gori-Gori) qui commencent par attenter fantasmatiquement à la vie du héros et qui, pour finir, deviennent ses plus ardents défenseurs ?
Une idée? me demandes-tu Véronique. Oui, merci Dominique, en effet cette question m’amène à développer un peu plus ma réflexion sur la culture du manga et les références qui lui sont faites dans ce film. Tu les nommes « démons » avec les guillemets, et c’est très intéressant. Je les vois chasseurs de prime à la croisée du western et du dessin animé japonais, je les imagine eux-mêmes guerriers solitaires en marge, sorte de caricatures dérisoires ou grotesques, dotés de pouvoirs bizarres et insolites, qui font contre mauvaise fortune bon cœur, introduisant une dimension fantastique à ce qui peut se voir comme un conte pour enfant construit comme un manga. J’y reviendrai dans le texte que je rédige et que je vous ferai parvenir un peu plus tard. Si il y a des spécialistes des mangas, qu’ils se fassent connaitre?
Cherchant une citation sur l’ennui, voici que je tombe sur le rire. Je sais bien, il s’agissait de faire sourire le jeune prince. Rien à faire, il ne sourit pas mais, à la fin, les deux enfants finissent par rire ensemble. Et nous, spectateurs, nous ne rions pas, ou peu. L’amie avec qui j’ai vu le film me disait même que les clowneries désespérées de notre samuraï l’avaient plutôt angoissée.
Voici ce que dit Lacan des « appréhensions les plus élémentaires du mécanisme du rire » :
» Le rire touche en effet à tout ce qui est imitation, doublage, sosie, masque, et, si nous regardons de plus près, il ne s’agit pas seulement du masque, mais du démasquage, et cela selon des moments qui méritent qu’on s’y arrête. Vous vous approchez d’un enfant avec la figure recouverte d’un masque, il rit d’une façon tendue, gênée. Vous vous approchez un peu plus, quelque chose commence qui est une manifestation d’angoisse. Vous enlevez le masque, l’enfant rit. Mais si sous ce masque vous avez un autre masque, il ne rit pas du tout. » (…)
« En tous les cas, ce phénomène (…) nous montre qu’il y a un rapport très intense, très serré, entre les phénomènes du rire et la fonction chez l’homme de l’imaginaire. »
Séminaire V, Les formations de l’inconscient, p. 130-131.
Oui ! et comme me disait Géraldine l’autre jour, ils jouent avec le père (mort, son spectre), peuvent redevenir enfants…
Très très très intéressante cette citation que tu nous as retrouvées, merci beaucoup Do !
« Mais si sous ce masque, vous avez un autre masque, il ne rit plus du tout. »
Une autre question que je m’étais posée à propos de Zaya Samuraï, c’est pourquoi, à partir du moment où la petite fille décide de travailler à sauver son père, et où les scénettes commencent à faire rire et vont être ouvertes au public, cela en passe par l’utilisation de machineries plus extraordinaires les unes que les autres ( à commencer par l’homme-canon, qui est un spectacle de cirque). L’homme n’est plus seul avec son seul corps et son silence, mais soutenu par cette machinerie et la prise de parole de la petite fille – qui endosse le rôle de Monsieur Loyal – commençant toujours sa présentation par les mots « Mesdames et Messieurs, admirez cet homme qui… ». S’agit-il de mise en spectacle ? Quelle est cette limite, là franchie ?
« En tous les cas, ce phénomène (…) nous montre qu’il y a un rapport très intense, très serré, entre les phénomènes du rire et la fonction chez l’homme de l’imaginaire. »
Je repense soudain aux toutes dernières images du film : il semblerait que l’ère post-samuraï (comme on dit « post-moderne, car ils ont disparu depuis belle lurette) débouche sur l’enfer des villes modernes, sur fond de discours capitaliste… Nous revenons au fameux déclin du père. Même sa tombe n’est plus qu’une sorte d’îlot dans la circulation, un vestige qui n’a plus de signification pour personne, et va sans doute finir par disparaître. Décidément, ce film est complexe !
chère dominique, tu écris « vestige sans signification », mais, ce n’est pas ce que j’avais ressenti face à cette dernière image, bien au contraire : la tombe, le mémorial, est là, mais toujours fleuri, une ou deux bougies (me semble-t-il) y brûlant encore… j’essaierai de trouver l’image… biIses véronique
J’ai gardé cette image en tête parce-qu’elle m’a intriguée: c’est une tombe, certes vestige d’un temps lointain disparate dans cette ville d’aujourd’hui, pour autant sur laquelle on se recueille encore, comme les épis de maïs, et autres offrandes en témoignent.
Quel film étrange, dérangeant, angoissant! C’est un film résolument politique, sur la fin par l’absurde du monde capitaliste, système qui s’auto-détruit, et qui m’a renvoyée à Metropolis de Fritz Lang, à Pink floyd, Money et Shine on you crazy diamond. La référence au cauchemar – voie royale vers l’inconscient contemporain? – est signalée par un détail furtif qui a attiré mon attention : l’affiche de Jung dans A dangerous Method, placardée au beau milieu d’une rue de New-York dévastée par les soulèvements populaires…
Ça chute de tous les côtés à l’ombre des tours mortes, sans faire semblant… Difficile de s’en remettre en si peu de temps, ça bouscule trop! Le jeune public venu pour l’acteur ( halluciné ?) était très décontenancé.
En attendant, je ne résiste pas à vous adresser cette photo anecdote prise en rentrant chez Auguste juste après la fin du film, Boulevard Grenelle, comme un dernier clin d’oeil de Cronenberg…
Que se passe-t-il quand un samouraï, confronté à la mort de sa femme emportée par une épidémie, perd le goût de vivre, et renonce à son épée ?
Ce film japonais inclassable, étrange explore cette idée originale en s’attachant et en nous attachant à son personnage énigmatique : Nomi Kanjuro, « Saya zamuraï », dont le titre est traduit par « le samouraï sans épée », est un anti-héros, et dénote avec la figure mythique que l’on peut se faire traditionnellement d’un samouraï, en la décomplétant par le biais de l’humour noir. Et c’est bien de la destitution phallique, de la chute du nom du père, de l’assomption de la castration, traités par l’absurde et le burlesque dont il est d’emblée question dés les premières images de ce film de samouraïs détourné, qui débute dans une forêt, en suivant ce curieux guerrier fatigué, boiteux, en fuite, essoufflé, à terre, ( Takaaki Nomi, acteur amateur à qui l’idée du long métrage avait été cachée), à la bonhomie saisissante, le visage défait, la chevelure hirsute, édenté, portant des lunettes rudimentaires: rien ne lui est épargné.
Recherché, malmené et blessé par des chasseurs de prime déjantés, sorte de personnages loufoques à la croisée du western et du dessin animé japonais, qui font gicler le sang provoquant son long cri de douleur inimitable et irrésistible, Nomi réussit encore à leur échapper. (Ce n’est pas s’en rappeler l’humour saignant de cette scène du sacré Graal des Monty python, que je vous glisse ici: http://www.youtube.com/watch?v=3g-g2yYR6Jk&feature=youtube_gdata_player )
Dans sa descente aux enfers, il est suivi et soigné fidèlement par sa jeune fille, sorte de bâton de vieillesse au caractère bien trempé (Sea Kumada). Au moment où elle s’impatiente, ne supportant pas de voir que « le roi est nu« , ce qui en dit long sur son admiration passionnée, lui suggérant le suicide plutôt que cette longue agonie, Nomi finit par être rattrapé puis arrêté par un clan mystérieux et tentaculaire, du nom de Clan de la seiche, et condamné aux « travaux des 30 jours » dont nul n’est ressorti vivant… condamné à tenter l’impossible, selon le prononcé du verdict, pourtant désarmant de simplicité, « faire rire le prince ou se faire seppuku », (décidément beaucoup veulent le « suicider »… ). Il se trouve que le prince est un enfant emmuré dans son chagrin, inconsolable depuis la mort de sa mère, emportée elle aussi par l’épidémie. Autant dire que Nomi Kanjuro est condamné à se faire rire lui-même pour sortir du drame qui les frappe. Une thérapie par le rire à laquelle personne ne croit vraiment, conduite par un endeuillé pour un autre endeuillé et dont l’enjeu serait de retrouver le souffle de la vie? Contre toute attente, du fond de sa mélancolie, Nomi relève le défi…
Cette histoire hors du commun d’un homme vieillissant, d’un veuf en errance, d’un père déchu, à l’heure de la chute des semblants touchant la fonction paternelle, en fait un film bouleversant, qui, en gardant le cap de la fiction, restaure la dignité du samouraï de façon inattendue: en le sortant des clichés de combats victorieux contre des ennemis féroces, pour l’humaniser dans des épreuves qui vont le réarrimer au vivant dans un ultime sursaut du désir pour retrouver sa brillance phallique de samouraï avec son épée.
C’est aussi un film très poétique qui fait appel à la fonction cathartique du rire, ou des larmes. La première tentative ressemble à un tableau de Giuseppe Arcimboldo, le visage grotesque où tous les orifices sont bouchés par un fruit ou légume est filmé selon plusieurs angles de vue. Pas un son, pas un mot, un silence de plomb règne sur cette scène, le rire ou le sourire auxquels le prince n’a plus accès sont laissés aux spectateurs, mi-amusés, mi-médusés par ce courageux numéro inaugural.
C’est en effet un film sur le courage, sur l’acte qui engage la livre de chair, sur le réel d’un corps qui malgré les épreuves ploie mais ne rompt pas, et qui pris dans l’adversité se redresse au fil des jours. Même la scène sacrificielle, redonne prestige et superbe à cet homme, dépouillé de ses guenilles et paré pour la circonstance de beaux vêtements blancs, dans son kimono, reprenant en cet instant la main sur son destin. Le suicide rituel par éventration, le Seppuku reste prononcé, et il veut payer de sa vie cette dette, consentir au sacrifice pour retrouver l’épée, le phallus, et au-delà permettre le triomphe de deux pères, un dans la mort pour l’honneur retrouvé, l’autre pour avoir sorti son fils de son autisme. C’est au fond une réflexion sur les épreuves qui permettent d’expier, de s’affranchir, de lutter et de retrouver la dignité, la voie du désir, y compris en choisissant de mourir, dans un ultime sursaut de vie, plutôt que d’être gracié, sauvé, par pitié, compassion, ou mansuétude, ouvrant sur la question de la honte. C’est aussi un film sur l’amour filial, sur la transmission, qui mettent à contribution les pères, pour que les générations d’après trouvent leur place dans le cycle de la vie, afin que les enfants restent des enfants, délestés du poids de la faute, de la honte, de l’humiliation, de la mélancolie de leurs parents. La culture japonaise très imprégnée par le sens des responsabilités, le sens du devoir, qui passionne tant de jeunes et moins jeunes occidentaux (mangas, dessins animés, jeux, films) parle de ces valeurs ancestrales, en mutation dans notre monde hyper-moderne.
Le passeur, l’homme spirituel, en retrait et figé, s’animera le temps de cette chanson élégiaque mémorable, pour relancer du côté de la vie, dans la marche du monde, comme son chapeau emporté par le cours d’eau. « Megouri, megouri…«
La scène finale où le spectre du père surgit avec son gag, très drôle, de la tête qui tombe, et qui se redresse, (comme dans une sorte de jeu du fort-da), peut alors nous faire vraiment rire, d’un rire libérateur, du rire retrouvé par le prince, un éclat de rires d’enfants, un éclat de rire de vie.
Nomi au bout de son parcours dantesque de saya zamuraï, fait de renoncements et d’épreuves devient un samouraï pour la postérité, et par un joli retournement, reste de nos jours toujours honoré.
