Chers compagnons d’escapades,
Le Fils
de Jon Fosse
Texte français Terje Sinding
Avec
Michel Aumont
Catherine Hiegel
Stanislas Roquette
Jean-Marc Stehlé
Mise en scène
Jacques Lassalle
Décors
Jean-Marc Stehlé Catherine Rankl
Costumes Arielle Chanty
Lumières
Franck Thévenon
Son Julien Dauplais
Du 17 avril au dimanche 3 juin 2012
Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 16h
Certains d’entre nous ont assisté courageusement à la représentation du « Fils » de Jon Fosse dimanche dernier, journée pour mémoire copieusement ensoleillée qui n’incitait pas à aller s’enfermer dans un théâtre, surtout s’agissant d’aller y tenter une plongée dans les eaux troubles et glaciales d’une histoire de huis clos familial au cœur d’un petit bourg en voie d’extinction dans un fjord Norvégien au milieu de l’hiver. Noir, avais-je prévenu…
Une immense fresque peinte plante le décor et restitue de façon grandiose et inquiétante un paysage nordique de montagnes abruptes entourées de lacs noires, contre lesquelles est adossé un hameau quasi déserté. L’intérieur et l’extérieur se fondent dans une confusion d’espaces, suggérant que toute la vie ici s’articule au rythme de cette nature hostile et sauvage.
La pièce s’ouvre sur une scène quotidienne, réunissant un couple vieillissant dans un salon d’une banalité à pleurer, monsieur tout à son journal, madame au tricot, et pourtant sans qu’on sache très bien pourquoi, leurs échanges lacunaires, succession mécanique de lieux communs et de formules toutes faites, amènent d’emblée une certaine tension. Monsieur se lève et se poste à la fenêtre, scrutant au loin l’obscurité. «Il fait sombre, très sombre, de plus en plus sombre, … comme de la terre» sera sa petite ritournelle, sentencieuse, invariablement déclamée au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, ponctuant les vides, les blancs, les trous qui s’étirent au-delà du supportable. Seule la lumière de l’unique voisin, survivant, plus pour très longtemps, et les faisceaux des phares du bus quotidien qui mène à la ville, scintillent dans cette nuit polaire où rien ne bouge. Mais ce jour/nuit là, le fils, mystérieusement parti 6 mois auparavant, fait son retour…
Vos paupières sont lourdes… très lourdes… la note monocorde qui accompagne les premiers temps de la pièce diffusant son effet hypnotique irrésistible, nous met à rude épreuve et ajoute à une envie irrépressible de dormir, interprétée audacieusement comme une défense contre un réel inassimilable, sans exclure toutefois les manifestations de l’ennui profond face à la pauvreté de l’histoire. Pourtant quelque chose nous tient à peu près éveillés et nous pousse à attendre comme le Messie, le fils du titre bien nommé. C’est à lui qu’on s’accroche, qui est-il? Comment a-t-il grandi dans ce no-man’s land? Fils unique du couple, inconsolable depuis son départ, quel a été son parcours? Comment est-il parti? Là d’ailleurs se situe le noeud du drame, sans en dévoiler davantage. Mais surtout, constate-t-on avec effroi, qu’est-ce qui a bien pu le faire revenir? …
C’est à une véritable performance d’acteurs (remarquables) et de spectateurs que nous convie cette étrange pièce, nous soumettant le temps d’une représentation hyper-réaliste à un temps figé, mort, gelé, qui ralentit les mots, les pensées, les respirations, les pouls et nous entraîne inexorablement vers une expérience de l’attente, du vide, du rien, dont on ne sort pas indemnes. Un temps qui contraste follement avec notre mode de vie contemporain, qui sature le vide à outrance. Libre à vous de vouloir tenter l’expérience. Je pense pour ma part qu’elle en vaut la peine.
Je laisse le (bon) mot de la fin à Vanessa lorsque nous sommes sortis du théâtre, « Oh, il fait jour dehors! », nous poussant joyeusement vers le quartier Madeleine en quête d’un café pour nous remettre de nos émotions, avec un gain de vie intensément ressenti.
Amicalement,
Géraldine.
{ 18/05/2012 18:44:39 }
Extrait de l’article de Wikipedia sur Jon Fosse:
« L’œuvre théâtrale de Jon Fosse se caractérise par une écriture très épurée, minimale, répétitive avec d’infimes variations. La langue est banale, l’intrigue est pauvre, quasiment absente, l’ensemble paraît très simple. Mais l’auteur arrive à créer une tension extrême entre les personnages, dans un univers souvent très sombre.
« Le langage signifie tour à tour une chose et son contraire et autre chose encore » dit l’auteur. L’écriture ne comporte pas de ponctuation, et on remarque notamment l’absence de points d’interrogation, alors que les personnages sont perpétuellement en recherche, en attente, en tension (jalousie, exaspération, angoisse, vide existentiel…). Le plus souvent, ils sont confrontés à leur propre solitude. On ignore à peu près tout des personnages, de leur passé. Ils sont stylisés et ne portent pas de nom : ils sont désignés par un terme générique (lui, elle, le fils, le père, etc.) Seul importe le moment présent et les tensions qui s’exaspèrent entre eux. Et l’intrigue est elle-même épurée au point qu’elle en devient presque abstraite ou conceptuelle (la rencontre, la séparation, l’abandon, la solitude, etc.), elle donne souvent l’impression d’être inachevée. Il en résulte, pour le comédien et le spectateur, une sorte de frustration qui excite sa curiosité et éveille son imaginaire. »