freud°spielrein°jung ~SOURCES

De : do
 
Qu’avez-vous pensé du film ? Je l’ai beaucoup aimé, à cause des acteurs, de la mise en scène. J’avoue que je ne me suis même pas posé la question de l’image que ça donne de la psychanalyse. Freud était sans doute le moins convaincant, on connaît trop sa tête. J’ai pris ça comme une fiction.

//

De : vé

J’ai également beaucoup aimé ce film. Je l’ai trouvé très intéressant, et j’ai de mon côté beaucoup aimé l’interprétation de Spielrein (son prénom m’échappe), psychanalyste que je ne connaissais pas. Sur quoi penses-tu que l’actrice a basé son jeu, au début du film, quand elle est en crise ? Pour ce qui est de Freud, je l’ai  beaucoup aimé. Et étonnée de le «découvrir juif ». Non, que je ne le savais, mais. Étonnée, tu sais, de cette réplique «Nous sommes juifs, quittez cet aryen ». Son interprétation, ce film, l’ancrent mieux pour moi dans la réalité de son temps. Mais, il est vrai que j’ai un gros problème avec l’histoire, que j’ai du mal à percevoir, à ressentir. Il manque la durée à ma notion du temps. Ce qui revient probablement à dire qu’il me manque le temps tout court. Cela dit, aurait-il pu dire ce genre de chose ? Alors, vraiment, je ne l’aurais pas deviné à lire ses écrits théoriques. Je n’ai pas lu toute son œuvre, mais beaucoup. Je suis maintenant très tentée de lire sa correspondance avec Jung. Et je n’avais pas noté que ses disciples de l’époque étaient tous juifs. Comment cela se fait-il ? Que cela m’aie échappé ? Peut-être n’est-ce pas très important. Peut-être Freud a-t-il écrit son œuvre en dehors de cette réalité-là, que le film, sa biographie révèlent justement. D’après l’article lu cette nuit dans LQ, l’article paru hier, il aurait été tenté « d’aryaniser » justement la psychanalyse, dans un souci d’en étendre la portée au plus grand nombre. Quel homme tout de même ! Et quelle époque ! Ce moment de la découverte ! Et que cette découverte il eut eu le talent de la communiquer, d’en faire mouvement ! Vraiment ce film est pour moi d’une grande intelligence, et confirme pour moi Croenenberg comme l’un des grands.
A tout à l’heure !
Véronique

//

De : do

Chère Véronique-eoik,
 
Merci pour ta réponse et pour ton commentaire ! Du coup, j’ai été lire celui de Clotilde Leguil, très juste, dans LQ 123. Il faudrait que je revoie le film. Comme je te le disais hier, j’ai été tellement prise au premier degré par le jeu des acteurs et l’intelligence de la mise en scène que, dans un premier temps, je ne me suis même pas posé de questions. Je ne sais pas sur quoi Keira Knightley s’est appuyée pour jouer ainsi (les critiques en disent peut-être quelque chose ?) Elle est magnifique.
 
Témoignage d’un jeune homme de mes amis, qui passait son bac l’an dernier. Sa mère, soucieuse de l’impact du film sur les jeunes, lui a demandé si ça lui donnait envie de lire Freud ou Jung. Réponse : « Ni l’un ni l’autre. Je l’ai juste pris comme un film et je le trouve excellent. »
 
Entre parenthèses, il se donne aussi en ce moment, et certainement pas pour longtemps, Augustine de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat, sur les leçons de Charcot à la Salpétrière. C’est un film en noir et blanc, dont le propos est moins ambitieux (quoique…), plus confidentienl en tout cas. Passé inaperçu à sa sortie en 2003. Il y a également une étonnante performance d’actrice (Maud Forget). Et ça fait assez froid dans le dos.
 
J’avais lu dans le temps Sabina Spielrein, une femme entre Freud et Jung, paru il y a 30 ans et réédité en 2004, sous le titre simplifié Sabina Spielrein entre Freud et Jung.
 
http://www.cgjung.net/publications/sabina-spielrein/lettres-journal.htm
 
Si on en croit ce lien, la partie commentaires est un peu datée. Mais le livre reste intéressant pour les extraits du journal de Sabina, pour sa correspondance avec Freud et Jung, et pour des textes d’elle, en particulier un sur le langage enfantin. Autant qu’il m’en souvienne, c’est écrit avec beaucoup de fraîcheur – comme on écrivait à l’époque.
 
Alain nous a parlé aussi d’un texte récemment traduit, sur un cas de phobie, qu’il nous enverrait.
 
A très bientôt, oui !
 
Dominique.

Une histoire intéressante par Pierre Stréliski (Lacan Quotidien n° 122)

« Une patiente que j’ai tirée autrefois d’une très grave névrose avec un immense dévouement a déçu mon amitié et ma confiance de la manière la plus blessante que l’on puisse imaginer parce que je lui ai refusé le plaisir de concevoir un enfant avec elle » écrit Jung à Freud en ce printemps 1909. Deux jours plus tard il ajoute dans une autre lettre : « Je n’ai vraiment jamais eu de maitresse, je suis vraiment le mari le plus inoffensif que l’on puisse imaginer ». Freud rassure de son amitié son jeune confrère en qui il voit, lui écrit-il, en se comparant lui-même à Moïse, « le Josué destiné à explorer la terre promise ». Il est vrai que Jung est un jeune poulain — en fait un grand gaillard d’1 m 85 — trentenaire, qui bénéficie du prestige pour Freud d’être psychiatre dans la plus célèbre clinique de soins mentaux de l’époque, la clinique Burghölzli de Zürich, médecin adjoint du grand Bleuler, qui n’aime pas la psychanalyse naissante, mais dont les travaux sur la schizophrénie font autorité, et en plus, de n’être pas juif, comme la plupart des « gueux » passionnés qui entourent alors Freud.

Leur passion à eux deux remonte à 1907, et Freud rêve d’aryaniser sa nouvelle science et de déplacer son centre de Vienne à Zürich. Dès 1908, Jung est en place au premier congrès de psychanalyse à Salzbourg. À l’été 1909 il fait partie de la petite troupe qui part à la conquête du Nouveau monde faire une série de conférences à la Clarke University. Un premier nuage apparaît entre eux pendant le voyage après que Jung un peu éméché, s’étant mis à disserter sans fin sur des corps momifiés retrouvés dans une tourbière en Allemagne du Nord, se soit fait couper par Freud par un sec « Pourquoi vous préoccupez–vous tant de cadavres ? », et une seconde fois quand Freud refusa, pour « ne pas risquer son autorité » d’en dire trop sur un rêve qu’il avait fait où il était question de sa belle-soeur.