Je viens de publier ton texte, « Saya Zamurai, le roi est nu », qui éclaire pour moi encore différemment l’objet de nos discussions actuellement. Tu rattaches le sabre, l’épée, au phallus, et tu lui restitues plus clairement que nous n’avions pu le faire Dominique et moi, sa fonction d’instrument du désir. C’est bien au désir qu’une place est restituée dans ce film, cela je ne l’avais pas aussi bien aperçu, ni articulé ( phallus, signifiant du désir, et du mystère des générations, du sexe, de l’amour et de la mort)
Quant à moi, je m’étais plutôt attachée au fourreau (Saya Zamouraï signifierait : « Le Samouraï au fourreau »). J’ai vu dans ce fourreau la « bonne image » du phallus, un phallus évidé, vidé de jouissance, auquel le porteur n’a plus à s’identifier, mais dont il a la charge, qui lui donne une place comme simple sujet du désir, qui peut faire de lui un père (nous ne sommes pas les mots que nous disons, nous ne devons pas nous y identifier, mais nous ne pouvons pas non plus ne pas les dire, le plus exactement possible…. blabla (d’ailleurs Nomi ne parle pratiquement pas, sinon dans la lettre qu’il laisse à sa fille, dont vous trouverez le texte, en anglais, ci-dessous.))
Je relirai également ton texte pour ce que tu en dis de la « fonction » du suicide de Nomi. Je m’étais dit que nous ne pouvions pas le comprendre, que cela était décidément trop loin de nous, le seppuku, le Japon. Mais je pourrais pressentir qu’il faudrait restituer à ce suicide
Tout ceci un peu rapidement,
Je t’embrasse et vous souhaite à tous un excellent week-end !
Véronique
Nota bene : Je retiens également ce que tu formules de « l’acte » de Nomi, qui me ramène à ce qu’avait si bien résumé Dominique pour nous de l’intervention de A. Lebovits à propos du livre de BHL. C’est paradoxal, puisque je n’ai toujours que je n’aime pas beaucoup cet homme (chut !) et ça me repose la question de ce que l’on peut faire dire aux mots, de la façon dont les mots peuvent fonctionner en dehors de toute réalité, mais ces mots-ci m’ont marquée :
1. L’acte n’a de sens que quand manque la certitude. […]
2. Le choix est dicté par un impossible à supporter : […]
3. L’opposition optimisme / pessimisme [qui partage l’opinion] a pour fonction d’inhiber l’acte. Il s’agissait d’opérer un dépassement dialectique, en prenant la juste position dans l’infime espace temporel[…]
4. Qui dit acte dit engager une livre de chair, ce qu’il appelle « l’emportement corps et âme ». […]
5. Pour poser un acte, il faut s’en savoir responsable, soit s’en faire responsable. […] La solitude est la condition de possibilité de l’acte. […]
Enfin, au moins puis-je dire qu’avec ce supposé-acte de BHL, je n’étais pas du tout d’accord, et encore moins d’accord après les révélations de Mediapart sur ce qui s’est passé en Syrie et les enjeux que représentaient pour Sarkozy la mort du Kadhafi. 😉
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La lettre d’adieu de Nomi :
Was it ugly?
Did my head fall and roll?
Was I facing up?
Was I facing down?
While I was acting as if I had given up, a little by little I drifted to my end.
You tried hard to encourage me.
You encouraged me to try again and again.
You tried hard to encourage me to be better.
Was I a samurai?
Are you proud of me?
Are you embarrassed?
Do you hold a grudge?
Was your father a samurai?
Your father is dead.
But please don’t worry.
Your father is now with your mother.
To you, I don’t know if it’s happiness or sadness but our parental bond will last forever.
Maybe, now for the first time our parental bond as a family, is forever.
If you feel like you miss me, be with your loved ones and please love your loved ones.
« Il faut le dire, mourir de honte est un effet rarement obtenu.»
«Mourir de honte» est le signifiant par lequel Lacan entamait sa dernière leçon du Séminaire L’envers de la psychanalyse : «Il faut le dire, mourir de honte est un effet rarement obtenu.» (( L’orientation lacanienne III, 4, 5 juin 2002. Texte et notes établis par Catherine Bonningue.)) Ce terme de honte ne se rencontre pas là par hasard pour donner un point de départ, puisque Lacan va clore cette leçon ainsi «S’il y a à votre présence ici, si nombreux, des raisons un peu moins qu’ignobles, c’est qu’il m’arrive de vous faire honte. »
Éric Laurent a fait un exposé particulièrement stimulant ((Cf. Laurent É., exposé au cours du 29 mai 2002 de L’orientation lacanienne III, 4, publié dans Élucidation.)), se demandant s’il appartient bien au psychanalyste d’en rajouter sur cette honte, et s’il ne prendrait pas par là la relève du moraliste. Ce qui l’a conduit à introduire le thème de la culpabilité : «La honte est un affect éminemment psychanalytique qui fait partie de la série de la culpabilité. » Cet exposé offrait ainsi un biais, non pas sur l’actualité de 1970, sensiblement différente de la nôtre, marquée par la floraison, l’excitation d’une contestation dont nous étions les contemporains, mais sur une anticipation de la phase morale dans laquelle nous serions entrés depuis la chute du Mur de Berlin, donnant lieu à « un déferlement d’excuses, de regrets, de pardons, de repentances», au point qu’avoir honte serait ainsi devenu un symptôme mondial. II mit un bémol à cette construction et ouvrit une autre voie en soulignant que Lacan avait choisi de ponctuer la honte plutôt que la culpabilité, ajoutant aussi que ce «faire honte» ne supposait pas de pardon. C’est cette disjonction de la honte et de la culpabilité qu’il m’est venu la semaine dernière l’envie de commenter. Pourquoi honte et culpabilité à la fois s’appellent et se disjoignent? C’est en effet sur le terme de honte et non pas sur celui de culpabilité que Lacan a choisi de clore un séminaire où il a voulu situer le discours analytique dans le contexte du moment alors actuel de la civilisation contemporaine. Lacan nous a donné dans L’envers de la psychanalyse une nouvelle édition implicite du Malaise dans la civilisation, après l’avoir fait de façon plus explicite dans son Séminaire de L’éthique de la psychanalyse, nous permettant ainsi de mesurer le déplacement qui se produit de l’un à l’autre.
Sans doute un nouveau rapport s’est-il tramé dans cet intervalle entre le sujet et la jouissance. La nouveauté de ce rapport éclate si l’on se réfère à L’éthique de la psychanalyse où Lacan pouvait dire, sans susciter d’objection : «Le mouvement dans lequel est entraîné le monde où nous vivons […] implique une amputation, des sacrifices, à savoir ce style de puritanisme dans le rapport au désir qui s’est instauré historiquement. » (( Lacan J., Le Séminaire. Livre VII, L’éthique de la psychanalyse (1959-60), Paris, Seuil, 1986, pp. 350-351.)) En 1960, on pouvait encore dire que le capitalisme – terme tombé en désuétude pour n’avoir pas d’antonyme – était ordonné au puritanisme. Sans doute y avait-il derrière ce mot venant dans la bouche de Lacan sa connaissance des analyses de Max Weber, reprises, corrigées, mais non pas vraiment infirmées par l’historien anglais Tawney, et qui conditionnaient l’émergence du sujet capitaliste à une répression de la jouissance. (( Cf. Weber M., Histoire écononique: esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société, Paris, Gallimard Bibliothèque des Sciences humaines, 1992 ; Tawney R. H., Religion and the Rise of Capitalistm, New York, Harcourt, Brace & World, Inc., 1926 ; La religion et l’essor du capitalisme, Paris, Éditions Marc Rivière, Bibliothèque d’Histoire économique et sociale, 1951.)) Accumuler au lieu de jouir.
Ce qui se dessine dans la seconde reprise de Lacan du thème du malaise dans la civilisation dans son Séminaire de L’envers, c’est la désuétude du diagnostic qu’il pouvait porter sur le mouvement dans lequel le monde est entraîné, et qui serait marqué du style de puritanisme, alors que le nouveau, s’il est empreint d’un style, est plutôt celui de la permissivité, et ce qui fait à l’occasion difficulté, c’est l’interdit d’interdire.
«Il n’y a plus de honte»
Le moins que l’on puisse dire est que le capitalisme s’est disjoint du puritanisme. C’est par ce biais que le discours de Lacan est, selon les termes d’Éric Laurent, le plus anticipant. En termes lacaniens, cela se dit, dans ce chapitre ultime de L’envers de la psychanalyse, de la façon suivante : «Il n’y a plus de honte». Je suivrai É. Laurent dans cette ponctuation du terme de honte jusqu’à dire que l’on découvre par là la question qui travaille L’envers de la psychanalyse, la carte n’étant retournée qu’à la dernière rencontre.
Qu’en est-il de la psychanalyse quand il n’y a plus de honte, quand la civilisation tend à dissoudre, à faire disparaître la honte? Ce qui ne va pas sans paradoxe, car il est traditionnel de poser que la civilisation a partie liée avec l’instauration de la honte.
Peut-être pouvons-nous formuler que la honte est un affect primaire du rapport à l’Autre. Dire que cet affect est primaire est sans doute vouloir le différencier de la culpabilité. Si l’on voulait s’engager dans cette voie, on dirait que la culpabilité est l’effet sur le sujet d’un Autre qui juge, donc d’un Autre qui recèle des valeurs que le sujet aurait transgressées. On dirait du même pas que la honte a rapport avec un Autre antérieur à l’Autre qui juge, un Autre primordial, non pas qui juge mais qui seulement voit ou donne à voir. La nudité peut ainsi être tenue comme honteuse et recouverte – partiellement si la honte porte sur tel ou tel organe – indépendamment de tout ce qui serait de l’ordre du délit, du dommage, de la transgression, à quoi elle donnerait occasion. C’est d’ailleurs de cette façon immédiate qu’elle est introduite dans une des grandes mythologies religieuses qui conditionne, ou conditionnait, le mouvement de notre civilisation.
la culpabilité est un rapport au désir tandis que la honte est un rapport à la jouissance qui touche […] « le plus intime du sujet».
On pourrait aussi essayer ceci que la culpabilité est un rapport au désir tandis que la honte est un rapport à la jouissance qui touche à ce que Lacan appelle, dans son « Kant avec Sade », « le plus intime du sujet». Il l’énonce à propos de la jouissance sadienne en tant qu’elle traverserait la volonté du sujet pour s’installer en son plus intime, ce qui lui est plus intime que sa volonté, pour le provoquer au-delà de sa volonté et au-delà du bien et du mal, en atteignant sa pudeur – terme qui est l’antonyme de la honte.
Lacan qualifie cette pudeur, de façon saisissante et en même temps énigmatique, d’être «amboceptive des conjonctures de l’être». Amboceptive veut dire que la pudeur est attachée, qu’elle prend, aussi bien du côté du sujet que de celui de l’Autre. Elle est doublement branchée sur le sujet et sur l’Autre. Quant aux conjonctures de l’être, c’est le rapport à l’Autre qui fait la conjoncture essentielle de l’être du sujet et qui se démontre telle dans la honte. Lacan l’explicite en disant que « l’impudeur de l’un fait le viol de la pudeur de l’autre».
« l’impudeur de l’un fait le viol de la pudeur de l’autre»
Dans ce rapport inaugural, il n’y a pas seulement honte de ce que je suis ou de ce que je fais, mais si l’autre franchit les bornes de la pudeur, c’est la mienne qui se trouve de ce fait même atteinte. C’est une façon de faire honte qui n’est pas exactement celle que prescrit Lacan à la fin de son Séminaire. Une expérience de la honte découvre ici comme une amboception ou une pseudo coïncidence du sujet et de l’Autre.
2. Regard et honte
Lacan, dans son Séminaire XI, se réfère à un épisode célèbre de l’émergence de la honte, celui retracé par Sartre dans son Être et le Néant à propos du regard, et qui tient en deux moments. Premier moment : «Je suis, moi, à regarder par le trou de la serrure.» Deuxième moment : «J’entends des pas dans le corridor on me regarde. Et alors je tombe dans la honte.» C’est le récit d’une émergence de l’affect de honte décrit comme une déchéance du sujet. Alors qu’il est là «à regarder par le trou de la serrure», il est «pur sujet spectateur, absorbé par le spectacle, inoccupé de soi-même». Il n’est pas «conscient de lui-même sur le mode positionnel», dit-il dans son langage, et à proprement parler «dans ce « regarder par le trou de la serrure », je ne suis rien». Il essaye de nous décrire un moment de fading du sujet, que nous pourrions écrire avec son symbole lacanien de S/.
