Faust de Alexandre Sokourov // la faute à l’âme de faust

Cinéphiles d’Escapades,

Je viens de voir que Faust sort aujourd’hui enfin en France.

S’il n’y a qu’un film à voir en 2012, c’est bien celui-là! Revenir enfin aux fondamentaux de l’art cinématographique et démystifier le tropisme nord-américain culturel sur le contrôle et le pouvoir.

Si vous n’avez pas vu les trois films de la trilogie déclinant ce thème à travers Hitler (Moloch), Lénine (Taurus), Hiro Hito (Soleil) et conclue par ce Faust, je vous conseille particulièrement Soleil, l’esthétique qu’impose l’impérialité japonaise est éblouissante.

Bon, puisque vous aimez particulièrement jouer avec les mots, et même si dans le film très peu du texte original de Goethe est audible et/ou reconnaissable, ce célèbre passage où Faust va signer le pacte avec le diable s’entend, et comme il s’attache à la « faute » d’orthographe dans son âme, je vous souhaite une bonne séance (de cinéma) avec Goethe revisité par Sokurov à mettre aux côtés de Béla Tarr sur la pagode des maîtres :

« Da sind ja lauter Fehler. »
« Tje. Ach wirklich? »
« Meine Se… Seele mit zwei E. »
« Mit zwei E. Sehr schön. »
« Nach der natürlichen Trennung von meinem Leibe. Ja. So ist es richtig.
Ich habe keine Tinte mehr. »
« Ohh, was für ein Jammer. Wie wäre es mit Blut? Sie waren doch bereit, mit Blut zu schreiben. »

La traduction n’est jamais aisée mais là encore moins.

Quand on apporte à Faust le contrat à signer, il constate une faute dans le mot « âme » : « Seele » qui s’écrit avec deux e est visiblement écrit avec un seul e. Donc, en gros, traduction à la malik en gardant l’esprit plutôt que la lettre :

« Il y a là de grandes fautes. »
« Ah bon, vraiment? »
« Mon aâme avec un accent circonflexe. »
« Avec un accent circonflexe. Très bien. »
« …après la séparation naturelle d’avec mon corps. Oui. C’est juste ainsi.
Je n’ai plus d’encre. »
« Oh, c’est ballot. Et avec du sang? Vous étiez bien prêt à écrire avec du sang. »

Malik

 

FORMAT FAUST « Grau, teurer Freund, ist alle Theorie / Und grün des Lebens goldner Baum »

veronik

Hier, Catherine et moi : Faust d’Alexander Sokurov
Vraiment bien aimé.
Véronique

NB : malik, j’ai rêvé ou le format de Faust est différent, nous n’étions pas très bien assises, au premier rang, mais il me semble que l’image était presque carrée.

dominik

Tu as raison, Véronique, pour le format de Faust. Pourquoi, tu sais ça, Malik ? ça situe d’emblée les choses dans un lointain passé, qui pourrait bien être notre avenir… Terre dévastée, solitude. Mais encore, sur un plan plus technique, que peut-on dire de l’effet recherché en adoptant ce format ?

Au premier rang, ça devait être quelque chose ! En particulier les dernières images. Cela mérite d’être tenté. Irai-je le voir une troisième fois ? J’aime beaucoup Sokourov – ce film un peu moins que d’autres (L’arche russe, Mère et fils, les trois premiers films de ladite « quadrilogie », et certaines Elégies, qui ne font pas partie de la rétrospective, hélas). Tellement dense à tous points de vue que je ne sais par quel bout l’aborder… Ce monument nous laissera-t-il sans voix ?
Dominique.

malik

Oui, le format de Faust est un format « normal », dans le sens de l’histoire du cinéma, quasi carré(1:1,33 pour le ciné ou 4:3 pour la télé), c’est le format des films muets jusqu’aux films dans les années 60, moment à partir duquel le format à commencer à se « rectangulariser ». D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez regarder ARTE le mois passé, les diffusions des films de Fassbinder, et remarqué que le format était aussi carré.

Le parti pris de Sokurov semble procédé ici d’un tout: il recolorie à la western-spaghetti la pellicule, il utilise des filtres et des lentilles spéciales un peu déformantes, ainsi le rendu des couleurs et du format ressemble à un vieil album photo (d’ailleurs les coins de l’écran semblent comme arrondis, genre super8), le but étant de mettre autant de distance que possible entre l’action du film et le présent, s’éloigner autant que faire se peut du réalisme sans altérer la réalité. Je dis cela d’un ton un peu péremptoire, il va de soi que ceci n’est que mon interprétation.

Le 2ème parti pris selon moi est d’encadrer la thématique de l’exiguïté dans laquelle vit Faust, les lieux comme son monde.

Il y a aussi une théorie qui court selon laquelle il rendrait ainsi hommage au Faust de Murnau qu’il considère comme un grand maître (certains disent même modèle…), mais comme je n’ai pas pour habitude de répandre des rumeurs, je donne donc cette théorie juste pour être complet.

Ceci dit, cette forme très apprêtée du film peut en agacer plus d’un-e. Moi j’adore: je suis un adepte de expressionnisme classique (dans tous les domaines artistiques et culturels) des années 20 principalement en Allemagne… et là, on peut s’y noyer à volonté, voire avec volupté…

Malik

PS. c’est cool d’avoir des retours sur Faust… je désespérais presque!

« Grau, teurer Freund, ist alle Theorie / Und grün des Lebens goldner Baum. »
(2038; Mephistopheles zu dem Studenten)

je n’ai pas la traduction officielle en français sous la main, donc en gros:

« Grise est toute théorie, cher ami / Et vert l’arbre étincelant de la vie »]

l’enfer : un désert de solitude, sans salut

Cher Malik,
J’ai pu voir Faust, sur tes conseils, avec Véronique, et en ai été ravie, sans trop savoir pourquoi. Très belles images, mais aussi cette phrase, si j’ai bien compris, concernant ce qu’est l’enfer, si on a  » vendu son âme » ( en a-t-on vraiment une ? enfin, on le croit) : l’enfer c’est …. » un désert de solitude, sans salut »!
Je suis bien d’accord avec ça.
Merci
Bise
Catherine
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Je suis bien d’accord également chère Catherine!
Au creux de la nuit, et pour l’accompagner, un enfer plus épicurien:

Au delà de la Terre, au delà de l’Infini,
Je cherchais à voir le Ciel et l’Enfer.
Une voix solennelle m’a dit :
« Le Ciel et l’Enfer sont en toi. »

Rubayat, Omar Khayyâm, quatrain XV