Malgré cela, Jung sera le premier président de l’IPA. Il en démissionnera le 20 avril 1914. Entre temps leur idylle aura tourné au vinaigre. Jung sera responsable de deux évanouissements de Freud aux instants où celui-ci s’aperçoit que ce fils rêvé est un Brutus, et le ton de leur correspondance aura considérablement changé : « Vous voulez aider, ce qui empiète sur la volonté des autres. Votre attitude devrait être plutôt celle de celui qui offre une occasion que l’on peut saisir ou rejeter ». Et à un autre collègue, il écrit : « Jung est un personnage incapable de supporter l’autorité d’un autre, encore plus incapable d’imposer son autorité et dont l’énergie consiste en une poursuite sans scrupules de ses intérêts personnels ». Dont acte !

Mais revenons au printemps 1909. Le 30 mai, la jeune femme incriminée écrit à Freud. Elle veut le rencontrer. Elle s’appelle Sabina Spielrein, c’est une jeune juive russe de 23 ans, elle est étudiante en médecine et a été soignée depuis 1904 par Jung, d’abord au Burghölzli puis ensuite en consultations, pour une « psychose hystérique » — diagnostic reprenant l’ancienne « folie hystérique », délicieux oxymore en somme sur la fonction paternelle, entre Bejahung et Verwerfung, diagnostic différentiel de la schizophrénie joliment épinglé ainsi dans les années soixante par Chazaud et Follin : « Le schizophrène vit le drame de l’existence de sa personne ; le psychotique hystérique vit le drame de son personnage ». Oui mais si le plus vrai de la personne c’est le personnage ? Quoiqu’il en soit, notre jeune russe fit l’objet de la part de Jung de sa première expérience d’application du « traitement psycho-analytique » de Freud, avant même qu’il l’ait rencontré, sur sa seule lecture enthousiaste de L’interprétation des rêves.

Cette talking cure, comme l’appelait une autre pionnière analysante, eut un succès thérapeutique indéniable, les violents symptômes liés à un refoulement vis-à-vis d’une motion incestueuse et présentant des caractéristiques sexuelles sadiques-anales cédèrent et se transférèrent comme il se doit sur la personne du thérapeute. Et l’on se découvre bientôt les mêmes goûts — la musique, Wagner —, les mêmes intuitions ; l’analyste fait part à l’analysante de toutes ses qualités — d’intelligence bien sûr — qu’il lui trouve : « Des esprits comme le vôtre font avancer la science. Vous devriez absolument devenir psychiatre ». Finalement on passe du divan au lit, mais ce n’est pas de cela dont Sabina veut s’entretenir avec Freud mais de la déconfiture de son amant qui, se sentant repoussé dans ses retranchements de mari et d’amant, a écrit à la mère de sa maîtresse… pour qu’elle l’en débarrasse ! Il se défend de sa propre faiblesse avec une belle goujaterie (« Une muflerie », écrira-t-il) arguant que la différence entre un médecin et un amant tourne autour de la question du paiement (Avec quoi est-ce qu’on paie ?) et réclamant donc in fine le montant de ses honoraires non perçus à la mère de Sabina ! Le paiement — mérité — qu’il recevra de la donzelle en retour, furieuse quand elle apprend cette lettre, ce sera une gifle et l’esquisse d’un coup de couteau signant in vivo le coup de canif dans le contrat.

Finalement l’amour entre eux deux, contrairement à celui entre Freud et Jung, survivra à cette scène violente. Ils redeviendront amants, Jung dirigera même le Mémoire de psychiatrie de Sabina. Elle l’aime, il l’aime. On n’est vraiment pas dans la cartographie d’une érotomanie. Mais bien dans celle du doute qui sied aux amants : « Il est pourtant certain qu’il m’aime. Mais il y a un ‘Mais’, c’est que mon ami est déjà marié », écrit Sabina dans son Journal.

Entre-temps elle aura effectivement rencontré Freud. En 1911, elle lui fournira même un article sur « La destruction comme cause de devenir » qui sera une des matrices, celle-ci inconsciente ou cachée, de la future pulsion de mort que Freud développera après la guerre de 14/18. En 1913, il lui écrit : «Mon rapport à votre héros germanique est définitivement rompu. Son comportement a été trop détestable. Mon jugement sur lui s’est beaucoup transformé depuis votre première lettre ».

En 1912, elle se marie avec un Russe et part en Russie — devenue l’URSS — en 1923, où vient de se créer une association psychanalytique. En 1936, cette association sera dissoute et Sabina, après la disparition de ses frères dans les purges staliniennes, meurt assassinée au début de la guerre là où elle est née, à l’entrée des nazis – les SS – dans sa ville. Seule trace qui reste d’elle, une note en bas de page dans «Au-delà du principe du plaisir », avant la découverte en 1977 à Genève, dans les caves de l’ancien Institut de Psychologie, d’une correspondance copieuse et oubliée entre Jung, Freud et Sabina Spielrein, et de son Journal.

Ce retour du refoulé fit évidemment du bruit dans le landerneau psychanalytique et même au delà. D.-M. Thomas dans L’hôtel blanc s’est-il inspiré de cette histoire ? L’effacement d’un nom propre fait aussi écho à notre actualité lacanienne la plus brûlante.

Et cette vérité éternelle que l’amour ne se laisse pas aisément gouverner par la raison, que la jouissance et la pulsion dominent les idéaux, que dans la psychanalyse « le transfert est à la fois le moteur le plus puissant de la cure et le principal facteur de résistance », que les hommes sont des lâches — ou des malheureux — partagés par l’aphorisme de Freud : « Là où ils aiment ils ne désirent pas, là où ils désirent ils n’aiment pas », que les femmes sont folles, même si Lacan ajoute « pas folles du tout », mais plutôt au-delà des limites dont l’angoisse de castration guinde les messieurs, que l’histoire du mouvement psychanalytique est plein de rumeurs et de chuchotements, de rivalités rassies et de haines intangibles, à l’époque au moins où elle croyait qu’elle allait dominer le monde, que nos histoires sont subsumées quand elles croisent l’Histoire avec un grand H, devaient évidemment attirer un cinéaste comme David Cronenberg.