Le deuxième temps, accroché au son, fait surgir le regard comme tel. On voit bien pourquoi il faut ici des pas. Sartre veut saisir le sujet avant qu’il ne reconnaisse celui qui va le voir. C’est avant d’en capter le visage qu’il se formule pour lui « on me regarde ». Regard anonyme. Derrière cet « on », se cache sans doute, dans l’algèbre lacanienne, le regard de l’Autre. Et Sartre de décrire la décadence du sujet, auparavant éclipsé dans son action et qui devient objet, qui se trouve alors se voir lui-même, par cette médiation, comme objet dans le monde, et d’essayer de saisir la chute du sujet dans un statut de rebut honteux. Là s’introduirait la honte : «Je reconnais que je suis cet objet que l’Autre regarde et juge. Je suis cet être-en-soi.»
La conjonction sartrienne du regard et du jugement est ce qui est peut-être à mettre en question ou à ébranler, puisqu’il accomplit ici comme le glissement de la honte vers la culpabilité. Dire «je suis cet être-en-soi» veut dire que je suis alors coupé du temps, coupé du projet. Je suis saisi au présent, dans un présent dépouillé de ma transcendance, de ma projection vers mon avenir, vers le sens que cette action pourrait avoir et qui me permettrait de la justifier. Le jugement, c’est encore autre chose. Pour juger, il faut commencer à parler. Je peux avoir de très bonnes raisons de regarder par le trou de la serrure. C’est peut-être ce qui se passe de l’autre côté qui est ce qui est à juger et à réprouver. Un présent dépouillé de toute transcendance.
Je ne rappelle cet épisode que pour donner un fond, une résonance, au diagnostic de Lacan qui figure dans cette dernière leçon du Séminaire de L’envers : «Il n’y a plus de honte». Cela se traduit par ceci : nous sommes à l’époque d’une éclipse du regard de l’Autre comme porteur de la honte.
3. Regard et jouissance
É. Laurent, par une intuition et une construction saisissantes, a rapporté à ce dernier chapitre du Séminaire de L’envers le propos que Lacan adressait aux étudiants de Vincennes, représentant le sublime, la fièvre de la contestation de l’époque: «Regardez-les jouir». II a marqué que cette invitation, cet impératif, était en quelque sorte répercuté aujourd’hui dans cette fièvre médiatique, un peu retombée d’ailleurs, mais qui garde son sens comme fait de civilisation, des reality shows – Loft Story.
Ce «regardez-les jouir» rappelle le regard, qui était auparavant éminemment l’instance susceptible de faire honte. Pour l’époque où s’exprime Lacan, s’il faut rappeler le regard, c’est bien que l’Autre qui pourrait regarder s’est évanoui. Le regard que l’on sollicite aujourd’hui en faisant spectacle de la réalité – et toute la télévision est un reality show – est un regard châtré de sa puissance de faire honte, et qui le démontre constamment. Comme si cette prise du spectacle télévisuel avait comme mission, en tout cas comme conséquence inconsciente, de démontrer que la honte est morte.
Si l’on peut imaginer que Lacan évoquait ce «regardez-les jouir» en 1970 comme une tentative pour ranimer le regard qui fait honte, on ne peut plus le penser pour les reality shows. Le regard qui est là distribué – il suffit de cliquer pour en disposer – est un regard qui ne porte plus la honte. Ce n’est certainement plus le regard de l’Autre qui pourrait juger. Ce qui se répercute dans cette honteuse pratique universelle, c’est la démonstration que votre regard, loin de porter la honte, n’est rien d’autre qu’un regard qui jouit aussi. C’est «regardez-les jouir pour en jouir».
Par ce rapprochement amené par É. Laurent, c’est le secret du spectacle qui se découvre, dont on a même voulu faire l’insigne de la société contemporaine en l’appelant, comme Guy Debord, La société du spectacle. Le secret du spectacle, c’est vous qui le regardez, parce que vous en jouissez. C’est vous comme sujet, et non pas l’Autre, qui regarde. Cette télévision répercute que l’Autre n’existe pas. C’est pourquoi on peut entendre, dans les harmoniques du propos de Lacan, la mise en scène des conséquences de la mort de Dieu, thème auquel Lacan a consacré ce qui fait chapitre dans son Éthique de la psychanalyse (( Cf. le chapitre XIII de L’éthique de la psychanalyse, op. cit.)) Ce que Lacan cerne, et à quoi nous avons affaire puisque c’est une anticipation sur le chemin de notre actualité, c’est la mort du regard de Dieu. J’en vois le témoignage, peut-être ténu, dans cette phrase, vraiment à la Lacan, qui figure dans cette dernière leçon : «Reconnaissez pourquoi Pascal et Kant se trémoussaient comme deux valets en passe de faire Vatel à votre endroit.»
4. La mort de l’Autre
Vatel est désormais mieux connu que jadis, grâce à un film où le personnage est incarné par Gérard Depardieu (( Vatel, film français, britannique, belge, 1999, sorti en mai 2000, réalisation de Roland Joffé.)). François Vatel qui est connu par ceux qui pratiquent, comme la grand-mère de Marcel Proust, la Correspondance de Mme de Sévigné. Maître d’hôtel, organisateur de fêtes, il passe au service du prince de Condé, en avril 1671. Le prince de Condé invite toute la cour à passer trois jours chez lui, c’est Vatel qui doit assurer le service. Au témoignage de Mme de Sévigné, il n’en dort pas pendant douze nuits consécutives. S’ajoute à cela, dit-on, une déception amoureuse, incarnée dans le film par une star qui montre tout ce qu’il perd dans l’occasion. Il a prévu une dizaine d’arrivages de poissons et de fruits de mer, voilà qu’il n’en arrive que deux. Il se désespère – visiblement, il est déprimé -, se persuade que la fête par sa faute est gâchée et il monte dans sa chambre, fixe une épée sur la poignée de la porte et s’y reprend à deux ou trois fois pour se transpercer et mourir, laissant ainsi son nom dans l’histoire. Lacan n’avait pas vu le film – trop récent – et c’est pourtant le nom de Vatel, qui lui vient comme le paradigme de celui qui est mort de honte, et qui était assez en rapport avec ce «mourir de honte», bien qu’il ne fût pas le moins du monde noble, mais, comme le souligne Lacan, un valet, un valet inséré dans le monde où il y a du noble.
Voilà que Lacan nous compare Pascal et Kant avec ce Vatel, et il les voit sur le bord du suicide pour cause de honte, se trémoussant, construisant leur labyrinthe pour y échapper. En quoi Pascal et Kant étaient-ils tourmentés par la honte de vivre et se trémoussaient-ils pour faire exister le regard du grand Autre, celui sous lequel on peut être amené à mourir de honte? Lacan l’indique en passant : «Ça a manqué de vérité là-haut, pendant trois siècles. » Il dit cela au vingtième siècle, mais cela se réfère au dix-septième.
N’est-ce pas le sens du fameux pari de Pascal qui se découvre à nous ici? Le pari de Pascal est en effet un effort pour soutenir l’ex-sistence de l’Autre. C’est une chicane, un trémoussement, afin d’arriver à poser qu’il y a en effet un Dieu avec lequel, comme Lacan le dit ailleurs dans le Séminaire, cela vaut la peine de faire le quitte ou double du plus-de-jouir. On ne peut pas se reposer sur le fait qu’il y a Dieu, il faut y mettre du sien par le pari. Le pari de Pascal, c’est sa façon de mettre du sien pour soutenir l’ex-sistence de l’Autre.
Que veut dire le pari sinon que l’on a à jouer sa vie comme une mise dans le jeu? – comme un objet petit a que l’on pose dans le jeu comme une mise, dont on accepte qu’il puisse être perdu, et ce afin de gagner une vie éternelle. Ce Dieu-là a besoin du pari pour exister. Si l’on fait cet effort-là, s’il faut cette béquille du pari, c’est que finalement ce Dieu est en train de branler dans le manche, si je puis dire, qu’il ne tient plus tout à fait à sa place. Cela suppose que l’Autre dont il s’agit est un Autre qui n’est pas barré. On espère qu’il tient le coup.
Du côté de Kant, pour aller vite, ce n’est pas de pari qu’il s’agit, mais d’hypothèses. Dans la Critique de la raison pratique, l’immortalité de l’âme comme l’existence de Dieu sont récupérées, non pas au titre de certitudes, mais au titre d’hypothèses nécessaires pour que la moralité ait un sens.
Dans cette veine, on peut dire que Pascal et Kant en ont mis un coup. Ils se sont évertués, si j’ose dire, ils ont travaillé – c’est pourquoi on les met plutôt du côté du valet – pour que le regard de l’Autre conserve un sens, c’est-à-dire pour que la honte existe et qu’il y ait quelque chose au-delà de la vie pure et simple.
5. Honte et honneur
C’est en regard de cet effort pathétique de ces grands esprits que Lacan inscrit ce qui était alors Vincennes, qu’il appelle à l’occasion «obscène», et qu’il saisit en 1970 comme un lieu où la honte n’a plus cours. Il s’est avancé vers ce Vincennes. Lacan l’a apparemment dit d’une façon assez en chicane pour que personne ne pousse des hauts cris. Comment voyait-il cela? Comme un renoncement à ce qui était encore le trémoussement pathétique de Pascal et Kant, et d’assumer l’inexistence de la honte. C’est une ironie de l’histoire que Lacan ait été rangé au rang des suppôts de la pensée 68. On n’a rien lu qui soit aussi sévère à l’endroit de 68, mais, à l’intérieur de cette sévérité, c’était amical. C’est sans doute ce que l’on n’a pas pardonné à Lacan.
Pourquoi, demandait É. Laurent – et il y a répondu -, la disparition de la honte, dans la civilisation, devrait-elle mobiliser un psychanalyste? Pris par le biais de Vatel, on peut répondre : parce que la disparition de la honte change le sens de la vie. Elle change le sens de la vie parce qu’elle change le sens de la mort. Vatel, mort de honte, est mort pour l’honneur, au nom de l’honneur. Voilà le terme qui fait pendant à celui de la honte. La honte couverte par la pudeur, mais exaltée, repoussée, par l’honneur.
Quand l’honneur est une valeur qui tient le coup, la vie comme telle ne l’emporte pas sur l’honneur. Quand il y a de l’honneur, la vie pure et simple est dévaluée. Cette vie pure et simple, c’est ce qui s’exprime traditionnellement dans les termes du primum vivere. D’abord vivre, on verra ensuite pourquoi. Sauver la vie comme valeur suprême. L’exemple de Vatel est là pour dire que même un valet peut sacrifier sa vie pour l’honneur. La disparition de la honte instaure le primum vivere comme valeur suprême, la vie ignominieuse, la vie ignoble, la vie sans honneur. C’est pourquoi Lacan évoque, à la fin de cette dernière leçon, des raisons qui pourraient être «moins qu’ignobles».
Cela s’articule en mathème. Le mathème en jeu est la représentation du sujet par ce que Lacan construit dans ce Séminaire comme le signifiant-maître S1.
S1
$
La disparition de la honte veut dire que le sujet cesse d’être représenté par un signifiant qui vaille. C’est pourquoi Lacan présente, au début de cette leçon, le terme heideggérien de l’être-pour-la-mort comme «la carte de visite par quoi un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant». Il donne à ce S1 la valeur de la carte de visite, qui est «l’être-pour-la-mort». C’est la mort qui n’est pas pure et simple, la mort conditionnée par une valeur qui la surclasse, et lorsque cette carte est déchirée, dit-il, c’est une honte. On se moque alors de sa destination, puisque c’est à travers son inscription comme S, que le sujet peut être engrené sur un savoir et un ordre du monde où il a sa place, de maître d’hôtel à l’occasion, mais il doit tenir sa place. Au moment où il ne remplit plus sa fonction, il disparaît, c’est-à-dire qu’il se sacrifie au signifiant qu’il était là destiné à incarner.
