LiturARTerrir
À une question de Marc Sanchez, directeur de Monumenta du CNAP, Daniel Buren, l’invité du Grand Palais, déclare :
«… L’aspect vraiment frappant de ce lieu est l’atmosphère qui y règne, sa légèreté, cette impression que l’on ressent d’être dehors alors qu’on est dedans…»
Excentrique(s), nom donné à l’exposition, tombe bien pour souligner cette sensation. Un léger déplacement, dans l’horizontalité, et on se retrouve à flirter avec l’Extimité de Jacques Lacan.
Monumenta 2012 : Excentrique(s) de Daniel Buren, sous la nef du Grand Palais
Du 10 mai au 21 juin 2012, la Nef du Grand Palais héberge pour la cinquième année consécutive Monumenta, qui offre à chaque édition l’immense volume à un artiste contemporain. Après Anselm Kiefer, Richard Serra, Christian Boltanski et Anish Kapoor, c’est à Daniel Buren d’être invité sous la verrière.
Une « forêt de poteaux verticaux blancs et noirs…supportant les cercles colorés… » appelle le visiteur à arpenter ce piège à lumière dans toute sa longueur. Là se révèle le désir de DB, que lui-même énonce ainsi: « capter cette magnifique lumière du lieu et concevoir les formes adéquates pour faire ressentir à d’autres ce désir… Tourner autour de la recherche du moment où se rencontreraient…le désir précis qui m’animait et la forme qui s’imposerait pour articuler visuellement ce désir… Désir extrêmement fort, bien que totalement immatériel. »
Une écriture donc, avec comme lettres les courbes de la nature ( reprises dans l’architecture de fer et de verre du grand palais, où domine le rond que reproduit le compas) et les droites, qui ne sont que du langage ( Lituraterrre).
Une double libido anime cette écriture réelle, sans parole, mais pas sans son. L’Une, de la lumière du jour qui s’a-muse à raviner « cette sorte de plafond constitué d’une accumulation de centaines de cercles colorés et transparents ». Et l’autre, du visiteur d’art qui divague entre les bâtons rayés.
Il arrive un moment où l’on se demande si l’on ne glisse pas soi-même dans cette écriture, si on n’en devient pas une part d’elle-même, de cette œuvre. Entre l’Être et l’Un, se tricote un littoral, au sens où Lacan le bricole dans Lituraterre, où navigue à vue le sujet.
Excentrique(s), de Buren, fait littoral, littéralement. Quelque chose de pas semblant est à deux doigts de surgir de cette monture de semblants. Lituraterrir* est ce qui émerge dans la création d’aujourd’hui : une espèce de Bien Écrire, sans parole, qui détrône le beau-dire et son bla-bla. Ce n’est peut-être que dans l’art – et l’expérience autiste? – qu’un discours qui ne serait pas du semblant peut avoir lieu, s’il existait.
Bordeaux le 12 juin 2012
Alain Gentes
* Lituraterrir est de Lacan, c’est le verbe avec lequel il qualifie la pratique de l’écrivain, dans Lituraterre, texte écrit de Lacan pour le numéro d’octobre 71 de la revue littérature . Ce texte, où la lettre est distinguée du signifiant, en un lieu-dit littoral est une traduction écrite par Lacan lui-même de son cours du 12 mai 1971 énoncé dans son séminaire » D’un discours qui ne serait pas du semblant ».