C’est chose faite avec A Dangerous Method, chronique fidèle de cet épisode de l’histoire de la psychanalyse, présenté cet automne à la Mostra de Venise. Adaptation de la pièce A talking cure de Christopher Hampton — qui est aussi le scénariste du film —, l’accueil du film fut mitigé. « Un film passionnant » pour A. Romanazzi, « Un film à la limite de l’ennui » pour tel autre critique ; Lorenzo Bianchi réclame « la statuette d’un Oscar » pour Keira Knightley (qui joue Sabina Spielrein dans le film), tandis que d’autres au contraire trouvent son jeu « poussif » ; « Un dialogue brillant », « Un film académique », etc. C’est encore Libération lors de la sortie du film en France qui trouvera le titre le plus drôle : « Méninges à trois ».

En tout cas, à Venise, pas de Lion d’or pour Cronenberg. Il est vrai qu’avec Aronofski (Requiem for a dream, Black swan) comme président du jury, ce film à l’esthétique froide avait peu de chances d’être primé. Finalement, tout le monde s’accordait pour dire que, avec A Dangerous method, Cronenberg n’était plus Cronenberg. Le cinéaste sombre voire underground de ses premiers films propose ici une image claire et ambigüe comme la surface de l’eau sur le lac de Zürich que contemple Jung à la fin du film et qu’un rêve qu’il pense prémonitoire lui fait voir transformée en une étendue sanglante.

Mais non, c’est toujours la même question des rapports de la pulsion et de la parole (de l’histoire) qu’explore le cinéaste canadien. Seulement là où il montrait la densité des chairs, il montre ici la réalité de la lettre. Il faut saisir ici l’importance du générique qui s’attarde sur un gros plan d’une écriture, d’une lettre, de qui à qui ? On ne sait.

Et le formidable Fassbender qui joue ici Jung en protestant guindé n’est pas différent du Fassbender qui joue le héros hypermoderne de Shame. (Mais Fassbender aura le prix d’interprétation à Venise pour Shame). Ils sont aux antipodes mais c’est le même personnage aux prises avec la jouissance. Ici elle est encore liée aux idéaux, là elle est déliée de tout, pur « morceau de réel ».

Et Sabina est la soeur de toutes les femmes qui proposent, avec Marie-Hélène Brousse, un « éloge de l’hystérie ». Elle est le double réel d’une autre analysante, l’héroïne de D.-M. Thomas, Lisa Erdmann, qui dit : « Si je ne pense pas au sexe, je pense à la mort. Parfois les deux ensembles ». Thomas ajoute qu’elle dit cela « d’un ton amer ». Sabina Spielrein est conforme à ce que Lacan dit des femmes analystes, quelquefois plus à l’aise que leurs homologues masculins avec le réel. Analysant un de ses rêves, elle écrit (en 1913) : « L’expérience nous a prouvé que le transfert, portant aussi bien sur les sentiments de haine que d’amour, constitue toujours une arme à double tranchant ». Et Freud lui rend hommage, lui écrivant : « Vous avez en tant que femme ce privilège sur les autres d’observer avec plus de finesse, et de ressentir avec plus d’intensité les affects dont vous prenez la mesure ».

Viggo Mortensen enfin, l’acteur fétiche de Cronenberg, est un Freud convaincant à l’ironie un peu distante. C’est sans doute un visage de Cronenberg lui-même qui se joue là, ce pourquoi nous préférions le Freud de Benoist Jacquot qui était plus vivant parce qu’il croyait, lui, à quelque chose, à la psychanalyse peut-être.

Après avoir vu le film, une spectatrice me dit, mine pincée : « Ce n’est pas très intéressant. Ce sont de petites histoires ». En effet, mais ces petites histoires sont aussi le cœur de nos vies et aussi le cœur de notre chère psychanalyse. Lacan enseignait que le style c’est l’objet, remercions Cronenberg de nous montrer que les facettes d’un même objet peuvent réfracter les variations inversées d’un même sujet. Finalement avançons que A Dangerous Method sera à Cronenberg ce que Barry Lindon fut à Kubrick : une œuvre dont la violence s’exprime dans un ciel d’un bleu glacé

Augustine

Coucou, 

Super la bande annonce Augustine sur Twitter, Mariana, merci. J’ai vu ce moyen métrage avec Dom et c’est très complémentaire avec l’éclairage historique de A dangerous method.

C’est une vraie plongée dans les origines de la psychanalyse en ce moment, et du traitement des hystériques…


Augustine Bande-annonce par toutlecine

bises.

Ah la TL des escapadeurs nocturnes…

Géraldine.
Envoyé de mon iPad

l’éthique de la psychanalyse et celle de l’amour dans le film A Dangerous Method

Hello! escapadants,

Cela fait un petit moment que j’ai sur le cœur un commentaire sur le film « A Dangerous Method », que nous avons vus, ensemble ou séparément :

Il me semble que le point nodal de ce film est l’Ethique de la Psychanalyse, avec un parti pris décidé pour Freud. Ce point nodal d’Ethique se manifeste en particulier dans cette scène, qui attrape le tout, au moment où Freud confie qu’il n’aime plus Jung, son élève, qu’il en est déçu, de par ses recherches ésotériques, certes, qui sont pour lui un menace discréditante à une époque où la psychanalyse est fragile (il parlera plus tard de « la boue de l’occultisme »), et, surtout, qu’il s’en est aperçu lorsque Jung lui a écrit cette lettre mensongère a propos de Sabina, niant qu’il a été son amant.

Celui-ci a préféré sacrifier la dignité de sa maîtresse, qu’il aimait, connaissant de surcroit la fragilité de cette femme qu’il a soignée, à ses intérêts petits-bourgeois, à son économie personnelle et égotique, voire un peu sadique d’obsessionnel insuffisamment analysé. Cela fait penser à l’homme aux rats.

Mais ce n’est pas le fait que Jung ai couché avec une patiente que Freud a jugé inacceptable, c’est le fait qu’il l’ait démenti.
C’est pour cela que sur ce bateau où Jung voyageait en première classe, grâce aux finances de son épouse qu’il n’a pu quitter pour Sabina, Freud, lui en deuxième classe, mais allant apporter la psychanalyse comme « la peste » en Amérique, refuse de lui confier son rêve, qui portait sur l’amour aussi, …qu’il éprouvait pour sa « belle »-soeur.