S1
◊
S2
—
$
Quand on est au point où tout le monde déchire sa carte de visite, au point où il n’y a plus de honte, cela met en question l’éthique de la psychanalyse. Tout le Séminaire de L’éthique de la psychanalyse, et l’exemple pris d’Antigone, est là pour montrer au contraire que l’opération analytique suppose un au delà du primum vivere. Elle suppose que l’homme, comme il s’exprimait alors, ait un rapport à la seconde mort. Non pas à une seule mort, non pas à la mort pure et simple, mais à une seconde mort. Un rapport à ce qu’il est en tant que représenté par un signifiant. Pour rien au monde cela ne doit être sacrifié. Celui qui sacrifie sa vie, sacrifie tout sauf ce qui est là au plus intime, au plus précieux de son existence.
Lacan va en chercher l’exemple dans la tragédie d’Œdipe, précisément lorsqu’il entre dans la zone de l’entre-deux-morts où il a renoncé à tout . Il n’est plus rien si ce n’est un déchet qu’accompagne Antigone. Il se crève les yeux et donc tous les biens de ce monde disparaissent pour lui, mais, comme le note Lacan « Cela ne l’empêche pas d’exiger les honneurs dus à son rang» (( Lacan J., L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 352. )). Dans la tragédie, on ne donne pas à Œdipe ce à quoi il a droit après le sacrifice d’un bestiau – des parties sont valorisées, d’autres moins -, on ne lui donne pas ce qui lui revient, et, alors qu’il est déjà passé au-delà de la première limite, il relève ce qui est un manquement à son honneur comme une injure intolérable, dit Lacan. Alors même qu’il a abandonné tous ses biens, il affirme la dignité du signifiant qui le représente.
L’autre exemple que Lacan prend à ce propos, celui du roi Lear, va dans le même sens. C’est là aussi un personnage qui laisse tout, mais qui, ayant tout laissé de son pouvoir, continue de s’accrocher à la fidélité des siens et à ce que Lacan appelle un pacte d’honneur.
L’éthique de la psychanalyse, si ce n’est d’un bout à l’autre, au moins après son premier tiers, suppose la différence entre une mort qui consiste à claquer le bec et la mort de l’être-pour-la-mort. La mort de l’être qui veut la mort est en rapport avec le signifiant-maître. C’est une mort risquée ou une mort voulue ou une mort assumée, et qui est en rapport avec la transcendance même du signifiant. À partir de l’accent si singulier que Lacan a mis sur ce «mourir de honte» et sur ce «faire honte» – qui faisait horreur, ou paraissait déplacé, à un collègue psychanalyste, disait É. Laurent -, le signifiant de l’honneur, le mot d’honneur, continue d’avoir sa pleine valeur pour Lacan au moment même où il essaye de fonder aujourd’hui le discours analytique.
Je me disais : «Honneur, honneur, où dit-il cela?» On le trouve par exemple d’emblée lorsqu’il fait le compte rendu d’un de ses derniers Séminaires, «… ou pire» : «D’autres s’… oupirent. Je mets à ne pas le faire mon honneur. » (( Lacan J., «… ou pire. Compte rendu du séminaire 1971-72 », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 547.)) Ce mot «honneur» consonne avec toute cette configuration que j’ai dessinée. Ce n’est pas seulement l’honneur de Lacan Jacques puisqu’il ajoute : « Il s’agit du sens d’une pratique qui est la psychanalyse.» Le sens de cette pratique n’est pas pensable sans l’honneur, n’est pas pensable si ne fonctionne pas l’envers de la psychanalyse qui est le discours du maître et le signifiant-maître qui est installé à sa place. Pour le faire recracher au sujet, il faut d’abord qu’il en ait été marqué. Et honneur de la psychanalyse tient au lien maintenu du sujet avec le signifiant-maître.
Ce « honneur» n’est pas un hapax. Par exemple, Lacan éprouve le besoin de justifier qu’il s’intéresse à André Gide. Gide mérite qu’on s’intéresse à lui parce que Gide s’intéressait à Gide, non pas dans le sens d’un vain narcissisme, mais parce que Gide était un sujet qui s’intéressait à sa singularité quelle que chétive qu’elle soit. Peut-être n’y a-t-il pas de meilleure définition de celui qui se propose pour être l’analysant. Le minimum qui peut être demandé, c’est qu’il s’intéresse à sa singularité, une singularité qui ne tient à rien d’autre qu’à ce S1, au signifiant qui lui est propre. Lacan n’ayant pas encore élaboré dans son formalisme ce signifiant-maître, l’appelle, dans son texte sur Gide, «le blason» du sujet, terme qui est bien là pour résonner avec celui d’honneur : « Le blason que le feu d’une rencontre a imprimé sur le sujet». Il dit aussi : « Le sceau n’est pas seulement une empreinte mais un hiéroglyphe», etc. (( Cf. Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir » (1958), Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 756. ))
Chacun de ces termes pourrait être étudié dans sa valeur propre. L’empreinte est simplement une marque naturelle, le hiéroglyphe on le déchiffre, mais il souligne que, dans tous les cas, c’est un signifiant, et son sens est de n’en pas avoir. On peut anticiper que cette marque singulière est ce qu’il appellera plus tard le signifiant-maître qui marque le sujet d’une singularité ineffaçable.
6. Singularité
Al’époque, Lacan ne reculait pas à dire que ce respect pour sa propre singularité, cette attention à sa singularité signifiante, c’est ce qui fait du sujet un maître. Il l’oppose à toutes les sagesses, qui ont au contraire un air d’esclave. Ces sagesses qui valent pour tous, ces soi-disant arts de vivre s’instaurent tous de négliger chez chacun la marque individuelle qui ne se laisse pas résorber dans l’universel qu’elles proposaient. Les sagesses à dissimuler cette marque de fer sont guindées par ce poids-là, par ce travestissement, et c’est pourquoi Lacan leur impute un air d’esclave.
Sans doute s’agit-il, dans L’envers de la psychanalyse, de séparer dans l’opération analytique le sujet de son signifiant-maître. Mais cela suppose qu’il sache en avoir un, et qu’il le respecte.
Lancé dans cette voie, je donnerai toute sa valeur à ce que Lacan dit au passage de son texte sur Gide, que « s’intéresser à sa singularité, c’est la chance de l’aristocratie». Voilà un terme que nous n’avons pas coutume de faire résonner et qui pourtant s’impose lorsqu’on reprend la position de Lacan devant ce fait de civilisation qu’a été Vincennes. Tout indique que ce qu’il a rencontré là, il l’a classé dans le registre de l’ignoble, et qu’il a eu, devant cette émergence d’un lieu où la honte avait disparu, une réaction aristocrate. Cette aristocratie est pour lui justifiée parce que le désir a partie liée avec le signifiant-maître, c’est-à-dire avec la noblesse. Ce pourquoi il peut dire dans son texte sur Gide «Le secret du désir est le secret de toute noblesse». Votre S1, contingent, et si chétif que vous soyez, vous met à part. Et la condition pour être analysant est d’avoir le sens de ce qui vous met à part.
En remontant plus loin, c’est quelque chose comme une réaction aristocrate qui motive les objections que Lacan a toujours multipliées en face des objectivations à quoi la civilisation contemporaine oblige le thérapeute ou l’intellectuel, le chercheur. Voyez par exemple ce qu’il présente comme l’analyse du moi de l’homme moderne une fois qu’il est sorti de l’impasse de faire la belle âme qui censure le cours du monde alors qu’il y prend sa part. (( Cf. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, op. cit., p. 281. )) Comment le décrit-il ? D’un côté, cet homme moderne prend sa place dans le discours universel, collabore à l’avancée de la science, tient sa place comme il faut, et en même temps il oublie sa subjectivité, il oublie son existence et sa mort. Il n’était pas encore à dire « il regarde la télévision», mais c’était les romans policiers, etc.
On a là comme une critique ébauchée de ce que Heidegger appelait l’existence inauthentique, le règne du on. D’ailleurs, dans l’existentialisme, même sartrien, qui comportait cette critique de l’inauthentique, il y avait aussi bien une prétention aristocrate. Ne pas oublier ce qu’a d’absolument singulière son existence et sa mort. On voit là Lacan – on n’a pas à chercher ou à l’interpréter – évoquer en contraste avec le moi de l’homme moderne ce qu’il appelle la subjectivité créatrice, celle qui milite, dit-il, pour renouveler la puissance des symboles (( Ibid., p. 283.)). Il dit aussi en passant : «Cette création est supportée» – la création subjective, alors que la masse routinière récite les symboles, tourne en rond et éteint sa propre subjectivité dans le futile – «par un petit nombre de sujets» il. À peine a-t-il formulé cette pensée qu’il invite à ne pas s’y abandonner, c’est une «perspective romantique». On ne peut cependant pas méconnaître que Lacan s’inscrit parmi ce petit nombre de sujets.
C’est de là qu’il peut formuler dans Télévision, au moment où il prône la sortie du discours capitaliste : «Cela ne constituera pas un progrès si ce n’est que pour certains». La formulation précise dit bien que la première pensée qui là s’est présentée est bien que ce n’est que pour quelques-uns et pas pour tous. La limite de ce petit nombre, c’est ce que Lacan signalait comme cette pensée ridicule dont il faut se séparer et qui était «au moins moi».
Dans cette sortie que Lacan fait à la fin de L’envers de la psychanalyse, je vois les traces, l’expression de son débat avec l’aristocratie, son débat avec la noblesse qui est noblesse du désir. La question qu’il se pose à propos de la psychanalyse est bien : qu’en est-il de la psychanalyse en des temps où la noblesse est éclipsée? N’oublions pas que lorsqu’il modifiait le discours du maître pour en faire le discours du capitaliste, il inversait ces deux termes et inscrivait le S barré au-dessus de la ligne, c’est-à-dire un sujet qui n’a plus un signifiant-maître comme référent.
C’est confirmé, dans ce dernier chapitre de L’envers de la psychanalyse, par une référence très précise à la Phénoménologie de l’esprit de Hegel, à la dialectique de la conscience noble et de la conscience vile, qui est la vérité de la conscience noble. Sur quoi il s’appuie pour formuler que la noblesse est vouée à passer dans la vilenie, dans la bassesse. Le temps de la noblesse débouche sur le temps où il n’y a plus de honte. Ce pourquoi il peut dire aux étudiants, aux contestataires de son public : «Plus vous serez ignobles, mieux ça ira.»
On voit bien pourquoi il pouvait parler aux étudiants qui se pressaient à son Séminaire de leur ignominie. Il l’explique, de biais : «Désormais, comme sujets, vous serez épinglés de signifiants qui ne sont que des signifiants comptables et qui effaceront la singularité du S1.» On a commencé à transformer la singularité du S1 en unités de valeur. Le signifiant-maître, d’une certaine façon, c’est l’unité de valeur singulière, celle qui ne se chiffre pas, qui ne rentre pas dans un calcul où l’on est pesé. C’est dans ce contexte qu’il se propose de faire honte, mais d’un «faire honte» qui n’a rien à faire avec la culpabilité. Faire honte, c’est un effort pour restituer l’instance du signifiant-maître.
7. L’honnête
Il y a sans doute un moment dans l’Histoire où s’est trouvée usée puis évacuée – on l’a pleurée pendant des siècles – la valeur de l’honneur. On n’a pas cessé de voir cet honneur être remanié et décroître. Si la civilisation qui l’a porté, c’était la civilisation féodale, on voit petit à petit cet honneur se tordre, se trémousser, être capturé par la cour, que Hegel analyse à propos de la conscience vile et de la conscience noble. Kojève le lisait ainsi, et sans doute Lacan aussi, c’est la référence à l’Histoire de France. Capturé par la cour après la folie de la Fronde, qui est la dernière résistance d’une forme antique de l’honneur, avant que l’honneur soit versé dans la courtisanerie. Et ce qui s’accomplit ensuite au cours du dix-huitième siècle, le renoncement à la vertu aristocratique pour que triomphent les valeurs bourgeoises.