Ainsi, on se trouve face à une Éthique de la psychanalyse, de « ne pas céder sur son désir« , de ne pas recouvrir le Désir de l’Analyste concernant la « Cause Sexuelle », qu’il nomme la libido, par des religiosités, …ni de recouvrir son désir sexuel pour Sabina Speilrein par des enjeux de réussite financière ou socio-professionnelle.

Sabina s’en sortira dignement cependant, en exigeant de son ex-amant qu’il écrive à Freud pour réhabiliter la vérité, et devenir ainsi sa patiente, puis analyste.

Jung n’a sans doute pas exploré la dimension de rivalité avec Freud, le père de la psychanalyse, mais il a souffert ensuite une double perte: celle de son amour et de la confiance de Freud.

Ainsi la présentation de ce film, surtout dans cette scène, qui éclaire le tout, me paraît défendre l’Éthique de la psychanalyse et, en même temps,  ce que je proposerai comme « une Éthique de l’amour »: On ne trahit ni l’une ni l’autre!

Bises à tous

Catherine Decaudin

Sabina Spielrein, ou l’éclat d’une première analyse

Les réflexions sur le film A dangerous method sont toutes aussi passionnantes les unes que les autres!

J’aime beaucoup ton idée formidable de « l’éthique de l’amour » Catherine, même si je ne partage pas totalement ton jugement un peu trop « moral » de l’attitude de Jung, l’amour pour sa femme, Emma, »son pilier », et leurs nombreux enfants dépassant, me semble-t-il, la logique de l’intérêt matérialiste et de la sauvegarde de ses privilèges petits-bourgeois. Le film se termine sur une scène d’adieux amères qui offre à Jung aux prises avec ses contradictions un peu plus de profondeur.

Mais nous sommes sans doute devenus trop savants et trop orientés pour regarder ce film sans parti pris dans ce conflit historique qui a opposé Freud et Jung. J’aimerais d’ailleurs si c’est possible avoir d’autres avis « non psy » sur le film, comme indiquait Dominique en témoignant de ce que lui disait le fils d’une amie. Tu as vu le film je crois Laurent? Et toi Malik, ton avis de critique de cinéma est très attendu.

A revenir aux origines de la psychanalyse et aux cheminements, aux tâtonnements de ses pères fondateurs, dans la société germanique très conservatrice , entre-deux siècles, (Kinder, Küche, Kirche?), nous replongeons aussi dans un contexte historique inédit, qui a permis que la psychanalyse voie le jour, et cette histoire d’alcôve, très humaine, n’y aura pas été étrangère. Cette femme exceptionnelle, Sabina Spielrein, première analysante de l’analyste autorisé de lui-même (et de sa femme!) qu’était Jung, (sur la seule lecture de Freud, avant de le rencontrer, donc pas encore analysant), y aura pris sa part de façon étonnante, désirante et décidée dans son mouvement ascendant. Et ce malgré, (ou grâce à?) l’histoire d’amour passionnée et parfois cruelle qu’elle a vécu avec Jung…

Otto Gross, ce personnage énigmatique, rebelle, libertaire,trop vite éclipsé, m’a laissé un goût d’y revenir et de rechercher ses écrits, s’il en a laissés? C’est une des thèses du film,c’est aussi après avoir fait sa rencontre que Jung cède à son amour pour Sabina. Je me souviens d’un bon mot de Jacques-Alain Miller, qui en 2009, interrogé par l’actrice Barbara Schulz, qui interprétait Sabina sur scène, dans la pièce « Parole et guérison« (assez décevante au regard du film et de ses possibilités pour l’interprétation du rôle), et qui lui demandait si cela arrivait souvent qu’analyste et analysant tombent amoureux, il avait répondu par «C’est très rare, mais ce sont les risques du métier!»…

La transgression, l’amour et ses murs, les effets du transfert, étaient à ce moment-là des risques méconnus, qui justement seront précisés par la suite dans le dispositif de la cure, et de ses règles fondamentales, avec d’autres conséquences si elles sont appliquées comme des standards…

Les clivages théoriques du fait des appartenances religieuses, dans un moment de déclin du religieux, m’a aussi beaucoup touchée Véronique. C’est avec une certaine tristesse, voire un découragement, que j’ai pris la mesure de cet énoncé Freudien, à Sabina « Je crains fort que votre volonté d’union mystique avec le blond Siegfried n’ait été dés les origines voués à l’échec, N’accordez aucune confiance aux Aryens, nous sommes des juifs chère Mademoiselle Spielrein, et juifs nous le resteront toujours.» C’est précisément cette phrase qui m’avait déjà tourmentée dans la pièce «Paroles et guérison» de Didier Long, en 2009. Mon « identification » pendant le film repérée à la position de Sabina Spielrein, qui a tenté à plusieurs reprises de réconcilier les deux hommes : «si vous ne trouvez aucun moyen de coexister, les progrès de la psychanalyse s’en trouveront freinés.», m’interroge sur mon fantasme de vouloir réconcilier ceux qui se sont fâchés, ratés, manqués et qui s’épuisent dans des combats fratricides et des guerres de chapelles ravageants pour la cause analytique… Peut-être que c’est Christopher Hampton, l’auteur de ces mots attribués à Freud qui pourrait nous éclairer sur ce qu’il a voulu transmettre là? Sans doute était-ce dans l’air du temps et ce qui s’annonçait en terme d’horreur absolue avec la montée du nazisme, a contribué à ce repli communautaire et à ce terrible constat né d’attentes déçues pour le mouvement psychanalytique, qui vivra ses heures les plus sombres et encore peu travaillées avec les questions laissées par l’existence des camps d’extermination. Le livre d’Anne-Lise Stern, « Le savoir déporté » m’a beaucoup aidée et enseignée sur ces questions.

Ce que je retiendrai de ce film est donc cette « petite histoire » dans la grande histoire, passée inaperçue et pourtant essentielle, de la place d’une femme, entre deux hommes, analysée par l’un puis ensuite par l’autre, qui a provoqué leur rencontre en devenant un cas en partage, comme un go-between, un trait d’union, une passante, amante de l’un, élève de l’autre, entre ces deux hommes fondateurs et pionniers d’une découverte et d’une réflexion tout à fait inédite de la pensée, avec une façon d’aborder la souffrance psychique vraiment novatrice en donnant la parole au sujet, « tu peux savoir« , parole que Sabina Spielrein a choisi de prendre pour ne plus la lâcher. Sa mort prématurée, assassinée par les nazis avec ses enfants,en 1942, emporte ce que cette psychanalyste aurait pu découvrir et travailler par temps de paix. On peut d’ailleurs mettre en rapport ce film avec ce que Dominique indique du film Augustine, de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat , qui montre comment avec Charcot et le manque d’écoute des médecins moins intéressés à déchiffrer l’énigme des hystériques qu’à les observer et à les expérimenter comme des rats de laboratoire, l’invention freudienne et la talking cure ont aussi ouvert une voie unique d’écoute, de compréhension et d’émancipation des femmes.

Je reste sur la question du titre ambivalent du film de Cronenberg, A dangerous method, qui n’est pas sans rappeler la phrase de Freud à son arrivée à New-York avec Jung qui aurait dit : « Je vous apporte la peste« …Qu’en est-il aujourd’hui?

Vous l’aurez compris, c’est un film qui m’a beaucoup touchée, m’a fait travailler, et me fera travailler encore. Merci à Alain et Dominique pour leurs liens très intéressants sur le sujet.

A vous lire,

Amitiés,

Géraldine.

 

Freud et Cronenberg, le parti du corps

Et voilà, Géraldine, avec l’éclat de son commentaire. Il est saisissant de constater que dès les débuts de la psychanalyse, il y a un partage des eaux entre les tenants du corps ( la jouissance) et les servants du dire ( le désir ), entre Jung et Freud ici. Je ne crois pas que cela relève d’un manque d’expérience, d’une technique naissante, mais plutôt d’un choix éthique hors pédagogie.

En attendant le non psy que tu appelles, Géraldine, si nécessaire pour nous, je brûle d’envie quand même de vous transmettre quelques mots du cours d’Alain Merlet à la section clinique de Bordeaux sur A Dangerous Method, ce vendredi 13, mots recueillis auprès d’une collègue qui y a assisté.

Alain Merlet indique que le réalisateur prend le parti de Freud parce que celui-ci a préféré le corps au psychique, comme lui, au cinéma: c’est la bouche qui doit déterminer le jeu de l’acteur, aussi  ne faut-il pas visser les acteurs à la story. Il laisse d’abord parler les acteurs pour que puisse se dessiner dans leur jeu quelque chose de l’invention. On a l’impression que Jung s’intéresse au corps autrement.

A. Merlet nous dit que ce qui compte pour Freud ne sont pas tant les aveux que le cheminement, forcément signifiant, par lequel on les obtient. Ce que Freud critique c’est la photographie du corps, donc ce qui est. Ce qui compte, c’est le dit. Jung obtient des éléments par la pire des psychanalyses appliquées. Il va droit au but en court-circuitant la défense du sujet. La catharsis néglige le symptôme. Qu’est-ce qui reste alors, sinon le passage à l’acte.

Pour Freud, nous rappelle Alain Merlet, c’est la chaîne des signifiants qui mène à la remémoration, plus que la scène elle-même, qui compte.

Céder sur le bien-dire vous destine inévitablement au mal faire. C’est ce qui arrive à Jung et Gross, à l’envers de Freud et, osons le dire, de Sabina Spielrein. Son activité d’analyste, brillante, fut trop courte, fauchée par la barbarie nazie.

On pourrait lui rendre hommage, chère Vm, en publiant son article remarquable sur une phobie d’enfant, article dont je vous ai envoyé le lien à Escapadesculturelles.

Bien à tous
Alain

expo photo mandala

Si les mandalas peuvent être regardés comme des œuvres d’art, pour le bouddhiste, ce sont avant tout des représentations symboliques ayant une valeur sacrée extrêmement puissante.
Dix moines tibétains de l’Université tantrique de Gyütö ont réalisé un mandala de sables colorés à Saint-Merry du 14 au 16 juin 2011.
Cette expérience à la fois spirituelle et artistique s’est terminée par une cérémonie de prière spécifique, puisque les moines ont chanté selon un mode diphonique, mêlant à nouveau culture et spiritualité.
Le photoreporter Xavier de Torres a été invité et a réalisé une œuvre photographique.

Pour poursuivre dans l’esprit de Jung dont on sait la passion pour les mandalas et à partir desquels il a construit une théorie pour le moins farfelue. En revanche le travail photographique de Xavier ne l’est pas.

J’envisage de m’y rendre le 28 dans l’après midi juste avant le cartel,   http://www.voir-et-dire.net/?Xavier-de-Torres-Mandala  

Expo photo sur la création d’un mandala par des moines bouddhistes : Du 14 au 29 janvier 2012 Claustra saint-Merry 76 rue de la verrerie 75004 PARIS  

J’ai eu l’occasion d’assister à la création de plusieurs mandalas au Népal c’est magnifique. Ils sont faits de sable et symbolisent ainsi l’éphémère.

V.O

L’oubli de Cronenberg

Ah transfert, quand tu nous tiens ! C’est je crois la question de Cronenberg dans A Dangerous Method. Interviewé par un journaliste, il dit avoir fait ce film sans penser aux précédents… Et disant cela, oh surprise, il se rappelle son 1er film, un court métrage de 7 mn ! Et devinez son titre: Transfer !!!

Trouvons-le, et visualisons-le ! 

Bises à tous.

Alain

——————————-

ha ha, super, alain, cette découverte !!!

« Son premier film, Transfer (1966, un court métrage de 7 mn), traitait déjà de la relation ambiguë entre un psychiatre et son patient : on y voyait un patient suivre son analyste de manière compulsive. Et le duel Freud/Jung dans A Dangerous Method n’est pas sans rappeler l’aventure troublante des médecins jumeaux de son chef-d’œuvre Faux Semblants. Mais, devant son dernier opus, le film de l’auteur auquel on pense le plus (on reste frappé par la monstration de l’hystérie chez Sabina Spielrein/ Keira Knightley qui crée un corps crispé à la beauté convulsive), c’est Spider. »  http://mobile.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/a-dangerous-method-par-le-docteur-106654

v

 

du maniage du désir et de la jouissance

 Cher Alain,
 
Concernant le film A Dangerous Method, tu écrivais :  « Il est saisissant de constater que dès les débuts de la psychanalyse, il y a un partage des eaux entre les tenants du corps ( la jouissance) et les servants du dire ( le désir ), entre Jung et Freud ici. »

Jung, tenant du corps, jouissance, et Freud, servant du dire, le désir. Cette opposition, au moins dite de cette façon, tient-elle ?  Est-ce vraiment ce dont il s’agit ? Je pose la question. On a vu, l’année dernière encore, à son cours sur Yad’lun, Jacques-Alain Miller soutenir que le désir, l’ontologie, c’étaient du vent, que seul ce qui tenait, c’était ce qui existait, le un, le corps, la jouissance. Par ailleurs, il est vrai que le dire (à l’autre)  ira à mettre au jour, à cerner le réel en jeu dans la souffrance du sujet. (je ne dis évidemment pas que Jung aurait été en avance sur son temps, aurait tout compris, et que c’est sa voie qu’il s’agit de reprendre !!!!), je questionne ta  formule.