La vertu aristocratique, qu’était-ce en son temps? Un signifiant-maître tenant assez le coup pour que le sujet y appuie son estime de soi, et en même temps l’autorisation et le devoir d’affirmer, non pas son égalité, mais sa supériorité sur les autres.
La vertu aristocratique, qu’était-ce en son temps? Un signifiant-maître tenant assez le coup pour que le sujet y appuie son estime de soi, et en même temps l’autorisation et le devoir d’affirmer, non pas son égalité, mais sa supériorité sur les autres. C’est ainsi que l’on a recyclé la magnanimité, qui était une valeur aristotélicienne, dans la morale aristocratique, et on la retrouve chez Descartes sous les espèces de la générosité dans son Traité des passions.
C’est là-dessus que même le surhomme nietzschéen trouve son ancrage historique. Cette vertu aristocratique a partie liée avec l’héroïsme. Même s’il le modère – « Chacun est à la fois le héros et l’homme du commun, et les buts qu’il peut se proposer comme héros, il les accomplira en tant qu’homme du commun» -, un personnage central qu’il fait se déplacer dans son Séminaire L’éthique de la psychanalyse est celui du héros, porteur de la vertu aristocratique, et en particulier de celle – c’est le b.a.-ba – qui permet d’aller au-delà du primum vivere.
Les vertus de ce qui a émergé comme l’homme moderne impliquent de renoncer à la vertu aristocratique et à ce qu’elle obligeait de braver la mort. Un des lieux où cela s’accomplit est l’œuvre de Hobbes, que l’on voit encore révérer la vertu aristocratique et déduire en même temps que le lien social est avant tout établi sur la peur de la mort, c’est-à-dire sur le contraire de la vertu aristocratique. Les esprits cultivés se réfèrent à ce discours ces temps-ci, où l’on trouve le fondement que l’essentiel pour l’homme moderne est la sécurité. C’est affirmer que l’héroïsme n’a plus de sens.
C’est là que l’on a vu naître de nouvelles vertus que l’on propose, à l’occasion ce que les Américains appellent greed, l’avidité. C’était la phrase célèbre des années quatre-vingt : «Greed is good», «L’avidité, c’est bien». Le capitalisme fonctionne grâce à l’avidité. Et aussi le règne qui ne cesse pas de s’étendre du calcul coût-profit. Lorsqu’on nous propose tout le temps des évaluations de l’opération analytique, ce n’est rien d’autre que ce règne du calcul coût-profit qui s’avance sur la psychanalyse.
Ne montons pas sur nos grands chevaux. Il y a place pour ce que Lacan appelle, dans la première page de sa dernière leçon, l’honnête. C’est une référence très précise à Hegel qui, au décours de sa dialectique de la conscience vile et de la conscience noble, évoque, au moment où cela se défait, la conscience honnête, c’est-à-dire la conscience en repos, celle qui prend «chaque moment comme une essence qui demeure» – tout est à sa place – et «qui chante la mélodie du bien et du vrai». À quoi il oppose les dissonances que fait entendre la conscience déchirée dont le paradigme est Le Neveu de Rameau. Cette conscience déchirée qui se manifeste par le renversement perpétuel de tous les concepts, de toutes les réalités, qui affiche la tromperie universelle – tromperie de soi, tromperie des autres – et qui témoigne aussi de ce que Hegel appelle l’impudence à dire cette tromperie.
Le Neveu de Rameau, c’est la grande figure qui émerge – et peut-être Diderot l’a-t-il gardée par honte dans ses tiroirs – de l’intellectuel éhonté, par rapport à quoi celui qui dit «moi» dans Le Neveu de Rameau se trouve dans la position de la conscience honnête, qui voit les propositions qu’il avance être renversées et dénaturées par le déchaîné neveu de Rameau, et qui est roulé dans la farine. À Vincennes – ce qui est reproduit sous le nom «Analyticon » dans le volume -, Lacan s’est trouvé dans la position du moi par rapport au Neveu de Rameau. Il s’est trouvé dans la position de la conscience honnête. Il s’en est distingué en vomissant les ignobles de l’époque dans son Séminaire.
L’honnête, Lacan le définit comme celui qui tient à l’honneur de ne pas faire mention de la honte. Dans son Séminaire, il franchit cette limite. Il est franchement déshonnête de parler comme ça des gens qui l’ont reçu gentiment. L’honnête est évidemment celui qui a déjà renoncé à l’honneur, à son blason, qui voudrait que la honte n’existât point, c’est-à-dire qui enrobe et voile le réel dont cette honte est l’affect.
Même si c’est abusif, on ne peut pas s’empêcher de penser que le grand honnête auquel il est arrivé à Lacan de se référer, et qui se tenait sans doute à distance de la honte, c’est Freud. II pouvait dire que « l’idéal de Freud, c’était un idéal tempéré d’honnêteté, l’honnêteté patriarcale» (( Lacan J., L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 208. )) Freud bénéficiait encore de l’auvent du Père et, comme Lacan le démontre dans son Séminaire de L’envers, la psychanalyse loin de rabaisser le Père a fait tout ce qu’elle a pu pour essayer d’en conserver la statue. Elle a fondé à nouveaux frais la notion d’un Père tout amour.
Lorsque Lacan évoque l’honnêteté patriarcale de l’idéal freudien, la référence qu’il prend c’est Diderot, Le Père de famille (( Ibid.)) Diderot sert là de guide dans la mesure où il est juste sur la ligne de fracture entre l’idéal patriarcal et la figure du Neveu de Rameau qui est la dérision de cette honnêteté patriarcale.
8. Impudence
Lacan ne s’est pas arrêté à dire aux étudiants de l’époque qu’ils témoignaient d’un monde où il n’y avait plus de honte. Il a au contraire essayé de leur indiquer que, sous leur air éventé, comme il s’exprime – il faut entendre éhonté -, ils butaient à chaque pas «sur une honte de vivre gratinée». Une fois l’absence de honte censurée, il leur montre qu’il y a néanmoins une honte de vivre derrière l’absence de honte. C’est ce que peut pointer la psychanalyse, que les éhontés sont des honteux. Sans doute contestent-ils le discours du maître, la solidarité du maître et du travailleur, chacun étant partie du même système. Il se réfère à Senatus Populusque Romanus, le Sénat et le peuple romain, qui bénéficient chacun du signifiant-maître. Il signale à ces étudiants qu’ils se placent avec les autres en plus, c’est-à-dire avec les déchets du système, non pas avec le prolétariat mais avec le sous-prolétariat. C’est très précis et cela court à travers toutes les années que nous avons vécues depuis. Cela lui permet de déduire que ce système qui tient au signifiant-maître produit de la honte. Les étudiants, se plaçant hors système, se placent dans l’impudence.
C’est là que l’on voit ce qui a changé depuis. Nous sommes dans un système qui n’obéit pas à la même régulation parce que nous sommes dans un système qui produit de l’impudence et non pas de la honte, c’est-à-dire dans un système qui annule la fonction de la honte. On ne l’appréhende plus que sous les espèces de l’insécurité, une insécurité que l’on impute au sujet qui ne tombe pas sous la coupe d’un signifiant-maître. Ce qui fait que le moment de cette civilisation est travaillé par un retour autoritaire et artificiel du signifiant-maître et par obtenir que chacun travaille à sa place, sinon on les enferme.
Si dans le système où était Lacan on pouvait encore dire «f aire honte», l’impudence a aujourd’hui beaucoup progressé, elle est devenue la norme. Qu’obtient-on de dire au sujet « vous vous devez quelque chose à vous-même» ? Il ne fait pas de doute que la psychanalyse doive définir sa position par rapport à la réaction aristocrate que j’évoquais. C’est bien la question qui hante la pratique : est-elle pour tous?
Voilà le débat fondamental de Lacan. Cela n’a jamais été vraiment avec l’egopsychology, cela n’a pas été avec les collègues. Le débat fondamental de Lacan – c’est clair dans L’envers de la psychanalyse, et cela l’était déjà dans L’éthique de la psychanalyse – a toujours été un débat avec la civilisation en tant qu’elle abolit la honte, avec ce qui est en cours de globalisation, avec l’américanisation ou avec l’utilitarisme, c’est-à-dire avec le règne de ce que Kojève appelait le bourgeois chrétien.
La voie que Lacan proposait, c’était le signifiant porteur comme tel d’une valeur de transcendance. Ce qui se condense dans S1. Là encore, les choses se sont déplacées depuis L’envers de la psychanalyse, puisqu’on a touché au signifiant. La parole est elle-même ravalée dans le couple «écoute et bavardage». Ce qu’on essaye de préserver dans la séance analytique, c’est un espace où le signifiant garde sa dignité.
La demande de pardon, évoquée par É. Laurent, est plutôt du registre de la culpabilité, c’est-à-dire qu’elle aide à oublier le registre de la honte et de l’honneur. Pourquoi se trouve-t-on demander pardon? Dans cette pratique, un peu tombée en désuétude depuis que les choses se sont resserrées sur l’insécurité internationale et nationale, on voulait faire qu’on demande pardon pour les S1, pour les valeurs, qui vous avaient animés, et qui étaient toutes meurtrières ou nocives. À travers ce «demander pardon», c’était l’affirmation du primum vivere. Aucune valeur dont vous avez pu vous croire les porteurs ne valait le sacrifice d’aucune vie. D’où la comptabilité soigneuse des crimes de toutes les grandes fonctions idéalisantes au cours de l’histoire.
Nous sommes au point où le discours dominant enjoint de n’avoir plus honte de sa jouissance. Du reste, oui. De son désir, mais pas de sa jouissance.
On peut mesurer aujourd’hui la différence d’avec l’époque de L’envers de la psychanalyse. Nous sommes au point où le discours dominant enjoint de n’avoir plus honte de sa jouissance. Du reste, oui. De son désir, mais pas de sa jouissance.
J’en ai eu un témoignage extraordinaire cette semaine, où j’ai rencontré un des auteurs dont nous avions parlé cette année à propos du contre-transfert (( J.-A. Miller fait référence à Daniel Widlocher, son entretien avec lui vient de paraître en mars 2003 dans le premier numéro de la revue Psychiatrie et sciences humaines. )). Je lui ai fait part d’un des résultats de la lecture minutieuse des écrits de cette orientation, comme quoi la pratique du contre-transfert, l’attention passionnée donnée par l’analyste à ses propres processus mentaux, semblait tout de même être de l’ordre d’une «jouissance». Vous hésitez à le dire lorsque vous vous adressez à un praticien éminent de la chose. Et là, la surprise a été pour moi «Mais bien entendu, m’a-t-il dit. Et c’est même une jouissance infantile.»
Jacques-Alain Miller
NB : On trouve cet article sur le site http://www.wapol.org/fr/ en faisant une recherche par titre (LISTADO ALFABÉTICO POR TÍTULO –> « Note sur la honte ») (Le site est ainsi conçu qu’il n’est malheureusement pas possible de donner le lien direct sur l’article)
Catherine, il ne me semble pas qu’il n’y ait pas de femmes dans ce film, pas de voix de femmes, ou qu’elles soient uniquement intéressées par l’argent… Certes, ses interlocutrices travaillent pour lui, Eric Packer (de même que chacun de ses interlocuteurs), en dehors de sa femme, qui, par ailleurs, ne veut pas coucher avec lui… Mais, est-ce que ça en fait des prostituées pour autant ? Ils se parlent, il les écoutent, elles lui parlent. Elles sont séduites, peut-être par son argent, peut-être par cette forme de savoir qu’il détient sur le fonctionnement du monde, du capital, de la finance, du chiffre, cette forme de savoir proche de la certitude où le doute prend peu de place : rien ne vaut rien, tout vaut tout, un rat est la mesure de toute chose, seul compte le chiffre.