Ce que j’essaie d’interroger, c’est qu’il y a un endroit où Miller semble indiquer qu’il y a à détrôner quelque peu le désir, dans la mesure où il ne s’agit d’un semblant, et que le semblant seul ne peut que mentir, contourner la jouissance. Il me semble qu’il indiquait qu’il y avait presque de nouvelles manières de faire, de nouvelles écoutes à inventer pour le psychanalyste, et surtout pour le psychanalyste du XXIème siècle.

« Lacan enseignait le primat de l’Autre dans l’ordre de la vérité et celui du désir. Il enseigne ici le primat de l’Un dans la dimension du réel. Il récuse le Deux du rapport sexuel comme celui de l’articulation signifiante.  Il récuse le grand Autre, pivot de la dialectique du sujet, il lui dénie l’existence, et le renvoie à la fiction. Il dévalorise le désir, et promeut la jouissance. Il récuse l’Être, qui n’est que semblant. L’hénologie, doctrine de l’Un, surclasse ici l’ontologie, théorie de l’Être. L’ordre symbolique ? Ce n’est rien d’autre dans le réel que l’itération du Un. Doù l’abandon des graphes et des surfaces topologiques au profit des nœuds, faits de ronds de ficelle qui sont des Uns enchaînés.

Souvenez-vous : le Séminaire XVIII soupirait après un discours qui ne serait pas du semblant. Eh bien, avec le Séminaire XIX, voici l’essai d’un discours qui prendrait son départ du réel.
Pensée radicale d’l’Un-dividualisme moderne. »

Jacques-Alain Miller, Quatrième de couverture du Séminaire  …ou pire

« Alain Merlet, écris-tu, indique que le réalisateur prend le parti de Freud parce que celui-ci a préféré le corps au psychique, comme lui, au cinéma: c’est la bouche qui doit déterminer le jeu de l’acteur, aussi  ne faut-il pas visser les acteurs à la story. Il laisse d’abord parler les acteurs pour que puisse se dessiner dans leur jeu quelque chose de l’invention. »

Donc, Merlet, ici, indique bien, de façon très intéressante,  le corps comme « cela dont ‘ça’ part » – aussi bien pour Freud que pour Croenenberg. C’est à faire jouer la bouche, la jouissance orale, que la jouissance pulsionnelle se voit tirée, halée dans le dire, au moins pour partie. Et la pulsion, silencieuse, trouvant ses mots verra « advenir un nouveau sujet » pour reprendre les mots de Freud. Un nouveau sujet vient à naître, ce qui procure au parlêtre un apaisement. Il n’est plus seulement jouet de l’étrange. Il peut s’inventer un histoire, construire son fantasme. Le problème, plus tard, c’est qu’une fois ce fantasme traversé, quand cela va jusque là, ainsi qu’en parlait Miller l’année dernière, il y a du reste, les fameux « restes inalysables ».  Et l’on assiste, chez ces sujets, à une déflation du désir. Il y a alors un quelque chose de nouveau à inventer. S’agit-il d’un savoir-faire, comme tu l’as quelquefois laissé entendre. Savoir manier désir et jouissance, réajuster toujours la répression de l’un par l’autre. Consentir au semblant, en connaissance de cause, consentir, agir son désir en « sinthome », sans faire la passe sur son mode de jouissance, et ce qu’il comporte d’inanalysable. Bien sûr, ce n’est pas cela dont il est question dans le film. Le film, comme tu le disais récemment, c’est le temps de la découverte, de la découverte du transfert. 

« On a l’impression, ajoutes-tu, que Jung s’intéresse au corps autrement.« 

Mais comment ?

« A. Merlet nous dit que ce qui compte pour Freud ne sont pas tant les aveux que le cheminement, forcément signifiant, par lequel on les obtient. »

 Oui, les aveux, le pire. Mais nous montre-t-on un Jung qui pousse aux aveux? Il ne me semble pas. Il me paraît honnêtement tenter d’appliquer ce qu’il a lu dans Freud, avant même de l’avoir rencontré, et sans savoir s’il n’est pas le premier à le faire.

« Ce que Freud critique c’est la photographie du corps, donc ce qui est. »

« La photographie du corps ? » Que veux-tu dire ? L’expression me paraît heureuse, mais je ne vois pas ce que le film nous en dirait. Entends-tu le corps dans sa représentation, et donc signifiant, et donc de l’être ». Au revers du corps pulsionnel ? Qui lui ne passe pas, jamais, à la représentation, au signifiant ? En quoi Jung a-t-il fait « photographie du corps » ?

« Ce qui compte, c’est le dit. Jung obtient des éléments par la pire des psychanalyses appliquées. Il va droit au but en court-circuitant la défense du sujet. La catharsis néglige le symptôme. Qu’est-ce qui reste alors, sinon le passage à l’acte. »

Donc, pour toi, ce dont il s’agit c’est de catharsis? Mais les névrosé(e)s n’étaient autrefois pas les mêmes qu’aujourd’hui. Je me demande d’ailleurs ce qui les a fait tant changer. Les hystériques. Elles arrivaient à l’analyste avec un corps autrement plus parlant qu’aujourd’hui, se démenant comme un beau diable. 

Il me semble, quant à moi, que le premier travail de Jung avec Spielrein est psychanalytique (le travail sur la chaise), et obtient d’ailleurs des résultats remarquables, du moins est-ce ce que le film laisse entendre. Ce n’est que dans un deuxième temps, effectivement, comme le souligne Géraldine, dans la méconnaissance, dans l’ignorance des effets de transfert etc., sous l’influence de la rencontre avec Gross, qu’il y a passage à l’acte.  

« Pour Freud, nous rappelle Alain Merlet, c’est la chaîne des signifiants qui mène à la remémoration, plus que la scène elle-même, qui compte.« 

Oui, c’est très juste, il s’agit d’extraire de la scène le signifiant, et c’est le moment de l’invention, et de l’apaisement, et c’est la voie qui ouvre au désir, qui est d’abord désir de dire, encore. A l’autre, dire encore, et c’est le transfert, l’amour. Et ça, il va falloir l’épuiser, jusqu’à aller à ce qui ne passe pas, ne passe pas dans le transfert, n’appelle plus l’amour (vers une nouvelle solitude, « la différence absolue »). 

« Céder sur le bien-dire vous destine inévitablement au mal faire. C’est ce qui arrive à Jung et Gross, à l’envers de Freud et, osons le dire, de Sabina Spielrein. Son activité d’analyste, brillante, fut trop courte, fauchée par la barbarie nazie.« 

Oui, tu as raison, de cela au moins, bien-dire, nous pouvons être responsables.

v

 

 

plutôt servant du corps (évocation de la perversion) et tenant du dire (ne pas céder sur le désir )

Chère, très chère Véronique,

Ta plume est tranchante, comme l’est sans nul autre pareil l’acte, lorsqu’il est analytique. J’aime cette joute éthique que tu ouvres à partir de nos commentaires sur A Dangerous Method de Cronenberg.

J’y réponds, avec délice, mais, comme tu vas le voir, pas sans contradiction que j’abhorre d’éliminer.

Tout d’abord, je maintiens ma formule « tenant du corps/ servant du désir » à ceci près, d’en inverser les termes: plutôt servant du corps (évocation de la perversion) et tenant du dire (ne pas céder sur le désir ). Elle n’est pas tout-à-fait exacte mais tellement opératoire dans la clinique.

Ensuite, s’il y a lieu de distinguer l’hénologie de l’ontologie, la jouissance du désir, Yad’lun de l’Être, il ne s’agit pas pour autant de les OPPOSER, ni de retenir les Uns, en jetant les Autres à la corbeille. L’Un ne va  sans l’Autre qu’APRES S’EN ÊTRE SERVI. Le Yad’lun ne se découvre qu’après avoir épuisé le circuit du Dire, du Désir. Ce qui prend un certain temps. À négliger le circuit du semblant, vital, on fait un court-circuit de jouissance, comme Jung.

Si ce dernier se sert du semblant pulsionnel de Sabina pour faire jouir son corps, Freud, à la différence, est intéressé par la façon dont une structure langagière vient coincer de la jouissance de corps.
Ce qui existe ne tient pas sans le vent du désir. Ou bien alors ça tient holophrasé, comme dans l’expérience autistique.

Jung, dans le film, fait exister la jouissance de l’Autre, en étant son instrument, son serviteur. Freud est plutôt intrigué dès le début par ce que Lacan découvrira tardivement, à savoir le signifiant comme moyen premier de jouissance. La lalangue  épingle cela.

Je vous trouve, Géraldine et toi, bien gentille à l’égard de Jung. Sa position ne me semble pas résulter d’un manque de savoir sur le transfert, qui était vrai pour Freud aussi, mais d’un parti pris sur la jouissance, prélude à ce que sera sa position conciliante à l’égard des nazis.

Tes deux dernières remarques me siéent.

Je souscris aussi à cette conception du symbolique à partir du dernier cours de JAM:  » ce n’est rien d’autre dans le réel que l’itération du Un. »  Son destin va dépendre de la présence ou pas de l’orienteur phallique.

Voilà, chère Véronique, quelques étincelles de plus pour entretenir le feu de nos échanges.

À toi.

Alain

 

La destruction comme cause du devenir

On trouvera à cette adresse des extraits de l’article de Sabina Spielrein « La destruction comme cause du devenir» (Revue française de psychanalyse 4/2002 (Vol. 66), p. 1295-1317) :

URL : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2002-4-page-1295.htm www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2002-4-page-1295.htm.

Chers Alain et Véronique,

Je suis très intéressée par vos échanges sur A Dangerous Method, film qui nous sollicite beaucoup décidément!  Peut-être parce qu’il appelle les origines de la psychanalyse, et la question des origines… Je me sens à la fois de l’Un et de l’Autre: Merci Véronique pour ton développement sur l’Un et l’hénologie, cette piqûre de rappel du cours 2011 de JAM. Les patients psychotiques nous en apprennent quelque chose de ces « Uns tout seuls », non-branchés sur l’Autre… Et puis  je suis assez d’accord avec Alain aussi: Pas d’Un sans l’Autre, dans les circuits de la demande et du désir. En toute fin d’analyse seulement, il devient possible de cultiver un peu son « autisme » (après la découverte de cette jouissance et  que Yad’lun)… pour le repos de chacun et afin de mieux s’en éveiller et en sortir! Comment dire cela? c’est un repos, un retrait vivant, à l’envers de la pulsion de mort, et qui permet d’être éveillé.

Bise à tous

Catherine Decaudin

Spielrein, Jung, Freud et le Néophyte

ou de l’intérêt d’une méthode dangereuse…

Tout le monde s’accorde, et je m’accorde avec le monde, pour dire que ce Cronenberg n’est pas du Cronenberg. Il n’y aurait aucun problème à cela, après tout qui en veut à Kubrick de n’avoir jamais fait du Kubrick, si cet entre biopic sur fond historique (mais biopic de qui? Jung, Spielrein, Freud) et historique (mais lequel? la tragédie austro-helvétique entre un père et un fils spirituel, la naissance d’une méthode de psychanalyse, la relation défendue et très originale depuis Adam et Eve entre un homme et une femme) sur fond de biopic, n’était poli, léché, presque récuré de tout ce qui fait le grain d’un cinéma qui n’a pas besoin d’être auteur pour donner un point de vue, une perspective. Entre le « Festin nu » et « CRash », il y aurait eu de la place pour faire un film avec un peu d’aspérité, quelques angles saillants, rentrants, aigus, pourquoi pas obtus ou nuls au lieu de ces angles plats et droits… pellicule immaculée remplie de libido.

Pour le néophyte, et nous étions plusieurs dans la salle, les premières scènes de Keira Knightley sont pénibles à regarder. Freud et Jung sont sans expressions ni émotions. Contraste encore plus frappant et marqué au regard du jeu de Keira Knightley. Le seul qui ait du corps, de l’esprit et une âme, c’est Otto Gross, avec un Vincent Cassel magnifiant l’état non pas seulement d’un être mais d’une époque, celle de la Mitteleuropa du début du siècle passé.