C’est à et endroit-là que le film se situe dans la problématique de « l’Un sans l’Autre ». C’est le chiffre qui apporte la valeur, valeur que lui, Packer, tente ramener à un système, de rapporter à un discours – au risque finalement de sa vie. Il n’est pas complètement blasé, il ne cesse de parler et d’entraîner les autres à parler. Il y a d’un côté l’Un qui l’a mis dans la position où il est, et il y a l’Autre encore auquel il aimerait incorporer la logique réduite mais implacable de l’Un. Sa certitude d’un côté, le doute auquel il cherche à s’initier de l’Autre.
« Tu vis dans une tour qui monte jusqu’au ciel sans que Dieu la punisse. »
Si je me réfère à la « Note sur la honte» de Jacques-Alain Miller, je dirais : il est sans vergogne, il n’a pas de honte et personne qui veuille lui faire honte. Éventuellement, va-t-il vers sa honte, vers cette figure de double inversé ( ainsi que le remarquait finement un ami), qui essaiera de lui faire honte, sans y parvenir ( – Ne me faites pas rire. – Je ne dois pas le faire rire.) Plus personne n’y croit. La machine capitaliste est implacable. L’Un va sans l’Autre.
Véronique
Sur le doute, sur la montée du doute :
« Il y a un ordre quelque part, à un niveau profond, dit-il. Un schéma qui veut apparaître.
– Alors regarde-le. »
Il entendait des voix dans le lointain.
« Je l’ai toujours fait. mais dans ce cas particulier, il est évasif. Mes experts se sont donné un mal fou mais ils ont pratiquement renoncé. J’ai travaillé là-dessus, dormi là-dessus, et pas dormi là-dessus aussi. Il y a une surface commune, une affinité entre les mouvements de marché et le monde naturel. *
– Une esthétique d’interaction.
– Oui. Mais dans ce cas je commence à douter de la trouver un jour.
– Douter. Qu’est-ce que le doute? Tu ne crois pas au doute. Tu me l’as dit. La puissance de l’ordinateur élimine le doute. Tout doute provient d’expériences passées. Nous connaissons le passé mais pas le futur. C’est en train de changer, dit-elle. Il nous faut une nouvelle théorie du temps.
Dialogue entre Vija Kinski, sa conseillère en matière de pensée, et Eric Packer dans Cosmopolis le films et Cosmopolis, le livre de Don DeLillo, Babel, p. 98
sur le prix, sur le chiffre :
« Le concept de propriété se modifie de jour en jour, d’heure en heure. Les dépenses énormes que font les gens […] Ça n’a rien à voir avec la confiance en soi à l’ancienne, d’accord. La propriété n’est plus une affaire de pouvoir, de personnalité et d’autorité. Elle n’est plus une affaire d’étalage de vulgarité ou de goût. Parce qu’elle n’a plus ni poids ni forme. La seule chose qui compte c’est le prix que vous payez. Toi-même, Éric, réfléchis. Qu’est-ce que tu as acheté pour cent quatre millions de dollars? Pas des dizaines de pièces, des vues incomparables, des ascenseurs privés. Pas la chambre à coucher rotative ni le lit informatisé. Pas la piscine ni le requin. Les droits aériens peut-être? Les capteurs à régulation et l’informatique? Pas les miroirs qui te disent comment tu te sens quand tu te regardes le matin. Tu as payé pour le chiffre lui-même. Cent quatre millions. Voilà ce que tu as acheté. Et ça les vaut. Le chiffre est sa propre justification.« Ibid., p. 89
NOTES
* A ce propos, pour un prolongement de l’analyse de ce film, j’invite à se rapporter à ce que dit Jacques-Alain Miller du « monde naturel » dans sa présentation du thèmes des prochaines journées du Congrès de l’AMP. Eric Packer croit à une nature qui n’existe plus, n’a pas eu l’idée du « désordre dans le réel » – son aymétrique prostate. Ou n’a pas réussi à l’incorporer dans son système : un élément de la nature –> un chiffre.
Qu’est-ce qui lie le doute cartésien, méthodique, et le doute obsessionnel ?
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Catherine, tu parlais de notre futur hypothéqué, dont nous étions dépossédés, en raison de dettes, des contrats de toutes sortes que nous lions, parfois même à notre insu (les petits caractères)… que c’était de cela que t’avait parlé le film Cosmopolis; dans la voiture, alors, nous avions parlé de l’endettement (de l’endettement volontaire) et de l’obsessionnellisation du monde contemporain.
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Serait-il intéressant de revenir sur la fonction de la dette chez l’obsessionnel? (( je dis ça, et je ne cesse de buter, en pensée, sur une pierre, une pierre, un caillou, non, sur le chemin de l’homme aux rats, un détour, auquel il s’oblige ???))
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Cosmopolis: Éric et son « double ». Dans le livre, Éric appelle, dans sa tête, dans ses pensées : « le sujet ». Comme s’il avait été vers lui-même comme sujet, sujet du doute cartésien, dans le fantasme. Mais alors d’où vient-il ? De quoi émarge-t-il quand il quitte son territoire de la certitude du chiffre, pour aller vers le doute du sujet.
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« … la science est ‘une idéologie de suppression du sujet’ »
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dans l’écriture du scenario, Cronenberg a scrupuleusement repris tous les dialogues du livre. Dans le livre, nous avons toutes les pensées d’Éric.
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parmi ces pensées : si (à vérifier) la honte ne lui vient pas, à Éric, dans le livre nous apprenons que la culpabilité, oui, elle lui vient :
« Éric pressa le canon de son revolver contre la paume de sa main gauche. Il essayait de penser avec clarté. Il pensa à son chef de la sécurité étalé sur l’asphalte, avec encore un seconde à vivre. Il pensa à d’autres, au fil des ans, brumeux et anonymes. Il fut envahi par une énorme prise de conscience, toute pétrie de remords. Il en fut transpercé, la culpabilité, c’est son nom, et comme elle était étrange, la douceur de la détente contre son doigt. » Cosmopolis, Babel, p. 208-209
il y a deux nuits, j’ai rêvé de Lacan. au réveil, je dis à Jules : « J’ai rêvé de Lacan ! » Lui : « Quoi ? Non ! C’est incroyable ! » « Tu l’as connu ? » Moi : « Non, » Il était, je crois, vieux, gris, triste, Lacan, mais vivant. (j’étais heureuse, surprise, heureuse, d’avoir rêvé lui, et je savais que c’était parce que je m’étais demandé, la veille, s’il n’était pas temps que je me remette à lire Lacan (que je ne cite plus que de mémoire.)
Ce jour-là, Éric avance à rebours de ce qu’il essaie d’inscrire dans un discours au départ de son mode de vie ( ironique mais sans humour). Par cette tentative, son désir d’une invention conceptuelle, il quitte le temps ( perdu) d’où il vient, retourne à l’histoire ( « nous avons besoin d’une nouvelle théorie du temps », « ces mots sont obsolètes… ordinateur, walkie-talkie, etc. »), dans sa voiture qui n’avance pas, sa limo « prousted », vers ce coiffeur de son enfance « avec toutes les associations » et les « vrais miroirs » ( à la place des caméras de surveillance).
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« On pourrait aussi essayer ceci que la culpabilité est un rapport au désir tandis que la honte est un rapport à la jouissance qui touche à ce que Lacan appelle, dans son ‘Kant avec Sade’, ‘ le plus intime du sujet’. »
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la honte, ce serait Benno Levin qui l’incarne – lui qui sent si mauvais qu’on ne peut travailler avec lui, comme le corps d’Éric va se mettre à sentir, de + en +, au fur et à mesure que va le film : « Excuse-moi de te le dire, mais tu pues le sexe » (sa femme, citée de mémoire).
« Chaque jour j’ai honte, et chaque jour davantage. Mais je vais passer le reste de ma vie dans ce lieu de vie à écrire ces notes, ce journal, à enregistrer mes actes et mes réflexions, à trouver un peu d’honneur, un peu de valeur au fond des choses. Je veux dix mille pages qui arrêteront le monde. […] Cet ouvrage inclura des descriptions de mes symptômes. » ( Benno Levin – Ibid., p. 164)
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Benno Levin –> Benny Lévy (de Mao à Moïse…) –> le MAO II de Don Delillo.
« L’essentiel, c’est la limousine, qui elle-même est moins une voiture qu’un espace mental: être dans la limo, c’est être dans le tête d’ Éric Packer. Voilà ce qui compte.
Dans la limousine «proustée». Le mot ne figure pas dans la traduction française…
Non? Elle est dans le livre, c’est un néologisme créé par DeLillo, en référence au liège dont Marcel Proust avait fait tapisser sa chambre. DeLillo a inventé le verbe «prouster». Je ne sais pas combien de gens comprendront l’allusion, mais je ne voulais pas l’expliquer, je crois que de toute façon le mot crée une interrogation, une distorsion.
Il y a comme deux courants qui s’opposent, celui de l’Un, celui de l’Autre. Il y a comme si Miller nous disait allons vers l’Un, il n’y a pas le choix, et qu’il lui soit répondu : mais pas sans l’Autre. Car l’Un est partout, l’Un est partout, l’Un nous embarrasse de toutes parts, quel autre recours que l’Autre? A quoi Miller, répondrait, impassible, nous n’avons pas encore suffisamment exploré les extrémités de l’Un. Il nous faut encore aller vers cette réduction, nous en rapprocher, tant que possible sans l’Autre. Cela, probablement, dans le cadre de la cure analytique, dont le terme trouverait son terme en ce terme : l’Un.
Avec les analyses que nous, membres d’Escapcult, avons conduites des films Shame, Saya Zamuraiet Cosmopolis, nous avons découvert des personnages que l’Un semblait avoir perdus, et qui tentaient de retourner vers l’Autre, du moins est-ce ainsi que nous l’avons interprété. Cela comme à rebours de ce que propose Miller (nous enjoint-il).
Faut-il dès lors prendre ces films comme des fables réussies de ce qu’il vous arrive quand on va jusqu’au bout de l’Un, l’artiste se montrant une fois de plus précurseur de l’analyste ?
Ou ces territoires de l’Un ne s’avèrent-ils explorables qu’à l’intérieur du cadre de l’analyse ? Et n’aurions-nous qu’à regretter qu’aussi bien Brandon (de Shame), que Nomi (de Saya Samurai), qu’Eric (de Cosmopolis) n’aient, plutôt que de mourir, rencontré un analyste?
La proposition de Miller alors deviendrait : c’est à nous analystes qu’il revient d’aller vers l’Un en ne ramenant l’Autre que prudemment (que l’Autre apprivoise l’Un) – puisqu’aussi bien, c’est cette intervention de l’Autre dans chacun des 3 films qui s’est avérée invivable, mortifère (Brandon n’est pas mort à la fin du film, mais sa situation est plus qu’inquiétante).