Jung a-t-il vraiment fait ce rêve à la fin du film? Quoi qu’il en soit, si oui, il aurait été préférable de ne pas le mettre et de ne pas mêler une intuition historique (déjà assez présente, mais ici avec un objectif de raison, par les multiples répétitions de Freud sur le danger d’être juif) à la chute du film, et si ce rêve fait partie de la licence artistique, Cronenberg devrait demander un renouvellement de son permis d’être considéré comme un réalisateur majeur de notre époque… Et je passe sur la musique qui accompagne par l’oreille le spectateur un peu endormi sans doute par cette soupe sans saveur pour lui faire remarquer que Frau Sabina Spielrein est en crise. Et je repasse, sur cet improbable plan d’une longueur exceptionnelle pour ce qu’il a dire, qui avait déjà été abondamment annoncé dans un plan viennois sur la virginité supposée de Frau Spielrein… et si nous n’avions pas compris, le doute n’étant pas tout à fait levé, nous avons pu contempler à loisir avec la dame toute à son émoi la preuve de cette rupture d’hymen… Alléluia, on est vraiment heureux pour eux! Peut-être que d’autres choses à passer m’ont échappée…il faut dire que je me suis assoupi plusieurs fois… Ce ménage à trois, quatre je suppose avec Cronenberg,  doit certainement être un des meilleurs succès commerciaux du réalisateur canadien… au moins tout ceci n’aura pas servi à rien.

Le néophyte, qui cherche quand même à comprendre quelque chose à cette naissance de la talking cure en regardant le film se demande à la fin qui cure qui? Le générique passé, le néophyte se dit, et je le cite: « heureusement que Frau Spielrein lui a fait effectuer une ‘body cure‘… Dr. Jung semble s’être enfin découvert à travers elle… »

Malik Berkati, le Néophyte

[source de l’illustration : http://anarchietotale.free.fr/neophytenouvellesperspectives.html ]

A dangerous method, débat au cinéma du Panthéon, réponses à quelques questions

DISCUSSION AUTOUR DU FILM : A DANGEROUS METHOD, David Cronenberg (2011)
Mercredi 1er février à 20h, Cinéma du Panthéon, 13 rue Victor Cousin, Paris V
Projection suivie d’un débat animé par Geneviève Morel (psychanalyste). En partenariat avec l’ALEPH (Association pour l’Etude de la Psychanalyse et de son Histoire).

Débat intéressant, très sérieusement préparé. L’intervenante avait lu tout ce qu’on pouvait lire sur la question, ou presque. Je crois avoir obtenu quelques éclaircissements sur des points qui nous étaient restés obscurs.

1- Réponse à ta question, Véronique, sur le jeu de la comédienne :
Il y a là un certain anachronisme. Son interprétation est fondée, en effet, sur les documents que l’on a sur les leçons de Charcot – lesquelles avaient eu lieu quelques vingt ans avant. Déjà, à l’époque, les hystériques avaient évolué et ne faisaient plus de « grandes crises » comme celle qui nous est montrée. En revoyant le film, j’ai trouvé moi-même que cette scène passait moins bien. Réalisateur et comédienne en font un peu trop…

2- Quant à la scène finale qui, pour Malik, ne passe vraiment pas :
La pièce originale de Christopher Hampton, dont la construction est assez différente, est coupée en deux par la scène extrêmement violente de la mort de Sabina, fusillée par les nazis. Le scénariste aurait choisi de reporter cette violence à la fin et lui aurait cherché un équivalent dans le rêve de Jung, ce qui produit une sorte de télescopage temporel. Rêve authentique mais pas vraiment prémonitoire, puisqu’il l’a fait pendant la première guerre mondiale et qu’il semble ici se rapporter aux événements de la deuxième.

3- Géraldine, à propos de cette phrase qui t’a tellement frappée (nous resterons toujours des juifs, gardons-nous des aryens) : elle se trouve dans une lettre de Freud à Sabina, dont les termes seraient encore plus violents. Pour G. Morel, et ça ma paraît assez convainquant, ce ne serait pas la position personnelle de Freud mais une interprétation analytique qu’il lui fait : il serait temps qu’elle arrête de délirer sur son blond Siegfried et qu’elle s’aperçoive que cette histoire est vouée à l’échec. Siegfried, c’était aussi le thème de son mémoire, dont on la voit discuter avec Jung, et qui est bien sûr très intriqué avec ce qu’elle vit alors : Wagner, « L’or du Rhin », le génie qui ne pourrait naître que d’une transgression, la pulsion de destruction annonçant la pulsion de mort (ce dont Freud lui rend hommage).

4- Les scènes sado-masochistes ne sont attestées par aucun document. Elles peuvent être liées à la problématique de Cronenberg lui-même. Mais n’en sont pas moins vraies, car elles montrent par un procédé fictionnel comment Jung entre dans le fantasme de Sabina (« Un enfant est battu »), comme il était entré dans celui d’Otto Gross, personnage en effet très réussi. En somme, il se laisse toujours faire par ses patients.

5- Je persiste à trouver Freud un peu caricaturé, même si, comme vous l’avez tous souligné, le film rend parfaitement justice à sa position éthique. Il est très pontifiant, où est passé son humour ? Michael Fassbender me paraît bien meilleur, surtout si on a présente à l’esprit sa prestation récente et si différente dans « Shame ». Alors j’avoue que, surtout la première fois, je me suis laissée emporter par le personnage de Jung, si bien rendu, si conforme à l’archétype du jeune psychiatre aryen – même si on sait à quel point l’homme était fou (cf. son autobiographie, « Ma vie ».) Les subtilités de ses conversations avec Freud, qui synthétisent leurs divergences, m’apparaissent mieux maintenant.

6- Quant à tes autres remarques, Malik, sur le côté trop lisse du film, etc., je suis hélas bien incompétente. Quelqu’un dans la salle a remarqué qu’il fumait beaucoup de cigares mais qu’il n’y avait pas trace de fumée ! Est-ce que ça rejoint ta critique ? C’est compliqué, le cinéma. Beaucoup plus que le théâtre, je trouve. Pour une fois que je me montrais bon public… Les critiques exigeants nous font avancer. Merci à toi.
PS. Je suis affreusement déçue par le film de Chantal Akerman, « La folie Almayer« . Tu as quelque chose à en dire ?

Dominique.