Je ne pense pas qu’aucun de ces films nous offrent de découvrir la particularité de l’Un, la marque particulière de l’Un auquel chacun a affaire. Ce Kern des Wesens, noyau de l’être qui ferait l’Un de l’existence. C’est d’un Un non identifié qu’il s’agit dans ces films (en quoi il serait juste, puisque le Un se situe hors identification signifiante (n’aurait d’issue que d’identification au sinthome?)), identifié uniquement à sa marque universelle : Un. 1, qui est la singularité même, que rien cependant ne distingue de n’importe quel autre 1. Dont la singularité n’a pas trouvé son écriture, le territoire de sa lettre (en quoi consiste cependant le choix de Benno Levin (Cosmopolis) : écrire, des milliards de pages, écrire, dit-il, son symptôme). C’est de l’envisager, ou de vouloir l’envisager dans un discours pour tous, un discours universel, que la tentative d’Eric Packer (Cosmopolis) faillit. L’Un résiste violemment à son inscription dans un discours universel (résistance du discours capitaliste?), il ne peut consister que d’un témoignage au cas par cas, d’un témoignage individuel. Et ne se passe probablement pas de la chair humaine, du corps. C’est probablement d’une lettre écrite sur le corps qu’il s’agit de répercuter. L’Un n’est que d’Un seul, aussi seul que le corps. Répété par et pour un seul et qui peut trouver à s’entendre (par l’Autre) dans l’écriture, par la réduction qu’elle opère. L’écriture au sens large, dont procède la science, aussi bien que l’œuvre de Joyce, que notre addictions aux écrans et aux dits « réseaux sociaux ». Notre monde nous invite perpétuellement à la re-présentation et nous en offre les outils : appareils photos, caméras, autopublication. Posons que ce désir de re-présentation soit toujours fondamentalement humain, toujours fondamentalement éthique, toujours de l’Autre, toujours signifiant. Un signifiant de l’ère numérique, qui ne manque jamais de se souvenir que sa matière première est une succession de 1 et de 0. Dans l’espace numérique, tout s’écrit. C’est en cette écriture que nous sommes liés (on en jouit), en ce tout que nous sommes damnés (condamnés, puisque l’Un du corps est in-signifiant).
L’écriture (cybernétique) est un des noms de la maladie de l’Un contemporain. Elle est ce qui le cause, ce qui l’entretient, ce qui le cure. C’est en tout cas, ce que m’enseigne Miller. Et c’est une assez belle chose que de voir ses élèves toujours ramener cet enseignement au désir, qui n’est au fond qu’une prise au sérieux, une mise en série de ce qui insiste dans ce qui nous dépasse (et crée notre ennui). Une tentative d’affabulation, d’apprivoisement.
J’ai vu « On the road » hier soir, mais pas jusqu’au bout tellement l’ennui était important, lié, il me semble à la répétition du thème: La route, la sexualité et la toxicomanie, à travers un jeune écrivain fasciné par un ami sans limites. Il est « sur la route », ou plutôt sans cesse sur la limite vie/mort ; c’est la première fois que ça m’arrive de quitter un film avant la fin. Il faut dire que j’étais avec une amie qui supportait mal et j’ai donc abandonné la dernière demi-heure. Vous me raconterez la fin? et ce que vous y avez trouvé?
« Le grand roman de la Beat Generation, Sur la route, écrit par Jack Kerouac en 1957, était réputé inadaptable. Marlon Brando, Francis Ford Coppola, Jean-Luc Godard ou Gus Van Sant s’y sont cassé le nez. Finalement, un cinéaste brésilien, Walter Salles, relève le défi, trahissant le texte pour mieux lui rester fidèle. » (Olivier Delcroix, Le Figaro)
Cela m’a fait un peu penser à « Shame », pour ce qu’il en est de la jouissance du « Un tout seul », mais en moins bien, du fait de l’insaisissable d’une quelconque histoire, ….seulement la répétition.
Cela s’éclaire peut-être à la fin? Mais j’ai parié que non.
Et que l’important est justement la répétition intenable de cette limite, sur cette route, comme on dirait « à la rue » ou « en déroute ». Finalement, seule la route compte, se mettant en place d’un désir qui ne cesse pas de céder à la jouissance.
Je viens de voir que Faust sort aujourd’hui enfin en France.
S’il n’y a qu’un film à voir en 2012, c’est bien celui-là! Revenir enfin aux fondamentaux de l’art cinématographique et démystifier le tropisme nord-américain culturel sur le contrôle et le pouvoir.
Si vous n’avez pas vu les trois films de la trilogie déclinant ce thème à travers Hitler (Moloch), Lénine (Taurus), Hiro Hito (Soleil) et conclue par ce Faust, je vous conseille particulièrement Soleil, l’esthétique qu’impose l’impérialité japonaise est éblouissante.
Bon, puisque vous aimez particulièrement jouer avec les mots, et même si dans le film très peu du texte original de Goethe est audible et/ou reconnaissable, ce célèbre passage où Faust va signer le pacte avec le diable s’entend, et comme il s’attache à la « faute » d’orthographe dans son âme, je vous souhaite une bonne séance (de cinéma) avec Goethe revisité par Sokurov à mettre aux côtés de Béla Tarr sur la pagode des maîtres :
« Da sind ja lauter Fehler. » « Tje. Ach wirklich? » « Meine Se… Seele mit zwei E. » « Mit zwei E. Sehr schön. » « Nach der natürlichen Trennung von meinem Leibe. Ja. So ist es richtig. Ich habe keine Tinte mehr. » « Ohh, was für ein Jammer. Wie wäre es mit Blut? Sie waren doch bereit, mit Blut zu schreiben. »
La traduction n’est jamais aisée mais là encore moins.
Quand on apporte à Faust le contrat à signer, il constate une faute dans le mot « âme » : « Seele » qui s’écrit avec deux e est visiblement écrit avec un seul e. Donc, en gros, traduction à la malik en gardant l’esprit plutôt que la lettre :
« Il y a là de grandes fautes. » « Ah bon, vraiment? » « Mon a… âme avec un accent circonflexe. » « Avec un accent circonflexe. Très bien. » « …après la séparation naturelle d’avec mon corps. Oui. C’est juste ainsi. Je n’ai plus d’encre. » « Oh, c’est ballot. Et avec du sang? Vous étiez bien prêt à écrire avec du sang. »
Hénologie opposée à ontologie. L’un opposé à l’être, L’existence à l’essence.
La honte, celle que vous éprouvez à vous être approché au plus près du noyau de votre être (ai-je retenu de ce que me dit, il y a bien longtemps, mon analyste, peu avant que je n’arrive à Paris (( en ce qui me concerne, la honte d’écrire…))). (( Il y a plus longtemps encore, arrivant juste en analyse, pour ma part je lui dis: « Je ne suis pas venue ici pour demander pardon. Ici, je veux être sans pardon. »))
Déjà, reconnaître dans ce « noyau de l’être », ce qui fait la marque du sujet, sa brulure, dont, s’il convient qu’il se détache de la passion, il ne convient pas qu’il ne l’assume, ne s’en tienne responsable. Ce que je peux en dire. Du symptôme au sinthome ( ?) (( Et l’Hontologie avec un H de Lacan se ferait précurseur de l’hénologie de Miller. L’hontologie lacanienne extime à l’ ontologie. Ce noyau de l’être extime à l’être.))
« J’aimerais au moins être arrivé à vous faire honte » – Lacan J., citation approximative.
Vous envoie mes notes, et encore, de façon fragmentée. Un texte en effet traîne sur mon bureau, qui n’est pourtant pas long, et que je n’ai même pas eu (pris) le temps de finir de retaper ; il traite de l’exposition sur les Nus de Degas, du film Shame et de la salle de bain…
Ne s’agit-il pas également avec Escapades d’un laboratoire d’écriture, aussi bien que d’e-lecture…..
guy et moi, on a vu, on a aimé : holy motors, de leos carax
« Plus précisément, pourquoi cette impuissance à tourner ?* Longtemps, j’ai été incapable d’imaginer un projet en me fixant à l’avance des règles (« pas trop cher », « pas trop compliqué », etc.). Ce qui rendait tout impossible, à une époque où je n’avais presque plus d’alliés (morts ou fâchés) et où les douaniers du milieu, toujours plus nombreux, me barraient le passage. Ma participation au film Tokyo ! m’a libéré. Il s’agissait d’une commande, quarante minutes dans un film à trois cinéastes, loin de France. Il m’a fallu l’imaginer et le tourner très vite. J’ai compris que j’en étais capable, que cette vitesse de trait ouvrait même mon cinéma vers d’autres dimensions. Mais aussi que cela avait un prix : l’abandon de la pellicule pour le numérique. Or ma passion du cinéma était – est toujours – terriblement liée au défilement de la pellicule, au moteur dans la caméra. D’où la bizarrerie quant à Holy Motors : c’est une célébration des moteurs et de l’action, tournée sans caméra (les caméras numériques sont des ordinateurs, pas des caméras). Continuer la lecture de on a vu, on a aimé (holy motors)
Je reconnais que c’est le meilleur Carax – à mon goût.
La scène d’intro (avec mister Carax en personne!) dans le ciné, très réussie, rappelle un peu un tableau d’Hopper; l’épisode de la mendiante rien à dire, éloquente (et courte!); l’épisode SM futuriste, là le Léo commence à se faire plaisir, c’est son droit, mais on (je) commence à se (me) méfier; l’épisode de la reprise du rôle de Monsieur Merde (inventé pour un moyen-métrage il y a quelques années) avec la prestation d’Eva Mendes et cette magnifique pose tableau dans les égouts, assez jubilatoire; la scène de la fille et du père, j’ai tout de suite pensé au groupe en la voyant et me suis dit, tiens elles (pas d’offense Guy, la plupart du temps ce sont elles qui parlent des films) auraient des choses à dire!, moi cela m’a laissé perplexe; l’énergie de l’entracte dans l’église, excellente, pour moi c’est la seule chose qui aurait pu durer plus longtemps: l’entracte!; la sixième scène sans intérêt si ce n’est encore et toujours la référence au dédoublement/miroir entre Carax et Lavant, cela fait plus de 20 ans que cela dure, c’est gavant à la fin, bon la fin de l’épisode qui se passe dans la limo avec l’apparition de Piccoli, admettons, même si c’est un peu convenu et facile comme si Carax avait pour une fois peur qu’on ne le comprenne pas et se décide à faire de la pédagogie… or pour une fois que l’on comprend où il veut en venir, c’est dommage si ce n’est pour se faire encore plaisir avec Piccoli; les deux scènes suivantes devant le Fouquet’s et dans l’hôtel, aucun intérêt; le sommet du creux que prend la fin du film c’est cette interminable scène (star oblige) avec Kylie Minogue en hôtesse de l’air et cette chanson horrible à la Michel Legrand, là on se met à rêver du bon vieux temps où que je n’ai pas connu où l’on pouvait commander une glace pendant le film histoire de passer le temps agréablement; la fin quand il rentre chez lui, bof, ouais ok, y a du Max mon amour là-dedans, mais bon, il faut aimer les films anthropomorphisme; l’épilogue du film avec l’extraordinaire Edith Scob est excellent et les limos dans le garage (qui moi me font plutôt penser à « Cars » ce qui a ravi l’ado attardé en moi) me confortent (si j’en avais besoin, mais non je n’en ai pas besoin, cependant je pourrais encore rajouter à ma panoplie de films un exemple à donner à des critiques ciné qui quittent les salles) dans l’idée qu’il ne faut jamais quitté un film avant sa fin, on ne sait jamais, une scène de fin peut sauver un film.
En résumé, si on a les références cinématographiques que le réalisateur nous ressert à sa sauce, c’est un peu fastidieux, sinon cela doit être déroutant, c’est le cas de le dire, il ne faut donc pas résister à l’envie de faire sa pause autoroute réglementaire, si le besoin se fait sentir, car la route est longue…
Carax se fait plaisir, cela se voit, cela fait plaisir pour lui, on est presque soulagé de voir qu’il n’est plus/ne se sent plus maudit … mais Dieu des artistes soi-disant incompris que cela a pris du temps pour lui, et Dieu du cinéma que ce film est long pour les témoins de sa renaissance!
c’est quand même sacrément long ce road-movie-égo-trip non?
> pas assez long
La scène d’intro (avec mister Carax en personne!) dans le ciné, très réussie, rappelle un peu un tableau d’Hopper;
> magnifique tu veux dire (le tangage, ce mur en trompe l’œil, rappelle les meilleurs Lynch aussi, le corps sous le pyjama, le chien en chien de fusil sur le lit)
l’épisode de la mandiante rien à dire, éloquente (et courte!);
> magnifique et mystérieuse et parisienne – image de notre quotidien souci, énigme et douleur
l’épisode SM futuriste là le Léo commence à se faire plaisir, c’est son droit, mais on (je) commence à se (me) méfier;
> extraordinaire ! inventive, jubilatoire et qui débouche sur ces animaux fantastiques… et ce faire-l’amour dans des combinaisons en plastique ! ce mixte de laideur de lumière de yayoi (elle s’appelait comment encore l’artiste japonaise) de chair et de caoutchouc
l’épisode de la reprise du rôle de Monsieur Merde (inventé pour un moyen-métrage il y a quelques années) avec la prestation d’Eva Mendes et cette maginifique pose tableau dans les égoûts, assez jubilatoire;
> sublime, là encore, paris, paris, le corps extrême de ces laissés pour compte de la ville et eva mendès accueillante, voilée, nouvelle vierge et pièta réinventée avec un christ au plus étrange corps et qui bande !
la scène de la fille et du père, j’ai tout de suite pensé au groupe en la voyant et me suis dit, tiens elles (pas d’offense Guy, la plupart du temps ce sont elles qui parlent des films) auraient des choses à dire! , moi cela m’a laissé perplexe;
> dur dur. dur. dur. là aussi, leur laideur, apaisante, juste
l’énergie de l’entracte dans l’église, excellente, pour moi c’est la seule chose qui aurait pu durer plus longtemps: l’entracte!;
> il paraît que toute l’équipe s’est laissée envoutée. et encore paris ! un paris d’accordéon, manouche et punk, dans une église qu’on reconnaît sans l’avoir jamais vue
la sixième scène sans intérêt si ce n’est encore et toujours la référence au dédoublement/miroir entre Carax et Lavant, cela fait plus de 20 ans que cela dure, c’est gavant à la fin,
> peut-être pas la meilleure scène, mais heureusement bizarre, pour moi. j’aime ce meurtre, ce désir de plus de meurtres encore, j’aime ces nouvelles incarnations, et puis, cette grande salle, ces ouvriers… (tiens, tu as oublié l’homme d’affaire du début)
bon la fin de l’épisode qui se passe dans la limo avec l’apparation de Piccoli, admettons, même si c’est un peu convenu et facile comme si Carax avait pour une fois peur qu’on ne le comprenne pas et se décide à faire de la pédagogie… or pour une fois que l’on comprend où il veut en venir, c’est dommage si ce n’est pour se faire encore plaisir avec Piccoli;
> Piccoli n’avait pas trop envie de le faire. moi j’ai aimé. j’ai aimé comprendre. même si par la suite, j’ai moins aimé le film, avec encore de belles surprises. mais il dit un truc essentiel, Piccoli, mais j’ai oublié quoi. ah oui, sur les machines ? non, c’est Lavand qui répond sur les machines.
les deux scènes suivanest devant le Fouquet’s et dans l’hôtel, aucun intérêt;
> fouquet’s : très grand intérêt pour le désir de révolution
> hôtel : j’ai beaucoup aimé, beaucoup, la douceur de ce dialogue, cet amour, cet homme qui meurt
le sommet du creux que prend la fin du film c’est cette interminable scène (star oblige) avec Kylie Minogue en hôtesse de l’air et cette chanson horrible à la Michel Legrand, là on se met à rêver du bon vieux temps où que je n’ai pas connu où l’on pouvait commander une glace pendant le film histoire de passer le temps agréablement;
> pas aimé non plus, mais beaucoup aimé la samaritaine (paris !), le souvenir des ouvrières, la mort d’un certain paris des galeries marchandes, walter benjamin, le XIXème siècle, la beauté de ces bâtiments
la fin quand il rentre chez lui, bof, ouais ok, y a du Max mon amour là-dedans, mais bon, il faut aimer les films anthropomorphisme;
> magnifique, émouvant / rien à voir avec l’anthropomorphisme.et la cigarette avant de rentrer dans la maison. et la chanson !!! oh, cette chanson !!!
l’épilogue du film avec l’extraordinaire Edith Scob est excellent et les limos dans le garage (qui moi me font plutôt penser à « cars » ce qui a ravi l’ado attardé en moi) me confortent (si j’en avais besoin, mais non je n’en ai pas besoin, cependant je pourrais encore rajouter à ma panoplie de films un exemple à donner à des critiques ciné qui quittent les salles) dans l’idée qu’il ne faut jamais quitté un film avant sa fin, on ne sait jamais, une scène de fin peut sauver un film.
> oui, c’est vrai, Cars… Cosmopolis, « où elles vont dormir les limos » ? hollywood, un rêve, une époque, et les moteurs dits ici saints !
Carax se fait plaisir, cela se voit, cela fait plaisir pour lui, on est presque soulagé de voir qu’il n’est plus/ne se sent plus maudit …
> Malix se fait plaisir, ça fait plaisir pour lui !!! le mythe du carax maudit : un mythe de journalistes… si ça leur fait plaisir. cela dit, il en a bavé.
mais Dieu des artistes soi-disant incompris que cela a pris du temps pour lui, et Dieu du cinéma que ce film est long pour les témoins de sa renaissance!
> ben, maintenant qu’il s’est mis au numérique, il va peut-être trouver son nouveau rythme : la vitesse ! et rattraper le temps perdu…
Fabrice Larcade En gros, ça fait 30 que ce type peut faire des films révérencieux, mièvres et mauvais en nous rebalançant ses citations à la mode structuraliste (yeurk) parce qu’il a eu le douteux mérite de plaire aux petits pontes du cinéma français de Daney à Godard en passant par les scribouillards, conférenciers, directeurs d’institutions, et programmateurs encore éberlués par ce miracle bien français qu’est l’inepte Nouvelle Vague et donc très complaisants envers ses zélateurs tandis qu’il y a des cinéastes réellement intéressants qui galèrent financièrement pour faire des bons films et qui obtiennent une difficile reconnaissance quand (Allelujah) ça arrive.
Fabrice Larcade Alors le plan du poète maudit génial et iconoclaste, franchement…
Content d’avoir (après hésitationS) vu ce film: j’en garderai un souvenir moins périssable grâce à ce face à face enlevé d’impressions contrastées. Et ta critique me met de bonne humeur pour le reste de la journée... si un jour j’avais imaginé que grâce à un film de Carax je sois de bonne humeur, je me serais quand même inquiété… Bonne journée in Paris by day! malik PS. « cela dit, il en a bavé »: et nous aussi!!! 😉
Hier, Catherine et moi : Faust d’Alexander Sokurov Vraiment bien aimé. Véronique
NB : malik, j’ai rêvé ou le format de Faust est différent, nous n’étions pas très bien assises, au premier rang, mais il me semble que l’image était presque carrée.
dominik
Tu as raison, Véronique, pour le format de Faust. Pourquoi, tu sais ça, Malik ? ça situe d’emblée les choses dans un lointain passé, qui pourrait bien être notre avenir… Terre dévastée, solitude. Mais encore, sur un plan plus technique, que peut-on dire de l’effet recherché en adoptant ce format ?
Au premier rang, ça devait être quelque chose ! En particulier les dernières images. Cela mérite d’être tenté. Irai-je le voir une troisième fois ? J’aime beaucoup Sokourov – ce film un peu moins que d’autres (L’arche russe, Mère et fils, les trois premiers films de ladite « quadrilogie », et certaines Elégies, qui ne font pas partie de la rétrospective, hélas). Tellement dense à tous points de vue que je ne sais par quel bout l’aborder… Ce monument nous laissera-t-il sans voix ? Dominique.
malik
Oui, le format de Faust est un format « normal », dans le sens de l’histoire du cinéma, quasi carré(1:1,33 pour le ciné ou 4:3 pour la télé), c’est le format des films muets jusqu’aux films dans les années 60, moment à partir duquel le format à commencer à se « rectangulariser ». D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez regarder ARTE le mois passé, les diffusions des films de Fassbinder, et remarqué que le format était aussi carré.
Le parti pris de Sokurov semble procédé ici d’un tout: il recolorie à la western-spaghetti la pellicule, il utilise des filtres et des lentilles spéciales un peu déformantes, ainsi le rendu des couleurs et du format ressemble à un vieil album photo (d’ailleurs les coins de l’écran semblent comme arrondis, genre super8), le but étant de mettre autant de distance que possible entre l’action du film et le présent, s’éloigner autant que faire se peut du réalisme sans altérer la réalité. Je dis cela d’un ton un peu péremptoire, il va de soi que ceci n’est que mon interprétation.
Le 2ème parti pris selon moi est d’encadrer la thématique de l’exiguïté dans laquelle vit Faust, les lieux comme son monde.
Il y a aussi une théorie qui court selon laquelle il rendrait ainsi hommage au Faust de Murnau qu’il considère comme un grand maître (certains disent même modèle…), mais comme je n’ai pas pour habitude de répandre des rumeurs, je donne donc cette théorie juste pour être complet.
Ceci dit, cette forme très apprêtée du film peut en agacer plus d’un-e. Moi j’adore: je suis un adepte de expressionnisme classique (dans tous les domaines artistiques et culturels) des années 20 principalement en Allemagne… et là, on peut s’y noyer à volonté, voire avec volupté…
Malik
PS. c’est cool d’avoir des retours sur Faust… je désespérais presque!
« Grau, teurer Freund, ist alle Theorie / Und grün des Lebens goldner Baum. » (2038; Mephistopheles zu dem Studenten)
je n’ai pas la traduction officielle en français sous la main, donc en gros:
« Grise est toute théorie, cher ami / Et vert l’arbre étincelant de la vie »]
Cher Malik, J’ai pu voir Faust, sur tes conseils, avec Véronique, et en ai été ravie, sans trop savoir pourquoi. Très belles images, mais aussi cette phrase, si j’ai bien compris, concernant ce qu’est l’enfer, si on a » vendu son âme » ( en a-t-on vraiment une ? enfin, on le croit) : l’enfer c’est …. » un désert de solitude, sans salut »! Je suis bien d’accord avec ça. Merci Bise Catherine ————————-
Je suis bien d’accord également chère Catherine! Au creux de la nuit, et pour l’accompagner, un enfer plus épicurien:
Au delà de la Terre, au delà de l’Infini, Je cherchais à voir le Ciel et l’Enfer. Une voix solennelle m’a dit : « Le Ciel et l’Enfer sont en toi. »
Ce que Piccoli a dit d’important, ne serait-ce pas : « Peut-être n’aimez-vous plus assez ce que vous faites » ? Dominique.
Véronique
Oui, cette phrase est intriguante. Dans une interview Lavant explique qu’il a trouvée cruelle. Il l’a prise pour lui, Carax devant d’ailleurs, ajoute-t-il, au départ interpréter ce rôle. Mais, ce que j’ai surtout aimé c’est l’idée de continuer pour « la beauté du geste » :
Dans le film, Oscar dit continuer « pour la beauté du geste ». Est-ce la clé du film pour vous ? Oui, cette phrase marche avec une autre : « La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde. » Le film parle non seulement de l’art, mais aussi et surtout de la vie. La scène avec Michel Piccoli donne du concret à cette succession de personnages, on peut comprendre qu’il s’agit d’un cinéma sans caméra ou alors avec des caméras cachées. Et il y a aussi de la cruauté parce que Piccoli me fait comprendre que je suis peut-être un comédien fatigué. Surtout que Leos devait jouer le rôle de Piccoli au départ. Forcément, ça me touche personnellement. « La beauté du geste », pour moi, elle est très concrète : j’ai commencé par la danse, ma première expression, c’est le mouvement, la recherche de la grâce, de l’harmonie. Je me reconnais dans cette nécessité de créer du beau et de le donner à voir.
Dominique
Ah oui, j’aime beaucoup ça, « la beauté du geste » ! Est-ce la clé du film pour moi ? Je n’en sais rien. Il faudrait que je le revoie pour trouver peut-être un début de réponse, et je n’en ai pas trop envie. Mais je te suis bien quand tu parles de la nécessité de créer du beau. Et tu en crées. Une de mes amies a aussi beaucoup aimé. Elle, c’est à cause du rapport de Carax à l’espace. Elle se sentait au bord du vertige (pas seulement à la fin), et cette sensation lui plaît. Bises, D